CE N’EST PAS que je souhaite mettre de la pression sur Monsieur Archambault, mais j’ai toujours hâte d’avoir un nouveau livre de lui. Vivre à feu doux, un recueil de courtes nouvelles, nous plonge dans l’univers de ceux et celles qui sont « victimes de la vieillesse ». Qu’on le veuille ou non, nous sommes tous aux prises avec ce problème quand on reste dans l’équipe des vivants et que l’on se dirige vers la ligne mythique que sont les cent ans, une frontière qui semble particulièrement difficile à atteindre. Un plaisir de lecture que j’ai savouré tout doucement, au coin du feu, par les soirs de janvier avec la musique que diffuse l’émission de Marie-Christine Trottier à Radio-Canada en sourdine. Juste de la musique, pas trop de paroles, comme j’aime.
Un véritable cadeau des Fêtes que de recevoir le dernier livre de cet écrivain que je fréquente depuis des décennies. Surtout en cette période un peu terne, où l’hiver avait oublié de se présenter par chez nous. Belle façon de se moquer des caprices de la saison et d’attendre patiemment que la neige permette de partir sur mes skis et de me griser de la forêt.
Oui, Monsieur Archambault a réussi l’exploit une fois de plus. Parce que publier un livre, dans une vraie maison d’édition, surtout pour un vétéran, relève souvent de la prouesse. D’abord le travail d’écriture, ce terrible combat pour ajuster les mots à la phrase et la propulser dans ce qu’elle doit être, sans que rien ne dépasse.
Il ne faut pas croire que c’est plus facile avec l’âge. Monsieur Archambault reste pleinement dans la réalité qui est sienne. Il est l’un des rares écrivains maintenant à mettre la date de sa naissance dans les informations éditoriales. Pas besoin d’être Albert Einstein pour comprendre qu’il est parfaitement conscient de sa situation et du temps qui file.
« Nous sommes vieux, tous les deux. Ce qui explique sûrement nos goûts. Jouvet, plus personne ne le connaît. Cela n’a aucune importance, estimons-nous. » (p.13)
Monsieur Archambault ne finasse jamais avec l’aventure de l’âge et il utilise toujours les mots justes. Pas de masques, de métaphores pour décrire une période où la plupart des gens tentent de tricher, même si le corps devient de moins en moins mobile et doit composer avec tous les oublis que la mémoire se permet. Le nom des politiciens, des amis, par exemple, qui nous échappe souvent dans les conversations, ou un écrivain que l’on voudrait évoquer.
Voilà qui dit tout ou presque.
Les personnages de Monsieur Archambault sont des vieux et l’avenir n’est pas un sujet que l’on envisage avec enthousiasme. La fin se tient là, tout près, à portée de main, menaçante jusqu’à un certain point. Parce qu’arrive ce moment où le passé s’impose de plus en plus et fusionne on dirait avec le présent pour oublier ou nier le futur !
VIRAGE
Le temps se recroqueville et le voilà déjà dans le dernier virage. C’est peut-être le propre de l’âge que de douter, de ne pas savoir s’il y a de la place pour demain et si c’est utile de faire des projets. Tout devient si fragile et précaire. Et ils vivent, ces hommes et ces femmes, en ayant un œil sur le rétroviseur. J’ai pu le constater avant Noël en allant faire la lecture dans les Résidences pour personnes âgées. Tous, après avoir écouté nos contes, sentaient le besoin de parler d’eux, de dire qu’ils existent et qu’ils ont un passé rempli et intéressant. J’ai eu le sentiment qu’ils attendaient, simplement, que la vie fasse son temps. « Il ne nous reste qu’à rire maintenant » d’affirmer une dame plutôt joviale.
Quant à l’avenir, voilà un vaste espace dont ils ne connaissent pas les frontières. Presque tous les amis ont disparu et ils ont de plus en plus l’impression d’avancer sur un terrain miné et d’avoir été oubliés ou d’avoir raté le train qui les emportait tous. Et quelle solitude !
« J’ai tout fait pour éviter de participer à cette réunion de vieux écrivains. Nous sommes attablés sur une estrade, tous les quatre. À des degrés divers de décrépitude physique et mentale. Comment avons-nous pu venir à bout de l’escalier branlant qui mène à la scène ? J’y suis parvenu sans trop de peine, mais comment pourrai-je en redescendre avec un minimum d’élégance ? Je me débrouille mal avec le déclin qui accompagne l’âge. » (p.39)
Monsieur Archambault parle avec justesse de son état ou de sa condition. Humour noir, un peu, certainement. Pourquoi pas ?
Il semblerait qu’avec le vieillissement, les gens perdent toute retenue et n’hésitent plus à dire ce qu’ils pensent haut et fort. Ils livrent leurs réactions spontanément, affirment ce qu’ils n’auraient jamais osé dire en public, il y a quelques années. Ça peut paraître dur et cruel certainement. Ça donne de formidables livres en tout cas.
Je crois que cela demande une grande honnêteté et une lucidité particulière pour écrire comme Monsieur Archambault le fait.
« J’ai dû la revoir une bonne quinzaine de fois depuis. Toujours chez moi. On s’étonnera peut-être de l’apprendre, mais si j’aime nos retrouvailles, c’est parce qu’elles me replacent dans une partie de mon passé que je réprouve. On jurerait qu’agissant de la sorte je réussis à réparer les erreurs d’autrefois. Rien n’est plus faux. J’aime me complaire. » (p.72)
Encore une fois, l’écrivain prouve qu’avec la vieillesse, ce sont de toutes petites choses qui prennent de l’importance et que juste le fait de bouger, de croiser des gens, de discuter avec des amis, ou ceux que l’on considère comme tels, demande des efforts particuliers. Un rendez-vous avec un proche, un dernier au revoir lors d’un décès, le hasard d’une rencontre qui nous pousse devant une ancienne flamme ou une complicité que l’on croyait très forte et qui vous laisse maintenant indifférent. Une occasion aussi de prendre conscience que ce que l’on jugeait comme primordial et essentiel s’avère futile avec le temps.
Un monde qui se rétrécit et dans lequel le silence et l’isolement s’imposent. Un vécu qui continue plus par habitude que par effort de volonté. Monsieur Archambault se demande souvent pourquoi il est toujours du côté des survivants, pourquoi il patauge dans une existence que la plupart de ses connaissances ont eu l’élégance de céder aux plus jeunes ? Tout cela en demeurant conscient que le grand rendez-vous approche, celui de l’anéantissement.
Oui, Monsieur Archambault m’offre des textes essentiels, me tend un miroir qui indique la direction que je dois suivre. C’est l’occasion de me secouer et de mettre les pendules à l’heure.
Ça me fait tellement de bien et me donne un élan formidable, l’envie de continuer à fréquenter les mots pour en faire des paragraphes et des histoires. Et, Monsieur Archambault, vous ne devez pas laisser toute la place à Jeannette Bertrand. Vous aussi avez droit à votre espace et à des petits moments de gloire et de triomphe. Juste ce qu’il faut, cependant, la modestie s’impose, vous le savez.
ARCHAMBAULT GILLES : Vivre à feux doux, Éditions du Boréal, Montréal, 112 pages.
https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/vivre-feu-doux-4026.html