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lundi 3 juin 2013

Nicole Houde, lauréate du prix Hervé-Foulon


Hervé Foulon en compagnie de Nicole Houde
Nicole Houde remportait, le 21 mars dernier, le prix Hervé-Foulon du Livre oublié avec «La maison du remous». Édité pour la première fois en 1986, l’ouvrage fondateur de la romancière installe des thèmes, des questionnements et des préoccupations qui essaimeront dans les œuvres subséquentes de cette écrivaine unique. J’ai lu trois ou quatre fois ce roman au fil des ans et j’ai été bouleversé pour différentes raisons. À toutes les fois. L’écriture vous aspire comme une galaxie qui ne cesse de prendre de l’expansion, s’attarde à l’univers des femmes d’une façon singulière.

L’auteure, avec raison, a résisté à la tentation de retoucher le texte à l’occasion de cette nouvelle parution. Elle a su respecter son cheminement et l’écrivaine qu’elle était il y a vingt ans. Tout y était alors, tout y est encore. L’éditeur a repris la page couverture qui provoque un malaise avant même d’avoir amorcé la lecture. Le ton est donné.

Univers

Laetitia nous entraîne dans le monde qu’explorera Nicole Houde dans ses différentes parutions. Dans une démarche sans compromis, exigeante, l’écrivaine reviendra autour de certains personnages pour les bousculer et mieux les cerner. La figure du père par exemple qu’elle ne réussira à saisir qu’avec «Je pense à toi» en 2008, vingt ans plus tard. Un écrivain a beau être happé par des sujets ou des humains, il multiplie souvent les excuses et inventera tous les détours pour ne pas les confronter. Peut-être parce que c’est trop douloureux de rouvrir certaines blessures, de fouiller des secrets que l’on préfère ignorer.
Nous comprenons avec le recul, qu’il a fallu toute une vie d’écriture à madame Houde pour cerner son univers et en découvrir toutes les dimensions. Que de courage il faut pour s’aventurer dans un milieu qui broie les hommes et les femmes, les écrase dans leur esprit et leur corps. Laetitia et ses filles, une figure inoubliable et fascinante, sont dépossédées par leurs fonctions biologiques. Le corps trahi. La maternité devient une malédiction qui chiffonne l’organisme, s’en nourrit depuis la nuit des temps. L’homme, dans cet espace, devient une menace qu’elles doivent éloigner malgré l’attirance, l’espoir de douceur et d’amour, la sensualité souvent incontrôlable.
La seule tentative d’évasion de Laetitia, peu après son mariage, ne peut qu’échouer. Une nuit sur les monts Valin pour être la sensualité, le plaisir et échapper au remous qui avale le village. Conquérir aussi l’espace des mâles et échapper à son destin. Elle sera enfermée dans la maison par le père et le mari, des figures interchangeables. Tout doit être à sa place dans cette prison où les femmes venues des générations d’avant la hantent et la poussent dans une rage destructrice. «Rien ne doit changer au pays du Québec» écrivait Louis Hémon. Nicole Houde lui répond d’une façon percutante en montrant l’envers de la médaille.
Laetitia, la figure dominante de ce roman, voudra s’arracher à cette spirale destructrice et sans issue. Elle ne pourra que s’y enfoncer.

Trahison

Le corps ne cesse de trahir Laetitia et de la réduire à son rôle de faiseuse d’enfants qui deviennent rapidement des étrangers à la naissance. Ce petit être gruge ses énergies et l’esprit, l’âme je dirais. Il n’y aura que la toute dernière peut-être, par sa marginalité, pour s’accrocher dans l’enfance. Ce sera fatal pour l’irréductible qui ne peut tenir tête à tout un village.
Cette réalité, les femmes ne peuvent la fuir que dans la folie ou la mort. Toutes, dans «La maison du remous» sont prisonnières et sous haute surveillance. Pendant ce temps, l’homme se défonce dans les chantiers et se noie dans l’alcool au printemps.
Les femmes ne peuvent que sentir leur corps leur échapper, que protéger les filles qui ont cru aux mirages des promesses amoureuses et aux sourires des hommes. Ce rêve engendre les pires catastrophes, les gestes sans retour. Le suicide de la sœur de Laetitia est un moment inoubliable. Cette scène me hante encore.
Une page importante du vécu des femmes, du sort qui leur a été réservé dans une société patriarcale et cléricale où elles n’étaient que des ventres qui assuraient l’avenir de la race.
Même après quatre ou cinq lectures, on ne sort pas indemne de «La maison du remous». Une œuvre puissante qui n’a pris aucune ride. Un grand roman qui montrait déjà l’écrivaine importante et unique qu’allait devenir Nicole Houde. Il faudrait bien en faire un film un de ces jours.

«La maison du remous» de Nicole Houde est paru aux Éditions de La Pleine lune.

dimanche 26 mai 2013

MORISSET NOUS COUPE LE SOUFFLE



Les textes de Micheline Morisset, dans Le cœur, c’est fatal, sont à méditer comme des cantiques. En plus, le livre est magnifique et les illustrations de Gwenaël Bélanger, des images de guitares fracassées, évoquent les personnages qui ont tous quelque chose de cassé en eux. J’ai eu du mal à quitter certaines nouvelles d’une force et d’une justesse singulières.

Le titre le dit bien, tout le recueil tourne autour de l’amour, la mort, le vieillissement, les blessures qui ne guérissent jamais. J’aime surtout cette manière que l’auteure a de retenir le temps. Comme si l’écrivaine prenait une photo de son personnage et l’examinait sous tous les angles, dans un décor particulier, lors d’un moment de grande vulnérabilité. Elle possède l’art de se glisser entre deux gestes, de bousculer un peu son personnage pour révéler un secret.
Bien plus, c’est un tableau qui s’esquisse, une scène que l’on ne se lasse pas de regarder et de retourner dans tous les sens.
«Ma mère se tient immobile sur le perron, rendue au dur labeur d’habiter encore pour quelque temps ce monde. Son visage ni laid, ni beau. Du temps empilé sur du temps. Vieillir est pornographique.» (p-15)

L’ART DE VIVRE

Des agressions dans l’enfance ont balafré le corps, des amours mal vécus ont froissé l’âme. La vie peut-être est la plus terrible tempête qu’un vivant puisse affronter. Et cette dérive du temps qui finit par tout gâcher quand le corps n’est plus fiable.
«Derrière le flou de ma fenêtre, je regarde le givre et le visage d’une femme, vieille si vieille, se replier comme une feuille à la fin de sa vie.» (p.81)
Les phrases de Micheline Morisset étourdissent. Ce sont des éclairs qui aveuglent et restent longtemps collées à vos paupières.
«Il avait pour moi des gestes comme des rubans de soie.» (p.50) «Et le train de nouveau gruge les rails comme une bête, à la croisée des routes. Comme une bête ajoute à mes tourments.» (p.80)
Il faut revenir sur ses pas encore et encore pour s’imbiber du drame qui couve, de ce qui se perd et ne se retrouve que dans l’écriture.
«Il m’a tendu le casseau de fraises, puis m’a souri. C’est bête un sourire, ça ne dit pas tout. Ça raconte peu des cailloux sous les paupières. Mieux vaut se fier aux yeux, c’est sur cette petite île que les gens sont les plus tristes surtout s’ils se croient à l’abri du regard d’autrui.» (p.26)
Souvent tendres, parfois rugueuses, toutes les nouvelles viennent vous chercher dans vos derniers retranchements, vous secouer comme un drap sur une corde folle de bourrasques. Difficile d’exprimer la fascination que certaines images exercent sur vous. La beauté certainement qui se précise et éblouit.

QUÊTE

Madame Morisset sort ses plus beaux pinceaux pour redessiner le visage d’une vieille femme qui se perd dans le trou de sa mémoire. Il y a aussi la fuite de l’autre, la fascination qu’un agresseur exerce sur sa victime, des amours qui n’ont pas eu lieu, des blessures qui ne cicatriseront jamais.
«Et ta main tremble. Toute ta vie se referme si durement. Un jour, le téléphone sonne et ça bascule. Sans voix. L’état pur du silence. Tu jettes un œil à la fenêtre, en bas : un hurlement de nuages et un tas de pierres sur du gravier puant. Il n’y a plus rien d’autre à attendre.» (p.86)
La vie se dilue dans le silence, le cœur s’arrête de battre parfois, une petite éternité et repart. C’est fatal.

«Christian et Marie comprenaient trop bien que certaines fins débutent par un mot qui, mine de rien, traverse la pièce et peu à peu couvre la vie d’un voile de cendre. Ils ne s’étaient pas tout dit, et les mois avaient passé. Le temps, le vent pliés en quatre dans les recoins du cœur.» (p.111)
La musique monte et recommence, la vague gonfle et se défait sur les rives du fleuve toujours là, obsédant, changeant et indifférent.
Une écriture qui n’appartient qu’à elle et qui vous bouscule. Des éclats de beauté. Je garde «Le cœur, c’est fatal» tout près, à portée de lecture pour le relire à voix basse, m’imprégner de cette prose ensorcelante. Un moment de grâce.

«Le cœur, c’est fatal» de Micheline Morisset est paru chez les Éditions d’art Le Sabord.

lundi 20 mai 2013

Élise Lagacé présente une fable magnifique



Élise Lagacé, dans «La courte année de Rivière-Longue», décrit un milieu sclérosé qui sera secoué par des marginaux et quelques dissidents. Des personnages sympathiques et détestables, des scènes cruelles comme toute fable le veut. Un vrai plaisir que de se laisser emporter dans un monde étrange et pourtant si familier. Un texte vivant, débordant d’humour et d’imagination.

Aline a quitté mari et enfant. Elle n’en pouvait plus de son conjoint qui dérivait entre le réel et l’ivresse, la violence et la tendresse. Elle va sans se retourner comme la femme de Loth, abandonnant sa petite Marcelle. Elle traverse le grand fleuve pour mettre du temps et de l’espace entre elle et son ancienne vie.
«Aline n’a rien fait de mal. Pourtant, elle est fautive. Surtout, elle est coupable. Pour les habitants de Rivière-Longue, il ne s’était jamais rien passé. Ils n’ont rien entendu. À Rivière-Longue, ça ne se fait pas. On ne doit rien changer des choses établies. On ne fait pas de remous. Seul le vent a le droit de souffler en rafales. Pas Aline. Il ne faut pas. Il faut cacher. Camoufler. Faire comme si rien ne se passe.» (p.16)
Peut-être qu’elle n’aura été qu’un rêve, qu’un souffle qui secoue le feuillage d’un bouleau, qu’une ombre dont personne ne se souviendra. Tout s’efface dans ce village qui se perd dans le temps.
«Son ne dira rien, il fera comme si Aline n’avait jamais existé. Complices dans ce silence, les villageois décident de ne plus parler. De chérir leur indifférence. Le soulagement s’installera sûrement. Plus rien ne peut arriver. Plus jamais. Et on ne laissera personne quitter Rivière-Longue. Ce ne sera plus nécessaire. Peu à peu, Rivière-Longue s’effacera des cartes routières. Peu à peu, Aline s’effacera de leur souvenir.» (p.19)
Tout va changer pourtant avec l’arrivée de Roland qui bouscule «l’intranquillité» des choses.
«Roland est apparu un matin, au moment où la lune et le soleil se partagent le ciel. Une aurore gris-vert, quatre ans après la disparition d’Aline. Il avait croisé Martin qui dénouait son filet, Marcelle qui feuilletait un jeu de cartes bourré d’humidité et Simone, trois ans, qui courait de long en large de la plage avec une taie d’oreiller qu’elle tenait ouverte au bout de ses bras. Petit navire hilare et titubant. Roland conduisait son pick-up rouge rouillé. Grand homme sombre comme une forêt et barbu comme un ours.» (p.55)
Les bien-pensants le tolèrent jusqu’à ce qu’il commence à construire une maison pour Aline. Le village décrète un boycottage qui ne donnera rien puisqu’il peut s’approvisionner dans l’agglomération voisine. Certains iront jusqu’à saboter son travail et il sera blessé sérieusement. On ne bouscule pas un tel milieu sans courir des risques.

La famille

Martin le gentil géant père de Marcelle, Mario un oiseau étrange, Simone une enfant trop intelligente pour son âge et Gitane, une avocate sans travail, finissent par former une étrange famille jusqu’au retour d’Aline.
«Aline marche lentement sur le Boulevard, l’émotion la rend lourde, elle avance dans le coton d’un rêve dont elle espère ne jamais s’éveiller. Son cœur fait un bond lorsqu’elle passe devant les ruines calcinées de son ancienne demeure, le feu nettoie tout, même les pires souvenirs. Elle n’en croit pas ses yeux et fait taire les questions qui se bousculent dans son cerveau encore fatigué de la nuit blanche du voyage.» (p.164)
Des surprises comme je les aime, une description d’un milieu qui s’étouffe dans ses entêtements et sa bêtise. La caricature du bureau de la censure à l’arrière de la Poste est une trouvaille. Les commères qui entendent tout de leur galerie également.
Une belle manière de montrer les travers des humains, de dire que la sottise peut être vaincue. Les gens finiront par accepter les changements, mais auparavant, il faudra un grand feu qui effacera le passé et purifiera le village en quelque sorte. Une rédemption quoi.
J’ai eu beaucoup de plaisir à lire ce roman, allant de surprise en surprise. Une découverte, une fable qui secoue la vie d’un milieu sclérosé qui s’étouffe peu à peu en surveillant un voisin, mettant des efforts terribles à empêcher les autres de respirer ou un chien de japper. Heureusement, la vie triomphe de tout, même de l’aveuglement et de la sottise.

«La courte année de Rivière-Longue» d’Élise Lagacé est paru chez Hurtubise.

samedi 18 mai 2013

Nathanaël nous laisse souvent en apnée



«Depuis, j’écris ces Carnets, qui sont des tentatives d’écriture, des essais, des petits échecs qui tâchent impossiblement de raccommoder le temps et son sens.» (p.43)

Nathanaël, connue aussi sous le nom de Nathalie Stephens, avec «Carnet de somme» met un terme à une trilogie qui regroupait des titres évocateurs: «Carnet de désaccords» et «Carnet de délibérations».
Cœur tendre s’abstenir. Nous sommes à des lunes de l’anecdotique. Il y a ici et là des références qui démontrent que l’auteure s’envole vers Chicago ou Montréal, mais ce n’est guère important. Nathanaël se tient dans la stratosphère. J’ai eu souvent l’impression d’être mis en joue et de devoir me justifier d’être vivant. Le carnet veut cela.
«… une étable, de nombreuses pièces, des randonnées à bicyclette à la campagne, un parking terrible, des gens qui vont qui viennent, une menace, jamais nommée, une exposition d’art éventuelle, et la détérioration rapide de mon corps devant tout le monde. Couché ou debout, la liquéfaction de mes jointures, mes os flottant dans mes restes, des trous béants aux genoux, peau cireuse, disant à R. qui regardait la télé avec trois autres personnes tue-moi, par pitié pourquoi est-ce que tu ne me tues pas.» (p.25)
Les courts textes, entre la correspondance, le monologue avec une sœur morte prématurément, traquent l’insoutenable poids de vivre. Comment savoir si la mort choisit mal son heure ou si elle se laisse désirer? Beaucoup de citations d’écrivains pour s’accrocher et ne pas sombrer.

Désespérances

Peut-on percer les secrets de la mort ou de la vie quand le corps pousse le vivant tout doucement vers l’anéantissement? Cette question, les humains la ressassent depuis des millénaires. Les religions proposent des certitudes qui ne font que soulever des doutes.
Ces fragments, comme des éclats de verre, s’enfoncent entre les côtes pour faire jaillir le sang. Alors les yeux se tournent vers une autre dimension peut-être, le réel invisible.
«Jusqu’où le creux creusé en soi ? Je m’enroule, je dors la tête sous les couvertures, je tire mes genoux jusqu’au menton et je me déteste parce que je suis en vie. Et les mots de mes livres martèlent l’intérieur de ma tête, et je me déteste aussi pour les avoir écrits. Et je pense – je sais – que la trajectoire de la lettre envoyée du désert jusqu’à cette ville est la trace de notre amitié qui est aussi un amour, et je déteste le langage pour avoir divisé les choses ainsi, pour avoir séparé ce qui n’a ni le besoin ni le désir d’être séparé, ce qui est du corps pour commencer.» (p.74)
Une expérience où le mot est une question de vie et de mort. Nathanaël plonge dans le corps de la douleur, la souffrance d’être, le mal de vivre dans un monde où les autres deviennent une menace. Un texte existentiel qui va là où les frontières s’abolissent.

«Carnet de somme» de Nathanaël est paru aux Éditions Le Quartanier.