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jeudi 9 mai 2019

L’IMMORTALITÉ AVEC ARCHAMBAULT


LE PASSÉ PREND BEAUCOUP de place avec l’âge et l’avenir devient un terrain vague où on s’aventure avec crainte, une route étroite et peu fréquentée. Je n’en suis pas encore là, mais je sais que je suis déjà sur ce chemin en perdant des amis et des illusions. Heureusement, Monsieur Archambault continue à nous offrir ses textes, des propos qui me touchent et me secouent très souvent. Presque des leçons, ou du moins, il s’en défendrait j’en suis certain, des occasions de « souffler par le nez » comme répétait mon père. Le voici avec un nouveau titre au nom évocateur : Tu écouteras ta mémoire, une phrase empruntée au romancier François Nourissier.

 J’ai arrêté de compter les publications de Monsieur Archambault depuis fort longtemps. Les chiffres ne révèlent rien de la vie d’un insatiable coureur de mots. Ici, dans une centaine de courts textes qui ne dépassent que rarement une page, il s’attarde à des sujets familiers, des préoccupations et des questionnements qui viennent hanter son quotidien. Celui qui fréquente les mots ne peut faire que ça : revenir sur ses pas, se pencher sur ses traces pour voir s’il n’a pas oublié quelque chose, s’il n’est pas passé un peu trop rapidement la dernière fois. Vivre est un dur métier et travailler la phrase une tâche exigeante ! Comment faire le tour de son monde ? Et la mort que l’on n’ose appeler par son nom et qui se pointe le nez de plus en plus fréquemment. L’amour aussi, cette embellie dans un été tellement désiré qui adoucit les déceptions et se perd dans les couleurs du couchant. Les amitiés, les rencontres avec des proches, des anciennes flammes, des météorites qui ont illuminé un moment  avant de s’éloigner. Tout ce que l’on néglige souvent dans la frénésie, quand l’ambition nous fait courir du matin au soir. Arrive un âge où tout cela n’a plus d’importance. Le corps pèse de toute sa pesanteur. La vie s’apaise et arrête de s’affoler pour les grandes et petites questions qui secouent l’humanité.


Tu as pauvre allure ce matin, encore quelques heures et elle sera terminée, ton aventure. De la peine que je ressens, je ne saurais rien dire. Mais qui me tiendra compagnie, maintenant ? Ceux qui me proposeraient d’aller jusqu’au bout du monde n’auraient pour moi rien de bien convaincant. De toute manière, je les entendrais à peine. (p.16)

On savoure le ton, le phrasé pour employer un terme de jazz. C’est comme la musique pour piano de Claude Debussy que je reconnais dès les premières notes. La fragilité de ce compositeur et sa puissance aussi m’émeut chaque fois. Nous avons des rythmes et Monsieur Archambault possède les siens, avec Lester Young qu’il aime particulièrement.
J’ai appris à me méfier un peu de ces propos qui semblent toujours anodins et un peu décantés. Ce faux apitoiement, cette manière de prendre du recul pour mieux cerner ce qui le tracasse dans une journée trop longue ou trop courte.

CHEMINS

L’écriture est un exercice singulier qui permet de corriger certains événements, de les modifier pour retoucher sa propre histoire. La mémoire préfère les chemins de traverse et cherche souvent à nous étourdir. On finit toujours par croire ses petits mensonges. Un écrivain est un maître dans l’art de secouer la poussière, de retourner ses souvenirs et de reconstituer le tout sans jamais suivre le plan original. Nous sommes des inventeurs de passé et des bricoleurs de vie, d’une façon ou d’une autre.
C’est ce que j’aime avec Monsieur Archambault qui va maintenant un peu dans toutes les directions et ouvre des tiroirs. Il en a le droit depuis le temps qu’il courtise les mots et qu’il polit des phrases. Surtout qu’il est passé de l’action, de la précipitation à la réflexion ou à une certaine forme de méditation. Je l’imagine comme un jardinier au milieu de ses fleurs, qui donne juste assez de soin pour qu’elles s’épanouissent et s’offrent dans leur beauté. C’est ce que je fais quand je m’arrête devant mon bonsaï. Nous nous connaissons depuis une trentaine d’années. Je l’ai si souvent étudié que je crois le voir parfaitement dans ses ramifications, ses forces et ses élans. Pourtant, il ne cesse de me surprendre, d’attirer mon attention sur une petite ramure, une feuille, une direction qu’il semble vouloir explorer. Vous avez compris. C’est l’arbre miniature qui dicte mes gestes.
Monsieur Archambault agit un peu comme ça maintenant, se laisse guider par sa mémoire, bien sûr, mais aussi par les mots et les phrases qui lui apportent des réflexions, des constats, des impressions, des moments où l’on effleure un état de conscience peut-être.

TEMPS

Prendre le dernier tournant, c’est hériter de la solitude, de jours trop lents, de nuits agitées, de matins hésitants, de distractions et de petites douleurs physiques que l’on dissimule aux autres. On devient cachottier avec le temps.

J’ai un caractère pour le moins variable, je ne tiens plus aux deux ou trois idées qui ont longtemps guidé ma vie, je passe mes jours à rêvasser, je râle, je me désintéresse petit à petit des livres que j’ai aimés, je ne sais même pas parler de la mort qui m’attend. Pourtant, s’il fallait que mon ami se décommande ce soir, je serais au désespoir. (p.19)

Je l’ai déjà écrit. J’aime cet écrivain que je fréquente depuis si longtemps. Je suis du genre fidèle dans mes amours livresques. Il ne m’arrive pas souvent de délaisser quelqu’un que j’ai rencontré au hasard de mes explorations.
Monsieur Archambault en est aux miniatures, aux petits pas. Le voyageur et animateur de radio est devenu un promeneur bien sage. Il emprunte un même trottoir, s’arrête devant une idée qui le suit depuis des jours, des gestes futiles et sans importance qui rendent la vie précieuse et unique.
Combien de fois j’ai flâné dans son carnet En toute reconnaissance ? Des citations qui ont retenu son regard au cours des années. L’impression de faire ce parcours avec lui, comme si sans l’affirmer vraiment, Monsieur Archambault nous faisait faire le tour de son univers intellectuel. Tout doucement, sur la pointe des pieds. Quand on prend la peine d’extraire un bout de phrase d’un roman ou d’un récit, c’est que cet auteur devient comme son double. Il formule certainement ce que vous auriez souhaité écrire. C’est un échange, un don, une appropriation même si ce mot n’a pas bonne haleine actuellement.

TÉMOIGNAGE

Et là encore dans Tu écouteras ta mémoire, il effleure à sa manière des questions qui ont épuisé de grands penseurs au cours des siècles. La vie, la mort, l’amour, la perte de l’amitié, tous les sujets les plus importants dans l’existence d’un homme et d’une femme. Monsieur Archambault s’approche en ayant l’air de ne pas y toucher. C’est ce que j’appelle du doigté, une habileté que j’admire, une sensibilité unique. Oui, je l’avoue, j’envie un écrivain de la trempe de Monsieur Archambault.

Le jour de ma mort, on pourra dire ce qu’on voudra. J’aurai eu un parcours de vie d’une banalité confondante, j’aurai publié des livres à peu près oubliés. J’imagine facilement que, comme maintenant, on parlera plutôt des tragédies horribles qui ne manquent jamais de se produire un peu partout dans le monde. Alors, mes livres, ce que j’ai pu être, mes grands et petits mystères, ça compte autant que ma dernière paire de chaussures, celle que j’ai remise hier au concierge avant mon entrée à l’hôpital. (p.83)

Il sait que nous avons la mémoire oublieuse. Nous sommes d’une époque de l’ici et du maintenant. Bien sûr, le regard d’un écrivain qui a fait de sa vie une quête, une recherche en s’appuyant sur les mots ne fascine pas ceux qui se sont fait greffer « un téléphone intelligent » dans la main.
Et je me dis, Monsieur Archambault, il y a quelque part un individu comme moi qui continue de vous fréquenter, qui se penche souvent sur vos livres. Ils sont là à ma droite de ma table de travail, juste en haut de l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu qui en impose par son extravagance. Tout un rayon dans la section des A, juste à côté de Noël Audet et de Margaret Atwood. Vous occupez un espace important dans ma bibliothèque. Monsieur Archambault, il vous reste au moins un lecteur et pour cela, vous atteignez une forme d’immortalité. Pas besoin de siéger à l’Académie française pour prétendre à ce titre.


TU ÉCOUTERAS TA MÉMOIRE de GILLES ARCHAMBAULT vient de paraître aux ÉDITIONS DU BORÉAL, 2019, 137 pages, 18,95 $.


https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/gilles-archambault-148.html

dimanche 17 décembre 2017

LA VOIX DE MONSIEUR ARCHAMBAULT

RETROUVER GILLES ARCHAMBAULT, une nouvelle publication de cet écrivain, c’est comme revoir un ami après une longue absence. Il est là, prend toute la place avec ses sourires, ses questions et ses hésitations. L’impression qu’il me parle tout bas, à voix pâle pour reprendre la belle formulation de l’écrivaine Nicole Houde. À peine un petit air de jazz, un recueil de nouvelles, un autre plaisir, une rencontre que j’ai fait durer. Il faut prendre son temps pour bien s’imprégner de ces nouvelles fort nombreuses. Trente-quatre textes. Certains font à peine une page, mais ce n’est pas cela qui importe. Je me suis livré à la lecture avec bonheur et retenue. Safrement, dirait Victor-Lévy Beaulieu.
  
Il faut patienter jusqu’à la fin pour trouver une certaine explication au titre. À peine un petit air de jazz coiffe la dernière nouvelle. On fait ça souvent dans le genre, prendre le titre d’un texte pour enrober l’ensemble. Ça peut être trompeur et ça peut tout dire. Ici, j’hésite. J’avoue avoir cherché un peu avec Stéfanie Clermont et Le jeu de la musique. Bien sûr, on fait référence à l’homme de radio, à celui qui a parlé du jazz qu’il n’a cessé de diffuser et d’explorer pendant une grande partie de sa vie.
J’écris cette chronique et l’écrivain est l’invité de Stanley Péan, à Quand le jazz est là à Radio-Canada. Une émission que je ne rate jamais. L’écrivain y parle des musiciens qu’il aime et une foule de souvenirs refont surface. Si je suis fidèle à Stanley Péan, je l’étais tout autant à Jazz Soliloque de monsieur Archambault. Et c’est bien le seul animateur radiophonique qui m’a fait passer des nuits à boire du café. Ses Grandes nuits qu’il consacrait à un musicien ou à un chanteur me faisaient basculer dans une autre dimension. C’était une immersion, une initiation parfois. Billy Hallyday, Lester Young, Count Basie, John Coltrane ou Duke Ellington. C’était toujours juste, avec ce qu’il faut d’information pour suivre la vie et la carrière de ces musiciens qui ont forgé l’âme américaine. Je devrais plutôt dire des États-Unis.
Et voilà qu’il parle encore avec enthousiasme de ses musiciens avec Stanley. Je peux l’appeler par son prénom, parce que je connais Stanley depuis longtemps, du temps qu’il était écrivain. Le jazz, la radio lui ont fait peut-être oublier sa première vocation.
Monsieur Archambault me semble plus spontané et moins sur son quant-à-soi qu’avant. Il n’hésite pas. Peut-être un effet de son grand âge, je ne sais pas. On dit qu’en vieillissant les barrières de l’autocensure, la retenue tombe. Je parle de son grand âge, parce que monsieur Archambault l’évoque sans gêne et en plaisantant. Quand la plupart des écrivains tentent d’échapper au temps en oubliant de mettre l’année de leur naissance dans leurs éléments biographiques, monsieur Archambault ne s’en gêne pas. Il a plus de 80 ans et qu’on n’en parle plus.
Pour tout dire, j’aimerais vieillir avec lui et garder ce petit sourire, cet air de jeunesse qu’il a toujours dans la voix. Cette chaleur aussi. Me voilà nostalgique. Cette parole m’a accompagné pendant tellement d’années.

PUBLICATIONS

Monsieur Archambault a publié plus de trente ouvrages. Des romans, des récits, des nouvelles et des chroniques. Et il continue. Son livre, je l’attends année après année. Je n’ai pas raté souvent l’une de ses publications. Je suis un fidèle. Quand j’adopte un écrivain, c’est souvent pour la vie. Même si certains m’ont donné du fil à retordre. Je pense au coriace Victor-Lévy Beaulieu qui m’a souvent étourdi avec ses hénaurmes volumes et ses publications qui arrivaient en rafales. Jacques Poulin, Donald Alarie, Robert Lalonde, Sergio Kokis et Nancy Huston sont de ma famille littéraire. Il y a encore de la place pour des nouveaux. Ma maison est ouverte et plutôt accueillante. Des jeunes viennent bousculer un peu le lecteur qui a tendance à se promener dans des sentiers qu’il connaît trop bien. Mathieu Villeneuve est le dernier arrivé.
Monsieur Archambault est à l’abri du temps dans ses écrits. Il retourne dans sa jeunesse, revient dans une époque récente ou encore bifurque dans une direction où il pensait secouer un peu la monotonie des jours. Son écriture n’a pas de rides. Elle est toujours aussi précise et sans fausses notes. Un écrivain qui a de l’oreille, à n’en pas douter.

Les rides commencent à apparaître. S’en désoler ? Pas question. Les jours de doute, il les regarde même avec sympathie. Elles sont les signes de la déchéance à venir, une déchéance à laquelle il pense de plus en plus souvent sans trop s’en alarmer. Il peut quand même compter sur quelques années de répit. (p.18)

Le lecteur que je suis retrouve ses questionnements. Il n’a jamais de réponse et c’est parfait. Si un écrivain finissait par donner des réponses à toutes les questions, il serait d’un ennui terrible. Et il cesserait probablement d’écrire.
J’aime ce narrateur un peu misanthrope, nostalgique, discret et toujours mal à l’aise de s’aventurer dans les confidences et l’intimité. Surtout, il sait écouter. Ce qui en fait un ami précieux qui reçoit beaucoup de confidences, surtout de la part des femmes.
Toujours là, fidèle, un peu grognon, mais tellement attentif. Cela ne l’empêche pas d’avoir ses humeurs et des propos tranchants parfois. De plus en plus, il me semble, il se permet des petites flèches qui peuvent écorcher, ce qu’il n’osait peut-être pas il y a un certain temps.
Tout cela est bien loin. Aucun projet d’écriture depuis longtemps. Il a cru qu’il lui manquait surtout la constance dans l’effort. Ce soir, le verdict est plus net. Il n’a pas écrit parce qu’il n’avait rien à dire. Est-ce une raison suffisante ? Des tas de livres paraissent qui témoignent d’une absence affligeante de nécessité, qui sont bâclés. (p.19)

Un promeneur discret qui aime folâtrer dans une jeunesse de plus en plus lointaine, le temps des amours qu’il ne croyait jamais oublier. Et cette vieillesse qui vient le bousculer. Comment échapper à son corps et aux petits trous de mémoire ?

TÉMOIN

Monsieur Archambault est témoin de son époque, de la vie ordinaire, des petits plaisirs d’une rencontre, d’un repas partagé, d’un air de jazz entendu ou surpris au coin d’une rue, d’un amour qu’il évoque discrètement avec une certaine autodérision.
Une voix, pas seulement à la radio, mais en littérature aussi. Ses livres suivent les grandes étapes de la vie, de ses pulsions et de ses déceptions. L’amitié toujours importante et parfois un peu dérangeante, des propos qui illustrent la vanité de certains, les hésitations et les petites lâchetés des autres. La vie est ainsi faite. Tout cela en sourdine, je dirais. Sans jamais être au-devant de la scène, monsieur Archambault a une voix que l’on entend et qui prend beaucoup d’importance dans ma vie de lecteur.

Ce matin, on a enterré l’urne qui contenait les cendres de ma femme. Je n’ai pas ressenti l’émotion prévue. Devant mon fils en larmes, j’ai dû donner l’impression d’être dénué de toute sensibilité. Je l’ai consolé comme j’ai pu. Rien ne te touche, me disait ma femme quand elle s’emportait contre moi. (p.79)

J’arrête d’écrire et écoute monsieur Archambault plaisanter avec Stanley. Il est question d’un musicien de Chicago qui n’a pas eu la renommée qu’il méritait. Ce pourrait être lui ce méconnu. A-t-il eu la reconnaissance qu’il méritait ? Ils sont tellement nombreux à courtiser la gloire dans le milieu de la littérature.
Oui, je m’ennuie de cette voix, de ses explications qu’il savait si bien variées entre la vie du musicien et son oeuvre. Je m’ennuie. C’est cette voix sans doute qu’il a su si bien glisser dans ses écrits et que j’aime tant.
Heureusement, il y a ses livres qui prennent une bonne place dans ma bibliothèque. Je n’ai qu’à tendre la main, à ouvrir un roman et il se confie, me berce un peu. Et je me dis que je néglige trop souvent les amis, emporté par des projets d’écriture ou de lecture. Heureusement, ils surgissent toujours à l’improviste et le temps s’abolit. L’amitié fait fi des rendez-vous et des horaires. Il en est ainsi avec monsieur Archambault.
J’espère qu’il va publier encore et encore. Je ne saurais m’en passer et pas question de basculer dans la relecture de son œuvre. Il a encore trop de choses à me murmurer à l’oreille et que Stanley Péan va encore l'inviter lors de sa prochaine publication.


À PEINE UN PETIT AIR DE JAZZ de GILLES ARCHAMBAULT est une publication des ÉDITIONS du BORÉAL.


  

jeudi 4 août 2016

Gilles Archambault continue à écrire sa vie

J’AIME VOIR UN Gilles Archambault continuer son travail d’écrivain malgré ses quatre-vingts ans. Plusieurs, à cet âge, se tournent vers les réminiscences et amorcent alors la rédaction de leur autobiographie. Je pense à Gabrielle Roy et à La détresse et l’enchantement, un livre admirable. Malheureusement, je le répète, le temps lui a manqué pour aller au bout de cette aventure. Archambault ne semble pas vouloir s’éloigner de la fiction. Il est vrai qu’il ne s’est jamais beaucoup écarté de son vécu, de ses préoccupations depuis la parution de Une suprême discrétion en 1963. On parle de plus de cinquante ans d’écriture avec des œuvres soutenues, fortes, quoi qu’il en dise. Oui, Gilles Archambault est porté à minimiser son importance.

J’aime qu’un écrivain transporte dans ses pages d’écriture son vécu et ses préoccupations. Surtout, qu’il accepte son âge et en témoigne avec franchise. C’est peu fréquent, du moins dans notre littérature, que des romanciers racontent les fléchissements du corps, la mémoire qui hésite, la perte d’une compagne et la terrible solitude de la vieillesse. La plupart préfèrent se taire ou rappeler une époque où le corps exultait.
Gilles Archambault a raconté de façon admirable la perte de sa compagne, il y a quelques années. Qui de nous deux ? est un roman vrai, senti et particulièrement émouvant. Il poursuit dans cette voie avec Doux dément, son dernier ouvrage, paru il y a déjà quelques mois.
Fait nouveau, le romancier jette à bas les masques pour se placer au cœur de son récit, ce qu’il a toujours fait malgré les déguisements et les astuces de la fiction. Il ne faut pas croire cependant qu’il bascule dans l’autofiction.

J’ai renoncé à inventer un nom pour mon narrateur. Lui attribuer la paternité de romans aux titres fictifs m’a également paru une opération parfaitement vaine. Il se nomme donc Gilles Archambault et ses livres portent les titres des miens. Les agissements de ce Gilles Archambault, ses désirs, ses avis, ressemblent souvent à ceux que j’ai eus ou que j’aurais pu avoir. Comme moi, il est veuf, comme moi, il est inconsolable. Pour le reste, qu’on ne s’imagine surtout pas que j’ai écrit un roman à clés. Je n’ai aucun goût pour le genre. (p.12-13)

Parler de soi comme si c’était un autre… L’entreprise devient fort intéressante.

RENCONTRE

Une jeune femme emménage dans un appartement voisin de celui où Archambault vit depuis toujours. Une rencontre, quelques mots et voilà que se tissent des liens amicaux. Anouk est jeune, à peine la quarantaine, séduisante, un peu perturbée par une rupture amoureuse et vit mal sa solitude. Elle a besoin de se confier et l’écrivain sait écouter. Elle bouscule la vie du vieil homme qu’est Gilles Archambault, le secoue et l’entraîne dans un tourbillon. Et la vie étant ce qu’elle est, il se met à rêver, à aimer même s’il s’en défend, même s’il sait que rien ne peut arriver entre eux.

Comment un vieil homme qui n’a pas parlé à une femme depuis des semaines peut-il demeurer indifférent ? Indifférent, je ne le suis pas. Elle s’est rendu compte de l’émoi qu’elle suscite en moi. En est-elle étonnée ? Certes pas. Elle ne peut ignorer le pouvoir du charme qui émane d’elle. Le problème, c’est moi. Une femme n’offre pas des muffins à un homme qu’elle veut intéresser. Elle me tient pour un vieux monsieur, et elle a raison. Son « vous ne travaillez plus » n’a même pas été prononcé sur le ton interrogatif. Au mieux, je ne suis pour ma nouvelle voisine qu’un vieillard bienveillant à qui elle demandera peut-être de nourrir son chat pendant ses absences. (p.37)

Peut-on oublier son âge ? Archambault raconte ses émotions sans retenue. Il paraît qu’avec le temps, nous perdons toute pudeur et que nous osons dire des choses que nous aurions tues auparavant. J’aime ce regard sur le vieillissement, les réflexions qui étonnent par leur justesse. Nous n’avons pas l’habitude d’entendre de telles « vérités ».
Il y a aussi ces rencontres avec des amis, leurs agapes, leurs propos, leurs manies et les contacts avec son fils. Nous ne sommes pas dans les grandes marées du cœur, mais dans la vie d’un homme conscient de son vieillissement, qui ne peut s’empêcher de rêver, parce qu’après tout un romancier flirte avec les rêves et cherche à abolir les frontières pour oublier le présent.

Moi, l’écrivain discret, qui me suis toujours terré dans une solitude habitée, moi, inconsolable de la perte de ma compagne, courir après sa jeunesse d’une façon qui peut porter à sourire. Je suis le premier à trouver mon comportement étrange, mais je ne suis pas tenté de le modifier. Le courriel qu’elle mentionne tourne autour de Michel Onfray, dont elle a adoré une apparition à la télévision. Elle sait que je viens de lire les trois premiers tomes de son Journal hédoniste. (p.79)
Belle occasion de s’attarder à ses lectures, à sa vie d’écrivain, à la partie publique de ce travail qu’il a toujours détesté. Il se livrait aux entrevues ou encore aux séances de signatures avec beaucoup de réticence et d’hésitation. Il ressemble à Jacques Poulin qui a toujours consenti à ce genre d’exercice à reculons. J’avoue avoir adoré ces présences dans les salons du livre et les lancements. Je dois maintenant faire un effort pour ce genre d’événements où l’on réalise que la vie d’un écrivain est faite de solitude.
Gabrielle Roy s’y refusait totalement et a vécu les dernières années de sa vie en recluse. Ils sont quelques-uns comme ça, osant à peine devenir un personnage public lors d’une nouvelle parution. Dire que plusieurs jeunes écrivains ne vivent que pour être à l’avant de la scène ou sur la place publique.

PROPOS

Cela ne m’empêche pas de sursauter devant certains de ses propos. Malgré une vie professionnelle où il a été au cœur de la vie littéraire du Québec, Archambault ne s’attarde guère à ses pairs et à la littérature d’ici. Il est de cette génération qui donne l’impression d’avoir vécu en France parce que toutes leurs références se tournent vers ce pays. Ils agissent comme si les écrivains québécois n’existaient pas ou n’avaient pas d’importance.

Une chose m’indisposait surtout chez Simone, le culte exagéré qu’elle vouait à la culture québécoise. Croyant m’être agréable, elle disait des phrases du genre « Vos livres, à vous, auteurs d’ici, valent bien ceux des Américains ou des Italiens, pourtant il n’en est jamais question dans Le Monde ou dans L’Express. C’est inacceptable, tu trouves pas ? » Non, je ne trouvais pas. Simone avait commencé à m’énerver. (p.44)

Peut-être, oui, Simone s’énerve un peu, mais elle a raison. Pourquoi ce silence ? Parce que trop souvent les écrivains du Québec préfèrent s’attarder aux écrivains américains, sud-américains, japonais ou européens quand on leur donne la parole. Ils évitent systématiquement de faire référence à leurs contemporains. Ces propos m’ont toujours étonné et dérangé. Comment être soi en s’ignorant ? Pourquoi écrire si notre littérature et le travail de ses collègues ne nous intéressent pas ?

TÉMOIGNAGE

Gilles Archambault témoigne des préoccupations d’un homme qui sait que le temps lui est compté et qui ne peut se permettre de perdre la tête. J’aime cette lucidité, cette retenue, cette conscience du moment présent.
Un roman que les jeunes ne liront pas, il le sait, mais qui reste touchant. C’est ça la littérature, peu importe l’âge. Dommage que l’on oublie au Québec ces écrivains qui publient depuis longtemps et qui réussissent encore à nous bousculer. Archambault sait qu’il est sur la voie d’évitement et qu’il n’y en a que pour cette jeunesse pétillante qui a toutes les audaces. Il écrit, c’est le plus important. Pour lui et ses lecteurs. J’en suis.

DOUX DÉMENT de GILLES ARCHAMBAULT est paru chez BORÉAL ÉDITEUR, 248 pages, 22,95 $.

PROCHAINE CHRONIQUE : LES CAHIERS VICTOR-LÉVY BEAULIEU publié chez NOTA BENE.