Olga Boutenko a fait une entrée remarquée en littérature au Québec avec la publication de deux recueils de nouvelles. «On n’en meurt pas», paru en 1985 et «Aélita» en 1992. Elle récidive avec «Moscou-Québec«, trois récits un peu disparates et inégaux.
Le premier texte nous présente l’écrivaine au moment où elle quitte l’URSS. Avec son fils, elle débarque à Vienne, une ville qui devient une fenêtre sur l’autre monde.
«Cette troisième vague nous avait emportés, nous aussi, à un moment où, comme un fait exprès, j’avais accumulé tant de déceptions que l’attente avait perdu tout son sens ; la vie, toute saveur ; le bonheur tout espoir. Et elle nous avait précipités dans la réalité incroyable de l’aéroport de Vienne inondé de soleil.» (p.7)
Le rêve et l’émerveillement. C’est ce qui fait la beauté du récit intitulé «Deux sœurs» qui n’est pas sans évoquer Tchekhov. Par les yeux d’Olga Boutenko, j’ai vu une société que je ne sais plus voir tellement elle m’est familière. J’imagine que nous aurions la même surprise en plongeant dans les rues d’une dictature où les gestes et les pensées sont gardés à vue. Boutenko et son fils surveillent les visages, les regards et les sourires.
«Calmement, sans se rendre compte de leurs privilèges, ils se promenaient le dimanche dans les rues – les robes de bain de soleil dévoilant des épaules nues qui n’avaient pas à se protéger -, le long des vitrines qui nous charmaient par la beauté de leurs marchandises. Ils étaient entourés d’une auréole de bonheur et de sérénité et, se rappelant la triste expérience d’Adam et Ève, ils ne faisaient pas attention à nous, évitant le moindre contact, la moindre relation, afin de ne pas refaire la même erreur que nos ancêtres. On aurait dit que nous étions pour eux des êtres invisibles…» (p.10-11)
«Non, le plus étonnant et le plus beau, c’étaient les visages. Les visages des gens du monde libre…» ( p.57)
Hilda et Paula
Il y a Hilda et Paula, deux vieilles dames qui ont quitté leur pays il y a longtemps et qui aident en s’attendrissant sur une vie d’amour et de départs. Des pages de tendresse et de chaleur humaine.
Et puis nous sommes au Québec. Pourquoi? Pourquoi ce bond dans l’espace et le temps? Je m’attendais à vivre l’arrivée en terre d’Amérique. Nous sommes cinq ans, dix ans plus tard, on ne sait trop. Pourtant Olga Boutenko s’installait au Québec en 1978. Il y avait un parti politique au pouvoir qui prônait l’indépendance, le Québec se dirigeait vers un référendum. Déception? Peur, crainte? Elle n’en dit rien.
Nous sommes poussés dans une histoire peu convaincante et mal fignolée. Cafard, peine d’amour, mal du pays? Il y a peut-être des exils inévitables à l’intérieur d’une vie mais... Le texte s’étire et se répète.
Heureusement, «En visite officielle» raccroche le lecteur sur le point d’abandonner. Des Russes, des compatriotes visitent le Québec. Quelques jours en compagnie d’un ministre conscient de son rôle, un forestier sympathique qui ne sait trop pourquoi il est là et un jeune cadre ambitieux. Olga Boutenko les côtoie comme interprète, le temps de la «visite».
Confrontation
Alors les deux vies d’Olga Boutenko se heurtent, se toisent et s’évaluent. Comme si la femme qui a fui son pays se retrouvait devant celle qu’elle aurait pu être en demeurant là-bas. Une vie possible et une vie réelle. Un récit bien mené et précis, une réconciliation entre le soi qu’elle a abandonné et l’autre qu’elle s’est forgé en vivant au Québec. Il lui fallait cette rencontre pour trouver un sens à sa vie.
Olga Boutenko est une écrivaine attentive et sensible. Surtout, elle a un formidable pouvoir d’évocation et reste une conteuse née. Pourtant, il aurait fallu retravailler ce livre, faire un meilleur choix des textes et soigner un peu plus la traduction. Un livre intéressant mais qui aurait gagné en force sans le passage à vide du second récit.
«Moscou-Québec» d’Olga Boutenko est paru aux Éditions Varia.