Voici un livre lumineux de par le sujet, les décors et l’écriture. Pan Bouyoucas nous entraîne dans l’île de Léros, en Grèce. Une religieuse, une vie de réclusion sur une montagne, tout près des racines du ciel. Elle accueille une postulante qui vient la surveiller. Une jeune nonne pleine d’idéalisme et d’intransigeance. Nicoletta, la sœur, a vécu dans le monde et s’intéresse à plein de choses malgré sa vie en marge des hommes et des femmes. Surtout qu’elle s’arrange plutôt bien avec les dogmes et les principes de l’Église. La jeune et la plus âgée s’installent dans la routine, hésitent entre les travaux et la contemplation d’une nature qui subjugue et écrase. Elles vivent au sommet de l’univers, à l’abri des passions et des turpitudes... Ce serait trop facile! Arrive un diacre, un peintre amoureux d’Anna dans une autre vie. Sœur Véroniki en religion s’appelait Anna autrefois. Voilà pour la compréhension.
Un être de feu que ce diacre, de passion, capable de boire toute la nuit et de se précipiter en bas des montagnes par amour. Il peint des icônes qui prendront peu à peu le visage de Nicoletta et d’Anna qui magnétise le regard des hommes.
«Car elle avait un visage racé aux traits si beaux qu’on oubliait, lorsqu’on la regardait, sa robe noire, emblème de sa solitude et de sa chasteté, et on se mettait à deviner le corps modelé en statue qu’elle devait cacher.» (p.17)
Triangle
Les trois côtés du triangle se replient et la passion pousse à la trahison et à l’aveuglement. Amours charnels mais aussi questionnement sur l’art et la peinture, la foi et les croyances. Des êtres broyés par un univers trop grand, un pays qui devient tout aussi important que les personnages. Le côté sombre de la nuit, les peurs, les refoulements se dressent devant la lumière aveuglante du jour, la chaleur qui écrase comme si le ciel devenait une grande main qui aplatit tout.
«Le soleil montait devant lui dans un ciel limpide. L’air sentait le thym, quelques cigales sciaient déjà l’air dans le feuillage des arbres, des insectes bourdonnaient, affamés, autour des fleurs. L’île entière, baignée dans la lumière douce du matin, semblait chanter la joie de vivre et rien ne laissait prévoir la visite agitée qui allait suivre, même s’il était un peu écœuré de devoir refaire une expérience dont il connaissait d’avance les résultats.» (p.35)
Un roman d’atmosphères, une écriture ciselée et particulièrement maîtrisée. Le lecteur progresse dans ces pages comme s’il bondissait d’un petit tableau à un autre.
«Il lui restait une consolation : des trois personnes que le destin avait amenées à se croiser un jour dans cette forteresse, elle avait reçu le plus grand châtiment.» (p.107)
Pan Bouyoucas a écrit là un roman sans bavure. C’est peu dire. Pourquoi Anna? Il faudra lire.
«Anna pourquoi» de Pan Bouyoucas est paru aux Éditions Les Allusifs.