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vendredi 26 août 2022

L’ÉTERNITÉ AVEC GILLES ARCHAMBAULT


LE 45e LIVRE de Gilles Archambault, Mes débuts dans l’éternité, un recueil de trente courtes nouvelles, nous plonge dans cet espace où le passé étouffe l’avenir, lorsque le présent n’est qu’un gouffre. On parle du vieillissement, bien sûr. Le corps n’est plus fiable et la mémoire oublie de refermer des portes et des fenêtres avec le temps. Monsieur Archambault est certainement l’écrivain du Québec qui publie le plus régulièrement, et depuis longtemps. Son coup d’envoi, Une suprême discrétion, a paru en 1963, donc il y a tout près de soixante ans. Avec mes cinquante ans de carrière (j’hésite avec ce mot) et seize livres, je fais figure de lambineux.

 

L’éternité n’est pas le «temple de la renommée» des écrivains et des écrivaines ou encore l’Académie des lettres françaises où siègent les immortels, semble-t-il. Pourtant, très peu de gens peuvent nommer les membres de cette illustre assemblée, à part notre Danny, bien sûr. J’ai pris la peine de consulter la liste depuis ses débuts en 1634 (année de la fondation de Trois-Rivières) et j’avoue que la plupart de ces plumitifs restent de parfaits inconnus.

L’éternité, c’est la fin qui avale tout. L’incontournable. «La seule justice» répétait mon père en précisant que personne, peu importe ses finances et sa réputation, ne pouvait échapper à la mort. Mon père avait des formules pour affirmer ses vérités. Il travaillait sans cesse sur la ferme familiale et quand on lui demandait pourquoi il ne se reposait jamais, la réponse tombait. «J’aurai bien le temps de souffler au cimetière.» 

Monsieur Archambault m’a retenu avec ce titre qu’il a puisé dans la nouvelle Une petite promenade qui lance son recueil. «Il est probable que je mourrai avant la fin de l’année. On est en mai. J’écoule mes journées à ne rien faire. Comme si je suivais une règle définie. Au fond, je me laisse porter par le temps. La vie se détache de moi petit à petit. Je ne proteste plus, je suis même devenu une sorte de croyant. Je crois fermement aux instants de paix qui me restent.» (p.11)

Voilà des affirmations troublantes, le fil qui relie ces textes. Le narrateur mue en témoin et les jours le repoussent doucement sans qu’il y prenne attention. Il garde des repères, des souvenirs, des espoirs et des rêves. Surtout quand on est écrivain avec autant de livres. 

L’écriture aussi nécessaire que l’air qui permet de respirer ne s’abandonne pas comme ça. La retraite fait de vous un regard qui a du mal à comprendre les enjeux qui marquent l’actualité. Plus, de jeunes effrontés vous accuseront d’avoir tout saccagé et de n’avoir pensé qu’à vous en construisant le Québec moderne.

Dans mon cas, je me suis fait auteur à temps plein quand j’ai quitté le journalisme et j’ai pu me concentrer sur Le voyage d’Ulysse que je n’aurais jamais pu mener à terme en demeurant porteur de nouvelles. 

 

PRÉSENT

 

Monsieur Archambault a la formidable audace d’écrire sur son présent, ce temps qu’il passe plus ou moins difficilement parce que le corps ne suit plus. Il y a des ratés, tout le monde le vit en prenant de l’âge. Ces jours où l’on a l’impression de dériver comme un bout de bois sur une rivière. Il reste les camaraderies perdues, la solitude, une amitié qui survit malgré tout. «Je mourrai sans avoir vraiment connu l’amour. Mon père ne détestait pas me taquiner à ce sujet. J’ai été un mari rigoureusement fidèle. Ce qui lui paraissait presque une infirmité. Il ne se privait pas de m’en faire le reproche. Très doucement, comme s’il était possible que je m’amende.» (p.25)

Monsieur Archambault a l’audace de s’attarder à ce monde dont on parle si peu et si mal. Il montre l’envers, ce que l’on masque à coups de publicité trompeuse à la télévision. Je pense aux manoirs luxueux où l’on accueille des gens âgés. Des hôtels que très peu de couples peuvent s’offrir. D’autant plus que ceux que l’on voit dans ce décor aseptisé sont de faux vieux qui roucoulent comme des adolescents qui s’apprêtent à faire l’amour dans la piscine. 

 

MONDE

 

Une amitié survit par miracle ou par habitude. Monsieur Archambault évoque son père, sa conjointe, la fiction qui a happé sa vie. J’aime bien quand il parle des écrivains, ces incontournables au temps de leur maturité. «Denis est mort depuis dix ans. Le lit-on encore? J’en serais étonné. Une chose est certaine, ses livres sont introuvables. Avec un peu de chance, on peut encore mettre la main sur un exemplaire défraîchi de son dernier roman. La Tristesse du voyageur. Sinon, l’oubli. J’en ressens de la peine. Denis s’est illusionné. Il a cru que c’était arrivé, qu’il avait écrit des livres qui feraient date. Rien de plus. Lui en faire le reproche, je ne m’en sens pas le droit.» (p.76)

Réfléchir, trier des regrets, faire face et s’abandonner aux soins d’une aide-ménagère qui devient le seul contact avec le monde. Une grande amie décède, des espoirs s’éteignent et un chat vous prend en otage. 

Tout est si difficile.

Monsieur Archambault parle de certains livres qu’il a aimés, d’une relecture qu’il ne fera jamais. Il y a aussi l’aventure du trottoir ou la folie de vouloir conduire une auto quand on a négligé de le faire au temps de ses belles années. 

Des textes touchants qui nous poussent dans les grandes et petites occupations que le temps vous laisse, une actualité qui devient de plus en plus incompréhensible. 

Il me bouleverse Monsieur Archambault par sa phrase qui coule tout doucement comme un rayon de soleil qui vient vous réchauffer le matin. Il pose des balises et pointe des chemins que je devrai emprunter si j’atteins son âge. Que dire de plus? Monsieur Archambault, encore un livre ou deux et, pourquoi pas la cinquantaine? L’éternité peut attendre, elle a le temps. J’ai besoin de vos textes troublants et un peu inquiétants malgré les apparences. Vous faites du bien à mon âme. 

 

ARCHAMBAULT GILLESMes débuts dans l’éternité, Éditions du Boréal, Montréal, 136 pages. 

https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/mes-debuts-dans-eternite-2840.html 

vendredi 19 août 2022

DOMINIQUE SCALI SE SURPASSE ENCORE

ÉTRANGE DE LIRE un roman de plus de 500 pages et de chercher ses mots pour décrire ce que vous venez de vivre. C’est le cas avec Les marins ne savent pas nager de Dominique Scali, une écrivaine qui n’aime pas les sentiers battus, ignore les balises et nous propose un monde bien à elle. J’avais été émerveillé par À la recherche de New Babylone, paru en 2015, une aventure dans l’Ouest américain mythique. Et comme si c’était possible, l’auteure va plus loin encore avec ce nouvel ouvrage qui apparaît dans notre actualité comme un ovni. J’ai pensé bien sûr aux fresques de Bruegel l’ancien, à ces tableaux qui cumulent les alcôves pour retenir le temps et marquer l’espace. L’ensemble décrit la cité, les années 1550 et a valeur ethnologique, s’attarde à des scènes intimistes qui illustrent le quotidien des gens dans leur entreprise de survie. Dominique Scali partage cette manière de voir, brosse un univers avec sa langue, ses mystères, ses malheurs et ses coutumes, ses manies et ses passions. Voilà un projet de haute voltige.


Les marins ne savent pas nager, nous entraîne dans l’archipel d’Ys, un monde figé quelque part dans l’Atlantique-Nord, à mi-chemin des continents, avec l’obsédante vague qui fouette les côtes, se lance à l’assaut des berges, se montre accueillante ou encore hargneuse et vindicative lors des grandes marées d’automne. Toutes les activités des agglomérations disséminées le long des rives dépendent de la mer océane. Il y a la pêche bien sûr, le commerce avec les autres îles et les pays lointains, la récupération des débris des navires qui échouent pendant les tempêtes et qui permettent souvent aux gens de se procurer des objets et des denrées peu accessibles même si les autorités interdisent ce genre de recel. Comme on s’en doute, la contrebande et le pillage des épaves se pratiquent avec la complicité de tout le monde. 

«Le contrebandier, c’était le ratisseur de plages souffrant de rhumatismes qui priait la fureur océane de lui envoyer quelques débris de sciage pour se chauffer et ainsi mieux dormir l’hiver. C’était le cabaretier qui arrivait à couvrir ses pertes d’équinoxe qu’en se procurant quelques futailles de genièvre à moitié prix. C’était le maître-coq qui devait remplacer une partie de l’eau-de-vie de sa cambuse pour l’avoir lui-même bue avant l’appareillage. C’était le matelot en escale qui achetait des bijoux en échange de l’or obtenu d’indigènes dans un paradis en perdition afin d’éblouir une bien-aimée qui ne l’attendait plus. C’était le citoyen au bord de la banqueroute qui devait malgré tout fournir tabac de Virginie et vin de Porto à ses convives et regarnir la garde-robe de son invitée chaque saison.» (p.177)

Il y a aussi la cité avec son aristocratie commerçante et militaire qui régente la population qui vit éparpillée sur la côte et doit se débattre avec les caprices du climat. Le rêve de tous est d’être acceptés comme ressortissants de la ville, ce qui ne se produit que rarement. Et, ils doivent gagner leur appel par des gestes de bravoure avant de faire partie des élus. Ce n’est pas sans suggérer l’attrait que les métropoles exercent sur les gens des régions et la césure qui existe toujours entre les périphéries et les capitales. Cette tension, il faut croire, dure depuis la nuit des temps.

La cité de l’art, de la culture, des grandes fortunes, des militaires qui n’ont jamais à se salir les mains pour survivre. Sur les côtes, (il suffit de se référer à la carte des débuts pour bien se situer) dans un milieu rude, sans pitié, les activités se moulent aux saisons. Un monde d’analphabètes opposé à celui des lettrés et du raffinement. 

«Dans ces hameaux, l’autorité des femmes se logeait dans l’absence des hommes et la vie y était régentée par les patronnes des hangars à salage qui supervisaient l’habillage du poisson et en négociaient le prix. Les autres s’occupaient des tâches jugées secondaires : surveiller les bambins, éplucher les oignons, tresser les paniers et compléter les travaux de petite couture.» (p.25)

 

DANAÉ POUSSIN

 

Pour se faufiler dans l’archipel, Dominique Scali s’accroche à une femme qui possède des aptitudes exceptionnelles. Danaé Berrubé-Portanguen dit Poussin, une orpheline, nage comme une sirène et ne craint pas les vagues et les vents. Elle réussit avec ce don à faire le lien entre le monde marin et la terre. Assez éduquée pour lire, ce qui n’est pas le cas de la plupart des gens, Danaé rencontrera des hommes qui lui permettront d’aller en haute mer, de plonger et d’atteindre des épaves que les autres maraudeurs ne peuvent piller, de sauver un poète de la noyade et de devenir une belle de la cité qui se tracasse de ses souliers et des froufrous de ses robes. 

Cette audacieuse se moque des marées, des tempêtes, suit des têtes fortes qui s’imposent et sont des chefs de file. Danaé vivra toutes les épreuves et tous les soubresauts de son époque. «Selon nos archives, elle est née cinq ans avant le Massacre des Premiers hommes et décédée quatre ans avant la Grande Rotation. On nous dit qu’elle a été enfant du rivage, naufrageuse sans scrupules, secoureuse sans limites, fille de pilotes, mère d’orphelins, héritière d’une arme dont elle ne sut jamais se servir à temps.» (p.10)

Elle débutera dans la vie en s’attachant à Énoc Martel, un citoyen qui ne sait rien faire de ses mains sinon manier l’épée et tenir de beaux discours. Il finira par se faire enseignant itinérant, apprenant à lire et à écrire aux enfants.

Danaé est notre guide même si nous la perdons de vue de temps en temps entre deux marées. Elle nage et plonge dans les vagues les plus affolantes et revient sur terre avec des images et des connaissances que nul ne possède. 

Sa véritable aventure débutera quand elle devient la compagne de Renaud Bertiz, un pilleur d’épaves. Les deux feront équipe. Mais comme la vie est fragile, cette union durera le temps de quelques saisons. Il y aura aussi le poète de la cité Artimon Phélan qui lui permettra d’apprendre les convenances et les bonnes manières, surtout l’art de ne rien faire de ses jours. Enfin, elle vivra un lien solide avec Jacques Duval, son dernier amoureux, un pilote qui guide les vaisseaux entre les écueils de la côte pour les empêcher de faire naufrage. Danaé passera ainsi de pilleuse d’épaves à compagne d’un capitaine qui sauve nombre de navires du désastre.

 

PERSONNAGE

 

Pourtant, le cœur de cet ouvrage n’est nul autre que l’océan avec ses humeurs, ses caprices, les folles marées qui prennent le continent d’assaut et tente de tout emporter dans ses ressacs. Dominique Scali renoue avec les grands romans du XXVIIIe qui nous entraînaient dans des univers où les humains devaient confronter les forces de la nature pour survivre. Je pense à Victor Hugo et ses Travailleurs de la mer où Gilliat s’acharne à sauver une épave afin d’épouser la femme de ses rêves. 

Dominique Scali a le don d’esquisser des fresques où des dizaines de personnes vibrent et réagissent aux humeurs de l’océan qui leur offre tout et qui peut les laisser nus au milieu des débris. Une véritable initiation à la navigation à la voile, à l’univers des marins qui finissent presque tous par périr lors d’un naufrage. Tout cela en n’oubliant pas de s’attarder au sort des femmes qui restent sur les rives et qui attendent en surveillant l’horizon en silence. 

C’est époustouflant. 

Madame Scali a fait des recherches incroyables pour créer ce monde et surtout lui donner des ancrages solides. Impossible d’échapper à ses héros qui s’arrachent du quotidien et tiennent tête au destin et à la fatalité. Souvent subjugué, je me suis laissé porter par un vent auquel nul ne peut résister. Elle semble tout connaître des tempêtes, des bourrasques, des squares qui surprennent les marins, des marées et des trombes des changements de saison, les réactions des bâtiments dans la vague et la tourmente. On le vit, on le sent dans son corps et son esprit. 

«Les équinoxes étaient des épreuves auxquelles aucun riverain ne s’accoutumait. Ce qui mettait les nerfs à vif, c’était de savoir qu’on ne pouvait jamais savoir ce qui allait arriver. Un moment vous étiez au sec et à l’autre, vous nagiez au milieu des bouillons. Les novices évaluaient le rythme des giclées et finissaient pas se dire “bon, ça devrait aller”, tandis que les riverains expérimentés n’étaient plus dupes. La montée de la mer n’est pas comme le gonflement de la rivière; elle ne progresse pas, elle gifle. Elle se donne des élans, elle se replie pour mieux attaquer. Elle arrache des bouts à la terre pour mieux les lui relancer. On dirait parfois que la mer veut jouer.» (p.318)

Une avancée dans un siècle révolu où les gens allaient à pied, empruntaient surtout des embarcations pour passer d’un lieu à un autre. Un monde bien avant le bruissement des moteurs et des grandes villes éclairées la nuit. Un espace où les hommes et les femmes pouvaient rêver devant l’horizon, profiter d’un naufrage ou du malheur d’un marin, survivre en ne ménageant jamais ses efforts et atteindre une certaine aisance matérielle quand ils possédaient une habileté particulière pour la navigation et la pêche.

Un univers qui maintient des rites, des chants, des fêtes, des rencontres et des cérémonies funèbres où l’on rend les corps à la mer. Surtout, Dominique Scali a inventé une langue qui colle au français du XVIIIe et nous fait entendre une musique qui vient peut-être du parler de nos ancêtres qui n’hésitaient jamais à forger des mots pour mettre la main sur la réalité. 

Le type de livre que je cherchais en sortant de mon adolescence, quand je rêvais de partir sur les routes, de foncer dans des forêts inexplorées et troublantes. Des personnages qui savent affronter leur destin et vivre pleinement le moment présent et les surprises de la vie. C’est pourquoi j’ai tant aimé Victor Hugo alors parce que ses fictions m’emportaient loin, dans le mystère et le dépassement. 

Dominique Scali est certainement l’une des écrivaines les plus singulières de maintenant. Elle n’hésite pas à se confronter aux grands récits et à foncer dans l’inconnu. Ça permet de croire que le rêve est possible malgré l’avenir qui se défait et bouche les horizons. La lecture peut être une expérience formidable quand une romancière comme Scali prend la barre et met le cap sur l’aventure, réinventant l’univers, l’art de respirer et de s’exprimer. 

 

SCALI DOMINIQUELes marins ne savent pas nager, Chicoutimi, La Peuplade, 2022, 526 pages.

 

https://lapeuplade.com/archives/livres/les-marins-ne-savent-pas-nager

jeudi 11 août 2022

L’HISTOIRE NE CESSE JAMAIS DE SE RÉPÉTER

PIERRE-LOUIS GAGNON aime s’inspirer de personnages tirés de l’histoire récente, surtout de cette puissance que nous nommions alors l’URSS ou l’Union soviétique. Aleksandra Kollontaï a été ministre sous le règne de Lénine et est devenue ambassadrice en Suède sous la dictature de Staline. Elle est en poste au moment où son pays envahit la Finlande en 1939. Cette femme était déjà une figure importante dans le roman précédent de Pierre-Louis Gagnon, La disparition d’Yvan Bonine paru en 2018. La diplomate alors jouait des coudes pour que le prix Nobel de littérature soit attribué à Maxime Gorki, le choix de Staline. Malgré toutes les pressions et les entourloupettes de l’ambassadrice, Yvan Bounine en exil en France, un dissident et farouche opposant au régime communiste, sera le lauréat de l’institution.


Pierre-Louis Gagnon, du moins dans ce que j’ai lu de lui, construit ses histoires en fouillant dans les archives, celles de l’URSS en particulier. Un moment de l’actualité contemporaine fertile en rebondissements et intrigues étourdissantes. En fait, le romancier n’a guère besoin d’inventer des péripéties tellement les gens qui gravitaient autour du pouvoir et de Staline faisaient n’importe quoi pour se faufiler dans la hiérarchie. Toutes les trahisons étaient permises, allant même jusqu’à sacrifier une épouse pour se maintenir dans le giron des décideurs. L’important était de garder les faveurs de Staline qui devenait de plus en plus irascible et bourru, imprévisible aussi avec ses proches devant l’éminence d’un affrontement avec l’Allemagne. Tous savaient qu’un couperet pendait au-dessus de leur tête et que le moindre faux pas pouvait être fatal. Il suffisait d’un geste et d’un mot et ils se retrouvaient en prison ou encore face à un peloton d’exécution. 

Kollontaï est sur la liste de la prochaine purge, mais n’entend pas demeurer passive et résiste, même si la fatigue commence à la faire fléchir et, surtout, qu’elle n’est plus une jeunette. Elle n’a plus rien de la battante, de l’implacable féministe qui réclamait une liberté totale et ne se gênait pas pour dénoncer l’hégémonie des hommes. Elle a l’appui de Molotov qui tire sur toutes les ficelles. Lui aussi tente de sauver sa peau et celle de sa femme qui a occupé des fonctions importantes au Kremlin et qui a été démise. «Aleksandra Kollontaï n’était plus dans les bonnes grâces du chef du gouvernement, c’était devenu un secret de Polichinelle. Malgré cela, Molotov, en cynique accompli, savait qu’il pouvait encore utiliser ses services, tant que le couperet n’était pas tombé.» (p.67) 

Personne ne peut se fier à ses proches. Les espions rôdent partout et montent des dossiers sur à peu près tout le monde. Tous sont sous haute surveillance et peuvent être arrêtés à tout moment. J’imagine que les collaborateurs de Poutine, en ce moment, vivent la même chose et nul n’ose prendre une décision par peur de contrarier un chef toujours imprévisible. 

 

MISSION

 

Kollontaï reçoit comme mission d’intervenir auprès du premier ministre suédois, Per Albin Hansson, afin qu’il maintienne sa politique de neutralité face au conflit qui oppose l’URSS à la Finlande. Ce n’est pas sans faire penser à la situation en Ukraine et la valse des diplomates qui marchent sur des œufs pour ne pas déplaire au chef du Kremlin. Elle provoque des rencontres, réussit sa tâche. La Suède reste sur ses positions et tente d’amorcer des négociations entre la Finlande et l’URSS pour ramener la paix selon les volontés de Staline, bien sûr. 

Les attentats se multiplient à Stockholm, les monuments sautent et cela m’a rappelé le Québec des années 70, quand le FLQ s’en prenait aux symboles de la domination britannique à Montréal.

Ce roman à caractère historique nous fait revivre les mois précédents la Deuxième Guerre mondiale, les tensions avec l’Allemagne nazie de plus en plus fortes. C’est toujours formidablement intéressant de plonger dans une époque récente que nous connaissons souvent mal et de suivre de «vrais» personnages. Ce qui est particulier chez Gagnon, c’est sa façon de décrire des gens qui sont prêts à tout pour se maintenir au pouvoir et qui n’hésitent jamais à trahir leurs intimes. Des psychopathes chassent dans les rues, prennent plaisir à violer les jeunes filles et à les torturer en se moquant de tout. 

Gagnon en révèle beaucoup sur la nature humaine, ses pulsions et ses excès quand les dirigeants abandonnent toute notion d’éthique et de morale. Kollontaï apprendra que son amant est agent double et qu’il informait ses supérieurs sur ses moindres propos et agissements. 

Voilà un monde qui donne des frissons dans le dos. 

Aleksandra Kollontaï réussira à déjouer tous les ambitieux pourtant. «Aleksandra Kollontaï demeura ambassadrice à Stockholm jusqu’en mars 1945 et mourut à Moscou en 1952. Pour des raisons inconnues, le grand procès des diplomates n’eut jamais lieu.» (p.255) 

Pas de purge, mais des hommes et des femmes maintenus dans la terreur. Ils faisaient tout pour ne pas déplaire au chef suprême, réalisant qu’il ne fallait surtout pas dire la vérité à Staline, mais seulement ce qu’il voulait entendre.

Pierre-Louis Gagnon a certainement encore bien des sujets et des personnages inspirants pour nous entraîner dans les coulisses du pouvoir et de la folie. L’histoire politique ne cesse de se répéter et ce formidable conteur ne se gêne pas pour nous le démontrer. 

 

GAGNON PIERRE-LOUISDix-sept, rue Villagatan, Stockholm, Montréal, Éditions Lévesque Éditeur, 2021, 262 pages.

https://levesqueediteur.com/livre/dix-sept-rue-villagatan-stockholm/

mercredi 3 août 2022

VIVRE ET SURVIVRE GRÂCE À LA POÉSIE

LIRE DE LA POÉSIE, c’est consentir à perdre ses repères et se risquer dans un espace souvent étrange, tenter d’apprivoiser un langage qui refuse toutes les conventions. Seul, sans guide, il faut faire face aux mots qui avalent l’univers et nous poussent dans le non connu. Partout le noir aspire et ingurgite dans Au milieu de la pénombre. Il reste les vers de Claudine Bertrand pour affronter ce qui survit d’un monde qui s’est défait.  

 

J’ai d’abord parcouru rapidement ce recueil pour avoir une idée du territoire à explorer, m’attardant à une image, à une bulle qui permet de reprendre son souffle, une forme d’éclaircie après avoir marché dans un sous-bois où la lumière ne pénètre guère. J’ai refermé la plaquette avec l’étrange impression d’être passé à côté de quelque chose d’important. Comme si j’avais ricoché avec ces petites pierres effilées que nous nous amusions à faire rebondir à la surface d’un lac dans l’innocence de l’enfance.

J’ai recommencé le tout, retournant les poèmes pour en surprendre les facettes et les saillies, jonglant devant chacune des strophes pour en trouver toutes les aspérités. Et cette impression de flotter où il n’y a plus de haut et de bas, encore moins d’horizon et d’appuis. Comme si je planais dans le noir absolu, ne sentais plus les frontières de ma peau. La poète demande de renoncer à sa pensée pour habiter ses vers, ses mots triés avec une minutie d’orfèvre. Tout seul dans le vide de son corps à dériver dans le cosmos.

 

ATTENTE

 

Et j’ai rangé Au milieu de la pénombre dans la pile des livres à lire, le regardant de temps en temps, effleurant la page couverture d’un sombre inquiétant, me penchant sur ce poème qui apparaît sous le titre. À peine visible, telle une luciole dans la nuit, donnant peut-être la clef qui ouvre la porte et indique la direction à prendre. 

 

«On traque son présent

   son futur dérobé

   le cœur déboulonné

 

   L’aurore balbutie

   à peine 

 

   Ainsi survivent les légendes»

 

J’ai relu ce poème des dizaines de fois pour le dire à voix basse, les yeux fermés, devant les grands pins qui frémissent dans les souffles du vent qui viennent toujours du large. Et je répétais le titre, le retournant, le pressant comme une orange pour en extraire le jus. La pénombre, ce lieu où la lumière est empêchée, cet espace où les objets sont à peine présents. Un pays de suggestions et d’esquisses. Comme si je me retrouvais à la frontière de l’univers, rejeté par la galaxie. 

J’ai repris le recueil des semaines plus tard, au moment où je croyais avoir renoncé à suivre Claudine Bertrand. 

Un peu inquiet pourtant. 

Est-ce que je ressentirais la même sensation de perte et d’apesanteur, de flottement et de dérive? Et pourquoi le fait de ne pouvoir distinguer les choses qui me cernent me rendait si craintif?

 

«Ce qui n’est pas encore

   la ligne d’horizon

   en donne le visage

   le dévoile» (p.11)

 

Comme si l’absence révélait l’envers de ce que nous appréhendons. Je me suis accroché. Et tout de suite après, des lettres, un espoir de langage et de signification peut-être. Pas des mots, mais des signes qui vont comme ces nuages qui se moquent du vent dans un ciel trop bleu. 

 

«Des lettres friables

   virent et voltent

   vont viennent

   émergent et sombrent

   

   Une voix de braise

   s’approche

 

   Frôler sa lumière

   la rend à son opacité

   naissante» (p.12)

 

Des lettres qui filent entre les doigts avec le sable qui refuse de prendre forme. Pas un mot, mais une ombre qui tourbillonne en soi. Et un élan, un contact, des voyelles pour s’accrocher. 

 

«Certaines voyelles

   tels des phares

   tracent des pointillés

   au crépuscule 

 

   L’existence n’attend plus

   elle invente des paysages

   éphémères

   plus qu’éphémères» (p.13)

 

Une ligne au loin, une fente qui ouvre l’espace. Une destination qui happe toute l’attention. Et toujours ce flou où nous échappons à l’attraction des choses. Même les mots se sont effrités, rendant le langage impossible. 

Il reste le désir qui nous emporte au milieu de nulle part, tout droit dans la conscience où il faut se rapailler, se redresser dans sa condition «d’êtreté» comme le dit si bien Carol Lebel.  

 

«Traverser jusqu’ici

   la pénombre

   nier l’amnésie

 

  Enfanter

  d’un langage

  non nommé

 

  Rêver de terre et ciel

  de fleurs d’aquarelles

  gestes primesautiers» (p.15)

 

Trouver la tangente du rêve et souffler sur l’espoir pour se réinventer, s’abandonner à la vie, s’entourer «d’un élan au parfum de prés verts et trèfles de l’enfance».

 

MONDE

 

Et je me suis senti happé par Claudine Bertrand, entre chien et loup, au moment du triomphe du crépuscule, lorsque les choses implosent pour disparaître dans la nuit. Tout dans cette palpitation de l’instant avec une ébauche de langage qui s’accroche à quelques voyelles. Respirer comme quand on refait surface après avoir nagé dans la lumière tamisée, avec les ombres qui flottent dans le tiède de l’eau. 

 

«Parfois le corps se souvient

  enserrant dans ses plis

  échappant au hasard

  un rayon de lune

  à faire pâlir

  la mer noire» (p.33)

 

Réchappés des discours et des inventions rationnels qui ont détruit la planète et tout ce qui est vivant. L’avenir se love dans cette langue retrouvée et renouvelée, le souffle qui fait vibrer toute chose. Il n’y a que le maintenant puisque les épaisseurs du langage se sont évanouies.

 

ESPOIR

 

Claudine Bertrand nous redonne un espace et une certaine réalité. Le désir remonte à l’aube de tous les temps. Nous réussissons désespérément à demeurer là, devant la terrible tâche de renommer ce qui existe pour repêcher l’essence du monde.

 

«Nous mesurons 

  notre échéance

  pas à pas

 

  Ivres d’écrire

  nous la mesurons

  mot à mot

 

   Ainsi toute vie

   s’amenuise

  dans la nôtre» (p.63)

 

Jour après nuit, geste après hésitation, parole après râle, l’écriture permet d’habiter l’univers et de rester vibrant dans sa conscience et celle de l’autre. 

Terrible poésie qui nous plaque dans le désastre de la planète, enviable lucidité de Claudine Bertrand qui résiste inlassablement dans l’angoisse de la Terre qui perd ses horizons. Après ces allers et autant de retours d’Au milieu de la pénombre, je me suis senti vivant et capable de construire des cathédrales avec les quelques mots qui survivent dans les ruines du présent.

 

BERTRAND CLAUDINEAu milieu de la pénombre, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 2022, 64 pages.

 

 http://www.edhexagone.com/claudine-bertrand/auteur/bert1078

jeudi 28 juillet 2022

S’AVENTURER HORS DES SENTIERS BATTUS

ÉRIC C. PLAMONDON est l’un de ces jeunes écrivains encore peu connus. C’est vrai qu’il vient de publier son premier recueil de nouvelles, mais il ne semble pas avoir retenu l’attention. Il risque de demeurer dans l’ombre parce que les médias ne parlent jamais des auteurs des Éditions Sémaphore. Pourtant, ces littéraires présentent souvent des ouvrages qui mériteraient de rejoindre un large public. Et, leurs écrivains sont beaucoup plus originaux et intéressants que ceux qui font les manchettes et multiplient les stepettes à la télévision ou dans les salons du livre.

 

Treize histoires constituent Bizarreries du banal d’Éric C. Plamondon, des textes qui empruntent des chemins que peu de nouvelliers osent fréquenter. Des événements qui défient l’entendement, des personnages qui n’hésitent jamais à plonger dans l’inconnu, l’ésotérisme même. 

Je pense à ce texte intitulé L’actrice. Une comédienne remporte tous les honneurs pour son jeu et la vérité de ses prestations à l’écran. Pas une collègue ne lui arrive à la cheville et les rôles qu’elle choisit sont toujours bouleversants et d’une justesse qui laisse pantois. C’est plus qu’une interprétation, mais une mutation de la jeune femme si on veut. «Or ici, en ce moment, c’était la vraie vie, et cette histoire était difficile à accepter. Si tout cela se révélait vrai, ce serait alors de la haute voltige en matière de paranormal! Tout ça pour littéralement incarnerun personnage, lui souffler les répliques et les gestes à poser, et ainsi offrir un jeu d’un réalisme saisissant. Zombifier. Le terme était bien choisi.» (p.45)

Autrement dit, la comédienne fait appel aux esprits pendant la durée d’un tournage. Elle devient l’individu interpellé qui s’exprime en toute liberté. «Expérience émouvante que d’avoir, par planche Ouija interposée, une discussion avec Miss Marple! Ce personnage n’avait jamais été si près d’une existence réelle, pas même dans le jeu des actrices l’ayant fait vivre au théâtre et à la télé, celles-ci n’ayant livré que leur interprétation de la vieille dame. Si seulement il était possible que cet esprit prenne corps! Prendre corps… Une idée géniale. Il fallait essayer : Mary se ferait posséder par le personnage.» (p.51) 

Mary deviendra la célèbre enquêteuse d’Agatha Christie dans une série dramatique. Ce sera un succès formidable. 

Pourtant, rien n’est aussi simple. Si on peut attirer l’esprit d’un mort en soi, il n’est pas facile de le chasser de son cerveau. La comédienne doit simuler l’agonie, semble-t-il, tromper cette entité pour qu’elle prenne la fuite. Mais, comment être sûr de son départ?

Ce texte permet des réflexions sur la vie, le jeu et la représentation, le vrai et la fiction. Une nouvelle saisissante.

 

POUVOIR

 

Les lunettes nous entraîne dans un tout autre univers. Des verres font voir des objets et des gens disparus. C’est comme ça que le narrateur élucide une partie du mystère entourant la mort de sa sœur, victime d’un meurtre inexpliqué. Il fait don de ces lunettes à la police qui résout nombre de crimes avec cet objet précieux. Pourtant, les fameuses bésicles ne fournissent pas toujours les réponses. «Je me suis souvenu des paroles que j’avais prononcées à l’enquêteur : “Ces lunettes permettent à la personne qui les porte de retrouver des choses perdues, peu importe où elles sont… tant qu’on regarde au bon endroit.” Mais quand toute la Terre a été scrutée et qu’on ne trouve rien, où diable peut bien être cet endroit?» (p.83)

Éric C. Plamondon fascine par les strates qui recouvrent ses récits et nous font plonger dans les méandres du possible et de l’imaginaire. Il nous entraîne derrière les apparences et met le réel en joue. Ça nous sort des intrigues un peu simplistes. C’est comme s’il secouait les limites de l’esprit pour aller dans un ailleurs. 

Je signale aussi sa nouvelle intitulée Le visage qui pourrait être une banale histoire de meurtres qui prend ici une tout autre dimension. Un beau questionnement sur l’identité, la figure et l’être, le miroir de l’âme, dit-on.

Cet écrivain réussit à nous subjuguer avec des textes étonnants. C’est le plus important. Un livre pour ceux et celles qui aiment l’étrange et les rebondissements inattendus. Des récits maîtrisés et surtout une grande originalité dans ses propos. Que demander de plus?

 

PLAMONDON C. ÉRICBizarreries du banal, Montréal, Éditions Sémaphore, 2022, 192 pages.


https://www.editionssemaphore.qc.ca/catalogue/bizarreries-du-banal/

 

mercredi 20 juillet 2022

UNE SAGA POUR PASSER LES VACANCES

MICHAEL MCDOWELL a réussi un exploit en publiant les six volumes de Blackwater à raison d’un roman par mois. Il faut avoir la plume alerte pour réaliser un tel travail. Je ne serai jamais candidat pour ce genre de défi. Des livres qui mettent en vedette les Caskey, la toute puissante Mary Love qui dirige l’empire familial et mène ses fils en clignant des yeux. Une écriture serrée qui vous garde en haleine et vous entraîne dans les remous d’une ville du sud des États-Unis, même en traduction. Je signale l’excellent travail de Yoko Lacour et Hélène Charrier. Elinor Dammert, une femme rousse venue de nulle part, réchappée des rivières et de l’eau, changera tout. On le sait, les roux sont l’incarnation du diable, du moins dans la tradition.

 

J’ai lu les deux premiers volets de cette saga qui nous plonge dans les manœuvres de la matriarche qui dirige tout et les événements un peu étranges que provoque la belle Elinor. 

Tout se passe à Perdido, une ville de l’Alabama qui vit de la forêt. Une industrie qui fait penser à certains lieux du Québec où la transformation du bois occupe tout le monde. Mary Love, trône sur la petite ville depuis toujours on dirait. Nous sommes habitués au contraire, surtout au début du siècle dernier. L’homme alors dirigeait la destinée de son clan et décidait pour ceux qui gravitaient autour de lui. 

Ça change un peu. 

Les deux fils gèrent les affaires des Caskey même si tous les profits vont à Mary Love. Sa fille Sister reste en retrait et semble condamnée à demeurer la servante de sa mère. Elle finira par fuir le piège dans La digue en épousant l’ingénieur Early Haskew. Il est là pour construire la fameuse estacade qui rendra la ville sécuritaire. 

Elinor arrive dans la famille après une montée des eaux exceptionnelle en 1919. C’est le sujet du premier tome : La crue. Une étrangère sans passé, une originale qui nage pendant des heures, se transforme en bête hideuse et dangereuse de temps à autre. 

«La jeune femme se rapprochait toujours plus du cœur du vortex. Soudain, elle étendit ses bras au-dessus de sa tête et son corps se fondit bientôt dans la courbe du maelström, ne faisant plus qu’un avec lui. C’était comme si elle pouvait atteindre ses propres orteils, bordant d’un anneau blanc, la noirceur du gouffre tournoyant. Soudain, l’anneau de peau blanche et de coton qu’avait été Élinor Dammert disparut pour de bon.» (La crue, p.95)

Elle travaille comme institutrice avant d’épouser Oscar et d’entreprendre une guerre larvée avec sa belle-mère. C’est la première fois que la reine du clan voit une femme contrecarrer ses plans et sa manière de diriger quasi toute la ville. L’opposition de l’eau et de la terre, cela va de soi.

 

HISTOIRE

 

Pendant ce temps, la famille Caskey achète à peu près tout en avalant ses concurrents et les terres environnantes. Une méthode qui a fait fortune et que l’on pratique encore joyeusement avec les fusions d’entreprises et les intégrations. 

Tout change dans Perdido, rien ne peut être semblable après le déluge. Elinor se tient sage, mais agit dans l’ombre, provoquant des atrocités. 

«Ce ne fut pas Mademoiselle Elinor qui lui rendit son regard. Il ne distinguait pas grand-chose car la lune était dissimulée par cette tête, mais John Robert devinait qu’elle était plate et immense, ornée de deux gros yeux globuleux, verdâtres et luisants. La chose empestait l’eau croupie, la végétation pourrissante et la boue de la Perdido. Les mains qui retenaient ses bras n’étaient plus du tout celles de Mademoiselle Elinor. Elles étaient beaucoup plus larges et n’avaient ni peau ni doigts, mais ressemblaient davantage à une surface caoutchouteuse toute bosselée.» (La digue, p.197)

Les romans de Michael McDowell sont des tourbillons où, pour une fois, des femmes décident. 

C’est rafraîchissant.

Une belle lecture d’été pour tenir tête aux averses et aux orages, des intrigues qui se savourent sur une plage, les deux pieds dans le sable, à l’ombre d’un parasol. De quoi oublier les hurlements des motomarines qui, prises de vertiges, ne peuvent que tourner en rond au large. Autant s’abandonner aux rebonds de la saga Blackwater de Michael McDowell pour contrer la pollution de tous ces moteurs qui souillent les eaux du lac Saint-Jean quand le soleil se montre. 

 


MCDOWELL MICHAELLa crue et La digue, Québec, Éditions Alto,2022.

https://editionsalto.com/collaborateur/michael-mcdowell/