J’AI SUIVI l’aventure de Catherine Dorion en politique un peu comme tout le monde, j’imagine. Tout de suite après son élection dans la circonscription de Taschereau en 2018 pour Québec solidaire, la nouvelle députée a fait les manchettes pour des raisons inusitées. Sa tenue vestimentaire à l’Assemblée nationale a provoqué un véritable tsunami. Chacune de ses « apparitions » a été scrutée à la loupe par les médias. Ce n’est pas la première fois que l’on s’attarde aux vêtements d’une femme à l’Assemblée nationale. Pauline Marois a soulevé bien des commentaires avec ses « ensembles chics ». Il y a aussi l’affaire des souliers de la ministre France-Élaine Duranceau tout récemment. Il semble que l’uniforme du politicien (il faut dire politicienne ici) est plus important que ses déclarations. J’ai suivi « les frasques » de madame Dorion, le sourire aux lèvres, parce que j’aime les rebelles qui refusent d’entrer dans le rang et qui rejettent les formules toutes faites.
Madame Dorion, dans Les têtes brûlées, carnets d’espoir punk, revient sur cette période qui a été éprouvante pour elle. Un passage dans un parti politique que l’on situe à gauche et qui devrait normalement être un refuge pour ceux et celles qui se démarquent par leur originalité. Pourtant, l’histoire nous prouve le contraire. Les formations de gauche sont terriblement conformistes et ne tolèrent guère la dissension et la parole libre.
Le récit de madame Dorion nous permet de suivre la députée dans son aventure. Elle ne s’est pas représentée en 2022, en avait assez de ses démêlés avec les journalistes qui ont pris un malin plaisir à la traquer, à faire des manchettes avec sa tuque, un coton ouaté ou une salopette. Peu d’échos pourtant sur sa magnifique intervention concernant le poète Patrice Desbiens à l’Assemblée nationale. La meute des chroniqueurs (ils ont des idées sur tout et savent tout ce qu’un politicien doit faire et dire) s’est déchaînée. Le moindre geste, la petite déclaration, une vidéo, tout était scruté à la loupe. Ce qu’il y a de curieux, d’étrange même, c’est l’unanimité des médias envers Catherine Dorion et sa manière d’agir. Sa popularité a eu des conséquences dans sa vie privée, bien sûr. Nous en sommes là maintenant.
« Chaque explosion médiatique était suivie d’un second tir d’artillerie sur les réseaux sociaux. Des tsunamis s’abattaient sur chacune de mes boîtes de réception : Tu devrais disparaître, tu es une honte envers le peuple québécois / La conasse de Dorion / Complètement imbécile cette Dorion / Retourne te coucher / De toute façon tu auras ta leçon après les Fêtes et ça sera un dossier réglé / Suicidez-vous / Toi, mange de la câlisse de marde, charogne de vache à deux pattes de dopée. » (p.70)
L’Assemblée nationale possède des rites, ses protocoles et des usages qui viennent de loin et d’une autre époque. On a prêté serment à la Royauté britannique pendant des siècles jusqu’à ce que Paul Saint-Pierre Plamondon et les rescapés du Parti québécois refusent de le faire en 2022. La crise s’est réglée en douce. Les députés péquistes ont pu siéger sans ce simulacre et cette fausse comédie.
Un protocole touche la tenue vestimentaire tout comme le vocabulaire. Jean-François Lysée signalait dans l’une de ses chroniques du journal Le Devoir que c’est au Québec où il y a le plus de mots qui sont interdits lors des débats.
ATTENTION
Catherine Dorion fera l’actualité plus souvent qu’à son tour pendant la première année de son mandat, pas nécessairement à cause de son opposition au troisième lien du gouvernement caquiste. On papotera de sa tenue vestimentaire, de son vocabulaire, des images qui étonnaient dans ses vidéos. Le monde médiatique exultait et en redemandait. Denise Bombardier ira même jusqu’à comparer la députée solidaire à Donald Trump. La pire insulte qu’elle pouvait recevoir.
« J’ignore encore que ce n’est qu’un petit avant-goût des critiques intenses qui me seront faites dans les médias au sujet de ma manière d’être, de ma façon de me vêtir, de parler, d’utiliser les réseaux sociaux, de mes façons tout court. Chaque fois que j’essaie de rédiger ici, pour le lecteur, le récit de ce chapelet de critiques, de raconter ce qui les a déclenchées et comment on les a égrenées dans le champ médiatique, chaque fois, une écoeurite aigüe s’empare de mon être et m’intime aussitôt de laisser là ce texte et d’aller me préparer un gin tonic. Par un étrange réflexe de ma psychologie, la platitude et la banalité de ces histoires d’école primaire me vident de ma force vitale dès que je les laisse remonter à ma mémoire. » (p.53)
Cette effervescence causera un malaise à l’intérieur de son parti. Elle prend trop de place et attire trop l’attention, laissant dans l’ombre les porte-parole de Québec solidaire. Surtout Gabriel Nadeau-Dubois qui n’aime pas se retrouver derrière sa députée.
« Personne ne s’intéresse aux discours à l’Assemblée nationale, je peux y raconter ce que je veux, ça n’a pas d’impact. Gabriel m’exprime très clairement le nœud du problème cet automne-là : “Tu as plus d’attention média que les porte-parole, ce n’est pas normal.” Comme on dit au théâtre : j’upstage. Ça ne se fait pas. Il faut que j’aie moins d’impact. » (p.133)
La situation ne pourra que s’envenimer avec le « vrai leader » de Québec solidaire. À bout de force, elle choisit de se faire discrète pour ne pas dire absente. Elle terminera son mandat sans soulever de vagues en s’occupant des gens de sa circonscription et en prenant un congé de maternité. Tout ça avant de revenir à sa vie d’antan, à son métier d’écrivaine et de comédienne.
TÉMOIGNAGE
Voilà un témoignage extrêmement intéressant qui nous plonge dans les usages et les comportements d’une institution qui donne l’impression souvent de tourner à vide. Une machine où les attachés de presse prévoient la déclaration du jour qui retiendra l’attention des journalistes ou encore les médias qui imposent un sujet en s’accrochant à un mot ou un événement sans importance, mais que l’on répétera pendant vingt-quatre heures. La bête de l’information continue est insatiable.
Les commissions parlementaires où les députés de l’Opposition ne sont guère écoutés et où tout se décide par le parti au pouvoir. Un appareil huilé qui ne tient pas compte des individus et où les élus ne répondent jamais pendant la période des questions. François Legault est un virtuose dans l’art d’éviter les sujets. Ça donne l’impression d’assister à une mauvaise pièce de théâtre que les comédiens répètent sans vraiment se soucier du public.
Catherine Dorion entendait brasser la cage, travailler pour les citoyens, devenir celle qui parlait en leur nom et portait leurs revendications afin de créer une société plus juste et meilleure. Il semble qu’un député est muselé quand il se retrouve sur les banquettes à Québec et il doit suivre les lignes dictées par les spécialistes de la communication.
« Faire de la politique, au sens le plus noble, c’est mettre ses tripes et sa sensibilité sur la table à l’endroit précis où frappe le pouvoir, pour entrer enfin dans la bataille. La vraie. Ce sont les exemples de bravoure et de droiture — bien plus que l’image beigifiée d’un parti qui évite tout et son contraire pour ne pas perdre des votes — qui pourront générer chez les gens du désir pour leur peuple et pour les luttes à mener en son nom. » (p.136)
Catherine Dorion quittera la politique amochée malgré son enthousiasme, son audace, son optimisme et sa volonté de bousculer les choses. Personne ne peut résister à un ouragan médiatique. Tous les journalistes se sont jetés sur elle pour la curée, de la radio poubelle aux journaux plus traditionnels.
Catherine Dorion quittera la politique amochée malgré son enthousiasme, son audace, son optimisme et sa volonté de bousculer les choses. Personne ne peut résister à un ouragan médiatique. Tous les journalistes se sont jetés sur elle pour la curée, de la radio poubelle aux journaux plus traditionnels.
Un témoignage passionnant et percutant qui a encore plus de sens avec l’abandon d’Émilise Lessard-Therrien comme co-porte-parole de Québec solidaire. Elle répète dans sa lettre de démission les propos de Catherine Dorion quant au fonctionnement de son parti, du peu d’écoute qu’elle a reçu et des choix de la garde rapprochée de Gabriel Nadeau-Dubois. Un porte-parole qui décide tout malgré la structure bicéphale de cette formation politique qui se veut différente.
J’ai parcouru le récit de Catherine Dorion comme un roman et j’ai tourné la dernière page en me retrouvant déprimé pour ne pas dire découragé. Dans le monde politique, les plus doués, les plus originaux, les plus audacieux sont broyés. Un témoignage que tous les électeurs devraient lire avant de voter pour celui ou celle qui promet de réinventer les choses et de sortir des sentiers battus. Catherine Dorion démontre que ce souhait relève de l’utopie. On peut répéter qu’il faut faire autrement, du bout des lèvres à l’Assemblée nationale, mais rien ne changera et toute une armée se déploie dans les corridors de cette vénérable institution pour faire en sorte que la machine tourne à vide. De quoi décourager bien des citoyens qui croient en la démocratie et à la parole qui s’exprime et se développe dans la plus joyeuse des libertés. De quoi rendre obsolète le très beau mot espoir.
DORION CATHERINE : Les têtes brûlées, carnets d’espoir punk. Éditions Lux, Montréal, 372 pages.
https://luxediteur.com/catalogue/les-tetes-brulees/