Christian Guay-Poliquin, dans Le fil des kilomètres, réussit bellement son entrée dans le monde de la littérature. Quel univers angoissant! Panne d’électricité partout, plus de contacts. Rien. Le pays est en attente. Les ordinateurs, les gadgets qui nous branchent avec la planète sont morts. Plus de messages ou de galopades sur Facebook. Imaginez! Les téléviseurs sont éteints. Les radios. Les téléphones intelligents. Que feriez-vous si un matin tout s’arrêtait, que la neige s’installait dans un silence de fin du monde? Ce roman «apocalyptique», comme dirait Samuel Archibald, nous pousse tout doucement vers le gouffre.
Les usines sont réduites au
silence. Les gens attendent, se demandent que faire de ce corps qui leur est
redonné. La mécanique de la société s’est enrayée. Pourquoi? Nous ne le saurons
jamais.
«Dehors, pas un son hormis
celui de la pluie. Même le vrombissement insatiable de la raffinerie a cessé.
Autour, aucun bâtiment ne semble plus avoir d’électricité. À l’avant de chacun
d’eux, on voit des silhouettes en bleu de travail s’amasser et scruter les
environs tout en restant à l’abri. Blottie dans l’entrée du garage, notre
équipe n’échappe pas à la règle.» (p.18)
Le narrateur décrit son milieu
sans trop de fioritures ou d’images. Pas de maquillage! Mécanicien, le monde,
il pouvait le démonter et le reconstruire quand tout allait normalement. Il vivait
pour les automobiles. Des mécaniques faites pour tomber en panne et qui exigeaient
des soins attentifs.
Il est seul maintenant. Sa
compagne est partie après une tentative de suicide. Il n’a pas su la retenir, incapable
de trouver les mots. Il n’est qu’un corps qui bouge, vide une bière après
l’autre jusqu’au bout de la nuit. Les mots le fuient et il se méfie des phrases.
Départ
Un appel de son père, un peu
avant la panne. Pertes de mémoire. Paranoïa. Il décide de rentrer avant qu’il
ne soit trop tard. Il devra traverser le continent pour revoir son village, son
père qui a perdu sa femme dans un accident d’auto. Il ne s’en est jamais remis.
Peut-être que lui non plus.
Une course folle de 4736
kilomètres. Il roule jour et nuit dans des pays de poussière. Des vallées de
sable. Les populations se sont évanouies. Les villes et les villages sont des décors
de cinéma. Des camions, des tracteurs attendent dans les champs. Les denrées deviennent
rares et l’essence se négocie à prix d’or. Les profiteurs veillent, surtout en
temps de catastrophe.
La vieille auto tient le
coup. Le narrateur fume, fixe la route, jongle avec des épisodes de sa vie, parle
avec son chat enfermé dans une boîte. Tout est partout pareil. Nous voici dans le
monde de l’après. Ce n’est pas sans rappeler La route de Cormac McCarthy, mais en moins apocalyptique. Tout s’est figé. À bout d’énergie. Épuisé
peut-être. Peut-être aussi une attaque terroriste qui a tout détraqué. Il reste
l’animal en soi pour survivre, continuer, revenir aux sources, près du père et
remettre tout à l’endroit.
Une ombre, une fille au bord
de la route. Un arrêt, un coup de tête. Elle s’installe à sa droite et voilà
une compagne pour le voyage. Il ne sait rien d’elle, elle ne veut rien de lui. Il
suffit de rouler, de s’accrocher au ruban blanc au milieu de la route, foncer dans
la nuit ou les éclaboussures du soleil. Question de vie ou de mort!
Partout des bandes
s’organisent, rationnent l’essence et les vivres. Le monde devient plus sauvage
que d’habitude. Les villes sont dangereuses, barbares.
«De là-haut, la queue de
véhicules semble interminable. Elle s’enfonce jusqu’au cœur de cette ville
livrée à ses fantômes. L’écho de trois coups de feu parvient jusqu’à nous. Cela
ressemble plutôt aux derniers coups de tonnerre d’un orage qui s’éloigne. Hormis
l’errance de silhouettes lointaines dans ces rues méconnaissables, on dirait
que toute l’activité humaine a été suspendue. Des sacs poubelles jonchent les
trottoirs. Les premiers étages des immeubles sont barricadés. Les cheminées des
usines pointent le ciel sans écumer quoi que ce soit.» (p.187)
Christian
Guay-Poliquin nous aspire avec cette histoire où manger et boire devient une
aventure. Un monde de plus en plus menaçant. Je suis devenu fébrile avec les
kilomètres qui s’accumulaient. Jusqu’au dénouement plutôt inattendu. Ce
romancier possède un sens formidable de l’action. Il m’a subjugué en disant
peu, quasi rien. Cela doit s’appeler du talent.
Le fil des kilomètres de Christian
Guay-Poliquin est paru aux Éditions de la Peuplade.