MATHIEU SIMARD propose un
roman fort troublant avec Ici, ailleurs,
un récit qui entraîne le lecteur dans les jours qui suivent la mort d’un enfant.
Marie et Simon s’accrochent et tentent de sauver leur couple, de retrouver le
goût de vivre. Ils couleront à deux ou survivront. Comment oublier ce cancer
fulgurant qui a emporté leur fille à l’âge des rêves et des jeux innocents ?
Que dire devant la douleur de son enfant, que faire pour le soulager, comment
accepter de voir sa fillette mourir ? Marie et Simon s’installent dans un
village marqué par le destin…
Une jeune fille
muette va tous les jours près de l’antenne qui se dresse sur la montagne,
derrière le village, comme pour y capter un message. Le garagiste, l’homme à
tout faire, un fainéant, tente de séduire Marie dès la première rencontre au restaurant.
Un endroit déserté où Madeleine fait semblant que des clients vont se présenter
en grand nombre. Il y a aussi les Lavoie qui s’installent pour l’été avec leurs
enfants, une famille qui ne semble connaître que le bonheur.
Marie et Simon ont
acheté la grande maison du Vieux. Un coup de cœur, une impulsion. Ils n’arrivent
pas à défaire leurs boîtes, peut-être parce qu’ils savent que leur séjour sera
temporaire, qu’ils n’arriveront plus à avoir un chez-soi. Ils font
l’amour frénétiquement, avec rage, comme pour accomplir un devoir quotidien.
ÉTOURDISSEMENT
Que dissimule
cette frénésie ? On comprend après un certain temps. La fille de Marie et Simon
est morte d’un cancer. Le monde a glissé sous leurs pieds. Ils n’arrivent plus
à trouver une direction, des certitudes et le goût de vivre.
Je me relève,
secoue mes vêtements et feins la contrariété. Elle continue de rire, comme pour
s’accrocher à ce moment jusqu’à ce qu’un autre nous rejoigne, mais dès que ses
yeux se posent sur le parc, derrière nous, le rouge, le jaune, le sable,
l’absence de traces de pas, Marie perd son sourire. La lumière fragile dans son
œil s’éteint et elle avance vers le vide. Je la suis et je sais qu’aussitôt
dans la maison elle ira avaler deux ou trois comprimés devant le miroir de la
salle de bain. Ce sera à son tour de tomber. (p.25)
La vie continue
tout croche dans le village où tout le monde rumine des blessures. Et comme
dans tous les villages, on se méfie des nouveaux arrivants, des poseurs de
questions, de ceux qui risquent de bouleverser l’ordre des choses. On se
croirait dans un roman de Lise Tremblay, dans ces agglomérations où tout le
monde connaît les secrets des autres, où les haines et les colères sont
soigneusement étouffées. Il faut toujours sauver les apparences. Personne ne veut
se faufiler derrière la façade et dire les vraies choses. Une manière de se
protéger certainement. Un esprit de clan que Lise Tremblay illustre
magnifiquement dans L’habitude des bêtes et La Héronnière.
QUESTIONS
Pourquoi tant
de maisons abandonnées, d’installations en décrépitude, ce terrain de jeux qui
ne sert plus à rien et qui avive la douleur de Marie et Simon ? Et Fisher qui
sait tout, qui fait tout, qui boit pour s’étourdir et perdre contact avec la réalité. Et qui était ce Vieux dont personne ne veut parler ? Un étranger lui
aussi, quelqu’un qui avait une vie ailleurs.
Nous survivons en
échangeant nos mensonges comme les enfants échangent leurs jouets. Dans ce
village qui ne nous ressemble pas nous apprendrons à inventer les vérités qui
nous feront le plus de bien. Je sais maintenant que nous ne pourrons jamais
oublier le passé, mais c’est ce que nous essaierons de faire malgré tout.
Oublier le passé et nous aimer aujourd’hui. Isolés loin d’ailleurs, nous
masquerons nos cicatrices à coups de fausses espérances. (p.43)
Simon s’accroche à
Marie qui ne sait plus trop qui elle est, qui devient violente même dans sa
volonté de remplacer sa fille. Et Fisher tourne tandis que Madeleine se montre
particulièrement vindicative envers la nouvelle venue, comme si elle menaçait
de tout faire s’écrouler.
Alice passe en
regardant droit devant elle. Simon la suit et comprend les drames qui ont
frappé à gauche et à droite. Celle qui s’est enfermée dans le silence pour
oublier se confie, peut-être parce qu’elle devine sa douleur et qu’elle peut
enfin partager la sienne.
Tout ce qu’y ont
vu, c’est un enfant paralysé par ma faute, la même fille qui en avait fait
disparaître un autre douze ans plus tôt. C’était encore moi la coupable, pis
cette fois-là j’avais pas quatre ans, j’en avais seize. Pis c’était ma deuxième
fois… Pour eux ben vite c’est devenu clair que j’étais pas correcte. Pis cette
fois-là, mon père il m’a pas défendue. Y était tellement en peine pour son
petit-fils qu’y s’est laissé convaincre que c’était de ma faute. Après ça, y
s’est mis à en perdre des bouts. Je suis partie juste avant qu’y meure. Ça a
pris deux ans avant que j’apprenne qu’y était mort. C’est là que je suis revenue.
(p.113)
Le sentiment de
culpabilité, l’impuissance, la certitude de ne pas avoir su faire le bon geste,
d’avoir été témoin des ravages de la mort sans pouvoir s’interposer. C’est le
drame de Simon et Marie, d’Alice et de Fisher. Nous avons tous peut-être des moments
que nous aimerions effacer. Il suffirait d’un mot pour que tout soit différent.
La vie est si compliquée et si simple.
Le propriétaire de
l’épicerie part quand Madeleine, qu’il aime depuis toujours, le repousse. Alice,
Simon l’apprend, est la fille du Vieux, la sœur de Fisher. Tout le monde se
connaît, tout le monde sait, ravale en silence. Marie et Simon ne pourront
survivre. Ils sont déjà morts près d’une petite fille aux grands yeux qui jonglaient
avec des pourquoi et qui ne demandait qu’à rire.
TENSION
L’étau se resserre
et ça devient difficile de respirer. Je me suis senti si vulnérable. Personne
ne peut tricher. La mort ne trouve d’issue que dans la mort. Les survivants ne
peuvent-ils que se sentir responsables des disparus ? La réalité finit toujours
par s’imposer et il n’est pas toujours facile de faire face. Je pense à ma sœur
qui voulait tant vivre et qui savait que le temps lui glissait entre les
doigts. Le cancer, toujours lui, la happait hors de la vie des siens. J’y pense
presque tous les jours. Et aussi ma mère, dans ses derniers souffles, avec ses
grands yeux bleus ouverts sur l’éternité.
Notre tout s’est
dissous dans un four crématoire et l’urne dans une boîte de déménagement nous
rappelle que nous ne pourrons plus être. Nous faisons semblant. L’horloge. Le
calendrier. Vieillir. Nous ferons semblant. Et la paix, c’est le bout vide
entre deux conflits, j’ai mal au sang, j’aurai toujours mal au sang. Et la
pluie c’est elle, notre fille qui revient nous taper sur l’épaule, chaque
goutte d’eau c’est elle qui nous rappelle que nous ne pourrons jamais endurer
la douleur, combler son absence, annuler son départ. (p.68)
Un roman particulièrement
dense. Le brouillard qui entoure Marie et Simon, Alice et Fisher, se dissipe lentement.
Comment en réchapper ? Fuir, partir comme le vieil épicier le fait ou comme
Alice l’a fait ? Il semble bien qu’il n’y a pas de refuge pour oublier ce qui
froisse l’être. Alice est revenue pour confronter son drame. Elle s’est
enfermée dans le silence, comme on le faisait autrefois dans les monastères
pour faire taire la douleur. Pour se punir aussi. On finit toujours par partir,
même de la plus maladroite des façons.
La solution est
peut-être d’osciller entre le point de départ et le point d’arrivée comme
Virginie Blanchette-Doucet le fait si bien dans 117 Nord. Maude a tout perdu et elle est condamnée à aller et venir
entre l’Abitibi et Montréal sans jamais arriver à oublier la perte de son pays
et de son grand amour. L’ici ne peut jamais être l’ailleurs tout comme
l’ailleurs ne peut avaler l’ici. Un drame terrible que Mathieu Simard traite
avec une délicatesse remarquable.
ICI, AILLEURS
de MATHIEU SIMARD est paru chez ALTO ÉDITEUR.