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mercredi 3 août 2022

VIVRE ET SURVIVRE GRÂCE À LA POÉSIE

LIRE DE LA POÉSIE, c’est consentir à perdre ses repères et se risquer dans un espace souvent étrange, tenter d’apprivoiser un langage qui refuse toutes les conventions. Seul, sans guide, il faut faire face aux mots qui avalent l’univers et nous poussent dans le non connu. Partout le noir aspire et ingurgite dans Au milieu de la pénombre. Il reste les vers de Claudine Bertrand pour affronter ce qui survit d’un monde qui s’est défait.  

 

J’ai d’abord parcouru rapidement ce recueil pour avoir une idée du territoire à explorer, m’attardant à une image, à une bulle qui permet de reprendre son souffle, une forme d’éclaircie après avoir marché dans un sous-bois où la lumière ne pénètre guère. J’ai refermé la plaquette avec l’étrange impression d’être passé à côté de quelque chose d’important. Comme si j’avais ricoché avec ces petites pierres effilées que nous nous amusions à faire rebondir à la surface d’un lac dans l’innocence de l’enfance.

J’ai recommencé le tout, retournant les poèmes pour en surprendre les facettes et les saillies, jonglant devant chacune des strophes pour en trouver toutes les aspérités. Et cette impression de flotter où il n’y a plus de haut et de bas, encore moins d’horizon et d’appuis. Comme si je planais dans le noir absolu, ne sentais plus les frontières de ma peau. La poète demande de renoncer à sa pensée pour habiter ses vers, ses mots triés avec une minutie d’orfèvre. Tout seul dans le vide de son corps à dériver dans le cosmos.

 

ATTENTE

 

Et j’ai rangé Au milieu de la pénombre dans la pile des livres à lire, le regardant de temps en temps, effleurant la page couverture d’un sombre inquiétant, me penchant sur ce poème qui apparaît sous le titre. À peine visible, telle une luciole dans la nuit, donnant peut-être la clef qui ouvre la porte et indique la direction à prendre. 

 

«On traque son présent

   son futur dérobé

   le cœur déboulonné

 

   L’aurore balbutie

   à peine 

 

   Ainsi survivent les légendes»

 

J’ai relu ce poème des dizaines de fois pour le dire à voix basse, les yeux fermés, devant les grands pins qui frémissent dans les souffles du vent qui viennent toujours du large. Et je répétais le titre, le retournant, le pressant comme une orange pour en extraire le jus. La pénombre, ce lieu où la lumière est empêchée, cet espace où les objets sont à peine présents. Un pays de suggestions et d’esquisses. Comme si je me retrouvais à la frontière de l’univers, rejeté par la galaxie. 

J’ai repris le recueil des semaines plus tard, au moment où je croyais avoir renoncé à suivre Claudine Bertrand. 

Un peu inquiet pourtant. 

Est-ce que je ressentirais la même sensation de perte et d’apesanteur, de flottement et de dérive? Et pourquoi le fait de ne pouvoir distinguer les choses qui me cernent me rendait si craintif?

 

«Ce qui n’est pas encore

   la ligne d’horizon

   en donne le visage

   le dévoile» (p.11)

 

Comme si l’absence révélait l’envers de ce que nous appréhendons. Je me suis accroché. Et tout de suite après, des lettres, un espoir de langage et de signification peut-être. Pas des mots, mais des signes qui vont comme ces nuages qui se moquent du vent dans un ciel trop bleu. 

 

«Des lettres friables

   virent et voltent

   vont viennent

   émergent et sombrent

   

   Une voix de braise

   s’approche

 

   Frôler sa lumière

   la rend à son opacité

   naissante» (p.12)

 

Des lettres qui filent entre les doigts avec le sable qui refuse de prendre forme. Pas un mot, mais une ombre qui tourbillonne en soi. Et un élan, un contact, des voyelles pour s’accrocher. 

 

«Certaines voyelles

   tels des phares

   tracent des pointillés

   au crépuscule 

 

   L’existence n’attend plus

   elle invente des paysages

   éphémères

   plus qu’éphémères» (p.13)

 

Une ligne au loin, une fente qui ouvre l’espace. Une destination qui happe toute l’attention. Et toujours ce flou où nous échappons à l’attraction des choses. Même les mots se sont effrités, rendant le langage impossible. 

Il reste le désir qui nous emporte au milieu de nulle part, tout droit dans la conscience où il faut se rapailler, se redresser dans sa condition «d’êtreté» comme le dit si bien Carol Lebel.  

 

«Traverser jusqu’ici

   la pénombre

   nier l’amnésie

 

  Enfanter

  d’un langage

  non nommé

 

  Rêver de terre et ciel

  de fleurs d’aquarelles

  gestes primesautiers» (p.15)

 

Trouver la tangente du rêve et souffler sur l’espoir pour se réinventer, s’abandonner à la vie, s’entourer «d’un élan au parfum de prés verts et trèfles de l’enfance».

 

MONDE

 

Et je me suis senti happé par Claudine Bertrand, entre chien et loup, au moment du triomphe du crépuscule, lorsque les choses implosent pour disparaître dans la nuit. Tout dans cette palpitation de l’instant avec une ébauche de langage qui s’accroche à quelques voyelles. Respirer comme quand on refait surface après avoir nagé dans la lumière tamisée, avec les ombres qui flottent dans le tiède de l’eau. 

 

«Parfois le corps se souvient

  enserrant dans ses plis

  échappant au hasard

  un rayon de lune

  à faire pâlir

  la mer noire» (p.33)

 

Réchappés des discours et des inventions rationnels qui ont détruit la planète et tout ce qui est vivant. L’avenir se love dans cette langue retrouvée et renouvelée, le souffle qui fait vibrer toute chose. Il n’y a que le maintenant puisque les épaisseurs du langage se sont évanouies.

 

ESPOIR

 

Claudine Bertrand nous redonne un espace et une certaine réalité. Le désir remonte à l’aube de tous les temps. Nous réussissons désespérément à demeurer là, devant la terrible tâche de renommer ce qui existe pour repêcher l’essence du monde.

 

«Nous mesurons 

  notre échéance

  pas à pas

 

  Ivres d’écrire

  nous la mesurons

  mot à mot

 

   Ainsi toute vie

   s’amenuise

  dans la nôtre» (p.63)

 

Jour après nuit, geste après hésitation, parole après râle, l’écriture permet d’habiter l’univers et de rester vibrant dans sa conscience et celle de l’autre. 

Terrible poésie qui nous plaque dans le désastre de la planète, enviable lucidité de Claudine Bertrand qui résiste inlassablement dans l’angoisse de la Terre qui perd ses horizons. Après ces allers et autant de retours d’Au milieu de la pénombre, je me suis senti vivant et capable de construire des cathédrales avec les quelques mots qui survivent dans les ruines du présent.

 

BERTRAND CLAUDINEAu milieu de la pénombre, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 2022, 64 pages.

 

 http://www.edhexagone.com/claudine-bertrand/auteur/bert1078

jeudi 29 août 2013

Les humains se rejoignent difficilement

Des couples improbables, une recherche d’amour impossible, un cri plutôt qui s’étouffe dans une désespérance existentielle. Du pain dans les joues de Louise Marois se referme sur le lecteur comme un piège et il est plutôt difficile de s’échapper.


Aimée et Yhana tiennent plus que tout à une baraque qui se désagrège jour après jour, grugée par une sorte de cancer. Les filles doivent en plus affronter un genre de Méphisto qui manipule tout le monde et prend plaisir à les tourmenter. Le tout changera avec l’arrivée du couple Pipistrelle qui loue l’étage du haut. D’étranges relations s’établissent entre ces personnages étranges et tellement différents.
Tous ces personnages se bousculent, se mentent et n’arrivent jamais à être là, au même moment, pour vivre la tendresse et l’amour. Tous cherchent et ne savent que se blesser on dirait dans cette aventure qu’est le quotidien.
«Le soir ébruite sa lassitude sous les jardins écrasés. Fait un détour par l’escalier de pierre, pour le plaisir de glisser sa paume sur la rampe tout doucement, préserve le ravissement qui l’accompagne. Son bonheur se transforme lorsqu’elle voit Yhana attablée avec un homme. Une table ronde, restée dehors tout l’hiver, leur sert d’îlot. La vue de cette scène presque idyllique brusque Aimée. Veut retourner là où elle était, dans la rouille et la sciure. Fonce tête première, avec l’espoir de défaire.» (p.29)


Méphisto

Geoffroy Vidal trouve sa raison d’être en assaillant les êtres qui l’approchent. Il réussira à se glisser dans le couple Pipistrel qui repose sur les mensonges du mari, une sexualité trouble. Des contacts brutaux souvent, des êtres réduits à l’état animal presque qui ne peuvent s’empêcher de se faire mal malgré leur envie de tendresse et d’amour. Tous cherchent autant la mort que la vie, la désespérance que le bonheur d’être. Une écriture qui vous pousse dans une dimension où l’oxygène se fait rare.

Les pendus

Que dire quand madame Pipistrelle, après un moment de fulgurance avec Yhana, accepte de décrocher les pendus dans les parcs de la ville pour que les gens ne voient rien. Elle bourre leurs joues de morceaux de pain pour qu’ils fassent bonne figure dans la mort. Un monde désespéré et désespérant où l’on masque la vérité. La télévision et certains médias servent à cela de nos jours.
Un récit qui coupe le souffle, égare un peu dans une prose recherchée qui parvient à créer une sorte de danse macabre où la vie est un cri, un hurlement, un désir d’aller au-delà du quotidien. Et quelle terrible solitude !
Il faut une bonne dose de courage pour plonger dans cet univers qui se désagrège. Les hommes et les femmes ne peuvent que se blesser et s’agresser. La tendresse, la chaleur humaine arrive parfois, comme une fulgurance qu’il est impossible de retenir. Difficile, mais écrit dans une langue forte, éblouissante qui sauve l’entreprise. Peut-être qu’il faut se laisser emporter simplement par les mots et les phrases pour aimer ce chant existentiel. Peut-être que la vie n’est qu’une suite de petites morts après tout.

Du pain dans les joues de Louise Marois est paru aux Éditions de l’Hexagone.

lundi 22 octobre 2012

Guy Lalancette n’a pas réussi à m’accrocher


J’ai lu et relu «Les yeux du père», «Un amour empoulaillé» et «La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette à plusieurs reprises. Des livres qui nous plongent dans une autre dimension tout en gardant un lien avec le réel. Comme les cerfs-volants qui donnent l’impression de flotter dans les nuages tout en étant fermement retenus au sol.

L’écrivain m’a un peu désarçonné avec «L’épivardé». Paris Dumauriac, frère de Lisbonne, enfant d’une mère marin et de père de passage, rêve de devenir un écrivain populaire. Il lui faut un gros livre pour envahir les librairies et prendre les médias d’assaut.
«Pour bien faire, ça prendrait 400 pages comme Mary Higgins Clark. Comme ses romans, je veux dire. Ou 400 pages au pays magique d’une chevalerie désuète, ou chez les fantômes, ou chez les loups-garous et les vampires à la mode. Le tout avec le moins de littérature possible. De l’efficace et de l’artifice, des romans, des vrais, avec des suites qui n’en finissent plus. Tout cela qui m’est interdit, une allergie que je n’ai souhaitée, une infirmité d’auteur qu’il me faudrait vaincre si je veux atteindre la gloire et la richesse.» (p.19)
Il croit qu’en ayant un passé sulfureux, il deviendra une vedette recherchée et courtisée. L’écrivain se moque des émissions où la vie de l’invité est plus croustillante que l’œuvre.
Avec l’aide de ses amis, il s’invente une biographie sulfureuse, un amour incestueux avec Lisbonne, un enfant vendu à une barmaid pour quelques cafés et des repas. Il suffit de lancer la légende urbaine pour que l’argent et la célébrité viennent se prosterner à vos pieds.

Complications

Guy Lalancette ne peut se satisfaire de cette trame. Une jeune femme frappe à la porte de Paris. Il est subjugué par cette étrangère qui jongle avec de drôles de questions pour un recensement. C’est le début d’une aventure parallèle. Paris se retrouve en prison pour séquestration, entrave à la justice et faux témoignage. Il se confesse à ses avocats et aux enquêteurs, raconte à plusieurs reprises ses amours de jeunesse avec Lily Godin. Un amour passionnel avec «L’amant de Lady Chatterly» en surimpression. Le livre dans le livre. Lalancette multiplie les confidences, les personnages, tant et si bien qu’on finit par manquer un peu d’oxygène.
«Deux autres policiers, que je ne connaissais pas, ont suivi. Pendant que le matricule 617 — un moustachu de glace sculpté à froid — me passait les menottes, l’agent Bonneau, en raison des indices convaincants récoltés le mercredi 20 octobre, m’a accusé de l’enlèvement de la dénommée Noëlla Janvier et menacé d’enregistrer mes paroles si je ne gardais pas le silence. Il m’a offert un avocat de la cour par la formule usuelle, au cas où je serais sans protection aucune, étant donné l’évidente indigence de ma condition. Quand on est dans la condition humaine jusqu'au cou, on a des droits de la personne.» (p.143)
Cette Noëlla Janvier prend plusieurs identités et finira par être simplement France, la fille abandonnée de Lily Godin et Paris.
Distance

Pour tout dire, je ne me suis jamais senti interpellé par «L’épivardé». L’impression de surveiller un contorsionniste du Cirque du Soleil qui multiplie les virevoltes ne m’a jamais quitté. Comme si Guy Lalancette s’amusait à faire du Guy Lalancette. Avec les enquêteurs, rien à voir avec le matricule 728, je me suis un peu égaré dans une histoire qui tourne en rond en régurgitant ses mots.
J’ai éprouvé un certain plaisir par moments, souriant devant des facéties, m’amusant devant des descriptions étonnantes. L’auteur n’a pas son pareil pour faire voir autrement les scènes d’amour et les jeux érotiques. Peut-être que je n’ai pas vraiment embarqué à cause du personnage. Paris est un cynique convaincu et détestable. Il manque à ce texte la gravité qui hante ses autres ouvrages. Le narrateur, avec toutes les entourloupettes, éloigne malgré une blessure d’enfance qui le fait claudiquer. Souvent, j’aurais préféré suivre Lisbonne, sa sœur qui reste dans l’ombre malheureusement.
J’ai flotté sur le roman de Guy Lancette. L’écrivain est un prestidigitateur habile qui en met plein la vue. Il aime les jeux de mots, les allitérations, les images fortes, les revirements et il ne se prive pas. Il exagère même. Le vase déborde à plusieurs reprises. C’est peut-être ce qui manque. Un ancrage qui permettait de croire aux personnages comme dans «La conscience d’Éliah» ou «Un amour empoulaillé». Malheureusement, avec «L’épivardé», je n’ai jamais pu adhérer à ce récit protéiforme.

«L’épivardé» de Guy Lalancette est paru aux Éditions de l’Hexagone.

dimanche 11 avril 2010

Louise Warren vit un livre à la main

Les livres ont toujours fait partie de la vie de Louise Warren. Dans «Attachements, Observation d’une bibliothèque», l’écrivaine jette un regard sur une aventure qui a commencé tôt.
«Rue Saint-Urbain, à chaque étage de la maison il y avait des bibliothèques. Dans celle de mon père se trouvaient une majorité de livres anglais. Surtout des encyclopédies, des bouquins sur la philatélie et l’histoire, ainsi qu’une section d’ouvrages sur l’architecture dont j’aimais tout particulièrement observer les plans et les photos d’intérieurs.» (p.12)
Les livres du père côtoyaient ceux de sa mère qui appréciait particulièrement les voyages. Rapidement, la fillette aura droit à sa propre bibliothèque.
«Quand ma sœur a quitté la maison, j’ai hérité de sa chambre et mon père a installé une série de planches sous les combles. Aux livres jeunesse que ma sœur avait laissés s’ajoutaient les miens.» (p.14)
La grand-mère vivait «deux étages plus bas» avec ses habitudes et ses livres. Une présence qui accompagne ou oriente les jeux de la fillette, lui permet de découvrir le monde.

Tous les livres

Les livres deviendront la vie de Louise Warren puisqu’elle abandonne tôt les études pour travailler en librairie.
«En janvier, je ne suis pas revenue à l’école. Je voulais travailler en librairie, je désirais tous les livres. Ironie du sort, les premiers mois à la librairie Ménard, mes employeurs m’envoyaient toujours à la cave chercher les manuels scolaires des élèves qui fréquentaient les collèges privés… …C’était en 1971. Le retour aux études se fit en 1993.» (p.153)
Curieuse de tout, elle flâne du côté du roman, de la poésie, des essais, des réflexions et de certains livres d’art. Il n’en fallait pas plus pour se constituer un monde, des goûts et une manière de vivre. Parce que la lecture a mené Madame Warren vers l’écriture. Comment pouvait-il en être autrement?
Exploration, découverte, mais aussi retour sur certains ouvrages qui deviennent des points d’ancrage, des références au même titre que certains lieux, certaines villes qui permettent de renouer avec des amis.

Délestage

La bibliothèque de Louise Warren est une gare de tri qui l’occupe beaucoup. Il y a des livres qu’elle abandonne après avoir effacé toutes les traces qu’elle a laissées en le lisant. Pour que le prochain lecteur s’y sente à l’aise, fasse ses propres découvertes peut-être. Si certains titres s’installent pour ne plus jamais la quitter, d’autres ne font qu’un court séjour sur les rayons.
«En parcourant sa bibliothèque, on s’aperçoit que la pensée fonctionne par plis, qu’elle reprend la forme des étagères, que nous ne sommes pas les mêmes en lisant. On peut se sentir complètement absent, abandonné, étranger, présent, vide ; il arrive même d’éprouver sa propre mort quand on n’entend plus rien d’un livre. Peut-être aussi à cause de ce poids que laisse la mort, je me départis de mes livres pour un autre lecteur qui saura leur donner vie.» (p.58)
En accompagnant Louise Warren, nous nous attardons auprès d’écrivains qui questionnent la poète. Rilke, Bachelard, Yves Bonnefoy, Katherine Mansfield, Emily Dickinson, Virginia Woolf, Nancy Huston, Borges et quelques écrivains du Québec comme Anne Hébert, Dany Laferrière, Marie Uguay et Pierre Nepveu. Des livres qu’elle attend! La biographie d’Anne Hébert et de Gaston Miron par exemple.

Centre du monde

Voyages, rencontres et nombre de découvertes de Louise Warren tournent autour du livre. Des moments précieux avec des éditeurs, des poètes, des illustrateurs, des peintres et des écrivains. Des lecteurs aussi qui viennent la rencontrer lors des manifestations littéraires. Parce qu’écrire, c’est aussi une lecture, prendre la route et rentrer changé et vibrant.
Voilà le parcours d’une lectrice qui sait bellement parler de ses découvertes et de ses coups de coeur. Elle rejoint un Robert Lalonde qui se fait découvreur du monde par ses lectures et ces écrivains qui le hantent et l’habitent. Louise Warren est de cette race qui explore le monde un livre à la main. Parce que vivre, peut-être, est la plus belle expérience de lecture que l’on puisse connaître.
«Je relis ces phrases non pas pour comprendre, mais pour revenir de mon effet de surprise. Passer doucement, tel est mon souhait. Le tissu de mon langage provient de l’émotion, une science comme une autre qui crée le langage poétique. La poésie, une forme d’intelligence qui s’applique à vivre. Je ne chercherai pas davantage. Cela suffit.» (p.171)

«Attachements, Observation d’une bibliothèque» de Louise Warren est paru à L’Hexagone.

dimanche 15 mars 2009

Chamberland continue sa marche en solitaire

Paul Chamberland, dans sa poésie comme dans ses essais, porte un regard critique sur la civilisation contemporaine. Certains peuvent croire qu’il se complaît dans un pessimisme extrême pendant que d’autres affirmeront qu’il est réaliste.
Le monde actuel fonce vers la catastrophe à une vitesse vertigineuse. Tous les observateurs sérieux le répètent. Pollution, réchauffement de la planète, exploitation sauvage des ressources naturelles dans les pays du tiers-monde. Le sida, la famine et la misère sévissent, particulièrement en Afrique. La démocratie bat de l’aile même si l’élection de Barak Obama à la présidence des États-Unis semble secouer des espoirs que nous n’osions plus imaginer. Le but de toutes les grandes entreprises est de pousser le citoyen planétaire à produire de plus en plus, à consommer jusqu’à l’obésité.
Paul Chamberland, dans «Cœur creuset», ne s’attarde pas aux effets de la mondialisation et à l’hégémonie de l’Occident comme il l’a fait dans «En nouvelle barbarie». Il prône l’éveil, l’ouverture du coeur et de l’esprit pour glisser vers une autre terre de justice, de partage et d’amour. Il est possible d’y arriver par le dépouillement, la méditation, la reconnaissance de l’être de lumière qu’il y aurait en chacun de nous.
«Nous aurions échappé au feu primordial, nous en sommes convaincus. Mais nous brûlons encore : nous ne pouvons faire que n’existe pas la combustion dont ont été faits nos corps.» (p.89)
Puisant dans différentes philosophies orientales, le poète rêve d’un grand retour vers l’être, d’un dépouillement qui nous ferait nous retourner vers l’essentiel.
Questions fondamentales

Qui prend le temps de réfléchir au sens de la mort et de la vie à l’heure de Tout le monde en parle? Ces interrogations, les humains les ont effleurées depuis des millénaires. Maintenant, cette confrérie de chercheurs est reléguée dans les coins obscurs des bibliothèques, ou égarés dans les labyrinthes de l’informatique. J’ai peur cependant que Paul Chamberland ne rejoigne pas beaucoup de lecteurs avec la forme d’ascèse qu’il prône. Il fait aussi sourciller avec ses propos sur la culture.
«Le malaise dans la culture a crû au point de devenir intolérable. L’humanité est en train d’étouffer sous ses déchets, tant psychiques que matériels. L’actuelle civilisation a fait son temps. Nous savons depuis Auschwitz et Hiroshima qu’elle n’a plus rien d’autre à nous offrir que la production « rationnelle » du non-humain (béant au cœur du réel, ce trou noir). Le seul savoir qui tranche est celui qui découvre les ressources dont nous tirons la force de résister à l’anéantissement spirituel de l’humanité. De nous y arracher.» (p.105)
Le mysticisme ne semble guère capable de sauver l’humanité avec ce que nous en savons. Chamberland s’enferme de plus en plus dans une solitude inquiétante malgré les appels à ses frères et ses sœurs.

«Cœur creuset. Carnets 1997-2004» de Paul Chamberland est publié aux Éditions L’Hexagone.

samedi 15 décembre 2007

Un inventaire qui manque de consistance

Comment dresser un bilan de sa vie, esquisser les moments inoubliables qui façonnent l’être que nous serons lors du dernier souffle?
Robert Laliberté préviligie trois temps pour dresser un court bilan, amorcer une réflexion peut-être. L’enfance au temps de la «Grande noirceur», quand tout était différent, tourné vers le passé. Un récit à la troisième personne du singulier pour marquer la frontière entre le présent et ce temps si près et si loin.
«Pourquoi faut-il toujours que les enfants soient élevés pour un monde qui ne sera plus celui de leur âge mûr? Depuis quand en va-t-il ainsi? Dans les sociétés d’autrefois, entre l’enfance et l’âge adulte, les choses ne devaient pas changer si vite. (Ceux qui prétendent que nous sommes entrés dans une ère posmoderne ne sauraient guère nous rassurer à ce sujet)». (p.11)
Des remarques intéressantes sur le métier d’enfant, ce petit être que l’on prépare mal à la vie adulte.

Autres étapes

Seconde étape: 1977. Le narrateur vit depuis quelques années dans un appartement, pratique le dessin pour oublier sa solitude. Il dresse, juste avant de prendre un grand virage qui le mènera au Mexique, un inventaire des objets qui s’accumulent sur l’appui de la fenêtre. Un dessin et aussi un lexique très précis des choses qui ont accompagné le jeune homme dans ses activités quotidiennes.
«un DÉCAPSULEUR, dont un bout pointu permet aussi de percer les boîtes de jus ou de sirop d’érable ;
une BOÎTE DE PETITES ALLUMETTES du Guatemala, illustrée d’un paysage, posée en angle p pour tenir coincée…
une PILE DE FEUILLES de papier à rouler ;
un STYLO-FEUTRE noir à pointe fine…»  (p.31)
Un an plus tard, le narrateur se retrouve en Provence, dans une communauté. Il rédige un lexique comparatif de certaines expressions. Rien d’original même si on veut apprendre une autre manière d’être quand on se retrouve en groupe, j’imagine. Le «je» s’impose dans ces deux derniers fragments, se rapprochant ainsi du présent du narrateur.
«Je me rappelle sa main fine et allongée caressant la couverture de fragments d’un discours amoureux, où figuraient justement une main d’homme et une main de femme, fines et allongées, comme c’est beau, disait-elle.» (p.43)
L’écriture perd ses aspérités. La phrase oublie les majuscules pour évoquer, peut-être, la vie en groupe. Comme des notes griffonnées dans un carnet de voyage.
«Inventaire de succession» paraît comme un projet bâclé. Un recensement où il manque un souffle qui emporte et rend à la vie... À quoi sert un tel exercice si on ne donne pas une seconde chance à ces moments du passé?

«Inventaire de succession» de Robert Laliberté est paru à L’Hexagone.

Paul Chanel Malenfant n’oublie pas son enfance

Paul Chanel Malenfant dans «Rue Daubenton» s’abandonne aux méandres de sa pensée, aux chemins du souvenir comme aux rencontres, peut-être rêvées.
Une rue de Paris, une fenêtre aveugle. C’est le point de départ pour un voyage au pays de l’enfance, des arrêts en Italie et dans certaines villes d’Europe.
L’essentiel, ce sont les avenues de l’écriture, les souvenirs qui imbibent le présent. Un mot et le lecteur suit un jeune garçon sur les rives du grand fleuve, devant Trois-Pistoles. L’enfant se tait aux côtés du père, espérant des révélations sur la vie. Il y découvrira la douleur et la mort. Une malédiction qui le suivra jusque dans son âge d’homme. Mort d’un frère en bas âge, de la mère adorée, du père qui emporte ses secrets et d’un autre frère qui choisit le suicide. De quoi marquer le poète qui en fera les fondements de plusieurs de ses ouvrages.
«J’avance au bras de ma mère veuve voilée de noir. Je suis un orphelin de vingt-quatre ans, je sais que je n’aurai pas de fils, et je rêve de devenir écrivain. Intérieurement, je répète, la remaniant, décalque de ma dérive, la phrase inaugurale, laconique, de L’Étranger d’Albert Camus: Aujourd’hui, papa est mort.» (p.43)
Malenfant ne peut s’empêcher de ressasser ses souvenirs malgré ses envolées dans l’écriture et le voyage. Il ne peut non plus distancer la mort. Elle le nargue à heure fixe à la télévision, dans les bulletins d’informations. Au Québec ou à l’étranger, elle ne s’éloigne jamais.

Enfance

Si l’enfance imprègne l’œuvre de Paul Chanel Malenfant, il ne faut pas oublier sa joie de découvrir une ville étrangère, un musée ou à retrouver l’amant et les gestes de l’amour. Des moments intenses, forts même si j’ai un faible pour les incursions dans son passé.
«Ils ont entonné le libera, le chant pour un enfant mort sans baptême. Ils ont sorti la boîte de bois sur la galerie, l’ont placée sur un traîneau qui a glissé dans la neige avec un bruit d’étoiles. Ils sont repartis comme ils étaient venus. De nulle part et du froid. Ils ont emporté mon frère mort dans les limbes, de l’autre côté de la ligne d’horizon, là où mon père travaille sur un chantier de la Côte-Nord.» (p.69)
Pour la part européenne, Malenfant s’abandonne un peu trop souvent aux mots et aux images. Nous nous butons parfois à des phrases qui tournent à vide.
«Nos mots n’ont pas de son sur nos lèvres et nous parlons longuement ainsi, en silence, sans pourvoir rien nous dire.» (p.113)
Le familier de Paul Chanel Malenfant ne fera guère de découvertes dans «Rue Daubenton». J’ai préféré, et de loin, «Des airs de famille», chez le même éditeur.

«Rue Daubenton» de Paul Chanel Malenfant est paru à L’Hexagone.

jeudi 15 juin 2006

Tony Tremblay continue de s'affirmer

Je n’ouvre jamais un recueil de poésie sans hésiter. Je sais que je vais devoir me coltailler avec les mots, relire une dizaine de fois chacun des poèmes, m’acharner tel un pic-bois contre un arbre pour descendre au coeur de ces textes.
Je tourne depuis des semaines autour de «Rock land» de Tony Tremblay, le quatrième recueil de ce poète né à Jonquière. Il vit maintenant à Montréal, mais ne rate jamais une occasion de revenir dans la région. Il était de «La nuitte de la poésie» avec nombre de comparses, fin avril. Jean-Paul Daoust, José Aquelin, un formidable lecteur, et Jean-Marc Desgent, pour n’en signaler que quelques-uns, étaient de la mission. J’ai entendu Tony Tremblay plusieurs fois sur scène. Ici comme ailleurs, il peut être aussi un redoutable lecteur quand il se donne la peine.
«Pour aller à l’essentiel, on se brise parfois le nez sur les roches de l’enfance. L’important, c’est de se relever. Bonne lecture!» C’est pour ce genre de phrases que j’aime faire dédicacer les livres. Tony Tremblay offre toujours une clef qui permet de pousser la porte de son univers.
«J’ai dépouillé mes poèmes, arrêté de chercher l’image pour l’image», tient-il à préciser. Il se promettait alors des vacances au Saguenay cet été, histoire de retrouver un pays et des paysages. La saison a été rude à l’émission «Macadam Tribus» de Radio-Canada où il était poète en résidence.
«Rock land» présente quatre volets. «Rock land», «La population des dormeurs», «Au sanatorium de la convergence» et «Zaitochi de Montréal». Zaitochi est un héros très populaire au Japon, redoutable combattant paraît-il, renommé pour la précision de ses coups.

Patience

J’en suis à ma sixième ou septième lecture. L’impression que le décodage n’aura jamais de fin. Je bute sur ces textes comme sur du granite, me glisse entre les mots, m’acharne et finis par déceler des failles, des éléments qui supportent la charpente du recueil. Le minéral, le végétal et l’arbre qui lient le sol et l’air.
«Tu émerges de la terre / c’est dire les pierres qui te transpercent / les monstres qui t’ouvrent d’épines» (p.18)
Une terrible solitude! Le poète est une comète qui égratigne l’espace, un chercheur qui ne possède que le doute. Peut-il en être autrement quand on remet tout en question. Les poètes cherchent un sens dans la glissade des jours, frôlent la folie, l’angoisse et souvent la mort. La poésie ici empêche cette minéralisation qui avale la parole.
«des cailloux / cassent les phrases / dans ma bouche» (p.29)
Tony Tremblay surveille ses contemporains, garde des liens avec les poètes de l’affirmation qui ont secoué les années soixante et dix. C’est pourquoi je le lis et relis depuis «Rue pétrole-océan».

Arbres

Monde qui se fige et qui n’est pas sans évoquer Guillevic qui craignait le réveil des pierres et l’affrontement ultime avec les humains. Cris, appels, marche et martèlement des mots malgré les phrases qui deviennent des cailloux sur la langue. Il faut surveiller le monde, parler pour que la vie persiste et demeure possible.
Des arbres aussi, poussées de sève et de vie qui s’arrachent à la terre pour s’épanouir dans l’éclatement des feuilles. Un clin d’œil à Paul-Marie Lapointe peut-être… L’homme se moule à l’arbre, s’y enfonce pour protéger le mot, la «preuve» de son existence. Debout sur les racines et ses angoisses, il surveille. Il le faut pour engendrer la parole, jeter des mots comme des grenades dans l’espace, continuer à exister.
 «que reste-t-il dans le cœur / une fois rendu au bout du poème / aux limites du souffle / quand les mensonges sortent des yeux / que reste-t-il à l’homme et la femme / ils souffrent d’interminables recommencements / même quand les feuilles poussent / au printemps» (p.57)
Le poète demeure un résistant et un téméraire qui tente d’expliquer l’univers, la course des humains avec quelques mots comme arme. C’est l’immense défi de la poésie, son rôle essentiel. Les vrais poètes forgent des mondes et se font donneurs de sens. Tony Tremblay est du nombre.

«Rock land» de Tony Tremblay est publié à l’Hexagone.