DANIEL LEBLANC-POIRIER étonne
avec Nouveau système, un roman qui
m’a laissé perplexe, m'a fait perdre mes repères dans une aventure
d’écriture qui se risque en terrain peu connu. Le titre laisse songeur et l’explication
que l’écrivain offre dans ce qui peut être une préface intrigue. Il
parle de l’intrication, une théorie de la physique. « Dans un système intriqué,
écrit-il, tout se passe comme si une action X effectuée sur un corps avait un
effet absolument instantané sur l’autre, même s’ils sont séparés par de grandes
distances. » Peut-être en est-il ainsi des humains ? « Ce que vous
ferez au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous le ferez », disait Jésus le Nazaréen. Et je pense à ce papillon aux
ailes si puissantes... « Le battement
d'ailes d'un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au
Texas ? » a répété Edward
Norton Lorenz. Et qu’arrive-t-il aux
autres planètes avec tout ce que nous faisons subir à la Terre ?
Le narrateur est ravagé
par la maladie de son amie. Il vit une thérapie, allume des incendies pour se
calmer, n’arrive plus à s’éloigner de cette chambre d’hôpital où l’univers
s’est recroquevillé.
Les trois étaient des inséparables.
Kikou se prostituait et Néné faisait de l’argent avec des téléphones érotiques.
Lui se contentait de signer son chèque du bien-être social. Un trio qui s’aventurait
dans tous les excès, se permettait toutes les drogues. L’impression souvent que
les personnages plongeaient dans un trou noir qui broie l’être. Un roman où je
me suis avancé sur la pointe des pieds, comme si je craignais de mettre la
main sur une seringue souillée.
Ce que l’un vit,
l’autre le ressent dans tout son être. La jeune femme est à l’hôpital et les
deux autres restent là avec leur impuissance et leurs larmes. Que faire devant
un être que nous aimons et qui navigue dans ses derniers jours ? Ces heures
vous déchirent le cœur et l’âme, vous coupent le souffle. Je pense à Claude Le
Bouthillier quelques jours avant sa mort. Il était si lucide, si beau de
courage et de sérénité. Il parlait de ses textes comme si c’était l’essentiel,
la substantique moelle de sa vie. Il
mettait toutes ses énergies à terminer son livre. La mort lui soufflait dans le
cou et il l’éloignait comme un moustique un peu trop insistant. Il avait dit
avec un sourire : « Je ne m’acharnerai pas. J’ai eu une belle vie. »
MOMENTS
Kikou gît sur son
lit d’hôpital avec ses verres fumés en forme de cœur et c’est comme si elle
était sur une grande lagune de sable pour s’étirer dans la chaleur du jour.
Dans
la chambre d’hôpital, il faisait noir. Il était primordial de tenir les stores
fermés. C’est elle qui voulait ça. Je m’en rappelle clairement. On passait la
journée coupés de l’extérieur. Elle fumait en dedans. On entendait le
crépitement de sa cigarette qui se mélangeait au va-et-vient des infirmières.
J’ai déposé mes lèvres sur son front. En sentant l’odeur de sa peau, de grosses
larmes ont coulé. Elles se sont échouées dans ses yeux et ça l’a fait rire.
Elle a dit « don’t cry », mais devant la beauté du moment, du fait que je
versais des larmes directement dans ses yeux, on a ri, comme on n’avait jamais
ri auparavant. (p.63)
Le narrateur nous
raconte leur histoire par des bonds en arrière. La première rencontre,
l’éblouissement au magasin devant la caisse, l’osmose amoureuse, les drogues,
les plongées dans une réalité qu’il est difficile de décrire. L’impression que
les trois fuyaient leur corps pour planer dans le cosmos. Je ne sais pourquoi,
mais j’ai pensé à une sorte de poussée dans la galaxie où les lois de la
pesanteur et de la gravité perdent leurs effets. Difficile d’exprimer ce que j’ai
ressenti devant ces textes d’une beauté attachante.
Je
suis simplement resté là, debout, à ne pas bouger, comme un pieu. J’avais l’air
d’une statue, moi aussi. Du moins, je jouais à ça. Je suis resté figé presque
une heure. Des piétons distraits venaient se cogner contre moi et je ne
réagissais pas. Je n’avais pas l’impression d’être sur le speed. C’était le
reste du monde qui bougeait moins vite. J’avais dopé le temps. Il s’était
contracté. (p.33)
Tout ce qui tenait
le triangle se défait. Chacun doit se refaire une solitude, s’ajuster dans son
corps et sa nouvelle dimension.
COMPLICITÉ
Ils s’aimaient, se
faisaient mal, se détruisaient et se retrouvaient pour respirer, collés l’un à
l’autre, devant la télévision.
Souvent, j’ai eu
l’impression de m’aventurer dans les espaces des premiers romans de Réjean
Ducharme. Un Mille Milles trash, drogué, fou de tous les excès avec la coke et
l’ecstasy ; de surprendre des anges qui pataugent dans la boue et la saleté, mais
que rien ne peut toucher. Kikou est de la race des personnages de Boris Vian
dans L’écume des jours. Chloé meurt
d’un cancer, mais une fleur prend racine dans sa poitrine.
Le
prochain show, c’était la mort. La muerte. Mais quand elle s’est éteinte pour
de bon, un samedi matin, on a réalisé que le show était fini. Le soleil se
levait entre les buildings comme un ouvrier qui rentrait au boulot. La lumière
de l’aube prenait une teinte orange et, dans son omnipotence, j’ai étiré mes
bras et j’ai dit « c’est le crépuscule du Titanic ». La mort de Kikou, c’était
le vrai crépuscule, la dernière étape d’un naufrage. Les larmes qui roulaient
sur mes joues s’imbibaient de la lumière du matin. Elles devenaient des petites
gouttes d’orangeade qui venaient s’échouer sur mes jeans. (p.58)
La mort n’est pas
décrite dans l’implosion du corps comme Karoline Georges le fait d’une façon si
bouleversante dans son roman De synthèse.
Nous sommes dans une dimension poétique, devant un corps qui flotte dans la
douleur avant de s’évaporer. Pas de résistance frénétique, mais la douleur, la
terrible douleur de la perte, de laisser une partie de soi dans le jour qui
continue de prendre ses aises comme si de rien n’était.
ÉCRITURE
J’ai aimé cette façon
de secouer la réalité et de la dire autrement. Comme s’il y avait des fissures
au coin des rues par où il est possible de se faufiler dans une autre dimension.
Une manière d’écrire pas tellement familière pour dire des choses essentielles,
des états d’être et d’âme. Une poésie rugueuse qui tombe juste, qui ne force
jamais et qui résonne profondément en vous. Comme cet accord de piano qui se
prolonge longtemps longtemps et qui vous touche en pleine poitrine pour s’installer à l’intérieur de vous. Des paumés, des drogués, mais des personnages qui vivent
au-delà de tous les tabous et qui s’imposent dans leur mal d’être.
Peut-être que nous
aimons croire qu’il est possible d’échapper aux recommencements, d’être le
vivant qui fait tout à sa manière et qui peut tenir tête à Dieu et au Diable ;
peut-être aussi que nous ne pouvons nous passer des autres et de leur présence.
Un court roman poignant. Une voix, une musique rugueuse qui vibre longtemps en
vous.
NOUVEAU SYSTÈME
de DANIEL LEBLANC POIRIER, une publication des ÉDITIONS HAMAC.