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lundi 5 décembre 2011

Michaël La Chance ouvre un monde fascinant


«De Kooning malgré lui» de Michaël La Chance m’a déboussolé, étourdi même. C’est souvent le cas avec cet écrivain qui ne fait jamais de quartier et qui se méfie des apparences.
Willem De Kooning est né à Rotterdam en 1904 et est décédé aux États-Unis en 1997. Atteint de la maladie d’Alzheimer, il a continué à peindre en gardant son style et sa manière.
La Chance respecte à peu près la trame de vie de ce peintre américain qui a fait scandale en 1950 avec une série de tableaux intitulée «Women».
Pas question de pister l’artiste et de parasiter sa vie en se tenant aux faits et gestes de l’homme. Le roman de Michaël La Chance devient rapidement un questionnement sur l’art et l’identité. Parce que la maladie d’Alzheimer emporte la mémoire et fait en sorte que la personne touchée devient une autre. Que se passe-t-il dans sa tête, que vit-il dans «son absence»?
La Chance lance des phrases qu’il faut secouer pour en extirper tout le signifiant.
«Ainsi, la théorie physique s’incurve sur elle-même et se prend pour objet, elle traite du savoir dont nous disposons sur nos objets; elle traite de ce qu’on peut et aussi de ce qu’on ne peut pas savoir étant donnés nos appareils de mesure et nos dispositifs d’observation. En fait, le savoir est dans nos objets, c’est leur ciment; interroger ce savoir provoque la dissolution de nos objets. La mécanique quantique serait un aperçu du monde qui résulte de cette incurvation sur elle-même, quelque peu monstrueuse, de la pensée.» (p.33)
Nous avons peut-être là un individu qui se retourne sur soi pour mieux se retrouver ou se perdre, on ne sait trop. L’objet devient le sujet et aussi l’inverse. Si on applique cette théorie à deux hommes qui se sont croisés comme des météorites, cela peut donner quelque chose de fascinant.


La rencontre

De Kooning, en 1944, aurait interrogé un savant allemand qui travaillait sur le programme nucléaire des nazis. Sachant très bien que l’on veut fabriquer la bombe qui permettrait à Hitler de gagner la guerre, Boris D. a fui en emportant des documents importants. De Kooning est chargé de le questionner pour savoir ce qu’il transporte dans ses bagages. Ils se sentent vite des complices. Le jeune officier était fasciné par le monastère de Monte Cassino, par son acoustique et ses proportions qui en faisaient un lieu d’exception où il était peut-être possible d’atteindre le plus haut niveau de la pensée et de l’être.
Un obus a frappé leur jeep et la tête de l’Allemand a roulé dans le ravin. De Kooning en est sorti amnésique et ramené à la vie par Pauley, une femme qui les accompagnait et qui a échappé à la déflagration par miracle. Cet événement devient de plus en plus obsédant à mesure que l’âge s’impose et que De Kooning vit en marge du monde.
Peu à peu, avec les mots que le peintre tape sur la vieille machine à écrire de sa femme, nous plongeons dans un monde où on questionne l’identité, la peinture, la lumière, l’œuvre, la vie dans ce qu’elle est et ce qu’elle peut signifier. Nous sommes dans un monde qui se construit et se défait pour faire surgir un moment qui éclate de plénitude.
De Kooning a de plus en plus la certitude d’être l’autre, ce jeune allemand mort dans l’explosion. Le «je est un autre» de Rimbaud prend une signification particulière ici. Pauley, la femme de l’artiste, aurait joué un rôle important dans cette mutation.

Plongée

Michaël La Chance nous entraîne aux sources de l’être et de l’élan vital. Nous sommes ce que nous avons vécu et ce que nous avons vécu est peut-être autre chose aussi. La création oui, mais aussi la théorie mathématique, la science des atomes qui peut souffler la Terre.
J’ai souvent eu l’impression de me retrouver dans un texte philosophique qui tente de dire le monde, l’univers et de trouver un sens à la vie. Il faut revenir souvent sur ses traces, tordre le cou à ces phrases qui se livrent et se referment comme des pièges.
Un texte questionnant et terriblement dérangeant. Un livre difficile, je le répète, mais nécessaire. Un combat, ce que toute écriture et lecture devrait être…

«De Kooning malgré lui» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.

mardi 22 décembre 2009

Michaël La Chance réinvente la vie par le langage

Dans «(mytism) Terre ne se meurt pas» Michaël La Chance, poète et philosophe, questionne le langage et la pensée.
Les mots que nous utilisons sont sanglés comme les bêtes de trait. Notre langue domestiquée occulte la réalité. La beauté sauvage et anarchique du langage s’est perdue et il en résulte une pensée atrophiée. Bien pire, avec l’explosion des communications, le langage s’est vidé de toute substance. La parole tourne à vide, ne sert plus qu’à manipuler et étourdir.
«Le problème est là, nous n’entendons plus. Ceci en raison d’un déplacement de la présence ou d’un dépeuplement de la parole. Le langage est devenu cirque d’abstraction, dorénavant séparé des cycles fondamentaux, séparé des flux animés.» (p.9)
C’est cette richesse, cette profondeur première et porteuse de sens «dont nous avons perdu l’idée» qu’il faut retrouver.

Déconstruction

Michaël La Chance souhaite retrouver le monde du «Big Bang» langagier en quelque sorte.
«Nous devons revenir aux paysages, car ce sont des réservoirs psychiques, des tumultes d’émotions qui parfois nous traversent.» (p.9)
Pour saisir l’être, «…pour entendre les tigres sauvages en deçà de la muraille», il faut dire à la fois le pour et le contre, l’envers et l’endroit, le vide et le plein; pour s’arracher à ces étranglements et apprendre à  «…regarder la réalité en face, celle qui est en nous et celle qui est autour de nous. Interroger la réalité, inlassablement. Cela semble aller de soi, pourtant nous ne savons plus par où commencer: quelle meilleure façon de prêter attention à la réalité que de regarder le ciel et les montagnes, la rivière et la forêt, pour sentir le tangible de l’être. En tant qu’être, en tant que tangible.» (p.23)
Le philosophe progresse dans un texte qui occupe les pages de droite et le poète brandit la poésie sur la page de gauche. Comme s’il sollicitait les deux parties du cerveau pour voir le plus large possible.
Textes réflexifs où il questionne toutes les attaches qui étouffent la pensée et le langage; textes poétiques qui permettent des échappées lumineuses.
«Vous allez ça et là dans les blés
sans reconnaître leur ondoiement
d’hauteurs vides
vous allez ainsi
dans les champs de la parole
et piétinez le chemin du retour» (p.52)
Comme les lieux portent l’être, les textes et les lectures définissent des ancrages qui provoquent le sens.

Angoisse

Rien n’est pareil depuis un certain onze septembre. Nous ne voyons plus la vie de la même manière.
«Le Temps s’est renversé, il n’est plus décompte depuis l’Origine, mais compte à rebours vers la fin. Alors comment pouvons-nous nous leurrer d’être au monde comme auparavant ? Non, la Présence est entamée, la nature humaine s’en trouve modifiée.» (p.103)
La poésie permet de toucher le vrai, le réel, l’éternité si l’on veut.
«Matérialiser les mots, voilà ce qui nous permet de relancer les notions les plus abstraites dans le jeu du sens. Et de jeter les mos les uns contre les autres comme des osselets divinatoires. Alors nous pouvons passer la main sur la trame, nous touchons du doigt  les nœuds dans le filet. Nœud après nœud, le tissu maillé fait de nous sa proie.» (p.75)
La quête de l’homme est de créer une écopoïétique qui permet de redevenir un être vibrant. Cela ne peut se faire qu’ici, maintenant, sans tenter de se réfugier dans le passé ou de se propulser dans l’avenir. Le temps réel est ce présent glissant comme le flanc de la truite.
L’ivresse langagière de Michaël La Chance permet de croire que la vie est possible en autant que nous visitions des lieux, que nous acceptions les multiples êtres que nous sommes. Oscillant entre l’angoisse et l’optimisme, «Mytism» s’avère un formidable voyage de lecteur, un plaidoyer pour la vie.

«(mytism)  Terre ne se meurt pas» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.

samedi 12 décembre 2009

Éloge de la merde et de la pisse

Avec Guy Perreault, nous basculons dans un univers sordide et plutôt inquiétant. «Ne me quittez pas», on serait tenter de le faire rapidement, présente ces individus qui ne savent pas rompre et tourner la page. Incapable d'affronter la réalité, ils préfèrent s'inventer un univers et se débattre avec des fantasmes qui peu à peu s'emparent de leur esprit. Dans «Eaux mortes», un homme abandonné tente de retrouver sa femme. Un mâle qui ne sait qu'uriner, boire, uriner encore jusqu'à faire déborder le bain, les éviers et les poubelles. Une bête mâle qui marque son territoire, l'orignal en rut qui ne sait plus se retenir. Il pisse sur les trottoirs, dans la cabine téléphonique! Très vite on se lasse de cette écriture qui ne dépasse jamais le stade anal. 
Le récit le plus réussi reste l'enfant au fond de la baignoire. Là, malgré certains égarements, l'auteur parvient à nous entraîner dans un monde fascinant. La séparation d'avec la petite morte ne se fait pas et la baignoire devient miroir et reflets.
Je n’avais encore rien lu pourtant. Dans «Étoile froide», je me suis heurté à la nécrophilie, la merde, une forme de cannibalisme, la sodomie et tout ce que vous pouvez imaginer. Un homme baise avec sa femme morte et semble vouer à l'érection perpétuelle. Bien sûr, il ne faut jamais lire ces textes au premier degré mais comment oublier toutes les horreurs et les immondices.

Contenu

On dira toujours que Guy Perreault sait manier la phrase mais faut-il pour autant oublier le contenu. Un texte, si bien écrit soit-il, ne me fera jamais oublier ces étreintes qui finissent dans la merde et la pisse. Un petit échantillon?
«L'anus se contracte mollement, desserre son étreinte. Une émission de merde en déborde, malgré la verge plantée au plus profond. Puis les sphincters se relâchent, laissant filer une ultime plainte. En même temps que les larmes, le sperme jaillit.» (p.63).
Il ne manque que l'odeur. Pour choquer dites-vous? Même pas. À oublier au plus sacrant.

«Ne me quittez pas!» de Guy Perreault est paru aux Éditions Triptyque.

dimanche 12 avril 2009

Pierre Gobeil en quête du temps perdu

J’attendais un nouveau roman de Pierre Gobeil depuis la parution de «Sur le toit des maisons» en 1998. Plus de dix ans en fait.
«Le jardin de Peter Pan», il le travaille depuis tout ce temps. Il le souhaitait impressionnant, volumineux pour être «visible dans les librairies». Il semble que son vœu n’a pu se matérialiser. Son dernier-né fait à peine cent pages. Un écrivain possède un espace, des repères et des distances. Il est très difficile de s’en évader. Autrement, il risque de ne plus savoir quelle route emprunter, de ne plus retrouver sa cadence et de courir derrière son souffle.
«Sept heures aux Îles, mais rien que six à Montréal, lorsque dans l’air plus frais du soir, je peinais à retrouver les couleurs que j’avais tant aimées auparavant. Non pas ces plages fadasses esquissées chaque fois que nous prenions l’avion pour le Sud, mais quelque chose d’un mordoré serti de bulles me rappelant les desserts que nous faisions aux premiers jours de notre rencontre, et qui m’avait fait jurer, une fois installés dans notre bunker sur la falaise, que nous ne passerions plus jamais d’été ailleurs que sur ces côtes, que nous avions enfin trouvé un défi à notre ressemblance et que nous y resterions accrochés, promesse était faite, jusqu’à la fin de nos jours…» (p.9)
Un écrivain célèbre et riche revient aux Iles-de-la-Madeleine, dix ans après avoir débarqué dans le paradis terrestre. Il y a eu la naissance d’un enfant et les difficultés à s’adapter à la vie de père. Tout s’est effrité. Il pense retrouver le fil en revenant, comprendre pourquoi la vie l’a poussé dans les chemins de la solitude. Peut-on changer son passé?

Paradis perdu

S’il y a une constance chez Pierre Gobeil, c’est ce sentiment d’avoir perdu un paradis où la vie était une promesse de bonheur. Cette thématique porte «Tout un été dans une cabane à bateau», «La mort de Marlon Brando», «Dessins et cartes du territoire» et «Sur le toit des maisons». Ce temps de la jeunesse où il est permis de croire à l’absolu, à un monde qui ne changera jamais. Arrive une agression, un événement et tout bascule irrémédiablement. La vie éclate comme un vase sur le plancher.
Le travail de l’écrivain devient cette longue «recherche du temps perdu», la reconstitution du paradis d’où il a été expulsé par la vie. Les lieux et les espaces recèlent les secrets du drame ou de la perte. Les narrateurs de Pierre Gobeil tentent de reconstituer le puzzle en hantant les territoires pour abolir le temps et retrouver cette innocence perdue.
«Devant les restes de l’ancien quai, je pouvais toujours aller à droite ou à gauche, délimiter la durée de ma croisade, arpenter les falaises ou mettre mes pas dans des traces pour traverser le goulet, mais je connaissais maintenant la longueur de ces chemins et savais que malgré ces quelques centaines de Polaroids disséminés un peu partout, ce que nous avions vécu jusque-là appartenait désormais au passé. Toutes ces images de caisses de poissons sur les quais, de fleurs le long des routes, puis de cette mer froide dont on avait fait notre bonheur.» (p.20)
À la manière des musiciens Steve Reich ou Philippe Glass qui ne cessent de reprendre un motif qu’ils visitent et poussent jusqu’à l’obsession, Pierre Gobeil crée une forme d’envoûtement à lequel il est difficile d’échapper. Il devient fascinant.

Quête impossible

La quête s’avère impossible, mais qu’importe. L’écrivain capte des moments, des paysages, des couleurs dans le ciel qui nous permettent d’espérer que la course va s’arrêter, que la vie peut échapper à ce bond en avant qui saccage tout.
«Les gens changeaient, les Îles restaient pareilles, ou bien les gens restaient les mêmes et c’étaient les Îles qui se transformaient, d’une année à l’autre, sans qu’on sache véritablement si c’était pour le mieux. Personne ne semble plus savoir.» (p.26)
«Le jardin de Peter Pan» permet de retrouver le meilleur de Pierre Gobeil, celui que l’on a savouré dans ses romans antérieurs. Il devient alors un coloriste où l’écriture se transforme en méditation ou une forme de prière.

«Le jardin de Peter Pan» de Pierre Gobeil est paru aux Éditions Triptyque. 

mardi 19 février 2008

Peut-on abolir le temps et redessiner sa vie?

Si, pour la plupart des écrivains, la langue est une matière qu’il faut dompter, certains tentent d’en défaire les composantes pour inventer un autre langage. Ce rêve hante nombre de créateurs. Une tentative où plusieurs écrivains se sont brisé les dents, il faut le dire. Suivre les traces de James Joyce ou Victor-Lévy Beaulieu n’est certainement pas souhaitable. S’enfermer dans un jargon plus ou moins heureux fait oublier la fibre même de l’écriture. Un écrivain publie pour communiquer avec ses semblables et témoigner de sa société et de son époque. Il ne doit pas s’empêcher pour autant de s’aventurer dans des sentiers peu fréquentés ou d’en ouvrir de nouveaux.
En lisant l’incipit de «Sweet, Sweet China», j’ai pensé tout de suite à «L’Inquisitoriale» de Michaël La Chance.
«Moi, je suis la première personne de toutes les histoires», écrit la romancière Felicia Mihali. «Là où il y a quelque chose à raconter, moi, le Narrateur éternel, je crée le monde grâce à la grammaire, aux artifices de la conjugaison, de la déclinaison et des accords».
Michaël La Chance lui fait écho à sa manière : «Car, sitôt sur papier, un mot est déjà une phrase, un appel de celui que j’étais à celui que je serai, quel qu’il soit. Il m’a fallu ce détour pour aller à la rencontre de celui qui écrit ces mots aujourd’hui.»
Les auteurs engagent souvent des dialogues sans le savoir. Peut-être que le travail du chroniqueur consiste à les écouter et à les mettre en présence les uns des autres.

Le temps

Michaël La Chance, écrivain et professeur à l’Université du Québec à Chicoutimi, tente de modifier notre regard sur la vie et notre façon de découper le temps. La poésie ne saurait être sans bousculer ce monde plus ou moins chaotique et incertain.
«Nous sommes encore, à notre insu, ce que nous avons été. Et aussi, à notre insu, nous sommes déjà ce que nous serons. Nos âges cohabitent, mais un empressement fiévreux nous fait étirer la vie comme ficelle, les brins cassés, effilochés, pour que nous ne ressemblions jamais à nous-mêmes sinon dans le resserrement factice de l’instant.» (p.13)
Contraction du moment pour inventer un présent autre. Pour y parvenir, La Chance retourne sur des lieux, évoque différentes époques de sa vie, des amours qui «revivent» par ce «souvenir activé». Il ramène ainsi le passé dans le présent comme un pêcheur qui ferre un poisson. Il abolit aussi le futur d’une certaine manière. Il n’y a de «vrai» que ces moments reconstitués.

Fragments

Michaël La Chance invente des artefacts qui ravivent une réalité avalée par les souvenirs. Il est aussi possible de s’approprier les textes des autres. «Je est aussi les autres» peut-on dire en triturant la formule de Rimbaud.
«Ma nymphe se fait un voile du frisson de l’onde. Je retire le voile et je me noie. Voilà ce qu’une telle beauté dit de la forme du monde, lorsqu’elle dit qu’en ce monde la beauté est possible. Je l’attends dorénavant dans les bras tordus des branches et aussi dans l’haleine des collines.» (p.33)
L’aventure de l’écriture devient alors une véritable quête qui tente de cerner la vie dans son essence. Des textes d’une beauté étrange s’imposent, de véritables moments de grâce. Une écriture qui se hisse souvent à des sommets, frôle parfois les aphorismes.
«Je marche sur la grève, retournant mes phrases, assurant mon pied sur les rochers. Le langage est un fauve fluide, un essaim de signes. Précipitant ses brisants contre l’aspérité du réel, il laisse l’écume blanche des mots sur nos lèvres.» (p.26)
Tout se fait et se défait chez Michaël La Chance. Comme le flux et le reflux de la vague qui réécrivent sans cesse le bord de la mer.
Un livre éclaté, exigeant, qui ramène inévitablement à soi, au rêve d’un récit reconstitué de sa vie. Lecture déroutante, envoûtante qui fait que l’on ravive des émotions lointaines, que l’on sollicite des souvenirs qui sont comme des nœuds que le temps ne peut dénouer. Il reste à les triturer, les magnifier ou encore, le plus simplement possible, les reconstituer par le langage.

«L’inquisitoriale» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.

vendredi 23 novembre 2007

Maggie Blot s’abandonne trop aux mots

Maggie Blot aime les mots. Elle fonce sans regarder dans le rétroviseur, emprunte toutes les directions en se souciant peu de larguer son lecteur.
Pas question de s’attarder à camper des personnages ou de développer une intrigue. L’écrivaine bondit comme le grand chien Plagiste, un nom vraiment impossible, quand il surprend des mouettes sur le sable. Elle s’attarde à la préparation d’un repas, évoque la vie conjugale de Bianca Jagger ou s’inquiète des aspérités de la vie. Résultats: de brefs moments fascinants et une exubérance qui se perd dans des virages imprévisibles.
«Nous avons franchi le pas de la porte chez « Bernard et Bernadette vos hôtes adorent vous restaurer » et pouf, l’odeur de la nourriture nous a fait taire, l’eau à la bouche nous refilait notre squelette – celui qui voit, goûte, tend l’oreille, prend les choses comme elles sont, en intégrant-désintégrant tout commentaire. Le pas franchi, spontanément, ma main d’acolyte a cherché celle de Nico. J’avais besoin de sa main. Je me suis repris aussitôt, ai reculé. Je me disais que j’étais en une seconde redevenu un enfant qui a la main d’un monkey à crochet. Toutefois je l’avais frôlée et cela avait brûlé.» (p.46)
Un récit qui a de l’élan, mais qui s’étiole souvent, un certain regard sur la société et les humains.

«Plagiste Dormir ou esquisser» de Maggie Blot est paru aux Éditions Triptyque.

jeudi 12 octobre 2006

Vaillancourt continue son étrange aventure


Marc Vaillancourt est peut-être l’écrivain le plus étrange et le plus déroutant du Québec. Ce Chicoutimien a étudié le latin comme beaucoup de Québécois et il ne s’en est jamais remis. Cette langue est la clef du savoir et de la connaissance pour lui. Hors du latin, tout n’est qu’ignorance et bêtise.
Il publie régulièrement depuis 1992. Poèmes, essais, récits, roman marqués par ce savoir et cette langue qui sont de véritables hantises.
Je dois être l’un des rares au Québec à posséder l’ensemble de ses ouvrages et à suivre son parcours qui échappe à toutes les normes. Je ne sais pourquoi je m’entête à voir où il en est, quelle direction il va prendre. Force est de constater qu’il piétine et se répète de livre en livre.
Ses essais sont des monstres de mauvaise foi, de certitudes, de mépris, de misogynie et de sexisme. J’ai lu «Les ailes de la sibylle» et ses aphorismes où il charge aveuglément tout ceux qui publient et écrivent au Québec. Les femmes surtout ont droit à sa hargne. Les écrivains au Québec, selon notre latiniste retardé, sont des ignares, des béotiens et des imposteurs. On croirait surprendre Mordecaï Richler quand il perdait les pédales dans les journaux américains.
Le propos est tellement grossier qu’il est impossible de le prendre au sérieux malgré ses sparages, sa rhétorique, les citations d’auteurs oubliés et son écriture nourrie à la cortisone.
Je me suis lassé rapidement de son roman «Un travelo nommé Daisy» malgré un bon départ. Un clin d’œil au dramaturge Tennessee Williams, vous vous en doutez. Une véritable hérésie si on se fie à la logique de notre latiniste fondamentaliste. Un bon début, quelques dizaines de pages et le fiel se répand sur toutes les pages.
Il revient avec le «La cour des contes», un titre qu’il a chipé à la poétesse Louise de Vilmorin. Il l’avoue.
Je croyais que Marc Vaillancourt avait compris, du moins dans les premiers récits. De bons textes. Voici que je suis du côté des crétins qui le louangent ou qui lui administrent des baffes. Les journalistes et les critiques sont des paltoquets et des rustres dans l’esprit de notre intégriste. «Note me tangere», In extremis ou le dernier Noël de Yann Moreault» tout comme «La Chine m’inquiète» sont agréables malgré cette volonté de toujours tout compliquer. Un humour se dégage, un monde, un univers qui peut séduire.
Rapidement pourtant, il retrouve ses obsessions et ses jugements à l’emporte-pièce. Il traîne tout le monde dans la fange et la boue.
Pourquoi alors lire Marc Vaillancourt? Il est rare de rencontrer un homme d’une autre époque, quelqu’un qui s’est réfugié dans ce Québec qui se complaisait dans les versions latines et les déclinaisons.
Pourtant quand il oublie ses obsessions et sa volonté de faire comme si, il peut être attachant et étonnant. Il y a ici et là, des phrases qui sont des embellies dans une sacristie couverte de poussière. C’est peut-être pour cela que je continue à le suivre tout en gardant mes distances de peur d’être contaminé par ses obsessions. Dommage! Marc Vaillancourt gaspille un talent immense dans une recherche frénétique d’attention. La littérature peut aussi mener à une sorte d’obsession qui fait que l’on coupe tous les ponts avec ses contemporains et même avec sa propre culture. Voilà peut-être la plus terrible des aliénations. 

«La cour des contes» de Marc Vaillancourt est paru aux Éditions Triptyque.

mercredi 13 septembre 2006

Alain Gagnon: le monde à l'envers et à l'endroit

Alain Gagnon a toujours été fasciné par les phénomènes paranormaux. Tout au long de sa vie d’écrivain, il n’a jamais su dire non à la tentation de glisser, ici et là, dans ses ouvrages, des phénomènes inexplicables, des énigmes difficiles à cerner.
Que ce soit dans «Thomas K» ou dans «Le gardien des glaces», le lecteur se heurte à un événement qui le désarçonne. Particulièrement dans «Le gardien des glaces». Les fantasmes se bousculent entre les murs du relais qui accueille les voyageurs qui s’aventurent sur le lac Saint-Jean, entre Péribonka et Roberval, quand les glaces font un pont sur la grande étendue d’eau.
Louis Hémon y fait une apparition, un moine hirsute et des bêtes qui n’agissent guère comme des bêtes. Un incroyable roman de neige, de froidure et d’hallucinations qui subjugue le lecteur. Je le relis régulièrement et éprouve toujours le même plaisir. Un livre étonnant que l’on a oublié beaucoup trop tôt. Il serait temps de le redonner au public lecteur. Pourquoi on ne le rééditerait pas en format de poche, dans la collection BQ?
Il a poussé loin cette fascination dans «La langue des abeilles», un roman qui montre l’envers et l’endroit du monde.

Lieux connus

Alain Gagnon vient de publier «Le truc de l’oncle Henry». Je ne compte plus les titres depuis longtemps. Deux douzaines au moins. Il écrit sans prendre de répit, oscille depuis quelques années entre le Saguenay et Notre-Dame-du-Portage qu’il fréquente en été.
Ce nouvel ouvrage secoue les grandes certitudes qui assoient l’évolution du monde et la naissance de l’humanité.
Le familier d’Alain Gagnon reconnaîtra son «pays d’écriture». Saint-Euxème, la rivière la Louve, le lac Bleu et la Calouna. Cet écrivain natif de Saint-Félicien s’est forgé un pays littéraire, à la manière de William Faulkner. Un monde qui a ses ancrages au Lac-Saint-Jean, pas très loin de l’Ashuapmushuan et de la rivière aux Saumons. Le familier des lieux y trouvera plein de clins d’œil.
«Bien au chaud dans sa fourgonnette, Olaf longe la Calouna qui, féline, s’étire avant de s’endormir dans cette fin d’après-midi de septembre. En aval, la masse sombre des îles. Lacouture et lui y ont chassé le canard dans leur jeunesse. Siteu en possède une, de ces îles. Comme si, déjà, il n’avait pas assez de terrain, songe Bégon.» (p.39)
Nous ne retrouvons peut-être pas la magie de «Sud» ou de «Thomas K» avec «Le truc de l’oncle Henry» mais quel ouvrage captivant. L’écrivain s’amuse et le lecteur y trouve son compte. On reconnaît le ton, la musique interne et la couleur de l’écrivain.
Alain Gagnon ajoute ici une page à son monde étrange, souvent cruel et explore d’autres méandres de la pensée. Il faut juste lui faire confiance et accepter de le suivre.

Enquête

Des phénomènes étranges inquiètent la population de Saint-Euxème. Des disparitions, des morts, des attaques sauvages et inexplicables se succèdent depuis que des travailleurs construisent un barrage dans la gorge des Conscrits. Des êtres étranges et d’une force peu commune terrorisent les habitants.
Le chef de police, Olaf Bégon, enquête, mais par quel bout empoigner ces phénomènes qui échappent à toutes les explications. Bien sûr, Alain Gagnon noue les ficelles, place les éléments du puzzle, multiplie les points de vue, pousse le lecteur tout doucement dans un monde fantastique.
Un véritable thriller, un roman policier qui emprunte des sentiers peu connus. Bien sûr le chef Bégon réussira à déjouer tout le monde, à percer tous les secrets en plus de trouver l’amour.
Alain Gagnon échafaude une œuvre qui sort de l’ordinaire depuis plus de trente ans même s’il se fait fort discret. Ce travailleur acharné croit surtout au travail bien fait et que l’écrivain doit, avant tout, écrire.
Une œuvre impressionnante qui prend la couleur de la poésie et du conte à l’occasion. Je me promets de le parcourir en une seule et grande course un de ces jours, histoire de goûter à la quintessence de cette entreprise originale qui fait en sorte que la littérature au Québec existe.
Le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean reconnaît, une fois de plus son immense talent, fin septembre. Il s’affirme cette fois en poésie avec «L’espace de la musique» après avoir remporté le prix fiction-roman à deux reprises avec «Sud» et «Thomas K».

«Le truc de l’oncle Henry» d’Alain Gagnon est publié aux Éditions Triptyque. 
http://www.triptyque.qc.ca/auteurs/aut6.html

jeudi 13 juillet 2006

André Ricard questionne notre civilisation

J’ai abandonné «Une paix d’usage» d’André Ricard une bonne dizaine de fois. Et à chaque fois, je suis revenu à ce récit pour chercher une direction. J’y suis revenu comme une vague qui éloigne et pousse vers le rivage. Peut-être que le lecteur sent le besoin de s’accrocher pour trouver un sens à la vie. André Ricard était au Mexique le 11 septembre 2001. Il s’apprêtait à escalader une pyramide quand quelqu’un lui a appris que des avions avaient percuté les tours du World Trade Center. Les symboles de la puissance américaine et des échanges commerciaux s’écroulaient. Les États-Unis étaient assommés par cette attaque que nul ne pouvait imaginer.
Tout est vu à la télévision, comme dans un film mille fois repris. Le monde fige devant les écrans. Les États-Unis de George Bush sont frappés à la poitrine. L’ailleurs est devenu l’ici, le maintenant. La mort souffle des milliers de personnes. La fumée bouche le ciel de New York et des dizaines de personnes se lancent dans le vide pour échapper aux tours transformées en véritables torches.
«Le monde entier en a été témoin, un avion de ligne, avec ses voyageurs pouvait-on le croire? est venu s’encastrer dans le second mât de téléguidage pointé sur la croissance sans fin.» (p.29) 
André Ricard, comme tous les citoyens de l’Amérique du Nord, est touché. Le monde vacille. C’est peut-être la fin d’une époque. Les médias, qui aiment les formules percutantes, répètent que «plus rien ne sera pareil».

La vie ou la mort

André Ricard séjourne dans un pays où des cultures se sont heurtées. Les Conquistadores, il y a des centaines d’années, piétinaient de très anciennes civilisations en crachant le feu sur des terres qui ont donné naissance au Mexique. Des sociétés étaient balayées au nom de Dieu par ces commandos. Des ruines sont restées comme après le passage d’une tornade. Les descendants de ces peuples, aujourd’hui, s’égarent dans des croyances qui s’étiolent peu à peu. Quel avenir les humains peuvent-ils espérer?
Ricard soupèse les rites, les sacrifices humains des Aztèques, Hiroshima et toutes les catastrophes qui éclaboussent la marche des humains. Il fréquente des comédiens qui questionnent les hommes et les femmes. Que reste-t-il des chemins de l’amour quand on secoue les figures archétypales? L’instinct de vie est-il plus fort que ce désir de mort?
«Il s’agit ici, non d’actualité-spectacle, mais d’un fait réel, et sa reproduction délivrée jusqu’au fond des cuisines ne peut se confondre avec aucune bande d’actualités. C’est d’un vrai désastre qu’il s’agit. Tant de vraies personnes, ayant fui les édifices percutés, pourraient le dire. Et les préposés au déblai, et ceux qui scellent les housses mortuaires. Mais tous, rescapés, secouristes, ils se taisent.» (p.57)
Ricard, à la manière d’un archéologue, questionne une humanité qui ne sait que le feu et le sang. Les États-Unis ne trouveront rien de mieux que d’envahir l’Afghanistan et l’Irak après cet épisode sanglant. La violence épouse toujours la violence.

Lecture

Un murmure hallucinant. Une terrible expérience de lecture, un texte très exigeant mais fascinant. Un récit qui dépasse le fait divers et tente d’effleurer les pulsions profondes de notre civilisation. Les pas de Diego Rivera, Frida Khalo, du poète Maïakovski et Léon Trotski reviennent comme en écho. Le lecteur perd ses certitudes.
«En dépit des cellules souches, de tous auxiliaires, chimiques, génomiques, nous perdrons notre jeunesse. Nous sommes des êtres de société, et nous devrons partir seuls pour nous confondre aux choses. Nous n’invoquons plus les dieux pour assumer l’inacceptable, nous restons avec notre vaine révolte. La vie est une telle addiction!» (p.124)
Les catastrophes se mélangent dans l’étrange corps à corps de l’amour, de la haine, de la violence et de la plus grande des douceurs. Il faut s’accrocher aux phrases pour surnager dans ce texte touffu qui nous égare à chaque virgule. Et quand on ne sait plus, un élément permet de continuer cette marche à l’aveuglette. Il faut jongler avec les mots, les retourner pour percevoir une petite lueur dans la poussière des tours du World Trade Center. Un récit déconcertant mais nécessaire.

«Une paix d’usage» d’André Ricard est publié aux Éditions Triptyque.  

jeudi 1 septembre 2005

Alain Gagnon reste fidèle à la poésie

Alain Gagnon, même s’il est surtout connu comme romancier, est demeuré fidèle à la poésie depuis son entrée en littérature en 1970. Ici et là, des poèmes jalonnent son parcours, offrent des temps d’arrêt où le manieur de mots devient méditatif devant les élans du monde et les dérives du temps. Il récidive avec «L’espace de la musique» qui vient de paraître chez Triptyque, une maison d’édition où cet écrivain migrateur a trouvé refuge depuis quelques années.

Cette suite poétique confronte le temps, la succession des saisons mais surtout les espaces limitrophes, ces «marches» où tout peut survenir. Il existe des lieux, des pays frontaliers qui ont connu tous les envahissements au cours de l’histoire, des horizons qui permettent de rêver l’ailleurs, des entre saisons qui creusent des lézardes dans l’espace. Alors la pensée peut saisir «les territoires de la musique» pour celui qui s’attarde.
«Je salue l’air, et je salue ce vent qui porte les voix et les miséricordes de la musique. Devant moi cette lucarne prolonge la page et l’ouvre par les souffles du suroît sur la frontière des marches». (p.17)

Le promeneur

Alain Gagnon marche à la ville, longe les mers et des fleuves, fige à la frontière des rivages, là ou les grandes marées modèlent le visage des continents, là où la terre se laisse troubler. Il y a ces horizons aussi, la lisière floue des forêts au moment où le gel colle au sol, les premières neiges qui valsent entre l’hiver et l’automne comme si elles dansaient sur un fil.
Ces lieux, ces moments interpellent les humains. Ils soufflent, rattrapent des morceaux de vie, tentent de s’ancrer plus profondément dans le temps. Parce que tout est musique, tout est espace, tout est mouvement en soi et aux alentours. La vie n’est qu’un intervalle que l’on sillonne en aveugle.
«Sur le chemin de traverse de la campagne la plus déserte, au bout de cette piste solitaire qui se heurte à une futaie de givre, une grive déroule son chant que le soir accroît». (p.34)
Le marcheur va d’une saison à une saison, se laisse interpeller, cueillant ici et là des impressions, des images qui évoquent Walt Witmann qui savait si bien se perdre en de longues rêveries lors de ses promenades solitaires.
«Et voici que la sterne immobile, ailes battantes, m’interpelle… » (p.51)
Des incantations, des poèmes denses, aux effluves bibliques, de mer, de chaume qui fume dans les matins d’octobre ou qui craquent quand le froid s’installe et frotte la neige. Le poète a le temps alors de remuer les mots qui griffent le blanc de la page, de s’étourdir sur les empreintes de l’hiver qui révèlent la vie sauvage.
Alain Gagnon rêve des strates de la terre, dénoue les couches du temps, se laisse appeler par les pierres et les arbres, la mer et les oiseaux, ces perceurs de frontières. Il devient frère de Guillevic, maître du mot, magicien qui sait par une image ouvrir une galaxie et trouer l’espace.
Alain Gagnon reste poète malgré ses nombreuses escapades dans le roman. Comme si la poésie était un feu de forge qui couve, garde les mots au chaud, laissant entendre «une petite musique de nuit» à la Wolfgang Amadeus Mozart. Un pur plaisir.

«L’espace de la musique» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions Triptyque

mardi 14 décembre 2004

Mathieu Arsenault s’attarde aux jeunes

Mathieu Arsenault en est à sa première plongée dans le roman et il bouscule les règles et toutes les convenances dans «Album de finissants». On n’en attend rien de moins d’un jeune écrivain qui cherche à transformer le monde par l’écriture. Il faut du culot et toutes les audaces pour se lancer dans une pareille aventure.

Des garçons et des filles, des révoltés, des marginaux, des doués et des oubliés parlent de l’école, de leur réalité et de leur monde asphyxiant. Des clichés s’y succèdent, des sourires plus ou moins confiants devant l’avenir qui s’ouvre sur tous les horizons. Est-ce une fin ou un début? Comment savoir? Des élans, des colères mais surtout un milieu qui écrase autant les doués que ceux qui sont largués. Un rap sans fin qui martèle une longue confession qui donne des frissons.
Comme dans ces albums de fin d’année où l’on surprend un chapelet de visages qui ont su résister à l’épreuve mais qui semblent effarouchés devant l’avenir.
«Plus je me débats plus ça se resserre l’étudiant modèle sur les dents poussin courbé lapin étouffe dans un collet mais il sourit quand même quand il reçoit sa belle note de fin d’étape signez signez parents de février au sinistre bulletin des choses signez au stylo sur les lignes de genévrier pleines de la neige de celui qui n’en finit plus de tomber au stress de performer à l’école comme dans la vie tes notes c’est tout ce que t’as mon grand garçon fais pas honte à ton éducation.» (p.25)

Matières

Mathieu Arsenault évoque les matières que les étudiants doivent fréquenter quand ils subissent les lois des professeurs et des parents. Une sorte de jubilation qui débouche sur des moments particulièrement intéressants quand il bascule du côté des mathématiques ou des sciences. Un beau délire.
«En biologie le monde est si petit il y a le jour et la nuit y a la mer et y a la pluie en fines particules qui tournent en cycle à la page cent trente-six mais c’est à la dernière page que je voudrais me coucher d’avoir tout su perdu dans le blanc de la page de garde ma chérie tombe ruisselée évaporée reste près de moi encore une pluie que les flèches du tableau 5.8 font tomber sur mon corps tordu je suis fait en papier tu m’allumes tu me brûles tu me fus et je pars en fumée dans ton nuage d’école en feu qui nous réchauffe le cœur ma vapeur monte et je suis diffus enfin.» (p.108)
Au diable les règles et la ponctuation! Arsenault déconstruit la langue et bouscule la grammaire. Il s’abandonne à la frénésie du dire et s’amuse avec les images tel un cracheur de feu.
«Le petit lapin. Quand le printemps revient de nouvau virgule quant le printamps revien de nouveau virgule tous les annimaux de la forêt surgicent de l’heure tanniêre le preintemp revient de nouveaux virgule tous les animmaux de la forèt surgisse de leurs tanières et retrouve le soleil point tout les animeaus de la forait suregisent de leurs taniaire et retrouvouvent le soleille poing…» (p.7)
Autant se laisser emporter par la magie de cette écriture qui bondit dans toutes les directions. Exigeant pour le lecteur mais l’aventure en vaut le coup.
«Viens m’embrasser en plein cours dégrafe ton soutien-gorge je veux me coucher dans la chaleur de ton corps grande chaleur peau sur mon bureau pour dormir et rêver peut-être mais dans ce rêve suivre encore le cours et viens me border plus profond encore jusqu’à la folie je me lève sans rien dire à personne et je sors en plein examen pour je sais pas quoi je sais rien l’examen reste blanc comme ta petite culotte que je cherche à tracer sur ma feuille les lettres s’arrêtent sur ton nom à chaque question j’écris rien je calcule rien je pense à rien la tête couchée sur mon bureau end on the line fin de la corde à linge tout sèche tout cours pour rejoindre mon amour dans le blanc d’examen dans le zéro pour cent du monde.» (p.81)

Mathieu Arsenault, «Album de finissants» de Mathieu Arsenault est paru aux Éditions Triptyque.