Quelques jours plus tard, les policiers retrouvent le corps atrocement mutilé d’une femme. La mère est formelle: c’est sa fille Clara. Daniel Kieffer, son amoureux, est tout aussi catégorique. Le corps retrouvé n’est pas celui de sa compagne. Tout se mélange et tous s’y perdent. L’enquête des policiers ne va nulle part.
Qui est Clara? Sa mère, son copain Daniel et Rose Jordan, une amie d’enfance, racontent des faits, mais la jeune femme demeure une énigme. Un mystère aussi pour sa mère Cassandre qui a vécu de la prostitution et fait un séjour en prison. La fillette a connu les foyers d’accueil en attendant le retour de sa mère qu’elle idolâtrait.
«En réalité, je pense que les enfants avaient peur d’elle, avec sa tête d’adulte et ses jambes en cure-dents. On voyait bien qu’elle n’était pas normale, elle cachait quelque chose que personne n’osait lui demander d’expliquer, moi et mes parents pas plus que les autres. Personne ne faisait l’effort de vraiment la connaître, on la laissait seule mariner dans son jus, on se disait que, de toute façon, elle vivait dans son monde à elle. D’une certaine manière, je l’ai toujours connue disparue.» (p.80)
Charles E. Kieffer, le père de Daniel, est catégorique sur son lit de mort.
«Car Clara ne regardait pas elle voyait. Son œil noir pénétra dans ma poitrine comme la pointe blanche d’une lame pure.» (p.168)
Un don
La jeune femme possède un don qui lui vient de sa grand-mère Marie Elena qui avait un charisme qui ne laissait personne indifférent. Elle apaisait ceux qu’elle approchait.
Clara exerce la même fascination sur les gens. Elle les pousse vers ce qu’ils ont de meilleur en eux Elle sympathise avec les marginaux, Robert Durham en particulier, que des voix entraînent dans des gestes extrêmes. Clara calme le schizophrène par sa seule présence.
«Elle est venue s’asseoir avec moi. Elle tenait ses genoux serrés entre ses bras et elle regardait les flammes. Elle ne parlait pas. J’appréciais le fait qu’elle ne parle pas parce que c’était mon premier silence depuis tellement longtemps.» (p.106)
Pas étonnant qu’elle ait un peu de mal à vivre dans une société où tout repose sur les raisonnements et la logique. Elle n’a ni passeport, ni carte d’identification, aucune carte de crédit. Clara n’existe pas pour la communauté.
La jeune femme, un peu détachée de tout, tient à un carnet rouge qui lui vient de ses grands-parents Marie Elena Fromm et de Daniel Simons, des poètes et des créateurs. Des pages vierges que l’on transmet de génération en génération sans jamais y tracer un mot. Peut-être parce que toute vie s’écrit et s’efface à mesure que les jours s’écoulent.
Pascale Quiviger possède l’art de plonger le lecteur dans des mondes étranges. Dans «La maison des temps rompus», elle se faufilait dans d’autres dimensions du temps. Dans «Pages à brûler» les personnages n’arrivent pas à élucider le mystère. Peut-être qu’il n’y a rien à expliquer. Certains hommes et certaines femmes échappent à toute définition, toute logique.
Tous les repères basculent. Madame Quiviger nous garde dans son histoire sans que nous sachions vraiment ce qui est vrai ou faux, possible ou impossible.
«Tant que je vis, elle vit/ puisque je l’aime elle avance/ son pas tient la mesure du ciel/ sa main l’atome/ qui nous rassemble tous.» (p.255)
Qui est Clara Chablis? La dernière d’une lignée familiale qui agit et s’exprime par elle? Personne n’arrive à trancher.
Une écriture maîtrisée, une intrigue qui soulève bien des questions. La magie de Pascale Quiviger s’exprime encore une fois. Un roman qui sort des normes pour notre plus grand bonheur. Un univers que l’écriture emporte et sauve d’une certaine façon. Parce que la mièvrerie pourrait bien avoir raison d’un tel propos. Heureusement pour Madame Quiviger, il n’en est rien.
«Pages è brûler» de Pascale Quiviger est publié aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/pascale-quiviger-1609.html
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