LISE BISSONNETTE est journaliste avant tout malgré ses incursions dans le domaine de l’administration et de la gestion de projets. D’abord au journal Le Devoir et après comme directrice de la même publication dans une période difficile. Elle pilotera ensuite la création et l’implantation de la Grande Bibliothèque du Québec, tentera, avec une équipe, de donner un nouveau rôle aux installations du Parc olympique et particulièrement à notre fameux stade. Enfin, elle a présidé le conseil d’administration de l’Université du Québec à Montréal. Les éditions du Boréal viennent de publier des entretiens menés par Pascale Ryan, historienne. Des discussions où madame Bissonnette décrit son Abitibi, l’école primaire et secondaire avant sa migration à Hull et Montréal pour satisfaire son goût du savoir. Un parcours que bien des jeunes ont dû faire pour poursuivre des études à une certaine époque. Tous devaient prendre le chemin de l’exil parce que l’Université du Québec n’existait pas encore dans les régions avec ses constituantes. Elle raconte ses expériences, des rencontres marquantes, son aventure dans la fiction et surtout, elle jette un regard particulier sur le Québec pendant une période qui va de la Révolution tranquille jusqu’à nos jours.
J’ai croisé Lise Bissonnette à plusieurs reprises. Au moment où elle travaillait au Devoir, et à la direction de ce même journal. Comme écrivaine bien sûr (j’ai aimé tout ce qu’elle a publié), lors de salons du livre où elle était invitée. Ce fut des moments sympathiques, chaleureux et stimulants. Nous avions des intérêts communs pour le journalisme et aussi pour les livres, la littérature et la culture. C’était intense, comme si nous nous connaissions depuis toujours. Peut-être parce que nous partagions un cheminement assez semblable. Une enfance dans des milieux où les livres se faisaient rares, une passion pour le savoir et la lecture, une migration obligatoire pour apprendre, découvrir les livres et nous aventurer dans un monde différent.
ENFANCE
Lise Bissonnette est née à Rouyn en Abitibi, à une époque où la religion imprégnait tout au Québec et marquait la vie de tous de façon indélébile. Maurice Duplessis régnait alors sans partage avec l’appui du clergé qui mettait son nez partout, particulièrement dans le quotidien des couples pour veiller à une certaine moralité. Nous avions quinze ans, pas encore le droit de voter, quand Jean Lesage, le 5 juillet 1960, a pris le pouvoir et lancé ce que nous avons appelé la Révolution tranquille. C’est donc dire que nous avons très bien connu l’emprise des curés, les rituels religieux qui s’étiraient, les confessions obligatoires et la communion, la notion de faute et de péchés qu’on tentait de graver dans nos cerveaux. Nous avons rejeté ces diktats en migrant à Montréal dans la vingtaine, lorsque le Québec s’est aventuré dans la modernité. Madame Bissonnette garde un souvenir amer de ses études à Rouyn.
« Au primaire, quand mon bulletin était le meilleur de la classe, je demandais comme récompense de petits volumes de mythologie grecque conçus pour la jeunesse et présents par miracle dans je ne sais quel commerce de la ville. Je n’en ai rien retenu, mais mon choix révélait peut-être un goût pour l’érudition… Ou un désir, vague, mais déjà présent, d’apprendre autre chose que du connu. Ce début d’intérêt naturel pour des savoirs moins niais a mis bien du temps à se muer en volonté active d’accéder à des contenus exigeants ; l’environnement ne s’y prêtait tout simplement pas. J’ai ainsi perdu des années d’un développement intellectuel que j’ai passé ma vie à vouloir rattraper. Je m’en indignerai toujours, sans réserve. Trouver des qualités à ces territoires vides, ce serait les accepter. Je m’y refuse. » (p.21)
Ça me rappelle ces vendredis où nous allions à la bibliothèque de l’École secondaire Pie XII de Saint-Félicien. Un tout petit espace avec quelques centaines d’ouvrages. Je me faisais un devoir de choisir des titres que personne n’empruntait. J’ai lu des choses étranges alors comme la thèse de doctorat de Séraphin Marion sur l’œuvre d’Émile Nelligan. J’avoue ne pas y avoir compris grand-chose, mais c’était nouveau, différent des Bob Morane que mes collègues se disputaient. J’ai échappé à la littérature jeunesse tout comme madame Bissonnette. Je ne sais si nous devons nous en réjouir.
SÉVÈRE
Je pense que Lise Bissonnette est un peu sévère envers son milieu. J’ai grandi à La Doré, dans une famille de forestiers, un entourage traditionnel où l’on prisait les fables et les contes. Je suis passé ainsi de l’oralité aux récits écrits dès que j’ai pu lire. C’est de cette enfance que me vient le désir de raconter une histoire dans un livre. C’est arrivé tout naturellement, avec les « menteries » de mes oncles comme disait ma mère. Et la télévision a éveillé bien des choses en moi. Les télé-théâtres et les concerts des grands orchestres m’ont fasciné et montré qu’il y avait un autre monde à explorer. On ne sort pas du vide pour inventer un contenu. Les chants de Noël aussi nous faisaient entendre une musique différente où la voix prenait toute son importance. Mais il est vrai que la radio régionale diffusait des inepties à longueur de jour. Ce n’est pas en écoutant à répétition Gros jambon des Jérolas que l’on découvre Berlioz ou Beethoven.
PARCOURS
Une chronique pour rendre justice aux confidences de Lise Bissonnette demanderait des dizaines de pages. Comment traduire cette passion pour le journalisme, les faits, le goût de la lecture, des études et surtout des rencontres marquantes ? Je pense à l’étrange personnage qu’était Claude Ryan et qu’elle a connu comme patron.
Lise Bissonnette a amorcé sa carrière au Devoir dans le domaine de l’éducation qui était en mutation. Rapidement, elle est devenue correspondante parlementaire à Québec et à Ottawa, donc au cœur de l’actualité et de la politique où elle a croisé tout le monde alors. Pourtant, elle gardait l’envie de combler « ce vide » qu’elle ressentait, ce manque de n’avoir pas reçu une formation solide au départ.
« Le seul vrai programme d’études secondaires était le cours classique, offert en institution privée. Les filles s’inscrivaient au modeste Couvent des Saints-Anges, un édifice mal entretenu en bardeaux bruns qui avait abrité le premier hôpital de Rouyn et qui était aussi la maison des Sœurs grises. Les élèves n’avaient accès qu’à la moitié du parcours, des éléments latins à la versification. Les garçons avaient accès aux huit années de formation menant au baccalauréat ès arts, et ils fréquentaient une institution nettement plus prisée, un collège construit à Rouyn-Sud, il deviendrait plus tard le cégep. » (p.33)
Plonger dans le journalisme dans les années 1970, c’était vivre le changement et surtout les grandes réformes des établissements d’enseignement, la laïcisation de la santé et de l’éducation, l’abdication du clergé et la naissance du monde moderne. C’était tout à fait passionnant, même en région. Combien de fois mes textes ont soulevé l’ire des élus, particulièrement lors de la construction d’une salle de spectacles digne de ce nom à Chicoutimi ou un centre d’expositions à Jonquière ! Il y a une histoire à raconter au Québec sur les hésitations des élus et de la population quand il était question de se doter d’infrastructures culturelles d’envergure. Cette opposition, Lise Bissonnette a dû la contrer dans l’aventure de la Grande Bibliothèque du Québec où des obscurantistes de certains médias se sont manifestés avec une vigueur désolante.
HÉRITAGE
Lise Bissonnette a doté le Québec d’un bel héritage avec la Grande Bibliothèque du Québec qui deviendra Bibliothèque et archives nationales plus tard. Un combat difficile, mais important. Elle aura tenté de secouer l’indifférence des élus en ce qui concerne l’Université du Québec dans les régions, une présence nécessaire, un savoir qui a apporté un renouveau autour duquel tourne la pensée si souvent malmenée par les radios populistes. Une institution qui a changé Chicoutimi comme Rouyn sans compter les cégeps qui sont des terreaux formidables d’apprentissages partout sur le territoire.
Madame Bissonnette s’attarde aussi au journalisme et à ce qu’il est maintenant, à sa passion pour la rigueur et les faits, le reportage qui reste la plus belle manifestation de l’information. J’ai toujours partagé cette vision et rien ne me faisait plus plaisir que d’aller à la rencontre des gens pour les surprendre dans leur milieu, leur travail. Quel bonheur de les écouter dans ce qu’ils étaient et ce qu’ils vivaient !
Ces entretiens nous plongent dans tout un pan de notre histoire, l’espoir d’un pays avec l’indépendance à laquelle Lise Bissonnette croit, l’affirmation, la libération par la connaissance et la culture. Une trajectoire exemplaire, mais malheureusement, on ne l’invitera pas à Tout le monde en parle. Le sujet est trop sérieux et les humoristes sont plus populaires. Lise Bissonnette pendant toute sa vie aura combattu la facilité, les clichés pour progresser, faire évoluer, comprendre et partager son amour du savoir. Elle ira même jusqu’à compléter un doctorat après toutes ses expériences, juste pour le plaisir de découvrir, d’aller de l’autre côté de l’horizon. Un parcours unique et fascinant.
RYAN PASCALE, Lise Bissonnette, entretiens, Éditions du Boréal, Montréal, 210 pages.
https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/lise-bissonnette-entretiens-2866.html