La perte d’un proche peut faire perdre tout équilibre. La vie devient une incroyable glissade qui semble ne jamais vouloir s’arrêter.
Dans «Blanchie», de Brigitte Haentjens, un récit troué dit-on, la narratrice vit en chute libre depuis la mort tragique de son frère. Elle est dévastée et n’arrive plus à reprendre son travail de photographe, dérive dans son corps, l’esprit vide, la pensée au neutre. Le monde est devenu étranger. Elle continue à vivre pourtant, fuit en Europe, roule le jour et s’arrête dans des villages, s’installe dans une auberge, un café pour être encore près des vivants.
Cette errance masque l’envie de mourir, la culpabilité et la responsabilité que la narratrice ressent devant cette mort. Il y a aussi la honte d’être du côté des vivants. Elle fait tout pour se punir et s’avilir.
«Depuis je ne pouvais plus travailler ni / Écrire ni penser ni surtout / Photographier / Tout restait en chantier les projets abandonnés aussitôt qu’évoqués / Les livres ouverts les courants d’air / Mon esprit affolé tourbillonnait autour de vieilles idées / Déjà vu déjà vu» (pp.11,12,13)
Un homme
Un homme dans un village d’Espagne ou du Portugal, on perd ses références tellement la course emporte tout. Ils font l’amour et une relation étrange s’installe, faite de violence et d’agressions. Un amour parsemé d’échappées et de retrouvailles.
«Son désir surgissait à tous moments / Au milieu d’un repas bien arrosé / Dans le salon VIP de l’aéroport / Sur le quai d’une gare / Dans la rue / Il me prenait par le bras / Et m’engouffrait brutalement dans un hôtel / Il me poussait dans les toilettes / De grands restaurants / Où il commandait sans me consulter / Des plateaux de fruits de mer des huîtres / Du foie gras et du champagne / Il me prenait vite et brutalement» (pp.108,109)
La gestuelle de l’amour s’impose et lui rappelle qu’elle est un corps. Une dépossession et un avilissement total. L’homme la réduit peu à peu à l’état d’objet.
Zones inavouables
Brigitte Haentjens s’aventure dans des zones inavouables. Le récit minimaliste, plein de «blancs» ou de «trous de mémoire», épouse la forme poétique pour faire ressentir cette spoliation. De plus en plus troublant et dérangeant à mesure que l’on progresse dans cette lecture. Heureusement, il y a la remontée, le retour à Montréal, la rencontre d’un homme, un projet qui démontre qu’il est possible d’échapper au désespoir. Elle en sort meurtrie, mais vivante.
Des photographies d’Angelo Barsetti proposent des images de désolation. On y palpe la peur, la fascination de la mort et la fragilité du corps. Un fort bel objet, ce qui ne gâche rien.
«Blanchie» de Brigitte Haentjens est paru aux Éditions Prise de parole.