Le Canada, sa façon de faire et ses relations avec les autres puissances de la Planète, préoccupe John Saul depuis longtemps. «Réflexions d’un frère siamois», un ouvrage paru en 1998, amorçait cette longue démarche. Le Canada depuis, il l’a parcouru d’est en ouest et du nord au sud pour se forger une vision originale et surprenante qu’il livre dans «Mon pays métis, quelques vérités sur le Canada».
D’après l’essayiste, la société canadienne est écartelée entre deux approches depuis la Confédération de 1867. L’une souhaite un État monolithique de type européen et l’autre, proche de la pensée autochtone, est plus inclusive et ouverte. La domination de la première approche constitue la source de tous les problèmes depuis une vingtaine d’années.
Le Canada trouverait sa personnalité et son originalité en prenant ses distances avec les États européens et les États-Unis. Jusqu’à la Confédération de 1867, le pays était largement influencé par la philosophie des autochtones qui concevaient «la société comme un cercle inclusif… où toutes les parties devraient être en mesure d’en profiter.» (p.66)
Cette approche a permis d’esquisser un pays accueillant pour les nouveaux arrivants qui deviennent de «vrais citoyens» rapidement. Et ce malgré bien des conflits, des essais et des négociations.
Métis ou pas
Il serait terriblement périlleux d’affirmer que la pensée des Autochtones n’a eu aucune influence sur les comportements des Canadiens d’origine française ou anglaise, le contraire serait étonnant. Peut-on affirmer pour autant que les Canadiens sont tous des Métis? John Saul dans «Mon pays métis» va à l’encontre de tout ce que nous connaissons de l’histoire canadienne. Peu d’historiens ont réussi à démontrer que la population canadienne était un mélange d’Autochtones et d’Européens. Saul révèle là le secret le mieux caché de notre histoire.
Le Canada de John Saul trouverait sa force et sa vitalité dans cette réalité que nous nions ou ignorons. Nos penchants pour la paix, la négociation, le dialogue et les «ajustements perpétuels» que nécessitent la Confédération trouvent leurs origines dans la pensée des Premières nations. En niant ce fait, le pays se coupe de ses racines et risque de s’effriter.
Trahison
Dans la seconde partie de son essai, l’auteur frappe fort et juste, pourfend l’élite canadienne qui démantèle le pays en offrant ses entreprises aux intérêts étrangers. Il multiplie les exemples, dont celle d’Alcan, avalée par Rio Tinto.
«La liquidation d’Alcan, lourde de répercussions pour Montréal comme centre d’affaires, a valu 42 millions de dollars à son PDG. Les cadres du noyau administratif vont toucher 800 millions de dollars.» (p.210)
Adieu siège social et influence sur les décisions administratives. Désormais, tout se règle ailleurs. John Saul parle de «trahison» et les politiciens de toutes les tendances en prennent pour leur rhume.
«Dans l’affaire Alcan, beaucoup de chefs d’entreprise et de hauts fonctionnaires canadiens ont déchiré leur chemise en coulisse, mais personne n’a osé protester en public. Ni le gouvernement canadien ni le gouvernement fédéraliste du Québec n’ont semblé réaliser complètement que l’on usurpait une partie de leurs pouvoirs. Les partis souverainistes du Québec, obnubilés par leur vision romantique du pouvoir politique et leur dévouement au libre-échange comme instrument de sécession, semblent incapables de saisir le fonctionnement réel du pouvoir économique qui leur file sous le nez.» (p.214)
Relance
L’auteur de «Mort de la globalisation», un essai percutant sur l’utopie commerciale internationale, se promène allégrement dans les sphères de la société, écorche Brian Mulroney, Conrad Black, Stephen Harper sans jamais le nommer et toute la classe dirigeante. L’essayiste affirme qu’il est encore temps d’agir, de repenser l’immigration, la politique du Nord, notre regard sur l’environnement, de reconnaître les nations autochtones, de réformer l’éducation, le système de soins de santé et de mettre fin au bradage des entreprises. Le Canada ne pourra survivre qu’en retrouvant cette pensée métisse.
«Nous ne sommes pas un prolongement du modèle européen. Nous avons toujours été et sommes encore un projet expérimental. Nous avons de profondes racines, grâce à l’influence des Autochtones et à leurs propres liens, encore plus étroits que les nôtres, avec ce lieu.» (p.276)
Je ne sais si les politiciens d’Ottawa et du Québec s’attarderont à cet essai, mais ils auraient avantage à le lire, ne serait-ce que pour questionner leurs façons de gérer le puzzle canadien. Que l’on soit souverainiste ou fédéraliste, il y a matière à réflexion et à débats.
«Mon pays métis, quelques vérités sur le Canada» de John Saul est édité par les Éditions du Boréal.