Elle prend pied à Hull, dans la fumée des installations de E. B. Eddy qui fabrique des allumettes. La pauvreté y est héréditaire avec les maladies industrielles, les accidents de travail. La survie dépend souvent des pulsions des contremaîtres anglophones.
Nous retrouvons des personnages de «L’enfant cigarier». Jos a gravi les échelons pour devenir agent des unions américaines, le père de Victoria, Gédéon, a pris ses distances et travaille avec le clergé qui, par les unions catholiques, entend contrer certaines idées subversives.
Victoria est une forte tête qui suivra naturellement Donalda Charron, la boiteuse, une militante syndicale de tous les moments. Ces personnages permettent à l’auteure de nous entraîner dans les installations insalubres de la Eddy, de vivre la misère de ces travailleurs illettrés qui se débattent avec la misère. Victoria s’exilera à Lowell, quasi en même temps que les parents de Jack Kerouac qu’elle aurait pu côtoyer. Elle se rapprochera plutôt des activistes qui luttent pour la libération de Sacco et Vanzetti. Beau clin d’œil à l’histoire et à des personnages réels.
«Élisabeth Gurley Flynn portait une élégante robe sombre que sa mère lui avait confectionnée. Hormis un pendentif mince et sobre, elle n’arborait aucun artifice. Son magnétisme et son charme naturels lui suffisaient pour séduire une foule et la gagner à sa cause. Ses discours, qu’elle préparait soigneusement, savaient toucher les cœurs et ouvrir les esprits. De ses séjours en prison, toujours pour sédition, elle avait appris la patience et la persévérance, mais pas la soumission.» (p.233)
Les travailleurs
Encore une fois Marie-Paule Villeneuve explore un monde peu décrit par les écrivains du Québec. Le monde ouvrier, les syndicats sont rarement des milieux privilégiés par les littérateurs. On ne peut s’empêcher d’évoquer «La grande chamaille» de Jean-Alain Tremblay qui décrivait les mêmes luttes et les mêmes combats mais en faisant vivre ses héros dans le microcosme de Chicoutimi et Jonquière.
Marie-Paule Villeneuve embrasse la diaspora francophone de l’Amérique, fait voir l’envers du monde par les yeux de Victoria qui n’hésite jamais à bousculer des tabous, à se laisser séduire par le père Jean, un Oblat à la soutane légère.
«Dans la chambre aménagée dans un coin de la sacristie, entre la crèche de Noël et les différents personnages de la nativité, Victoria avait connu l’extase dans les bras du père Jean. Trop heureux de se retrouver, leurs corps n’arrivaient pas à se détacher. Sur le matelas recouvert de nappes d’autel et garni d’ornements sacerdotaux, le père lui avait juré qu’il n’avait jamais connu un tel bonheur.» (p.195)
Un roman efficace, sans fioriture, même si parfois, Marie-Paule Villeneuve délaisse un peu la trame romanesque pour s’étendre dans des descriptions des usines, des façons de préparer les allumettes ou le coton. Certains dialogues manquent un peu de naturel aussi.
Qu’importe! Les personnages permettent de découvrir, page après page, un volet méconnu de notre histoire, des luttes et des combats qui, qu’on le veuille ou non, ont changé le Québec et préparé lentement la venue de la Révolution tranquille.
Victoria est un personnage attachant et souvent ce roman historique devient un véritable thriller. Une belle manière de livrer un pan de cette histoire méconnue, de faire connaître le sort de ceux et celles qui ont franchi la frontière pour améliorer leurs conditions de vie.
«Les demoiselles aux allumettes» de Marie-Paule Villeneuve est paru chez VLB Éditeur.