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dimanche 13 septembre 2009

Jean Perron se perd dans la beauté de Venise

Un cinéaste, lors d’un séjour à Venise, croise une très belle femme. Le déclic se fait rapidement. Ce pourrait être une autre folle histoire d’amour que celle mise en scène par Jean Perron dans «Les fiancés du 29 février», mais il y a quelqu’un dans la vie de Corina.
 Les deux sont fascinés et décident de faire un film. Peut-être pour vivre un temps ensemble. Les images arriveront-elles à révéler cette femme imprévisible et secrète? Qui est Corina qui aime le cinéaste et une autre personne? Qui est le plus authentique? La femme qui porte un masque ou celle qui va visage nu?
«Cette séquence et d’autres images en mouvement apparaissent en surimpression, s’évanouissent les unes dans les autres et forment une trame dont je cherche le sens. Pourtant, ces images, c’est moi qui les ai filmées et en ai fait le montage. J’ai réalisé de nombreux courts métrages, je les ai tous présentés ou diffusés publiquement, mais pas celui-là, même s’il remonte déjà à quelques années. Et il n’a toujours pas de titre.» (p.12)
Venise se transforme au temps du carnaval, devient un film impressionniste. La ville est une vaste scène où résidants et visiteurs mutent sous les masques et les déguisements. Des fantômes hantent les rues et les décors millénaires.

Malédiction

Corina, une ancienne gymnaste, a connu un mariage blanc avec son entraîneur. Aucune sexualité pendant dix ans. Fabule-t-elle ou vit-elle réellement une double passion? Le cinéaste apprend la méfiance, mais il est incapable de s’éloigner. Cette femme l’aime, le fuit et l’attire.
«J’espérais un message de Corina, dont j’étais sans nouvelles depuis quelques jours. Il y en avait un. Mais l’espoir s’est mué en son contraire quand je l’ai lu, l’espoir s’est affublé d’un triste préfixe, d’un «dé», et j’ai pensé au célèbre coup de dé de Mallarmé, qui jamais n’abolira le hasard.» (p.16)
Tout est dit. Le cinéaste découvre peu à peu la double vie de Corina, sa passion pour une autre femme. Étrange chassé-croisé avec une femme évanescente qui disparaît dans la nuit pour ressurgir défaite au matin.
«Quand je téléphonais à Corina, son long silence me confirmait sa douleur, et le mien qui y répondait, par une entente tacite entre nous, se voulait un baume. Je ne faisais aucune remarque et ne posais pas de questions. Je posais mon silence sur le sien et nous pouvions rester ainsi pendant plusieurs minutes. Autant ce silence mutuel marquait une communion, autant il indiquait le vide infranchissable qui nous séparait.» (p.68)
Un pas en avant, une dérobade, un espoir et un amour qui en reste au désir. Un monde d’homosexuels et de lesbiennes qui laissent tomber les masques. Des ombres s’effacent au coin des rues quand la brume colle aux murs. Les fantasmes et les passions se libèrent alors, le temps d’une nuit ou d’une fuite en gondole.

Venise l’étrange

Venise ne cesse de subjuguer ceux qui s’y aventurent. Les esprits s’y amusent le temps d’une mascarade, permettent de plonger en soi pour révéler des aspects de soi que l’on dissimule le reste du temps. Une ville qui a hanté nombre de créateurs, Ernest Hemingway entre autres. Jean Perron multiplie les points de fuites avec les canaux, les reflets dans les vitres, les glissades du brouillard qui créent un monde irréel. Un roman où tout se répond et se mélange.
Corina danse nue pour mieux se masquer et échapper à l’amant. Le cinéaste n’arrivera jamais à la saisir avec sa caméra, ni à la tenir dans ses bras malgré les rapprochements et certaines promesses. Tout comme il s’avère impossible de cerner une ville qui abrite des secrets millénaires, qui attirent ceux qui vivent d’illusions et courtisent la folie.
Plusieurs niveaux de lectures dans ce court roman. Où est la vérité et où fuit le mensonge? Jean Perron ne donne pas de certitudes et c’est fort heureux. Arrive le drame, même si un amour comme celui-là ne se termine jamais. Comme toutes les histoires qui ont Venise comme décor, comme tout ce qui devient mythe.

«Les fiancés du 29 février» de Jean Perron est paru chez ZYZ Éditeur.

dimanche 6 septembre 2009

Francine D'Amour livre des secrets d'écriture


«Pour de vrai, pour de faux», présente dix nouvelles de Francine D’Amour, des textes précédés de préambules ou suivis d’apostilles qui permettent au lecteur de rôder autour de l’écriture et d’en surprendre les origines. Une sorte de «Making off» de l’écriture.

Il faut toujours une étincelle, une rencontre qui capte l’attention avant de passer à l’acte d’écrire. Francine D’Amour permet à son lecteur de voir un texte germer et s’imposer. Tout peut devenir matière à nouvelle. Un étudiant qui se démarque, un drame qui change tout quand la vie n’est que soleil et sourires pendant un été d’escapades et de promenades à bicyclette.
«Voilà. L’essentiel en cinq cents mots. Huit fautes (une faute par soixante-deux mots et demi). Une histoire si triste racontée par un garçon si facétieux que je ne l’ai jamais oubliée. Des siècles plus tard, je me la suis appropriée. Elle compte deux mille trois cent quatre-vingt-onze mots. Disons que j’ai ajouté un peu de chair autour de l’os. Mais sans cet os, mon Bouchon n’aurait jamais vu le jour.» (p.16)
L’écrivaine rôde du côté de ses œuvres antérieures, évoque les chattes Mascara et Aurore qui se sont imposées au fil des pages.
«Grâce à la plume de leur maîtresse, Aurore et Mascara sont devenues des personnages. Dans Les dimanches sont mortels, la mère s’appelle Jasmine, la fille, Jérômine. Et elles habitent au bord du fleuve dans « un vieux chalet mal rafistolé» auquel on arrive (histoire de confondre le lecteur lavallois) «par le rang de l’Équerre» et d’où on « devine au loin la silhouette du pont Mercier». Si elles se contentent de jouer leur propre rôle de « pachattes » dans ce premier roman, il en va autrement dans Les jardins de l’enfer, où Aurore exprime ses opinions sur tout un chacun et étale ses états d’âme dans de longs monologues intérieurs. Telle une femme de marin, elle se morfond en attendant le retour de sa Bien-aimée, qui l’a abandonnée en la confiant à la garde de jeunes gens odieux et indolents – des « lézards », ainsi qu’elle se plaît à les surnommer.» (p.45)
Lola et Jonas se distinguent dans la galerie des félins qui deviennent des personnages. Il y a une étude à faire sur la présence des chats dans la littérature québécoise. Songeons à Jacques Poulin, Yves Beauchemin. Lise Tremblay, Nicole Houde et plusieurs autres.

Monde connu

Dans «Pour de vrai, pour de faux», le lecteur attentif retrouve la maison du bord de l’eau qui a servi de décors à «Retour d’Afrique», l’éternel fiancé et des souvenirs d’enfance qui se modifient avec le temps. Et un jour tombe le verdict, le mot cancer est prononcé. Le sourire disparaît. Madame D’Amour doit subir des traitements, rencontrer une psychologue qui finit par l’affoler. Ses colères, ses peurs basculent dans des cauchemars qui coupent le souffle. L’angoisse s’installe, les cheveux tombent. La romancière a l’impression de marcher sur un fil qui va se rompre à chaque respiration.
«J’étais furieuse, j’ai dit qu’on le faisait exprès, qu’on m’avait prise en grippe, que j’étais la bête noire de la clinique et qu’on me le faisait payer. Bref, j’ai fait une scène devant tout le monde. Et tout le monde s’est senti mal à l’aise. J’ai crié, j’ai pleuré. Si bien qu’Yves, l’un des deux « officiants », si délicat et si habile d’ordinaire, a raté la veine dans laquelle il allait introduire le cathéter.» (P. 152)
Avec chacune de ses nouvelles, l’écrivaine nous fait visiter son univers, se confie avec un sourire. Comme si nous nous tenions derrière son épaule et que nous la regardions transformer la réalité avec ses phrases. Nous touchons l’intime, les confidences, des secrets que l’on partage rarement. À la fin, le lecteur ne sait trop ce qu’est la réalité ou la fiction, le vrai et le faux. C’est là le miracle de la littérature.
Un recueil généreux, plein d’humour malgré les épreuves. Une écriture miroitante comme l’eau de la rivière des Milles-Iles qui traverse plusieurs des ouvrages de Francine D’Amour.

« Pour de vrai, pour de faux » de Francine D’Amour est paru aux Éditions du Boréal.

Alexandre Lazaridès brise des secrets de famille


Un homme tente de recoller les morceaux de son enfance dans «Adieu, vert paradis» d’Alexandre Lazaridès.
 L’Égypte, la fin des années quarante, une société où les traditions dominent. Les hommes ont tous les droits et les femmes restent des servantes. Le maître travaille à l’extérieur, se permet des aventures, pendant que la femme entretient la maison et se consacre aux enfants. Nous avons connu une société semblable au Québec avant la Révolution tranquille. La religion guidait tous les gestes et les curés surveillaient. Malheur à ceux, surtout celles, qui faisaient un faux-pas.
L’enfant, écrit Alexandre Lazaridès, n’arrive à parler de lui qu’à la troisième personne, comme s’il fallait être étranger à soi pour mieux se raconter. Cette façon lui permet de mettre des mots sur l’inavouable et de tout dire.
Le père devient le complice de son fils aîné qu’il pousse vers une carrière athlétique. Il sera un haltérophile, un champion olympique. Il veut surtout en faire un mâle dont on craint les muscles. La mère, une très belle femme, tient tête à son mari. Continuellement. Tout passe par la parole, la seule arme qu’elle possède. Le petit la voudrait pour lui et entreprend une guerre sans merci avec le père et le grand frère. Il apprend à dissimuler, à garder le silence sur certaines choses, à trahir aussi quand il est certain de faire mal.
«Occuper le moins de place possible, donner l’illusion de ne pas être là, voir sans être vu, c’est l’un des passe-temps préférés de l’enfant ; il excelle à s’éclipser dans les coins les plus inattendus, à faire le mort derrière les meubles ou les fauteuils, et surtout sous son lit ; son imagination se réveille, tout devient mystérieux et fait battre son cœur. Il prend aussi l’habitude de marcher sans faire de bruit, pour convaincre chacun et lui-même de son inexistence.» (p.43)
En devenant invisible, il surprend des scènes qui le traumatiseront.

Le viol

Caché sous son lit, il assiste au viol de la bonne par le père qui la cède ensuite à son fils aîné. Les «vrais hommes» agissent ainsi. Une situation incroyable.
«Le lit grince sous le poids d’une masse beaucoup plus lourde qui vient de s’affaler dessus ; la petite bonne ne cesse de gémir, d’implorer à voix étouffée « non,, non, s’il vous plaît, maître ». Elle ne se tait qu’après avoir poussé un cri déchirant qui est bâillonné net. Puis, il y a des ruades qui passent vite du trot au galop, de plus en plus continues et  brutales ; le matelas posé sur des lames métalliques fatiguées se creuse et s’enfonce à chaque coup au-dessus de l’enfant prisonnier de sa cachette, saisi d’épouvante à l’idée de ce qui a lieu là-haut ; il ne peut rien voir que par les yeux de son imagination affolée, et elle ne voit que l’inimaginable.» (p.166)
La pauvre fille est déshonorée, condamnée dans cette société archaïque. Elle finit par se suicider.

Le drame

Ce n’est qu’à la mort de la mère que le fils comprendra que son père a violé sa mère alors qu’elle avait dix-sept ans. Pour échapper au déshonneur, elle a épousé son agresseur, lui faisant regretter son geste à chaque jour. Cette guérilla a duré jusqu’à la mort du père.
«Une fois tombé le masque de celui dont j’étais né, j’ai acquis la conviction que ma mère avait été contrainte d’épouser son violeur parce qu’elle était enceinte de lui, et que c’était cela, le mot de l’énigme qu’elle cachait derrière la porte condamnée de sa jeunesse, l’astre maléfique autour duquel avaient gravité nos vies, l’intrigant « fardeau trop lourd pour un fils » qu’elle avait décidé de porter toute seule quoi qu’il advint.» (p.336)
Le lecteur sort de ce roman le cœur dans la gorge, l’âme de travers. Si les secrets marquent une vie, ils préparent peut-être une carrière d’écrivain qui se donne le droit de tout dire.

«Adieu vert paradis» d’Alexandre Lazaridès est paru chez VLB Éditeur.

dimanche 30 août 2009

Margaret Atwood et les fables de l’argent

Margaret Atwood étonne avec «Comptes et légendes, la dette et la face cachée de la richesse», un essai où elle s’attarde à une problématique qui ébranle nos sociétés.
La situation économique planétaire inquiète. Des institutions que l’on croyait indestructibles ont failli s’écrouler au cours des derniers mois. Dégringolades à la bourse, pertes qui se chiffrent en milliards, des banques qui frôlent la catastrophe et les états qui doivent colmater les fuites. Le capitalisme triomphant claudique et la mondialisation connaît des ratés.
«Quel est donc ce « crédit » qui nous mine ? Comme l’air, il nous entoure, et nous n’y pensons que lorsqu’il vient à manquer. Il ne fait aucun doute que nous considérons désormais l’endettement comme essentiel à notre bien-être collectif. Lorsque la situation est au beau fixe, il nous porte comme un ballon gonflé à l’hélium ; nous nous élevons de plus en plus haut, et le ballon grossit jusqu’à ce que pouf ! un rabat-joie y plante une aiguille, et c’est la dégringolade.» (p.16)
 D’où vient cette façon de faire, demande la romancière. Ce serait inné, selon certains scientifiques. Peut-être aussi que ce goût pour l’emprunt constitue les assises de la civilisation.

Problème universel

Les citoyens ont connu ce phénomène tout au long des siècles. Ce goût pour l’avoir maintenant et le payer plus tard remonte à la nuit des temps. Nous y trouvons aussi la source de plusieurs grandes religions.
«On appelle le Christ le Rédempteur, mot qui renvoie directement au langage de l’endettement, de la mise en gage et du sacrifice substitutif. En effet, toute la théologie du christianisme repose sur l’idée des dettes spirituelles, des moyens à prendre pour s’en acquitter et des manières de faire en sorte que quelqu’un d’autre les paie à notre place. Elle propose aussi une longue tradition préchrétienne de boucs émissaires – les sacrifices humains y compris – ayant pour fonction de vous délivrer de vos péchés.» (p.65)
L’histoire sous cet angle prend une autre signification. Ce qui était considéré comme de l’usure, il n’y a pas longtemps, devient normal maintenant avec les taux d’intérêts exigés pour les cartes de crédit qui tournent autour de vingt pour cent.
Dire que les biens nantis chrétiens ne pouvaient exiger des intérêts en prêtant de l’argent. Voilà peut-être pourquoi les Juifs ont été si mal vus, n’étant pas restreints aux mêmes contraintes. Même qu’à une certaine époque, on effaçait toutes les dettes aux sept ans. Pourrions-nous recourir à une telle solution pour relancer l’économie...

Catastrophes

Cette tension entre le prêteur et l’emprunteur a provoqué de nombreuses catastrophes au cours des siècles. Les empires de la Grèce antique et de Rome sont disparus à cause de l’endettement, de l’appropriation des richesses par un petit nombre, les riches devenant de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. De quoi réfléchir à ce qui se passe présentement avec le retour aux déficits astronomiques aux États-Unis et en Europe. Est-ce possible de rembourser des dettes qui gonflent continuellement ? Nombre de révolutions ont été provoquées par l’endettement, sans compter la pollution, la désertification, l’épuisement des ressources et catastrophes météorologiques qui résultent de cette manière de faire. Ce chapitre fera hurler Jacques Brassard si jamais il ose s’y aventurer.
Un marché repris par nombre de contes traditionnels. Un homme reçoit richesses et services du Diable en mettant son âme en garantie. Il doit rembourser sa dette au bout d’un certain temps ou tenter de déjouer le Malin par la ruse. Comment ne pas songer à « Faust » ? Madame Atwood fait aussi une lecture fort intéressante des œuvres de Flaubert, Marlowe, William Shakespeare, Charles Dickens et Machiavel.
Questionnement pertinent de Margaret Atwood qui ébranle des certitudes et secoue les fondements de nos sociétés. Il serait peut-être temps d’imaginer une autre approche même si l’humain, semble-t-il, a une forte propension à répéter les mêmes erreurs.
«Comptes et légendes (La dette et la face cachée de la richesse)» de Margaret Atwood est paru aux Éditions du Boréal. 

dimanche 23 août 2009

Hervé Bouchard revient nous hanter

Je ne sais s’il faut parler de bande dessinée dans le cas de «Harvey, comment je suis devenu invisible». Le texte d’Hervé Bouchard permet à Janice Nadeau de créer une fête d’images. Une histoire qui fait un clin d’œil à  «The Incredible Shrinking Man», un film de Jack Arnold réalisé en 1957. Scott Carré, le héros, rapetisse après avoir été frappé par une poussière cosmique.
Nous retrouvons la manière d’Hervé Bouchard, ses stances, sa façon de raconter en bousculant la vie pour mieux la dire. Tout va bien chez les Bouillon, une famille comme les autres. Harvey et son frère Cantin découvrent le printemps et la vie avec les copains du quartier.

Harvey, plutôt petit pour son âge, voue un véritable culte au personnage de Scott Carré, l’homme qui rapetisse, cherchant à l’insérer dans ses histoires et ses aventures quotidiennes.
Un jour, en rentrant à la maison, les frères retrouvent un grand rassemblent devant la maison familiale. Tous les voisins sont là, l’ambulance et le vicaire. Le père Bouillon vient de faire un infarctus. Mort instantanée. La vie bascule. Il faut s’arranger, faire face même si les enfants ne comprennent pas trop. Comment ne pas songer à «Parents et amis sont invités à y assister» où la famille Beaumont vit une situation similaire.
«J’ai entendu que notre porte s’ouvrait avec fracas puis ma mère Bouillon qui criait le nom de mon père Bouillon. Et j’ai entendu qu’on dévalait les marches en bois de la galerie puis qu’on roulait quelque chose dans l’entrée, qui passa tout près de nous. Et j’ai entendu des voix d’hommes que je ne connaissais pas et d’autres bruits de portes. J’ai réussi à me défaire de la prise du vicaire, j’ai tourné la tête et là, j’ai vu les deux brancardiers qui embarquaient la civière dans le fourgon. Une couverture cachait entièrement le corps. Ma mère Bouillon, elle était comme folle, elle criait à tout rompre le nom de père Bouillon. Mais lui, mon père Bouillon, on ne le voyait pas.» Vous avez là l’univers de Bouchard.
Il faut bien l’affronter cette mort voleuse de père. On retrouve les tantes Mélina, Ritalinée, Fionalinée, Ionalinée et Madelinée, des personnages que nous avions côtoyés dans le roman précédent de cet écrivain.
Harvey vit cette épreuve en ne comprenant pas trop ce que la vie veut lui enseigner. À la fin, au salon funéraire, dans les bras de son oncle Raymond, il regarde le mort qu’est son père. Il devient invisible alors, s’efface devant la douleur parce que son père ne peut plus le voir peut-être. Un orphelin perd-il son identité, son être ? La fin étonnante laisse le lecteur avec des questions qui ne trouvent pas de réponses.

Illustrations

Janice Nadeau donne une facture cinématographique à cette histoire avec des illustrations évocatrices. Un grand plan au début et un zoom nous pousse vers la petite ville d’Harvey, la rue et sa maison. En quelques séquences, le lecteur est plongé dans la vie du jeune garçon. L’illustratrice utilisera le procédé à quelques reprises, clin d’œil au monde du cinéma. Belle façon aussi d’évoquer le film d’Arnold en utilisant les ombres et des planches en noir et blanc. Un travail particulièrement réussi.  
Dessins épurés qui s’intègrent au texte et le prolonge, tel un accord qui résonne longtemps à la fin d’une pièce musicale, laissant l’auditeur entre deux gestes et deux respirations.
Hervé Bouchard garde le lien avec son univers, la mort qui bouscule et transforme la vie. Une lecture oui, mais aussi un voyage avec des images qu’il faut prendre le temps de voir s’animer devant soi. Du très beau travail, évocateur, original et particulièrement inventif. Un régal que cette rencontre entre Nadeau et Bouchard. Un plaisir qui passe trop vite malheureusement, un instant que l’on aimerait prolonger. La magie bouchardienne est là, intacte.

«Harvey, comment je suis devenu invisible» d’Hervé Bouchard et Janice Nadeau est paru aux Éditions de La Pastèque.