PHILIPPE PLANIFIE un voyage en Europe avec Paul. Les deux amis vivront quelques mois en Europe, un an peut-être, avant de rentrer et d’amorcer leur vraie vie dans le travail et en fondant une famille. Une tâche exigeante chez un vignoble d’abord et après Paris, des séminaires à la Sorbonne avec Roland Barthes et surtout le hasard qui risque de bousculer les voyageurs. Difficile de prévoir son itinéraire quand on décide de quitter sa ville et son pays pour foncer dans l’inconnu et que l’on s’abandonne au hasard et aux facéties du destin.
Paul ne sera pas de l’aventure. Son père se meurt. Un cancer incurable. Philippe part seul en Suisse et s’installe dans un établissement viticole. Un travail pénible, difficile pour le jeune homme, mais un peu d’argent s’accepte bien quand on débarque à l’étranger. Il y a aussi les nouveaux amis, des rencontres surprenantes et surtout Paris qui l’attend.
Après, un émerveillement en entrant en gare de Lyon. Une belle Italienne aborde Philippe. Chiara. C’est le coup de foudre, l’aventure amoureuse comme il s’en vit dans les romans et les films. « À la fois étonnés et saisis d’une irrésistible attirance, les corps se découvrent dans l’intimité, tantôt lentement, tantôt frénétiquement : les caresses parlent un langage débridé de plaisirs à donner et à recevoir… » (p.24)
Les mains, les lèvres, les yeux se cherchent, se subjuguent, s’apprivoisent, se trouvent dans une danse qui fortifie le cœur et l’âme. Tout cela même si Philippe ne veut pas s’attacher et qu’il entend bien profiter de sa liberté. « Pas question de se laisser piéger par l’amour exclusif. » (p.14)
Et la belle disparaît comme elle a surgi sur le quai de la gare après des jours et des nuits intenses, abandonnant un mot et un livre. « Graziella d’Alphonse de Lamartine, édition de 1927. » (p.26), la promesse de se revoir. Y a-t-il un message à déchiffrer dans cette fiction ? Philippe va tenter de comprendre en feuilletant l’ouvrage.
Le jeune homme est ébranlé, perdu, mais il reste l’espoir de retrouver celle qui est entrée dans sa vie comme un tsunami et s’est envolée aussi rapidement qu’un rêve qui laisse pantois au réveil. Il vient de vivre des moments magiques où les corps, dans la gestuelle amoureuse, permettent de croire à l’éternité.
ATTENTE
Commence alors la véritable errance, les jours qui poussent Philippe dans Paris et le font aller comme une bille de billard qui roule sur le tapis vert. Impossible d’oublier Chiara même si le hasard lui réserve des surprises. Il se fie à son instinct et ne dit jamais non à une aventure.
Une femme étrange l’aborde. Une complicité improbable naît. Dominique s’avère être un homme qui l’invite dans sa famille en Normandie, à Fécamp, la ville de mon ami Philippe Porée-Kurrer, un excellent écrivain. Et une excursion en Espagne suit avec une Allemande, Ingrid, une fonceuse dotée d’un grand sens de l’humour. Le voyage dans toute sa quintessence et sa splendeur nous emporte alors. Retour en France. Et pourquoi ne pas bousculer les choses, se rendre en Italie, débarquer dans l’île de Procida où Chiara réside ?
Voilà Philippe dans un vrai drame cornélien. La belle Chiara est mariée avec un homme plutôt inquiétant qui contrôle tout sur l’île. Le Québécois doit sauver sa peau. Rien de moins. La rencontre, les retrouvailles, les éblouissements du corps n’auront pas lieu. Philippe nage en plein drame, blessé au cœur et à l’âme. Plus, il a l’impression qu’un personnage louche le suit partout et il craint pour sa vie.
John, un Américain qui a fui les États-Unis comme nombre de ses concitoyens, pour ne pas faire la guerre au Vietnam, le secoue. Plusieurs de ces pacifistes se sont installés à Montréal alors. Pourquoi ne pas accompagner ce grand bonhomme sympathique aux Indes où il rêve d’harmoniser son être et son esprit, le cœur et la raison avec le yoga et la méditation ? Même les Beatles, à l’époque, n’ont su résister à cette mode qui promettait de donner un nouvel ancrage à sa vie en allant vivre dans un ashram sous la tutelle d’un gourou. Et c’est la destination que tous les routards semblent emprunter.
Tout se terminera rapidement.
Le mari de Chiara meurt et elle donne naissance à un bébé. Ce poupon est peut-être l’enfant du Québécois. Philippe décide d’éclaircir les choses. « Je veux en avoir le cœur net. Bien que je n’aie jamais sérieusement envisagé la paternité, je ressens une vive émotion à l’idée que cet enfant puisse être de moi. Comment le savoir ? Je dois absolument revoir Chiara. » (p.180) Rien ne se passera comme prévu.
Philippe rentre au Québec l’esprit en miette et en peine d’amour. Meurtri, il doit retrouver des repères et gagner sa vie.
INTÉRÊT
J’ai aimé les réflexions sur certains romans et les toiles de Jérôme Bosch en particulier. Le jardin des délices hante Dominique qui souhaite s’en inspirer pour un spectacle. Ce sont les moments forts de ce récit et la véritable aventure, peut-être, le contact avec l’ailleurs. Une œuvre peut ébranler et bouleverser. Dans mon cas, ce fut la découverte de L’homme unidimensionnel d’Herbert Marcuse qui a changé ma façon de voir. Les livres ont toujours eu ce rôle dans ma vie et m’ont permis d’effectuer bien des virages.
Parce que voyager, c’est apprendre à lire des lieux et trouver un autre sens à ce que l’on vit. C’est se donner des yeux et un regard sur le monde. « Plusieurs tableaux de Bosch contiennent des mandragores, une plante psychotrope, le LSD de l’époque médiévale. Ça peut expliquer les hallucinations. À moins que ce soit l’effet du datura stramoine que le peintre consommait selon l’avis de certains experts. » (p.78)
J’en suis sorti étourdi et un peu déçu, il faut le dire. L’impression que la route venait de s’effondrer devant Philippe et mettait fin abruptement au rêve.
Le quotidien de notre héros deviendra terne à son retour au pays. Le hasard encore une fois le plongera dans le monde du cinéma. Il y fera sa place, même si on a l’impression qu’il marche « à côté de lui ». Et l’amour sans les soupirs et les élans qu’il a connus avec la belle Italienne, celle qui savait si bien mettre le feu à son corps et à son âme, viendra le happer.
Très intéressant, cette plongée dans l’esprit des années 1970 avec la musique et certains livres populaires alors, les groupes et ces rencontres toujours étonnantes et marquantes. Ce milieu d’idéalistes qui m’attirait tant. Tous refusaient la société de consommation et cherchaient une autre réalité. Des proches ont pris la route comme Philippe en se fiant au hasard et plusieurs sont revenus très rapidement. L’un en particulier s’est installé en Europe, tentant de devenir écrivain, chanteur et interprète.
Au lieu de suivre les pistes du Maroc avec mon ami, j’ai préféré rentrer dans mes terres pour m’inventer une existence différente. Le hasard m’a ouvert les portes du journalisme où j’ai connu des moments fabuleux.
J’ai adoré les évocations, les lectures, les réflexions sur l’art, la sexualité, l’amour et le désir. Ces personnages m’ont replongé dans des périodes exaltantes de ma vie, des fantasmes et les longues soirées où la société n’avait qu’à bien se tenir. Bachand fait le point entre son passé et le présent, avec ses épiphanies et des années plus paisibles. C’est toujours comme ça. Arrive le jour où nous devons choisir entre le rêve et la réalité. Et c’est souvent le banal qui l’emporte, même si on souhaite l’aventure qui va nous étourdir et faire de nous un héros.
BACHAND DENIS, L’appel de la route, Éditions L’INTERLIGNE, 216 pages, 26,95 $.
https://interligne.ca/auteurs-auteures/denis-bachand/lappel-de-la-route/