Plongeons dans un monde d’odeurs et de bruits. Le Montréal un peu étrange et sordide que l’on découvre en se perdant dans les rues et les ruelles. La contrainte était intéressante pour les cinq écrivains de ce collectif. Unité de lieu. Montréal. Mais aussi une couleur: le noir.
François Barcelo dans ses textes courts est excellent. Il sait ménager ses effets, utiliser à bon escient son humour et son cynisme. Je n’ai pas tout lu cet auteur mais assez pour savoir qu’il est capable du pire et du meilleur. Il a souvent tendance à se fatiguer de son sujet dans ses romans plus ambitieux. «Tant pis», un roman fort bien lancé, tourne à vide. Par contre «J’enterre mon lapin» est un petit bijou.
Dans «Blanc comme neige», il sait être cinglant, imaginatif, sordide et cruel. Barcelo joue des contrastes et je l’ai suivi dans les situations les plus invraisemblables. Je n’en demandais rien de moins.
Marie-Claire Blais
Marie-Claire Blais, même dans un texte relativement court, déstabilise. La vie n’est pas linéaire. Pour aller d’un point à un autre, que de détours, de virages et de retours. Il y a aussi les autres. Chaque individu est une cellule de l’humanité. L’auteure de «Soifs» témoigne en reprenant la «simultanéité» si chère à Virginia Woolf. Plus, elle fait de cette «simultanéité» la trame ou la manière de son récit. Tout ce confond, se lie dans une poussée qui va et vient.
Nous accompagnons toute une jeunesse perdue et à la dérive. Nous sommes à Montréal mais aussi au Cambodge et ailleurs. Il y a ce lieu, un espace mais peut-être le temps s’est-il défait.
«…Nous venons tous de loin et d’ailleurs, et de tous les coins de ce pays si vaste, chacune, chacun arrive ici tous les jours, Pierro dit qu’il y en a trop de ces filles qui cherchent du travail, mais il ne refuse personne, c’est lui qui prend d’abord l’argent derrière son bar, le Diamant de Nuit, il nous remet ensuite ce qu’il nous faut pour vivre, ce n’est jamais assez mais Pierro tient à payer nos vêtements court qu’il choisit lui-même…» (p.43-44 )
Une écriture comme un long ruban sans fin qui égare le lecteur, le reprend, le bouscule et le ramène. Une vague qui monte, descend et repart. Il faut oublier les balises et s’abandonner à ce regard qui fait songer aux grands courants marins qui ceinturent la planète.
Passons sur André Truand et «sa petite âme». Banal, long et ennuyeux.
Chrystine Brouillet rapplique avec Maud Graham. L’histoire est bonne en ce temps de verglas, précise, étrange mais l’écriture ne lève jamais. Le verglas a peut-être tout figé. L’étrange impression de plonger dans les pages d’un journal par moment. Des dialogues plaqués et artificiels. Peut-être Chrystine Brouillet a trop écrit pour la jeunesse. Elle dit tout, explique tout et cela devient fort agaçant. Le lecteur a aussi droit à son espace pour rêver le texte.
«La situation était bien pire qu’il ne l’avait imaginée. Pour leur sécurité, des milliers de personnes devaient quitter leur maison, se regrouper dans des gymnases et des centres d’accueil. Certaines refusaient de quitter leur demeure et devraient être expulsées pour leur bien. Les policiers de Montréal, inquiets, épuisés, dépassés par ce désastre imprévisible, étaient tous mobilisés. On attendait maintenant l’intervention de l’armée canadienne. Des camions sillonneraient bientôt les rues, transportant des hommes, de sacs de couchage, des couvertures pour équiper les sinistrés.» (p.102)
Pellerin
Gilles Pellerin termine l’aventure. Visite d’une maison un peu étrange. Le décors et après les personnages. Nous sommes souvent déroutés. Nous devons user de tous nos sens pour nous y reconnaître, revenir en arrière, recommencer la lecture. Une véritable aventure sensorielle.
Gilles Pellerin tisse sa toile et à la toute fin, c’est le lecteur qui est attaché sur la chaise et qui fait face à un obsédé. Étrange et dérangeant. Et quelle écriture !
«Montréal: le ciel américain (très bas, pas métaphysique pour deux sous); une ruelle qui cherche le nord en se faufilant entre les hangars; la poussière; les tempêtes de pollen; l’assemblée spontanée de citoyens chevauchant des chaises pliantes sur le trottoir, devant le bloc de béton qui tient lieu de seuil; des pizzerias, des vitrines surchargées de bocaux de poivrons rouges marinés; le simple mot smoked meat; le combat contre les portes du métro quand l’air chaud se précipite dans l’hiver comme dans la mort au moment où vous cherchez à entrer.» (p.129)
Trois très bons textes sur cinq, c’est beaucoup
«Montréal noir» de François Barcelo, Marie-Claire Blais, Chrystine Brouillet, Gilles Pellerin et André Truand, est paru aux Éditions 400 coups.