Avec Jacques Poulin, c’est toujours la même histoire. Je me précipite sur son dernier titre et après, je repousse le moment de plonger dans son univers, rôdant autour du livre, le soupesant tout en l’examinant. Parce que je sais, une fois la première phrase lue, je serai incapable de revenir en arrière.
«L’anglais n’est pas une langue magique» intrigue par le titre, mais aussi par la toile d’Osias Leduc qui illustre la page couverture. Un jeune garçon, casquette relevée, est penché sur un livre. Où Poulin nous entraîne-t-il?
Histoire de famille
Marine est de retour, celle que nous avons aimée dans «La traduction est une histoire d’amour». Limoilou aussi. La jeune fille retrouve sa place dans la vie. Francis, le jeune frère de Jack, tout en lui faisant la lecture, il est lecteur professionnel, surveille Marine qu’il trouve fort séduisante. Jack affronte ses fantômes. Il se débat dans l’écriture d’un nouveau roman et ne sort plus de son appartement. Francis pourvoit à ses besoins et sa grande sœur n’est jamais loin. Les dernières nouvelles de la famille, quoi.
«Limoilou allait un peu mieux, sur le plan physique en tout cas. Avec Marine, pendant l’hiver, elle avait patiné sur l’étang et parcouru à skis les sentiers avoisinant le chalet. Elle avait repris des forces. De mon côté, je lui lisais des textes depuis le printemps, c’est-à-dire depuis que la neige avait fondu sur le chemin de terre. Lorsque celui-ci était impraticable à cause de la boue, Marine venait me chercher avec sa Jeep. Elle accordait une grande importance à mes visites. Une fois, dans un moment d’exaltation, elle avait dit que les séances de lecture étaient une forme de thérapie.» (p.29)
Histoire policière
Le travail un peu étrange de Francis exige discipline et versatilité. Une femme le contacte pour une séance de lecture.
«La femme gardait le silence. En temps normal, après les salutations d’usage, j’aurais raccroché. Mais cette fois, je voulais entendre de nouveau la petite musique. – Avez-vous des goûts particuliers ? demandai-je. – Parlez-moi d’amour, dit-elle.» (p.12)
Il se rend à l’adresse indiquée à l’heure convenue. Un lecteur professionnel se doit d’être ponctuel. La porte de l’appartement est ouverte, mais personne ne répond. La femme semble s’être volatilisée. S’ensuit une véritable enquête policière. Qui est cette inconnue? Est-ce une femme réelle ou un fantasme que le lecteur ne cesse de pourchasser en bondissant d’un roman à l’autre?
«Je m’étais construit un monde imaginaire autour de la mystérieuse femme, et voilà qu’un intrus pénétrait dans mon petit univers et risquait de tout jeter à terre», explique Francis qui ne sait plus où cette histoire va l’entraîner.
Écrivains
La lecture tient une grande place dans les romans de Jacques Poulin. Il suffit de se rappeler «La tournée d’automne» où les livres sont à l’avant scène. Jack va de village en village pour approvisionner les lecteurs. Il revient ici à ses écrivains favoris, s’attarde à Réjean Ducharme, Raymond Carver, Ernest Hemingway, Alain Granbois, Gabrielle Roy et plusieurs autres. Il en parle si justement.
«L’écriture de Ducharme était tout le contraire d’une «petite musique». Elle frémissait, elle bougeait sans cesse, les mots se choquaient, les images allaient dans tous les sens, prenaient toutes les couleurs, et des bouts de phrases jaillissaient comme un feu d’artifice.» (p.99)
Et pourquoi pas une plongée dans l’histoire avec le récit de voyage de Lewis et Clark. Les explorateurs partent à la recherche du passage de l’Ouest, au temps où l’Amérique était française. Le clin d’œil à «Volkswagen blues» est évident.
«L’anglais n’est pas une langue magique» est un roman lumineux, empreint de tendresse et d’empathie. On en réchappe sourire aux lèvres, avec un regard différent sur les gens et les choses. Un moment de bonheur qui s’avère toujours trop court. Il ne reste plus qu’à patienter ou retourner dans l’œuvre de cet écrivain pas comme les autres. Pourquoi pas relire «Le vieux Chagrin» ou «Les yeux bleus de Mistassini» en attendant un nouveau titre.
«L’anglais n’est pas une langue magique» de Jacques Poulin est publié chez Leméac/Actes sud.