JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU a commencé à écrire des
chroniques en 1976 et n’a jamais relâché depuis. Cela lui a permis de lire plus
de 5000 ouvrages et de publier plus de 1900 chroniques en quarante ans. C’est
encore loin du record de 4300 de Pierre Foglia, mais il m’impressionne. Tout cela, à mon grand étonnement, bénévolement
dans le journal Le Richelieu d’abord,
Le Canada français par la suite. Une
passion pour la littérature qui ne s’est jamais démentie pour cet enseignant qui
voulait demeurer en contact avec la littérature contemporaine, celle qui se
fait maintenant. Les Éditions Trois-Pistoles ont eu la bonne idée de lui
demander d'enrichir la collection Écrire,
lui permettant ainsi d’exprimer sa passion pour la chronique et la littérature du
Québec.
Jean-François Crépeau a étudié en littérature et a vécu depuis un
livre à la main pour ainsi dire. Une passion qui l’a poussé à vouloir partager ce
plaisir avec d’autres lecteurs, une espèce en voie de disparition, semble-t-il.
Parce que lire, c’est écrire et écrire, c’est lire son époque, son
environnement, les agissements de ses contemporains et leurs obsessions. Il
faut des passeurs, des chroniqueurs parce que les ouvrages basculent de plus en
plus rapidement dans l’oubli avec les frénésies de la nouveauté. Nous avons une
mémoire oublieuse et un goût effréné pour la saveur du jour et le clinquant. Je
n’embarquerai pas dans la « vedettisation » de la production romanesque. Ce
phénomène veut que l’on soit une star d’abord, de préférence à la télévision ou
au cinéma, avant de mettre son nom sur un ouvrage de fiction.
En 1976, bien que mon travail d’enseignant de français au secondaire
me satisfaisait, il ne correspondait pas exactement à mes projets d’avenir.
Avec une maîtrise en langue et littérature, je souhaitais enseigner au
collégial dont les programmes d’études me faisaient rêver. J’imaginais que le
cégep était le royaume de la littérature et des lettres. Il me fallait donc
trouver une façon d’entretenir et cultiver mon intérêt pour la littérature.
(p.15)
Jean-François Crépeau entreprend donc une longue expédition, mettant
un pas devant l’autre, lisant et cherchant le ton juste pour rendre compte de
son expérience de lecteur. Un peu de naïveté au début et beaucoup de bonne
volonté certainement, comme nous l’avons tous fait en osant nous aventurer dans
l’œuvre d’un écrivain que l’on admire tout en restant fidèle à ses émotions et
ses préférences. Il le sait, c’est en écrivant que l’on apprend et c’est en
rédigeant des chroniques que l’on trouve son regard dans « une forme d’écriture
» qui m’a toujours fasciné.
J’ai commencé dans le journalisme en même temps que monsieur
Crépeau. J’étais salarié comme journaliste culturel, mais la chronique ou la
critique, je la faisais par goût, en dehors de mes heures de travail. Les
directions des journaux n’ont jamais été très intéressées aux chroniques
littéraires et au moindre prétexte économique, ce sont ces passionnés que l’on
met à la porte. J’ai vécu cette expérience douloureuse.
J’ai eu « des absences » dans ma passion pour la critique et
la chronique, selon mes affectations dans le journal. J’ai continué cependant à
l’occasion dans Québec français et
d’autres revues. Crépeau, lui, n’a jamais abdiqué et c’est pourquoi il a toute
mon admiration.
QUÊTE
Pratiquer l’art de la chronique, c’est s’aventurer dans une
longue quête, jongler avec des questions qui ne trouvent jamais de réponses. C’est
l’art du doute, de la remise en question, de cerner le mieux possible ce que
l’on ressent en s’aventurant dans un roman ou une œuvre de fiction. Il faut rendre
justice au travail de l’écrivain en se méfiant de ses goûts, de ses préférences
et de ses détestations. C’est surtout chercher à comprendre pourquoi certains
ouvrages nous emballent et que d’autres nous laissent indifférents. Il y a
aussi la manière, l’écriture, l’art de dire qui vous subjugue ou vous repousse.
Le sentier est souvent parsemé d’embûches et il faut continuellement être aux
aguets.
Il m’a fallu beaucoup de temps avant de comprendre qu’on n’est
pas critique littéraire du jour au lendemain, qu’on le devient progressivement,
un livre à la fois… …Pour mériter le titre de critique, il faut avoir acquis
une vaste culture en s’intéressant au plus grand nombre de sujets possibles. Il faut surtout se constituer un
patrimoine fait d’ouvrages littéraires et autres. C’est là un fonds culturel
riche et diversifié, tant au niveau des contenus que des formes. (p.23-25)
Bien des nouveaux arrivants dans le monde de la critique
devraient méditer les leçons de Jean-François Crépeau. Il nous explique sa
façon de lire, de s’approprier un ouvrage, de l’explorer et d’en parler avec
justesse. Tout cela en repoussant les théories qui risquent de fausser la démarche.
Une grille d’analyse n’est qu’un regard et ne peut jamais être un décryptage définitif.
Il faut même se méfier de ces pièges pour trouver le rythme d’un texte, sa musique,
sa façon d’empoigner le réel et de le secouer par des images personnelles. C’est
comme pratiquer le saut sans parachute en demeurant attentif à ses moindres
réactions.
AVENTURE
Jean-François Crépeau a toujours pratiqué son métier en
région, même si ses textes ont paru dans la périphérie de Montréal. Écrire dans
une publication régionale, fait souvent de vous un chroniqueur de moindre
importance. J’ai souvent ressenti cela en travaillant en région. Votre travail
est toujours moins sérieux, moins percutant. Le poids d’une chronique n’est
jamais le même à Chicoutimi qu’à Montréal. Il suffit de lire les revues de
presse pour comprendre le phénomène. Le chroniqueur en région est très souvent
ignoré.
Heureusement, tout change avec Internet. Sur un blogue, les
frontières tombent. Il y a des curieux qui s’intéressent à la littérature
québécoise en Allemagne, en Russie, aux États-Unis, en Pologne, en France, au
Maroc et même en Chine. C’est peut-être l’avenir de la chronique littéraire et
de la littérature tout simplement. Les médias traditionnels ne s’intéressent
plus qu’aux vedettes. On pourrait aussi discuter longtemps de la dictature de
l’humour.
LECTURE
J’ai eu plaisir à apprendre que je ne suis pas un marginal en
lisant avec un marqueur jaune et des crayons à mine de plomb. Je laisse des
traces sur les pages, tout comme monsieur Crépeau. Je peux, après des années, revenir
sur ces empreintes et retrouver mon chemin. Tout comme mon père quand il
plaquait son chemin en forêt en faisant des encoches sur les arbres. Il n’y a guère
d’autres méthodes, sinon on risque de patiner en surface et de pratiquer l’art
de la pirouette. Cette lecture active permet de graver dans sa mémoire des passages
et des personnages qui nous touchent particulièrement. Plus un livre est
intéressant et percutant, plus les traces de ma lecture se multiplient. Il en
est de même pour Jean-François Crépeau, j’en suis certain.
Ce qui m’a étonné, c’est que ce diable d’homme s’intéresse
autant aux guides et aux livres d’intérêt général. Je m’en suis toujours tenu
aux textes littéraires, aux écrivains qui publient dans des maisons reconnues
et qui ont vécu l’épreuve de l’édition avec une direction littéraire. Je ne
parle jamais des publications à compte d’auteur parce qu’il n’y a pas eu cette
première lecture, cette réflexion sur un texte avant d’en arriver au livre. On me l’a souvent reproché, parlant de mon élitisme.
AVENTURE
J’aime le travail patient, le regard de monsieur Crépeau sur
les œuvres d’ici, certains ouvrages qui risquent de disparaître dans la
bousculade des nouveautés. J’aime sa fidélité à de grands écrivains qu’il suit
depuis des années. Nous partageons une même admiration pour l’œuvre gigantesque
de Victor-Lévy Beaulieu. J’ai eu le bonheur de l’avoir comme éditeur, et ce dès
mes premières incursions dans la poésie et le roman aux Éditions du Jour. Je pourrais ajouter à ma liste Gilles
Archambault, Robert Lalonde, Louis Hamelin, Nancy Huston, Monique Proulx,
Suzanne Jacob, Nicole Houde et bien d’autres. Un chroniqueur finit par se
constituer une famille et il attend toujours sa dernière parution avec
impatience.
Le numérique fait surface. Que dire de plus que ce qu’en dit monsieur
Crépeau ? Trop tôt pour trancher. Le numérique séduit bien sûr, mais cela ne
reste qu’un gadget qui permet un autre accès au texte. L’acte de lire n’est pas
pour autant transformé. Si peut-être. Le marqueur jaune devient désuet et les
crayons à mine de plomb. Ce qui importe, c’est le texte, l’œuvre que l’on doit
parcourir, analyser et scruter.
Bien sûr, nous sommes très différents dans nos façons de
rendre nos textes ou de fréquenter les écrivains du Québec. Nos empreintes
n’empruntent jamais les mêmes sentiers, même en lisant un même livre. Je
reconnais cependant dans Jean-François Crépeau « un compagnon des Amériques »
comme l’affirmait Gaston Miron. Un frère qui partage une même passion pour les
écrits du Québec, une littérature qui est peut-être « quelque chose comme une
grande littérature ».
PASSION CHRONIQUE de JEAN-FRANÇOIS CRÉPEAU est paru aux ÉDITIONS TROIS-PISTOLES.
PROCHAINE CHRONIQUE : LE POIDS DE LA NEIGE de CHRISTIAN GUAY-POLIQUIN publié aux ÉDITIONS
LA PEUPLADE.