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dimanche 15 avril 2007

L’enfance demeure le terreau du créateur


La mémoire pousse vers le plus lointain comme au plus près de la vie. Claude Beausoleil, dans «Alma«, un récit constitué d’une soixantaine de très courts textes, arpente son enfance pour mieux évaluer sa vie actuelle.
Des milliers de Québécois, nés à la ville ou dans un village, ont fréquenté une même géographie physique et humaine sans, pour autant, devenir des écrivains et des poètes. L’enfant Beausoleil, dans un monde assez proche de celui de Michel Tremblay, se laisse séduire par les livres et les mots. Avant même de savoir lire. Une fascination physique, presque.
«Les lettres sont des personnes vivantes. Tout s’éclaire d’un coup. Dans cette obscure forêt de fumée blanche, des signes me parlent.» (p.12)

Univers

Qu’est-ce qui forge un homme ou une femme? Pourquoi un enfant se tourne-t-il vers la poésie, l’écriture qui le retiendra à l’âge adulte? Tout ce que Claude Beausoleil retient de son enfance aurait pu aussi l’éloigner des mots.
Les souvenirs s’accrochent à des odeurs, des couleurs et des sonorités, des chansons à la radio que l’enfant apprend par cœur; des voix d’hommes et de femmes qui plongent dans des drames et esquissent des mondes, quand il revient de l’école le midi. Des voisines, un propriétaire se démarquent et retiennent le regard. L’enfance se nourrit aussi des vacances à la campagne, de longues flâneries, d’un livre ou d’une seconde qui éclate comme une bulle et rejoint la mémoire. La sensation parfois qu’un grand espace se creuse dans le temps.
Le parcours a été possible grâce à un ange qui a surveillé ses pas et l’a poussé doucement dans les grandes boucles de la vie. La vie aurait été autre sans sa grand-mère Alma. «Memère Alma», l’âme comme on dit en espagnol, a eu l’intelligence de sentir que son petit-fils était différent sans vouloir le changer ou le faire entrer dans le moule.
«Premiers poèmes qui parlent d’amour et de bouleaux sur papier bleu pâle, ronéotypés à l’école. Écrits comme les chagrins d’adolescence, la mélancolie des espaces nouveaux qui tournent et tournent le hi-fi acheté par ma grand-mère malgré sa crainte, dit-elle, que je mette la musique trop forte.» (p.36)

Conscience

Pas de révélations ou de traumatismes qui font que le passé échafaude toute une vie. Beausoleil a glissé vers les mots tout doucement, naturellement, même si les arts visuels ont bien failli le happer.
«J’aime être seul. Dessiner, inventer des paysages, amas de traits, lignes précises qui s’ajoutent à d’autres. Toujours, construire des forteresses, des donjons, des tours, des enfilades de murs, des découpages crénelés. Derrière les liasses de grandes feuilles maculées de pointillés verdâtres que mon père me rapporte sans dire un mot, régulièrement, de son bureau, je reprends et modifie le même dessin pendant des heures sans jamais me lasser.» (p.55)

Machine à mots

La domestication de l’écriture passe aussi par l’apprentissage de la dactylographie, cette «machine à mots» qui permet à l’adolescent d’apprivoiser la phrase qui mène vers soi.
«Ce clavier rutilant sous les feux des néons, je veux lui faire écrire ce que je veux dire. J’ai l’impression qu’il va me permettre d’être à l’aise avec quelque chose en dedans de moi que je ne sais pas nommer.» (p.27)
Une gymnastique physique et mécanique, au début, qui dessine une géographie intime, un art de fouiller en soi qui le retiendra à jamais. Toute une vie s’amorce en tâtonnant.
Beausoleil retrace le geste, l’odeur et le mot qui ramènent les visages des proches largués par la vie. L’écriture permet de retrouver ces «moments de vie» que l’on examine comme un album de photos.
«Dans un instant qui n’en finit plus, des sons et des images se télescopent : les litanies des vendeurs, un air ranchero, le chapelet en famille, les « événements sociaux » à la radio de mon enfance, le regard plein de compassion de l’Indienne, celui de ma grand-mère, ses lèvres murmurant quelque chose que je ne saisis pas, quelque chose comme des conseils, une conjuration du sort, qu’elle me tend, les mains jointes dans son tablier fleuri, au matin de mon départ.» (p.97)

Aquarelles

Claude Beausoleil arpente les avenues du poème et de l’écriture, les grands tournants qui en feront un écrivain prolifique. Toujours avec discrétion et générosité.
Des récits comme des aquarelles qui soulignent des petits moments qui font surface, marquent les bonheurs et les peines. Ces flashes permettent d’aller d’un bout à l’autre de la vie du poète, de comprendre ce désir d’écriture et de voyager.
Surtout, nous savons en refermant ce petit livre que Claude Beausoleil, à Paris, à Mexico comme à Montréal, reste un vivant, un curieux et un inventeur de langages.

«Alma» de Claude Beausoleil est paru chez ZYZ Éditeur.

Des départs difficiles pour Mylène Bouchard

Mylène Bouchard lançait la maison d’édition «La Peuplade», en mai 2006, avec un titre séduisant : Ma guerre sera avec toi.
Ce roman, ce pourrait être un récit, oscille entre la poésie, l’évocation et la narration plus conventionnelle.
Une jeune femme est appelée à participer à un projet pour jeunes défavorisés au Liban, à Beyrouth. L’aventure, la découverte, le plaisir de voir le monde, bien sûr, mais tout n’est pas si simple. Elle vit un amour tout neuf et a du mal à s’éloigner.
«Un jour, je m’enivrais. J’étais dissuadée de gagner le lointain. Le lendemain, je ne pouvais plus concevoir de partir comme ça, comme une sauvage. Et chaque jour, une optique nouvelle. Et la nuit, plus sommeil. Je vivais alors un amour tout neuf, propre comme un sou neuf. Et il y avait la guerre qui s’ébruitait.» (p.58)

Le départ

Malgré l’amour, les larmes, Léo, elle finit par s’envoler pour Beyrouth. Le début de la narration devient une ode à l’écriture, aux mots qui gardent l’amour au chaud du cœur et du corps. Il faut tisser les liens et protéger la flamme. La solitude éclate en éclats que la prose n’arrive pas à contenir tellement le désir est fort, l’éloignement difficile. L’amour draine la vie et les pensées. «J’étais aveugle de tous gestes extérieurs.» (p.67)
Beyrouth s’impose, les rumeurs de guerre et le bruit des canons s’intensifient. Peu à peu la vie relève la tête. Il y a les amis, des artistes, surtout Natalia, comédienne et femme magnifique. La ville prend la couleur de certains visages.
Le texte s’adoucit et s’étire en récit plus évocateur. Les formes et les teintes de Beyrouth s’imposent. Le lecteur découvre une ville attachante et des jeunes qui veulent se redresser pour être quelqu’un dans la vie.
Et l’ordre arrive, comme un coup de canon. Il faut rentrer. La mission est terminée. S’il avait été difficile d’abandonner Léo, deux mois auparavant, quitter le Liban s’avère tout aussi difficile. La narratrice revient vers l’amoureux, mais son esprit et ses mots sont restés dans Beyrouth, la magnifique, quelque part dans une rue, dans le regard d’un enfant.
Un texte qui prend une signification particulière avec la guerre que ce pays a vécue au cours des derniers mois.
Un livre attachant. Mylène Bouchard jongle à la frontière de la poésie, du récit et du roman. À lire pour la respiration, le regard, la voix et la musique.

«Ma guerre sera avec toi» de Mylène Bouchard est paru aux Éditions La Peuplade.

samedi 14 avril 2007

Pour comprendre les chemins de l’écriture

Les Éditions Trois-Pistoles et Victor-Lévy Beaulieu, les deux sont indissociables, lançaient, il y a quelques années, la collection «Écrire» avec l’écrivain François Barcelo.
Une fresque où les écrivains et les écrivaines, «révèlent pourquoi ils écrivent, comment ils sont devenus écrivains, où ils vont chercher leur inspiration, ce qu’ils aiment (ou détestent) de leur métier», précise l’éditeur. On compte une trentaine de titres jusqu’à maintenant. Une édition solide, soignée qui ne craint pas les manipulations et les mauvais traitements.
Tout n’est pas égal dans ces témoignages. Il faut se rendre à l’évidence. Plusieurs écrivains sont peu portés à questionner l’acte d’écrire ou ce qui les pousse à jongler avec les mots dans la fureur des jours.
«La gloire et l’argent», claironnait Claude Jasmin dans son essai. Il n’en est pas à une pirouette près et à une provocation. Il est aussi étonnant que cette collection ne compte pas sur les écrivains Yves Beauchemin, Marie Laberge, Michel Tremblay, Larry Tremblay ou Michel Marc Bouchard. Les hommes ou femmes de théâtre ne semblent guère attirés par l’aventure. Il faudrait savoir pourquoi.

Louis Hamelin

Louis Hamelin a joué le jeu. «L’Humain isolé» explore le métier d’écrivain et les chemins de la littérature. Égal à lui-même, il emprunte les sentiers peu fréquentés, lance des flèches à ces auteurs qui prétendent bouder la lecture par crainte de voir leur génie s’oxyder par l’œuvre de l’autre. Drôlement bien envoyé et percutant. L’écriture commence par la lecture. On ne le répètera jamais assez. Écrire, c’est apprendre à lire le monde et son environnement.
«Trop de chefs, pas assez d’Indiens. Trop d’écrivains pour de moins en moins de lecteurs. Les facultés de lettres devraient fabriquer davantage de bons lecteurs et un peu moins de prosateurs dûment identifiés, le sceau de l’institution imprimé dans le front au sortir de la chaîne de montage. Car, à défaut de m’apprendre à écrire, l’université m’aura au moins appris à lire.» (p.49)
Hamelin regarde son enfance, secoue les rêves qui l’ont menés à écrire «La Rage» qui devait le propulser à l’avant-scène du monde littéraire au Québec. Il ne donne pas dans la dentelle et formule des questions fort pertinentes. Surtout, il s’élève au-dessus de ses textes et de la production des collègues.

Générosité

J’aime qu’un écrivain soit généreux, ouvre son univers et vous emporte dans ses premiers écrits, dévoile les obsessions qui ne cesseront jamais de le bousculer. Et quand un auteur, comme Hamelin, possède une vision de l’écriture et de la littérature du Québec et de l’Amérique, cela s’avère un festin.
Le romancier tient des propos plein de santé et de vigueur. Il ne craint pas de mettre le poing sur la table et de parler juste. Pas de mièvrerie ou de compromis.
Voilà le propre des vrais écrivains. Ils ne sont pas si nombreux au Québec et, surtout, ils ne font que rarement les manchettes.

«Humain isolé» de Louis Hamelin est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

François Turcot démontre son sens de l’image

François Turcot, en publiant «Miniatures en pays perdu», inaugurait la collection poésie de La Peuplade.
Un recueil porté par six mouvements ou six élans. Si «Suffit du dehors» et «Autour, commencements» s’avèrent plutôt anodins, «Mansarde» propose une poésie qui suggère, évoque un monde tel un dessin à l’encre de Chine. Et dans «Isba» et «Taïga», le poète nous entraîne au Nord, à Churchill, le bout d’un monde et l’antichambre du rêve. Les images s’imposent alors, vous forcent à vous arrêter pour respirer et vous laisser imprégner par cette poésie évocatrice, plus sentie. La strophe n’est plus un jeu où les mots s’accumulent comme des blocs legos.
«Le visage carnavalesque de l’hiver / s’articule / tel un sémaphore / il ne reste que des miettes de l’été / de vieux tisons / une fumée  froide qui s’élève » (p. 31) « Le train arrivé à la gare est une ligne sur l’horizon» (p.57)
Évocation du pays qui devient un trait qui fend le monde. Turcot démontre son sens de l’évocation et de l’image alors. Le poème s’ancre dans l’immensité où les horizons bougent et peuvent éclater. C’est le plus senti du recueil. On découvre aussi comme un récit en filigrane.
Mais cette volonté de fragmenter le poème m’a agacé un peu, la multiplication des points de vue et les parenthèses. «Miniatures en pays perdu» permet surtout à François Turcot de démontrer de très belles qualités. Il devient pertinent quand il oublie les effets pour dire, voir et témoigner. C’est encore le rôle de la poésie, il me semble.

«Miniatures en pays perdu» de François Turcot est paru aux Éditions La Peuplade. 

La vie se charge de guérir les deuils


Les écrivains, souvent, pour guérir d’un deuil, font des livres. Je songe à Pierre Monette et à Francine Noël. Les deux ont signé des récits exceptionnels.
Maud Goulet a vu sa mère combattre un cancer et dépérir. «Celle qui ne mourrait jamais» a dû abdiquer malgré son énergie et sa volonté.
Après ces moments difficiles, les enfants ont dû exercer le métier de vivre. Madame Goulet est demeurée longtemps sans remuer ce départ par peur de raviver sa peine. Il a fallu dix ans avant qu’elle ne se penche sur les traces de cette mère inventive, étourdissante de gestes et de projets. Un voyage, un paysage aux couleurs fauves à l’entrée de la Vallée de la mort, déclenchera cette méditation.
«C’était bouleversant: le désert n’était donc pas désert; il était vivant et si fort dans le silence du regard qu’on l’emporterait avec soi en partant. J’ai pensé à la couleur de ta peau, à tes cheveux, à tes yeux tels qu’ils avaient été avant… Tout ce qui est beau m’a toujours fait penser à toi… Tu me revenais intacte, pour la première fois depuis ta mort, sans que ton sein et ton bras blessés, ton crâne dégarni ne fassent d’ombre sur ta mémoire.» (p.80)

Souvenirs

En une dizaine de textes, Maud Goulet revit les excursions qui ont marqué les étés de son enfance. Un regard amoureux sur la vallée du Richelieu, tout près du village de Saint-Ours. Des promenades, des maisons en pierre ramènent des émotions et des souvenirs. Elle évoque cette mère enseignante, peintre, amoureuse et battante. Maud Goulet s’avère une fine observatrice de la nature et des oiseaux. L’occasion aussi d’effleurer les morts qui ont heurté sa vie. Les grands et petits deuils qui sédimentent l’être.
Livre sympathique, attachant même si l’auteure prend toujours le chemin le plus long pour effleurer un souvenir. Un peu de complaisance aussi dans une morosité qu’elle cultive au saut de la quarantaine. Une tendance à vouloir tout préciser quand une simple évocation aurait fait le travail.

«Maman? C’est le printemps…» de Maud Goulet est paru aux Éditions du chevalier de saint-œil.

vendredi 13 avril 2007

Pour se défaire du modèle et de l’obsession

Ceux et celles qui rêvent d’écrire se heurtent souvent à un écrivain qui les bouleverse et les subjugue. Cet auteur devient un modèle, pire, une obsession.
Habituellement, le tout passe par une lecture boulimique des œuvres de l’idole. Au pire, on s’y attarde, y revient pour apprendre des extraits de mémoire. Et, si l’écrivain est toujours vivant, on tentera de le croiser lors d’un événement public.
Victor-Lévy Beaulieu a rôdé autour de James Joyce  pendant toute sa vie et cela a donné l’ouvrage bouleversant qu’est «James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots».
Danielle Laurin a découvert Marguerite Duras à dix-neuf ans. Ce fut l’éblouissement. «Un livre fait pour moi, qui me dit moi.» «Le ravissement de Lol. V. Stein» la heurte de plein fouet, comme si un autobus l’avait renversée, rue Saint-Denis, à Montréal.

Passion

Madame Laurin lira tout de Duras, visionnera ses films et arrivera à les connaître image par image, réplique par réplique presque. Marguerite l’obsède et elle cherche par tous les moyens à «entrer» dans sa vie. Elle écrit des lettres sans jamais recevoir de réponse. Duras ignore les missives fort nombreuses de ses admirateurs. Danielle Laurin se rend à Paris pour la rencontrer. La Duras ne reçoit pas. Elle lui parlera au téléphone à quelques reprises tout au plus, même si elle assiège sa résidence. Elle rencontrera son fils, plus ou moins brouillé avec une mère pas comme les autres, Yann Andréa et François Mitterrand. Des manœuvres pour cerner son idole, mieux la comprendre et l’aimer.
Le lecteur, qui a lu la biographie de Laure Adler ou d’Alain Virconcelet, n’apprendra pas de faits nouveaux sur Marguerite Duras. Ce qui importe dans «Duras, l’impossible», c’est ce magnétisme que l’auteure de «L’amant» exerçait sur ses admirateurs. Elle les envoûtait et les retournait corps et âme. Ils étaient des possédés qui vivaient et pensaient comme elle. Yann Andréa et Alain Virconcelet en témoignent. Andréa y a laissé sa vie et sa pensée presque. Danielle Laurin ira jusqu’à arpenter les lieux de «L’amant» au Vietnam pour entendre le souffle et les rires de la jeune Marguerite.

Envoûtement

Madame Laurin se confie à son idole, questionne, raconte sa vie à la manière de l’auteure d’«Un barrage contre le Pacifique» dans «Duras, l’impossible». Un murmure, un souffle pour se libérer de l’envoûtement. Pourtant, l’entreprise s’avère quasi impossible. On n’échappe pas à Marguerite Duras.
«Il est temps pour moi d’en finir avec vous. C’est ce que je voulais vous dire. Impossible, pourtant. Je vous porte en moi, vous êtes encore là. Toujours vivante, pour moi aussi. On y revient toujours à Duras, oui… Ça peut sembler étrange, mais je n’ai pas du tout l’impression d’écrire à une morte. Je voulais que vous le sachiez.» (p.96)
Danielle Laurin se livre avec une franchise totale et ne néglige aucun coin obscur dans ces récits denses, cette confession qui prend le ton d’une suite de lettres à Marguerite. C’est peut-être le miracle Duras qu’elle effleure, cette force mystérieuse qui la pousse à écrire l’inavouable et à plonger dans une forme d’exorcisme.

«Duras, l’impossible» de Danielle Laurin est paru aux Éditions Varia.

jeudi 12 avril 2007

Ronald Larocque explore le merveilleux


Ronald Larocque a publié des nouvelles et enseigne la littérature au cégep de Saint-Hyacinthe. «L’homme qui lisait dans les mamelons et autres contes de l’émotion» est constitué d’une quinzaine de textes où l’imaginaire et la poésie se taillent un bel espace.
Un écrivain qu’aucune frontière ne semble vouloir arrêter et qui se grise des mots et des images que le lecteur voit s’épanouir comme de minuscules fleurs qui distillent la couleur. Elles éclatent avec les rires, étonnent et réchauffent l’âme. Une belle originalité.
Et si l’amour et la vie sont plus souvent qu’autrement au rendez-vous, la mort ne s’éloigne guère. Elle est là, brutale, impitoyable dans «Voler» ou «Cristalliser».

Réussite

Signalons «La femme aux pieds froids», certainement le texte le plus achevé et le plus évocateur du recueil.
«C’est une histoire qui prend racine dans les montagnes de l’Équateur et qui pousse à travers la terre pierreuse et noire d’un petit village quechua, pour ensuite venir fébrilement fleurir dans le cœur vivant de la modeste demeure de bois d’Antonio et d’Izarra. Ce village quechua, il se trouve du côté d’Otavalo et d’Ibarra, tout près de cette ligne fort imaginaire qui essaie de toute sa bonne volonté de séparer le monde en deux parties égales et de donner, dans la vie comme sur les cartes géographiques, un haut et un bas à l’Amérique et au monde.» (p.21)
Ajoutons «Le conte de la goutte» où il crée une belle magie avec le cycle naturel de l’eau. Signalons enfin «L’homme qui lisait dans les mamelons» et «Bouba» dont la finale est un peu faible. Un peu le problème de plusieurs textes qui manquent d’élan pour nous laisser sur le bout de notre chaise. Un quiproquo un peu facile aussi dans «Dilemme».
 
Oralité

Ronald Larocque fréquente le conte depuis des années. J’hésite à utiliser le terme parce que Larocque se tient plus du côté de la «littérature écrite» dans ce recueil de la très belle collection «Paroles» de Planète rebelle que de l’orature.
Il travaille plus comme un comédien qui mémorise ses textes, s’amuse avec des sonorités et des allitérations qu’il force un peu. Heureusement, il réussit à retenir ses élans la plupart du temps.
Reste qu’à l’écoute, l’auditeur perd la magie qui habite ses écrits les plus réussis. Le conte a d’autres exigences, il me semble, et ce que nous apprécions à la lecture, a du mal à se faufiler jusqu’à l’oreille pour la caresser et la chatouiller.

«L’homme qui lisait dans les mamelons et autres contes de l’émotion» de Ronald Larocque est paru aux Éditions Planète rebelle.

http://www.planeterebelle.qc.ca/auteurs/larocque-ronald

jeudi 5 avril 2007

Une histoire de passion amoureuse

Certains événements peuvent échapper à la conscience. Il suffit d’un choc, d’un traumatisme ou d’une émotion extrême pour qu’un trou noir vrille la mémoire. Une trop forte douleur peut, en quelque sorte, masquer une partie du vécu même si la «victime» continue de vaquer à ses occupations. Comme si toute une couche de souvenirs s’effaçait. Pourtant, ces faits subsistent dans les méandres du cerveau et peuvent être ramenés à la conscience.
Carole Massé, dans «Secrets et pardons», entraîne le lecteur dans une histoire de passion amoureuse. Alice et Jude, à l’instar de Roméo et Juliette, s’aiment dès la plus tendre enfance. Ce sont des inséparables, des êtres qui ne peuvent que s’aimer. Et, comme chez Shakespeare, la vie les sépare même si les classes sociales, dans les années 1885 à Montréal, sont moins hermétiques que chez les Capulet et les Montaigu.
Jude est pauvre, fils de couturière, tandis qu’Alice est fille d’un avocat qui joue au seigneur et dirige ses domestiques d’une main de fer. Il se targue de constituer la petite élite qui émerge à Montréal en cette fin du XIXe siècle.

Trou de mémoire

Les parents, tout comme les domestiques, n’apprécient guère cette connivence entre des adolescents qui s’attirent comme des aimants.
Et quand la passion devient physique, connue de tous, le jeune homme est chassé. Après une sévère correction, Alice se retrouve au pensionnat où elle veut mourir. Frappée par une forme d’amnésie globale transitoire, elle oublie Jude, épouse un marchand plus vieux qu’elle et se plaît à effectuer des observations scientifiques dans ses loisirs. Personne ne veut lui rappeler cet amour de jeunesse.
Quelques années plus tard, Jude rentre d’un long périple aux États-Unis. Il croit qu’Alice l’a trahi et maîtrise mal sa rancune. Il a beau se noyer dans la violence et s’épuiser dans son travail de sculpteur, il n’arrive pas à l’oublier dans les bras de Marie. Le hasard les met en contact et Alice, femme mariée et mère de famille, est perturbée.
En suivant des cours de peinture, Alice voit des formes surgir sur sa toile, retrouve peu à peu sa mémoire, un amour qui flambe à nouveau.
«Alice n’écoute pas et revient à sa toile. Dans un geste rapide et nerveux, elle agrandit le point noir, puis termine le feuillage. En examinant ce qu’elle vient de faire, elle doit reconnaître que sa touche est plus vibrante et énergique qu’avant, même que la ramure a acquis du volume. Tout à coup, elle tressaille, n’en croit pas ses yeux ! Ce point au centre, la « prunelle », comme elle l’appelle, mais… c’est un tronc d’arbre ! Elle le voit ! Elle le voit avec netteté!» (p.268)

Modernité

Le lecteur avance en aveugle dans ce roman de fin de siècle qui annonce la modernité et l’éveil des francophones de Montréal. Carole Massé navigue entre des courants de pensée qui s’affirment, les idées des Patriotes qui n’ont pas été oubliées. Une petite bourgeoisie naît, certains individus se distinguent à force de talent et de travail. Plusieurs professions éloignent aussi du travail de la terre et de la domesticité. La culture, l’éducation et les arts permettent d’esquisser le profil d’une nation, d’une collectivité qui doit assumer son passé pour se tourner avec confiance vers l’avenir. Il y a aussi des Arthur Roy, l’époux d’Alice, qui sacrifie tout pour s’infiltrer dans le monde anglophone de la haute finance.
L’écrivaine brosse une véritable fresque de la société montréalaise de la fin du XIXe siècle, déploie son histoire par petites touches, ramène Jude et Alice l’un vers l’autre dans une toile qui se précise peu à peu. Le lecteur vit l’histoire de Roméo et Juliette à rebours. Ce travail minutieux happe le lecteur même si, au début, il se sent un peu perdu. «Les amants de Montréal» nous plongent dans un monde fascinant.
Une langue soignée, minutieuse et riche permet de savourer ce voyage au pays de l’amour et de la mémoire, de plonger dans une ville étonnamment moderne et contemporaine.

«Secrets et pardons» de Carole Massé est publié chez VLB Éditeur.

dimanche 1 avril 2007

Ces jeunes abandonnés à la violence des villes

Pascal Millet a sans doute été marqué par la violence qui a éclaté dans les banlieues de Paris. Une folie qui se manifestait dans les rues, faisait flamber les voitures et fracassait toutes les vitrines. Une rage irrationnelle, le symptôme d’un malaise beaucoup plus fort et prenant.
Il faut un certain temps avant de comprendre où se situe ce roman, où les personnages évoluent et circulent. Ce pourrait être dans toutes les grandes villes du monde, y compris Montréal. Deux garçons, Pierrot l’ainé et Julien le plus jeune, découvrent le corps de leur mère en revenant de l’école. Seule, abandonnée par son mari, mère de deux garçons turbulents et délinquants sur les bords, elle n’en peut plus. Surtout qu’elle venait d’apprendre qu’elle était larguée par une rationalisation qui se traduit toujours par des congédiements et encore plus de pauvreté.
Elle s’est pendue. Les deux garçons décrochent le corps de leur mère et décident de partir. Pierrot est imbibé des images de la télévision, des films où l’on présente l’Amérique mythique, fabuleuse où chacun des arrivants peut devenir un héros en se mesurant aux Indiens ou en adoptant la façon de vivre de ces êtres libres. Des images véhiculées par le cinéma américain, faisant de John Wayne un héros sans peur et sans reproche, capable de tuer froidement, sans sourciller. On sait où cette projection nous a mené en Afghanistan et en Irak.

La cavale

Les deux frères ramassent tout ce qu’ils peuvent trouver d’argent, passent faire la peau à un truand pour en avoir encore un peu plus et ils partent. Il faut rejoindre la mer, trouver un grand bateau blanc qui les mènera vers la vraie vie en Amérique où il est possible de devenir un héros en tournant la tête.
Pierrot, le plus vieux, est poussé par une violence terrible qui lui permet de tuer comme les héros dans les films sans sourciller. Julien, le plus jeune, s’ennuie de sa mère, trimbale un zeste d’humanité qui fait qu’il s’attache un chien errant.
Les deux rencontres des clochards, des sans-abris, des truands, des garçons qui vivent de rapines, se faufilent, échappent aux filets de la société qui veut que des garçons de cet âge doivent se trouver à l’école.
Ils approcheront de la mer, ils verront la mer mais pas le grand bateau blanc qui les pousserait vers le rêve et la liberté. Pierrot ne s’en sortira pas et Julien se retrouve comme soulagé d’être rattrapé par la société et pris en charge. Il n’en peut plus de cette vie d’errance, de violence, de morts où il faut toujours être le plus fort.

Conte

Pascal Millet nous entraîne dans une sorte de conte où la violence pousse les personnages dans une démence que la société semble entretenir et peaufiner je dirais dans sa façon de se comporter et de vivre.
Cette société qui relègue ceux et celles qui n’ont pas le pas de l’économie dans des ghettos où ils n’ont que la force et la violence pour survivre.
Un texte d’une dureté et d’une beauté fascinante, d’une humanité qui crie à chaque page. Millet réussit à nous présenter un problème actuel par le regard halluciné de deux jeunes garçons qui doivent se réfugier dans le fantasme et user de violence pour survivre. Nous faisons face à tous les ostracismes de la société, à ces rejets, ces refus, ces protections qui font que des gens sont parqués dans des ghettos et des banlieues pour ne pas déranger la bonne conscience des possédants. De quoi remettre en question bien des certitudes et nous pousser au bord du tolérable et de l’acceptable. Millet réussit cet exploit en suivant simplement deux garçons abandonnés du monde et de la société. Les images demeurent en nous longtemps après avoir lu la dernière phrase.

«L’Iroquois» de Pascal Millet a été publié chez XYZ Éditeur.