La Chine fascine depuis toujours. Un milliard de citoyens et plus qui vivent en marge du temps. Depuis quelques années, l’essor économique de la «nouvelle Chine» fait saliver les Occidentaux. Nos premiers ministres se transforment en commis voyageurs et partent en mission pour signer plein de contrats et d’ententes. Le Québec a fait cet exercice à plusieurs reprises.
Régulièrement, les médias annoncent aussi le congédiement de milliers de travailleurs. Raison: la production sera faite en Chine. Tout un secteur d’activités glisse imperceptiblement vers l’Asie, faisant revivre le mythe de la Conquête de l’Ouest de l’autre côté du Pacifique.
Felicia Mihali, romancière et journaliste d’origine roumaine, a enseigné le français à Beijing, à des Chinois qui voulaient immigrer au Canada. Elle raconte son périple dans «Sweet Sweet China», une forme de récit qui nous plonge dans l’univers de cette écrivaine originale.
Choc culturel
On ne débarque pas en Chine sans subir un choc. La langue bien sûr et cette écriture qui tient des arts visuels. Le dépaysement est total.
«Le premier contact avec cette ville est un heurt contre un mur de silence. Les gens ne me voient pas, et s’ils m’aperçoivent, je ne suis que l’étrangère dont ils n’ont pas besoin. Le sourire que j’adresse gracieusement à tout le monde est sans effet. Les Chinois sont sombres et indifférents.» (p.20)
«La chose la plus délicate de la cohabitation humaine, dit Augusta dans son cahier, est de t’asseoir devant ton semblable et de ne pas comprendre sa langue en sachant qu’il parle des mêmes choses que toi.» (p.96)
Malgré toute sa bonne volonté, Augusta communique peu avec ses étudiants qui se morfondent dans les méandres de la langue française.
«Elle se charge, avec enthousiasme, de refaçonner leurs cordes vocales, de leur faire distinguer le d du t et le p du b, de répéter à l’infini les verbes être et avoir, de corriger mille fois la prononciation de Je m’appelle, qu’ils prononcent invariablement Ze m’abel. Elle doit vaincre l’opposition de leur esprit logique, pour lequel le féminin et le masculin, le singulier et le pluriel n’ont aucune raison valable d’être séparés. À l’origine du monde, leurs ancêtres ont mis le Un qui se divisait en Mille, et le couple Yin-Yang n’a ni queue ni tête, ni commencement ni fin.» (p.33)
L’enseignante comprend vite qu’elle doit répéter une même leçon et préparer ses étudiants à cette entrevue avec un fonctionnaire de l’immigration québécoise qui terrorise tout le monde.
Survivre
Augusta pratique le rêve pour survivre, plonge dans une longue dérive qui n’est pas sans rappeler… le personnage du «Pays du fromage» qui vivait au lit, dans l’indifférence et l’absence pendant que tout s’effritait autour d’elle. Augusta tente d’établir des contacts mais le plus souvent, elle zappe devant la télévision et suit les aventures de Mei, la petite épouse du général Wu qui s’évade dans l’imaginaire et le temps pour échapper à son époux. Une belle manière de découvrir l’histoire de la Chine, les massacres des empereurs et des impératrices qui prenaient le pouvoir dans des violences inouïes.
Nous circulons dans la Chine d’hier et d’aujourd’hui sans vraiment saisir ce peuple dans son intimité. De quoi réfléchir devant les propos de ceux qui montrent la Chine comme le nouveau Klondike.
«Ce récent chapitre de la vie d’Augusta se clôt sur le constat que les différences des races sont trop grandes pour être annihilées. Les langues partageront toujours les êtres humains en des espèces bien différentes et cela peut rester comme ça, car ce n’est pas un idéal de renoncer à ce qu’on connaît le mieux.» (p.324)
Felicia Mihali s’attarde auprès de femmes et d’hommes travailleurs, peu confiants et hésitants, habités par des craintes qu’ils n’arrivent pas à secouer.
«Au bout de quelques jours de répétitions et d’explications, Augusta se sent aussi misérable qu’eux. Ils lui semblent tous si démunis et effrayés qu’ils lui font pitié.» (p.33)
Un Chinois peut-il quitter «mentalement» son pays ? Ceux qui s’installent à l’étranger y arrivent difficilement même s’ils font tout pour l’oublier. Pensons à Ying Chen, la romancière, qui porte sa nationalité comme une malédiction. «Sweet, Sweet China» confirme que la Chine est une autre planète.
«Sweet, Sweet China» de Felicia Mihali est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/auteur/45.html
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