JEAN-YVES SOUCY vient de
publier un récit qui m’a permis de découvrir des aspects que je connaissais peu
de cet écrivain et éditeur. Bien sûr, je me doutais qu’il aimait la chasse et
la pêche par ses romans, mais jamais au point de passer tout un été à explorer
une rivière pour taquiner la truite de mer et le saumon. Les pieds dans la mousse de
caribou, la tête dans le cosmos nous attire dans le pays de la Côte-Nord, à
Baie-Trinité plus précisément, là où lui et Carole, son épouse, s’installent
pour toute une saison de pêche. Il y explorera la rivière Trinité dans tous ses
méandres et ses fosses pendant que Carole travaillait à son roman La Gouffre.
Tout comme
Jean-Yves Soucy, j’aime la forêt, les rivières et les lacs, les fréquente en
contemplatif, m’attardant surtout aux arbres, à leur écorce, méditant devant de
magnifiques épinettes. Que dire devant des pins aux troncs écaillés et les
vastes parterres de fougères ? Rien ne remplace une promenade de plusieurs
kilomètres à bicyclette dans le parc de Taillon où la forêt se montre dans ses
plus beaux atouts. Le bonheur de surprendre un animal en liberté. L’orignal qui
surgit toujours comme une illumination, l’ours que j’ai croisé à de nombreuses
reprises, les castors qui nagent sans faire de bruit au milieu d’un étang
qu’ils ne cessent d’explorer. Les loups plus discrets (je les ai surpris deux
fois dans la forêt) et les perdrix qui font sursauter quand elles s’envolent
dans un applaudissement étourdissant. Et cette multitude d’oiseaux qui
s’approchent comme s’ils étaient curieux de vos gestes quand vous parcourez un
sentier qui se glisse entre la montagne et un ruisseau. Je suis bien en forêt.
J’aime m’attarder au soleil au printemps ou à l’automne pour me bercer avec le
vent qui siffle tout doucement dans les pins. Et que dire du bonheur de voir surgir
dans un ciel lumineux d’automne des centaines d’outardes ? J’en ai des frissons
chaque fois. C’est une reconnaissance du temps et de la beauté du monde, un
rappel que les saisons nous filent entre les doigts.
Jean-Yves Soucy
partageait cette passion et aussitôt qu’il a pris sa retraite de l’édition,
récupérant ses étés, il est parti avec Carole s’installer au bord de la mer à
Baie-Trinité, dans une petite roulotte pour rêver et vivre en regardant autour
d'eux, surveiller le jour finissant ou encore le soleil qui revient dans une marée
de couleurs.
Trois
jours après notre arrivée, Carole et moi commençons déjà à créer les habitudes
qui modèleront notre quotidien ; à elle, la mer et la plage où faire de longues
promenades, à moi, la forêt, la rivière et les lacs. Quand je reviens à la roulotte,
je l’aperçois par la fenêtre devant la table, penchée sur le manuscrit du roman
dont elle a eu l’inspiration lorsque nous avons campé durant une semaine au
bord de la rivière du Gouffre, à Baie-Saint-Paul. (p.29)
Un roman que
Carole Massé publiait en 2016 et que j’ai bien aimé. Comme tous les ouvrages de
cette écrivaine minutieuse qui s’avance sur la pointe des pieds pour surprendre
l’âme humaine.
RENCONTRE
J’ai connu
Jean-Yves Soucy à la parution de son premier roman, Un dieu chasseur en 1976. Cette histoire est rapidement devenue un
classique de notre littérature. Et Les
chevaliers de la nuit en 1980 que j’ai lu et relu. Il m’est arrivé de le
croiser dans les salons du livre. C’était toujours facile avec lui. Il me
semble qu’il nous aurait fallu un peu de temps et certaines circonstances pour
que nous devenions des amis. Mais je pense que Jean-Yves Soucy avait l’art d’approcher
les autres facilement. Il le démontre bien dans son récit.
Tout un été sur la
Côte-Nord, des jours de pêche et de plaisir. Un périple étourdissant où l’écrivain
devient un guide. Son été du saumon a
été une véritable initiation pour moi.
Et je me suis surpris à le suivre dans les fardoches le long de la rivière Trinité, à l’écouter
m’expliquer la formation des collines, des rochers, à me pencher sur les petites
fleurs qui poussent à l’ombre ou encore en plein soleil, à tâter les mousses du
bout des doigts, à descendre dans une écore en m’accrochant aux arbustes pour atteindre
le bas d’un rapide ou d’une chute.
Il est devenu un
maître qui m’a expliqué la géologie, la flore de ce coin de pays, les animaux, les
oiseaux, les comportements du saumon. Il m’a fait m’allonger sur un lit de
pierre au milieu de la nuit pour me noyer dans le ciel, un vrai, celui que l’on
admire dans toutes ses dimensions quand on ose s’éloigner des villes et
de la pollution lumineuse. Il y avait aussi les champignons et les couleuvres
qui se faufilaient en silence sous les courtes fougères. Enfin, tout ce qui vit,
respire dans un coin sauvage qui n’est fréquenté que par les amoureux de la
pêche.
Il
ne suffit pas de contempler un paysage pour le « lire », il faut savoir ce
qu’on regarde. Un paysage ne parle pas, sinon à l’âme et aux sens, ce qui
revient au même. En se fiant uniquement à ses yeux, on ne voit que l’apparence,
somme toute banane, du monde ; que c’est beau ! comme si tout était dit. Pour
comprendre le monde autour de soi et vraiment goûter sa richesse, sa magie,
l’intelligence doit d’abord lui donner un sens, ou plusieurs, complémentaires.
Pouvoir nommer les choses et savoir quels phénomènes leur ont donné naissance
suppose un certain bagage de connaissances préalables. (p.45-46)
Jean-Yves Soucy nous apprend une foule de choses sur notre pays et notre
environnement. Il m’a fait remonter à la fonte des glaciers pour comprendre la
formation de la côte, le bord de la mer de Goldthwait, les collines et les pitons
rocheux qui ondulent à l’intérieur des terres. J’ai eu l’impression de suivre
une sorte de frère Marie-Victorin qui connaissait le nom de
toutes les plantes, le moment de leur floraison, les oiseaux de la forêt, les déplacements
de l’orignal, les migrations des saumons et de la truite de mer. Une véritable
encyclopédie qui vous faisait voir tout ce qui nous entoure d’un autre œil.
Dire que je réussis de peine et de misère à retrouver l’étoile
Polaire dans le ciel avec la Grande Ourse et la Petite Ourse… Bien sûr, j’ai
passé des nuits dans un sac de couchage, allongé sur le sable d’une plage du
lac Saint-Jean pour surveiller les perséides qui enflammaient le ciel comme des
allumettes. Des moments de grâce où je finissais toujours par m’endormir. Je me
réveillais dans les frissons de l’aube, avec les cris des corneilles qui me
demandaient ce que je faisais là. Je regardais cette merveille sans prendre la
peine d’étudier la carte du ciel.
PÊCHE
La pêche était un
véritable rituel pour Jean-Yves Soucy. Il scrutait les fosses et le lit de la
rivière, ses méandres, la hauteur des chutes, la couleur de l’eau et des rapides, les arbres qui s’accrochaient aux berges, aux rochers qui effleuraient
à peine dans le courant pour s’approprier le lieu, le comprendre, savoir où et
comment les saumons se comportaient avec la poussée des marées. Il lisait littéralement la rivière ou le
lac avant de s’y s’aventurer pour la cérémonie de la pêche.
Je
ne tiens pas en place bien longtemps. En effet, au fil des semaines, j’ai
retrouvé une bonne forme physique et je peux à nouveau marcher durant des
heures, emprunter les sentiers qui grimpent dans les collines pour atteindre
des lacs isolés, découvrir des paysages inédits, des points de vue qui
m’incitent à la contemplation. Armé seulement de mon appareil photo, de
jumelles et d’un carnet de notes, je cherche des plantes et des animaux que je
n’ai pas encore aperçus dans la région, des traces du passage des glaciers.
(p.142)
Un vivant
formidable, un curieux de tout, un passionné qui a su entraîner ses filles dans
ses aventures et même ses petits-enfants pour leur faire découvrir toutes les
beautés et les leçons de la nature.
Un récit où il
prend le temps de se souvenir de certains moments particuliers, des aventures qui
se produisent quand on s’enfonce dans une forêt. La rencontre d’un ami
d’enfance, un curieux hasard, lui rappellera que tout a une fin et que la vie,
si belle et fascinante soit-elle, s’arrête un jour. Les retrouvailles avec
Fernand, qui n’en a plus que pour quelques semaines à vivre, deviennent un
moment fort de ce récit.
Surtout, il m’a
envoûté avec la gestuelle du pêcheur qui devine où le saumon et la truite l’attendent.
Et après, quand la ligne se tend, la lutte avec le grand poisson devient un
moment d’épiphanie. L’affrontement de la vie et de la mort, ce grand jeu qui ne
cesse de se répéter dans la nature. Pêcher, c’est apprendre à vivre et à comprendre surtout que notre présence est éphémère.
Jean-Yves Soucy
m’a fait penser que j’ai peut-être raté quelque chose en négligeant la pêche.
Et puis non ! J’ai vécu mes extases
en forêt d’une autre manière. Quel bonheur de courir pendant des heures dans
les montagnes derrière La Doré, sur des sentiers sablonneux, ou encore de
m’arrêter pour boire dans une rivière qui dansait sur les pierres rondes ! Quelle
joie de partir sur les chemins qui longeaient la rivière Ashuapmushuan ! Je respirais
la forêt et les fougères par toutes les surfaces de mon corps. C’était bien plus
qu’une course !
Et quelle chance
de me retrouver devant un ours qui bondissait dans les fougères ! Ou encore
de me pencher sur les traces d’un
orignal qui m’avait entendu souffler au loin. J’ai eu si souvent l’impression d’être
immortel dans ces matins chauds de juillet où la course devenait une danse dans
la lumière et les parfums âcres de la comptonie voyageuse.
Le récit de
Jean-Yves Soucy est d’autant plus touchant qu’il est décédé juste avant que le
livre ne paraisse. C’était un frère, j’en suis certain et il nous fait un très beau
cadeau avec ce récit qui nous permet de découvrir une âme humaine curieuse qui
savait s’ouvrir à la beauté de l’univers, un homme attentif à tous les êtres vivants
qui l’entouraient.
LES PIEDS DANS LA MOUSSE DE
CARIBOU, LA TÊTE DANS LE COSMOS de JEAN-YVES SOUCY,
une publication de XYZ ÉDITEUR.