mardi 16 octobre 2007

Sergio Kokis ne cesse d’inventer des mondes

Sergio Kokis, depuis «Le pavillon des miroirs» paru en 1994, a publié quatorze romans. Une cadence époustouflante quand on sait qu’il ne dédaigne pas les gros ouvrages qui prennent la dimension de véritables fresques.
Il a même osé entraîner le lecteur dans une trilogie mettant en scène les personnages d’un cirque qui fuient l’Europe lors de la Deuxième Guerre mondiale. «Saltimbanques», «Kaléidoscope brisé» et «Le magicien» révèlent les coulisses de la dictature en Amérique du Sud. Un univers fait de grandeur et de démence. Des pages époustouflantes.
En 2003, il publiait «Les amants de l’Alfama», un ouvrage magnifique et captivant. L’an dernier, il surprenait avec «La gare», un texte où toutes les références basculent et confondent le lecteur.
Bien sûr, tout n’est pas égal dans cette production foisonnante. J’ai un peu tiqué en lisant «Le maître de jeu» où il n’hésite pas à convoquer Dieu pour discuter et argumenter. Pourtant, Kokis trouve là encore le moyen de surprendre par son propos et son imaginaire.
Il s’attaque aussi à des sujets que peu d’écrivains abordent. Je pense à la contrefaçon en peinture dans «L’art du maquillage». Une trame romanesque un peu faible, mais un regard percutant sur le sujet par un écrivain qui est aussi peintre. Il illustre toutes les jaquettes de ses romans.

Rebelle

Sergio Kokis est un rebelle et je le soupçonne d’être un tantinet têtu. Il nous entraîne dans les hautes sphères même si, parfois, il néglige un peu son écriture, se laissant emporter par son propos. S’il était impeccable dans «La gare», il a fait vite dans «Le fou de Bosch», sa dernière parution. L’écriture est moins serrée, un peu bavarde même. Nous sommes loin de «Negao et Doralice» ou «Les amants de l’Alfama». Cela a un peu gâché mon plaisir, je l’avoue.
Cette fois, il suit Lukas Steiner qui se croit victime d’une machination universelle. Ce Steiner vit à Montréal, se sent espionné par tout le monde à la bibliothèque municipale. Tous en veulent à sa peau, y compris les concepteurs de la Grande bibliothèque du Québec qui est encore en projet. Un personnage qui permet tous les délires et de jongler avec tous les préjugés. Kokis s’en donne à cœur joie. Il a cet art de suivre des marginaux qui voient le monde à travers des verres déformants.
«Cet immense trou bétonné, carré, disgracieux, tel un sordide dépotoir atomique deviendrait inexorablement le parking souterrain d’un bâtiment moderne, sans cave ni grenier, sans recoins où se cacher, entièrement informatisé, illuminé de partout, envahi de lecteurs avides et indisciplinés qui se serviraient à leur guise et sans scrupules des livres chers à son cœur.» (p.29)
Et voilà que Steiner se «reconnaît» dans les fresques de Jérôme Bosch, un peintre né en 1453 et décédé en 1516. Convaincu d’avoir servi de modèle à l’auteur du «Jardin des délices», il explore l’univers étonnant de ce peintre. C’est le meilleur du roman. Steiner prendra la fuite et traversera une partie de l’Europe en marchant vers Saint-Jacques de Compostelle. Un parcours que le romancier a fait, il y a quelques mois, en chaussant les bottes du pèlerin.

Le mal

De magnifiques pages sur Jérôme Bosch, l’obsession du mal qui hante les fresques que Steiner retrouve et admire un peu partout dans les musées des pays qu’il traverse.
Malheureusement, Sergio Kokis résiste mal au plaisir de donner des petits coups de griffes un peu puérils. Des phrases assassines sur Jacques Parizeau ou encore les Québécois font hausser les épaules. Des fadaises qui heurtent un peu le lecteur admiratif que je suis.
«… Steiner reconnut aussi de manière indiscutable le visage gras, haineux et rempli d’arrogance de l’ancien premier ministre Jacques Parizeau… … Steiner détestait ce politicien, qu’il qualifiait volontiers de paradigme du grand bourgeois fat, impertinent et proche du racisme par sa haine des étrangers.» (p. 63)
Bien sûr, le personnage permet ce genre de propos, mais Kokis a trop de talent pour se complaire dans ce genre de balivernes.
Malgré ses outrances, son machisme, son obsession de la putain, ses tics, son côté un peu brouillon et ses jugements à l’emporte-pièce, Sergio Kokis demeure une voix unique au Québec et un écrivain qui ne cesse de surprendre et d’éblouir.

«Le fou de Bosch» de Sergio Kokis est publié aux Éditions XYZ.

jeudi 11 octobre 2007

Stanley Péan bouscule notre réalité

Stanley Péan, avec «La nuit démasque» et le «Cabinet du Docteur K», a entrepris de rassembler des nouvelles qu’il a éparpillées dans différentes revues ou rédigées pour une lecture publique. «Autochtones de la nuit» vient compléter ce cycle avec une vingtaine de textes. La plus ancienne nouvelle remonte à 1993 et l’ensemble du recueil a été écrit à partir des années 2000. Le tout offre une unité remarquable.
Stanley Péan a une prédilection pour les jeunes qui décrochent et basculent dans l’envers de la société bien pensante. À peine sortis de l’enfance, ses personnages s’égarent dans la nuit pour survivre de rapines, de prostitution et d’expédients. Agressés par des proches, leurs blessures ne se cicatrisent jamais, les poussant dans une marginalité et une violence terrible. Des êtres qui se battent pour manger et qui risquent leur corps à chaque instant, des univers que l’on retrouve dans les bulletins d’information ou qui font les manchettes des journaux.
L’écrivain nous entraîne dans ces zones troubles, effleure des pulsions que nous n’aimons guère évoquer, se faufile derrière le sensationnalisme, aborde des drames que les dirigeants refusent souvent de considérer et ne savent comment aborder. Un monde dur, violent où toutes les perversions dominent et broient les âmes. Une société malade, gangrenée qui va vers sa perte peut-être…
«Les plus anciens s’en souviennent mieux que moi. Terrible fut notre débandade le matin où nos châteaux en Espagne s’écroulèrent tels des châteaux de cartes. Secoués depuis leurs fondations par le chant fatidique de mille trompettes, les tours chancelèrent, frappées de plein fouet par la riposte inévitable des laissés-pour-compte que nous avions dédaigneusement condamnés à vivre dans les soubassements infects de l’empire. Paniqués, certains d’entre nous ont préféré sauter dans le vide plutôt que d’être pulvérisés dans l’irrémédiable effritement.» (p.12)

Réussite

Il y a ceux qui ont tout fait pour réussir et qui transgressent des frontières pour se prouver qu’ils sont vivants et ressentir de vraies sensations. Dans «Sévices amoureux», un homme d’affaires paie un tortionnaire pour violer et torturer la femme qui menace de le quitter.
«La véritable surprise se trouve sous le coupe-vent: cet attaché-case de design italien, elle le reconnaîtrait entre mille, elle l’avait elle-même offert à Richard à Noël, il y a sept ans. À l’intérieur, un contrat au bas duquel son mari avait apposé sa griffe. Dans la pénombre, elle déchiffre difficilement les termes de l’entente, mais n’en a plus vraiment besoin pour déduire les tenants et aboutissants de sa séquestration. Elle tressaille au son de cette voix qu’elle a appris à redouter au fil des derniers jours et qui, pour la première fois, s’adresse directement à elle.
- J’ai été naïf de penser que ta thérapie était finie et que t’étais prête à retourner à la maison. Ça a l’air que t’es plus coriace que la moyenne. Tant pis, va falloir que M. Champagneur prenne son mal en patience!» (p.142)

Part de soi

Stanley Péan n’hésite pas à puiser dans sa vie pour étayer sa fiction. Les voyages entre Québec et Montréal font partie de son quotidien, le Saguenay surgit ici et là, la musique de jazz colle à ses personnages et crée un monde envoûtant.
Il faut s’attarder particulièrement aux «interludes» où l’auteur reprend son souffle, rêve la vie, évoque des circonstances qui font que des amours s’étiolent en ne laissant que quelques impressions. Une méditation sur l’impossibilité de retenir le temps qui va sans jamais se retourner.
«Nous trinquerons une dernière fois, mon amour, à nos spectres que nous traînons de dérive en dérive. Je t’embrasserais peut-être encore, chastement, en te retenant au creux de mes bras maigres comme pour écraser ta beauté contre ma poitrine. Ensuite… Ensuite, avant que la nuit s’impose, irrévocable, il me faudrait continuer ma route, aller de l’avant.» (p.228)
Doué pour créer des atmosphères, à la manière de Miles Davis, son musicien préféré, Stanley Péan sollicite tous nos sens. De plus, dans ses histoires, il a cet art de retourner la situation par une fin qui laisse au bord du précipice.

«Autochtones de la nuit», de Stanley Péan est publié aux Éditions de la Courte échelle.

jeudi 4 octobre 2007

Jacques Antonin raconte sa vie

Méchant risque que de raconter sa vie. Un jeu de la vérité qui peut choquer ou frustrer certaines personnes qui croyaient occuper une place de choix dans votre parcours. Cela peut aussi être magique. Pensons à Gabrielle Roy.

Jacques Antonin s’en sort plutôt bien. «Je me serai livré à cet exercice sans trop de bouleversements intérieurs. Moi qui appréhendais de revivre certains passages de ma vie m’ayant que trop peu laissé de bons souvenirs, ça doit être dû à l’âge, je les aurai traversés d’un trait de plume. Du bout des doigts. Et même si parfois j’y suis allé plus en profondeur que prévu, j’aurai réussi à m’épargner dans cette aventure.» (p.476)
Ce Bouchard, dont la famille a vécu à Métabetchouan au Lac-Saint-Jean, a connu un parcours singulier. Comme s’il avait roulé à 500 kilomètres heure pendant toute sa vie, multipliant les expériences, les spectacles, les voyages et les amours. Que de péripéties pour le petit «Bouchard-Ananias» qui a quitté son Lac avec quarante-deux cents en poche pour faire carrière, sans pour autant glaner fortune et gloire.

Difficile chemin

Interprète d’abord, il a glissé vers ses chansons, acquerrant à la dure le titre d’auteur, compositeur et interprète. Il a dit oui à toutes les aventures que la vie lui proposait, connu toutes les scènes de Québec et de Montréal, sans compter celles des régions où il ne refusait jamais de monter. Une sorte d’aventurier de la chanson, de kamikaze, autant dans sa vie personnelle que dans sa carrière. «Un gigoteux», aurait pu dire sa mère Antoinette.
Lire cette autobiographie, c’est vivre de l’intérieur un pan de la chanson populaire contemporaine, bondir dans les textes d’Antonin, le suivre à la trace autant au Québec qu’en France. Il raconte juste ce qu’il faut de sa vie privée sans se complaire dans ses misères.
Oui il a connu à peu près tout le monde, n’hésitant jamais à frapper aux portes et à foncer. «Un front de bœuf», comme il dit. Un homme «de gang», un rassembleur qui attire tout le monde et sait se faire aimer. Généreux, sensible, une vraie dynamo, il était toujours là pour les virées les plus folles ou pour donner un coup de main.

Ses héros

Il garde une tendresse particulière pour Félix Leclerc, son mentor, Léo Ferré, Clairette, Danielle Oderra, Monique Leyrac et Tex Lecors. La liste pourrait s’allonger. Il a connu tous ceux et celles qui tentaient de se faire une place dans ce monde souvent ingrat. Bien sûr, il y a eu des froissements. Il le dit avec franchise sans trop insister. «C’est rare, disait-il lors d’une rencontre au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Je pense avoir acquis la reconnaissance de mes pairs. Ils aimaient ce que je faisais mais le public n’a jamais suivi.» Il constate simplement, sans rancœur, sans amertume.
Que peut-il se reprocher? Il a fait tout ce qui était humainement possible pour réussir. Il dira aussi avec un sourire qui le transforme: «J’ai tellement de beaux souvenirs. C’est formidable!» Le lecteur ne peut que se dire qu’il aurait mérité mieux parce qu’il y a mis toutes ses énergies, hypothéquant même sa santé.

Injustice

Les jeunes qui se lancent dans l’aventure de «Star Académie» et qui rêvent de gloire et de richesse devraient lire l’autobiographie de Jacques Antonin. Il recevrait une belle dose de réalisme.
Un texte touffu comme une talle de chiendent qui se perd parfois pour mieux se rattraper dans le détour. Le lecteur vit une véritable expédition dans le monde de la chanson québécoise des années soixante à nos jours. Et puis, juste le dernier chapitre où Antonin écrit ce qu’il pense de la chanson de maintenant et des vedettes que l’on «programme» comme des ordinateurs vaut le détour. Que c’est bien envoyer! Antonin est d’une franchise rare et il réussit à tout dire avec dignité et générosité. C’est tout à son honneur. Un livre émouvant et touchant, le parcours d’un homme qui n’a cessé de courir derrière «une inaccessible étoile».

«Mes valises, mes albums» de Jacques Antonin est publié aux Éditions SM.

jeudi 27 septembre 2007

La grande aventure de la littérature québécoise (2)

«Histoire de la littérature québécoise», de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, démontre que certaines questions, pendant presque 500 ans, ont fait l’objet de débats. Les écrivains doivent-ils s’adresser à un lecteur étranger ou à un concitoyen d’ici? Quelle langue utiliser? Quelles valeurs privilégier? Il faudra attendre «Les Anciens Canadiens» de Philippe-Aubert de Gaspé pour trouver un livre fondateur qui s’adresse au lecteur québécois. Le genre, boudé jusqu’alors, connaîtra un succès, devenant le premier best-seller de l’histoire littéraire.
«Après un premier tirage de deux mille exemplaires écoulés en quelques mois, «Les Anciens Canadiens» est aussitôt réédité, tiré cette fois à cinq mille exemplaires. Une traduction anglaise paraît dès 1864 (par Georgiana M. Pennée) sous le titre «Canadians of Old», suivie d’une deuxième en 1890, par Charles G. D. Roberts qui modifiera le titre en 1905 (Cameroun of Lochiel). (p.123)
Les journaux joueront aussi un rôle crucial pendant ces escarmouches portant sur la langue littéraire. Des partisans réclameront une expression typique quand d’autres se conformeront au modèle parisien. Olivar Asselin, Arthur Buies, Jules Fournier, Claude-Henri Grignon, Henri Bourassa et André Laurendeau attiseront la polémique. Comment s’étonner alors que la littérature emprunte le chemin de l’histoire. Signalons le travail de François-Xavier Garneau et de Lionel Groulx, deux figures marquantes. Louis Dantin, Edmond de Nevers et Jean-Charles Harvey contestent ou approuvent les diktats que l’Église veut imposer.

Louis Hémon

Au début du siècle dernier, «Maria Chapdelaine» de Louis Hémon causera une véritable commotion qui hantera Félix-Antoine Savard et presque tous les auteurs. Le «roman de la terre» mobilisera Damase Potvin, le premier écrivain du Saguenay-Lac-Saint-Jean, Léo-Paul Desrosiers, Ringuet et Antoine Gérin-Lajoie. Plus près de nous, Alfred Desrochers donnera une autre dimension à ce conflit en écrivant dans une langue à la fois populaire et recherchée.
Le joual, selon le terme trouvé par Claude-Henri Grignon pour parler de la langue des Québécois, aboutira à Michel Tremblay et à la pièce de théâtre «Les belles-sœurs». Ce sera la fin d’une controverse qui aura coloré l’histoire de la littérature québécoise. Jean-Paul Desbiens, le «frère Untel», né à Métabetchouan, écrira même un best-seller en pourfendant les défenseurs du joual. Plus près de nous, Victor-Lévy Beaulieu continue de défendre cette idée de créer une langue d’ici.
À partir des années 60, la littérature s’impose avec Gaston Miron et le groupe de l’Hexagone, la publication des revues «Liberté», «Parti pris» et «La Barre du jour». Roland Giguère, Paul-Marie Lapointe, Anne Hébert, Gabrielle Roy et Marie-Claire Blais survolent l’époque. Trente ans plus tard, les écrivains de best-sellers Marie Laberge et Yves Beauchemin écriront une nouvelle page de notre littérature.

Littérature de la région

Notons cependant, que quelques écrivains seulement du Saguenay-Lac-Saint-Jean trouvent une niche dans cette histoire de la littérature. Si les poètes Paul-Marie Lapointe et Gilbert Langevin retiennent l’attention, Michel Marc Bouchard, Daniel Danis et Larry Tremblay sont à peine mentionnés dans le volet théâtre. Les romancières Lise Tremblay et Élisabeth Vonarburg sont les seules à attirer l’attention des trois auteurs.
«La ville de Québec où vit l’héroïne du roman est bien réelle, mais c’est aussi «celle des livres de Poulin», comme le précise la narratrice. Le personnage marche ainsi dans les rues de la vieille ville en traînant partout «Le Cœur de la baleine bleue»», écrivent les historiens à propos du premier roman de Lise Tremblay, «L’hiver de pluie». Rappelons qu’elle recevait le titre de «Découverte de l’année» du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean avec cet ouvrage paru en 1990.
«Histoire de la littérature québécoise» est un ouvrage exceptionnel, un manuel incontournable qui, il faut le souhaiter, deviendra une référence dans tous les cégeps et les universités du Québec. La littérature avait besoin de cette oeuvre remarquable pour montrer sa diversité et son immense richesse.
Il reste peut-être à explorer notre littérature en mettant l’accent sur les régions. Le lecteur découvrirait des «littératures» qui se développent et se caractérisent selon «les pays du Québec».

«Histoire de la littérature québécoise», de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge est paru chez Boréal Éditeur.

jeudi 20 septembre 2007

La grande aventure de la littérature québécoise (1)

Michel Biron

Élisabeth Nardout-Lafarge
Prétendre survoler la littérature du Québec, des débuts à nos jours, s’avère une aventure parsemée d’embûches. Où commencer, quel angle privilégier pour lui rendre justice et la mettre en valeur? Ce sont des questions que Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge, en compagnie de leurs nombreux collaborateurs, ont dû se poser tout au long d’un travail qui a demandé des années de réflexions et de recherches. Il faut s’attarder à l’index et à la bibliographie de cet ouvrage pour prendre conscience de la quantité impressionnante de lectures et de documents qu’ils ont dû parcourir.
Quand on évoque histoire, on s’attend à ce que les concepteurs dégagent les forces qui portent une littérature, prennent un recul pour faire le portrait des périodes envisagées. Le pari est risqué parce que nous survolons quasi cinq siècles d’histoire politique et sociale du Québec et du Canada, par ricochet.
Les auteurs ont dû respecter des balises sinon l’entreprise risquait de basculer dans la confusion.
«Nous avons essayé de combler cette lacune en nous basant sur trois grands principes: faire prédominer les textes sur les institutions ; proposer des lectures critiques; marquer les changements entre les conjonctures qui distinguent chacune des périodes», précisent les signataires de l’étude dans la préface.

Périodes

Cinq grandes périodes découpent ce travail colossal. Les écrits de la Nouvelle-France englobent les XVIe et XVIIe siècles. Les années 1763 à 1895 illustrent l’ancrage dans une réalité qui se modifie après la bataille des plaines d’Abraham et l’instauration du régime parlementaire britannique. Plus que jamais, après la Conquête, la question de l’identité s’impose. Les écrivains sont déchirés entre la volonté de créer une littérature «canadienne» ou se conformer au modèle venant de Paris. Le débat ne sera pas tranché avant la période contemporaine. Il y a la nation qu’il faut défendre contre les influences étrangères; l’histoire nationale qu’il faut écrire pour faire mentir Lord Durham. Comment élaborer une littérature purement «canadienne» sans risquer de «créoliser le français d’ici»? Faut-il coller au langage populaire qui a fait la vigueur du conte ou utiliser une langue parisienne qui risque de couper les écrivains de la population? Tradition ou modernité, régionalisme ou métropole? Ces questions préoccupent les auteurs jusque dans les années 60 où la question du joual éclate autour «Des belles-sœurs» de Michel Tremblay, engendrant des polémiques qui feront le bonheur des médias. Cette quête d’une spécificité «américaine» disparaîtra à partir des années 80 avec l’arrivée d’écrivains immigrants qui font sauter les frontières de l’imaginaire québécois.

Et la nation

La littérature n’est jamais imperméable aux soubresauts politiques qui mobilisent les classes dirigeantes. Certaines thématiques traversent les époques. Jusque dans les années quatre-vingt, la question de la nation ou du pays reste obsédante dans la poésie et le roman. Biron, Dumont et Nardout-Lafarge font aussi quelques incursions du côté du Montréal anglophone pour établir des parallèles et donner un éclairage particulier.
«L’histoire de la littérature québécoise» démontre que certains débats perdurent même si la littérature au Québec est foisonnante et particulièrement diversifiée depuis les années 80. Notre corpus littéraire est vivant et couvre tous les genres bien qu’il soit de plus en plus marginalisé dans les médias, l’enseignement et Internet.
Ce survol de près de 700 pages bien tassées, agrémenté de photographies des principales figures qui marquent chacune des époques, permet au lecteur de franchir les siècles sans s’égarer, de vivre les soubresauts qui mènent à une écriture originale et typique, à l’élaboration d’une pensée marquée par des hésitations, des blocages, des peurs et les diktats de l’Église.
Cette oeuvre, à la fois littéraire, sociologique et politique, est un pur bonheur qui ne se dément jamais. Oui, la littérature n’est jamais gratuite et désincarnée même si certaines oeuvres peuvent sembler « un regard et un jeu dans l’espace » pour faire un clin d’œil à Saint-Denys Garneau. Le travail de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge devient le roman de l’écrit au Québec.

« Histoire de la littérature québécoise », de Michel Biron, François Dumont et Élisabeth Nardout-Lafarge est paru chez Boréal Éditeur.

jeudi 13 septembre 2007

Peut-on expliquer l’univers et la vie

Pour Jean Désy, la planète Terre est un immense territoire qui permet à l’homme de se confronter avec la vie, avec la mort aussi, de se retrouver devant soi à la limite de ses possibilités, de ses peurs et de ses angoisses. Les pays doivent servir à se définir, à se trouver par le voyage, l’aventure, la confrontation avec les éléments qui servent de catalyseur et à montrer ce que le vernis de la civilisation a masqué en nous ou refouler au plus profond de notre être. Ce n’est souvent que devant les situations extrêmes que des aspects d’un individu s’expriment.
Dans «Âme, foi et poésie» Jean Désy se questionne, se regarde, interroge l’univers, les textes de réflexions et ces poètes qui rêvent le monde et le sentent peut-être encore plus qu’un scientifique ou un supposé rationaliste. Il est rare aujourd’hui de surprendre un écrivain qui s’attarde aux croyances, qui tente de donner un sens et une explication à l’univers. Un écrivain qui ose utiliser le nom de Dieu et qui parle de foi. Cela semble un peu anachronique mais Jean Désy ne maquille rien, tente dans cet essai de trouver du sens dans une vie qui a de plus en plus de mal à trouver une direction et à s’accrocher à des vérités qui expliquent la terrible aventure de la vie qui s’étire entre la naissance et la mort. Un paradoxe que pas un penseur, pas un savant n’a réussi à expliquer totalement sans qu’il ne subsiste de doutes. L’homme reste un cas, un anachronisme peut-être qui a conscience d’être dans le monde, qui sait qu’il va mourir et qui doit se débrouiller pour faire face à l’absurdité de la vie si on pense qu’elle aura une fin. Le contraire serait peut-être tout autant fou et absurde.

Territoire

Jean Désy, poète, romancier, essayiste, médecin, ne cesse de se mettre en situation de réfléchir. Il aime se fier à ses forces physiques tout autant que psychiques pour découvrir quel être est profondément enfoui en lui, cet être que la civilisation et le monde matérialiste a tendance à étouffer. Il est attiré par les pays de contrastes, les extrêmes, où l’humain a l’obligation de se questionner, de penser chacune de ses sorties parce que la nature ne pardonne pas. La mort est là, devant, à bout de regard. Vivre devient une lutte de tous les jours, une réflexion essentielle.
Jean Désy aime ces territoires nordiques où les horizons se brisent, ces étendues de pierres et de neige où le vent menace de vous emporter. Il aime ces gens qui ont survécu avec peu, se fiant à leur instinct, à leur intelligence, à une intuition unique. Un peuple aussi que la civilisation du Sud menace dans son esprit et dans son corps.
Jean Désy est un poseur de questions, un agitateur de textes. Il fouille les grandes philosophies, s’attarde à Nietzche, Platon, Aristote, garde un amour tendre pour les poètes qui font table rase de connu comme s’ils se retrouvaient au milieu de la toundra et qu’ils devaient inventer une autre façon de faire. Il aime particulièrement Arthur Rimbaud et Saint-Denis-Garneau. Il revient à ces poètes qui touchent l’essentiel.
Bien sûr, Jean Désy n’apporte pas de preuves irréfutables à ces questionnements. Il se bute à des espaces, des pensées qui ramènent à l’existence de Dieu, à la vie qui prend un autre sens si on croit à un au-delà ou une vie après la vie. Les questions se suivent comme un attelage de chiens qui vous entraînent.
L’écrivain demeure un être déchiré entre la civilisation qui en a fait un médecin qui compatit avec les tourments et les souffrances, la pensée qu’il retourne dans tous les sens pour trouver une direction peut-être.
Ce qui reste surtout, c’est la question sans réponse, cette hésitation devant la vie et la mort, la marche de l’humanité qui s’illusionne trop souvent, qui se perd dans des futilités et des amusements. Désy ne trouve pas beaucoup de réponses mais reste fascinant par sa façon d’être et de secouer la vie. Comme si chaque homme et chaque femme avaient la tâche formidable de trouver un sens à leur vie.

«Âme, foi et poésie» de Jean Désy est paru chez XYZ Éditeur.

vendredi 7 septembre 2007

Suzanne Myre a trouvé une bonne recette

Suzanne Myre a fait une entrée remarquée en littérature en plongeant dans des textes mordants, enrobés d'humour, marqués par un cynisme qui malmène ses contemporains. Un ton, un style qui plaît en ces temps où l'humour corrompt tout avec plus ou moins de discernement. Comme si elle avait dépoussiéré l'approche Saïa en tentant de lui donner une patine personnelle et plus raffinée.
Il suffit de soupeser son dossier de presse pour croire que nous avons trouvé l'écrivaine du siècle ou presque. Attiré par cette agitation, je me suis aventuré dans ces textes pour être déçu rapidement. Que ce soit dans «Humains aigres-doux» ou «Nouvelles d'autres mères».
Les commentateurs, il me semble, en ont trop fait avec cette écrivaine. Il arrive que des auteurs soient nettement surévalués par certains médias.
Bien sûr, au début, cette prose parsemée d'humour et d'humeur, un peu baveuse même, plaît. Elle butine sur tout ce qui fait mode et actuel. Des sourires dans les premières phrases mais après quelques pages, on s'impatiente. À la fin, on referme le livre en se demandant ce qui est arrivé.

Recette

Suzanne Myre a trouvé une recette qu'elle étale d'une nouvelle à l'autre. Un personnage revenu de tout, une femme dans la trentaine, un ton et un cynisme qui n'épargne rien. Jeux de mots qui tombent à plat très souvent. Comme si l'auteure faisait le pari de toucher à tout dans une sorte de goinfrerie un peu dérangeante.
«- Ça m'étonne que ta langue accepte de suivre ton cerveau et de dire autant de bêtises. À sa place, je me suiciderais en m'éjectant de ta bouche. Bon, il faudrait que j'ajuste l'appareil à ton poids, ça me prendra quelques minutes.» (p.138)
Comme cela dans toutes les nouvelles, peu importe le personnage qui nous pousse à le suivre. Des dialogues plaqués et gonflés aux hormones!

Le peignoir

Son dernier recueil offre six nouvelles. Le texte principal, «Le peignoir», coiffe le livre. Nous y retrouvons la narratrice qui râle sur la vie, l'amour, la bouffe, les hôtels, ses orgasmes, son chum, les jeunes, ses poils et les femmes mûres qui tentent une cure de jouvence. Un milieu propice à toutes les moqueries. Le propos est sans pitié. Une fois que l'on a saisi la manière Myre, on ne peut que hausser les épaules...
Bien sûr, il y a un certain effort pour donner du poids à ses personnages mais elle ne parvient jamais à les lester vraiment. Des hommes cartes postales et des femmes qui n'ont guère plus d'intérêt.
Madame Myre répète ses figures imposées sans vraiment prendre le risque de plonger dans le mal être de son personnage par crainte, peut-être, de se perdre dans le vide. Même les finales de ses textes, qui tentent de pousser le lecteur dans une dimension plus introspective, tombent comme un pavé dans la mare. Que dire de ce texte loufoque d'une excursion à la campagne qui reprend cliché après cliché. «Le moustique erre» a failli me faire abandonner ma lecture.
«Pour m'éviter d'interminables discussions post-coïtales, je poussais quelques gémissements dans le ton de ceux qui l'ont toujours rassuré sur ma faculté de m'abandonner à lui. L'utilisation de vocalises judicieuses en période de stress, si cela peut éviter la panique et ménager la sensibilité de l'homme, pourquoi pas?» (P. 59)
Voilà une habile technicienne qui lasse rapidement. Il faut plus de poids, plus de senti pour donner à ce genre d'entreprise une aura humaine, dérangeante et un peu déstabilisante. Suzanne Myre se contente de patiner à la surface.
Véritable littérature jetable, écriture qui ne lève à peu près jamais, images et jeux de mots prévisibles. Cette jeune auteure m’a déçu. Plutôt désolant.

«Le peignoir» de Suzanne Myre est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

Le Canada et le Québec ont bien changé

La loi 101 a trente ans. Les médias ont souligné cet anniversaire qui faisait du français la langue d’affichage et de travail au Québec. Une étape qui ne s’est pas faite sans heurts. Plus de 200 000 anglophones ont quitté la Belle province après la promulgation de cet arrêt concocté par Camil Laurin. Des témoignages «des enfants de la loi 101», dans le dernier numéro de «L’actualité», montrent que le Québec a changé depuis 1977. Plus de quatre-vingt pour cent des anglophones sont devenus bilingues. Même que Montréal est maintenant une ville multilingue.
Graham Fraser, le Commissaire aux langues officielles du Canada, a publié un essai l’an dernier où il se questionne sur les effets du bilinguisme au Canada et apporte un éclairage intéressant sur la loi 101. Selon lui, cette législation qui devait constituer une étape vers la souveraineté du Québec a été si efficace qu’elle a eu l’effet contraire. Elle a rassuré les francophones et rendu l’indépendance moins nécessaire. Plusieurs témoignages dans «L’actualité» confirment cette thèse.
Pendant ce temps, le bilinguisme a fait des progrès au Canada même s’il a tendance à stagner chez les jeunes depuis quelques années. Mais les choses ont évolué là aussi. Qui peut imaginer maintenant un premier ministre canadien incapable de se débrouiller dans les deux langues officielles? La connaissance du français et de l’anglais est devenue obligatoire pour les politiciens et les ministres à Ottawa. On a vu, récemment, des ministres unilingues rétrogradés dans le gouvernement Harper. Pour le Saguenay, cela a voulu dire la visite de la plupart des leaders politiques des grands partis canadiens. Ils sont venus vivre en français au cégep de Jonquière.

Les référendums

Le commissaire se questionne également sur les réactions du Canada après la tenue des référendums sur la souveraineté du Québec. Particulièrement sur celui de 1996 où le oui a failli coiffer le non. Curieusement, rien n’a été fait pour diminuer les tensions. La réaction du gouvernement Chrétien a été de multiplier les drapeaux, «ces chiffons rouges» selon la formule de Bernard Landry et les commandites.
Graham Fraser se demande pourquoi il n’y a pas plus d’échanges entre les anglophones et les francophones, de traduction des productions littéraires et cinématographiques, d’immersion dans les universités, de voyages et de stages pour abolir les solitudes. Un mur sépare toujours les deux entités linguistiques du Canada malgré une politique de bilinguisme qui a particulièrement angoissé les fonctionnaires anglophones qui ont plus de mal que les francophones à apprendre l’autre langue.
Monsieur Fraser rappelle que la question linguistique est au cœur des débats au Canada depuis les débuts de la colonisation.

Fausse route

Si Pierre Elliott Trudeau pensait régler la question linguistique au Canada par le bilinguisme et le multiculturalisme, il semble bien qu’il a fait fausse route. La question nationale est toujours au cœur des débats politiques au Québec. Depuis trente ans, il y a eu deux référendums sur la souveraineté avec les résultats que l’on connaît. Et des partis politiques à Québec comme à Ottawa prônent l’indépendance du Québec.
Pourtant, une nouvelle approche semble se dessiner avec Stephen Harper à la tête d’un gouvernement minoritaire. Il a compris que pas une formation politique ne peut gouverner le Canada sans l’appui des Québécois. Il a changé la donne en reconnaissant le Québec comme nation, le déficit fiscal et en négociant des ententes avec les gouvernements provinciaux qui montrent plus de souplesse dans l’application du fédéralisme.
Graham Fraser a le grand mérite de s’interroger sur une problématique que peu de politiciens aiment effleurer. Il démontre que rien n’est réglé au Canada malgré l’ouverture de certains.
«Dans sa perception du Québec, le Canada anglais a constamment dix ans de retard sur la réalité : il le voyait encore comme une province empreinte de religiosité pendant que la Révolution tranquille battait son plein et il a réagi à l’élection du Parti québécois comme si celui-ci venait de procéder à un détournement d’avion.» (p.359)
Si la loi 101 a calmé le problème linguistique au Québec, il semble bien que le bilinguisme au Canada a eu des effets assez mitigés.

«Sorry, I don’t speak French» de Graham Fraser est paru aux Éditions du Boréal.

mercredi 15 août 2007

Un humaniste qu’il fait bon redécouvrir

Quelques années après le décès de Gilles Hénault, un poète important, les Éditions du Sémaphore ont entrepris de rééditer l’œuvre complète de l’écrivain et du journaliste. Une heureuse initiative et une belle redécouverte.
Au Québec, rares sont les écrivains et les poètes qui «survivent» à leur mort. Il faut une équipe attentive pour se pencher sur l’héritage de ces héros de l’écriture et garder leurs œuvres dans l’actualité. Gaston Miron a ce privilège. Des fidèles éclairent son œuvre importante. Qui s’attarde maintenant au poète Gilbert Langevin dans l’univers littéraire et médiatique? Qui entreprendra de le sortir de l’oubli?
Le second volet de la réédition de l’œuvre de Gilles Hénault, «Graffiti et proses diverses», reprend des réflexions écrites entre 1939 et 1989. Le lecteur fait la connaissance d’un jeune homme encore imbibé par ses études classiques et l’accompagne jusqu’à l’âge d’homme où il se questionne sur la vie et l’écriture. Un parcours remarquablement juste et pertinent.
Bien sûr, les textes parus alors qu’il avait dix-neuf ans ont pris des rides, mais Hénault a trouvé rapidement sa voix alors que le monde était déchiré par une terrible guerre.

Actualité

«D’Odanak à l’Avenir», un récit qui raconte l’histoire du Québec et de la famille du poète, se lit encore avec bonheur. Un texte fort juste, pertinent qui permet de survoler une époque que l’on a tendance à occulter de nos jours. Il n’y a pas si longtemps au Québec, on croyait que l’avenir se cachait au bout du rang. Il suffisait de rouler ses manches et de se mettre à l’ouvrage pour la forger.
J’aime particulièrement les textes courts, les réflexions d’une justesse que bien des écrivains de la post-modernité auraient avantage à lire.
«Il me faut des textes troués, spongieux, poreux dans lesquels le lecteur puisse s’infiltrer, s’embusquer. Je déteste les textes qui vous conduisent par la bride, comme si vous étiez un cheval ou un âne et les textes durs, construits, les murs de syllogismes, les paradigmes de l’enfermement comme diraient de savants confrères. Il me faut des textes où l’air circule entre les phrases. C’est le style à venir.» (p.149)
Une qualité d’écriture constante, que ce soit dans les textes écrits à vingt ans ou quelques années avant sa mort. Des textes qui témoignent de l’humaniste que fut ce poète qui a marqué certainement une génération et ouvert bien des fenêtres. Et quel œil pétillant, quel humour subtil! Un bonheur! La littérature a besoin de figures flamboyantes mais aussi de ces artistes qui travaillent dans l’ombre et la douceur des jours. Gilles Hénault aura été de ceux-là.

«Graffiti et proses diverses» de Gilles Hénault est paru aux Éditions du Sémaphore.

mardi 14 août 2007

Marguerite Duras continue de fasciner

Dix ans après la mort de Marguerite Duras, survenue le 3 mars 1996, des lecteurs, des amis du Québec et de la France, se souviennent.
Ils sont quinze femmes et dix hommes à jouer le jeu et à écrire une lettre à Marguerite Duras. Certains l’ont côtoyée ou croisée. Un moment qui s’oublie difficilement. D’autres ont fréquenté ses œuvres et ce fut tout aussi marquant.
Le lecteur n’apprendra rien de nouveau après les biographies et les textes qui ont à peu près tout dit des idées et de la façon d’être de Duras, cette écrivaine qui donnait tout à l’écriture et au texte. Une femme entière dans ses exigences, arrivant mal à séparer sa vie de son oeuvre. Pas étonnant que les hommes et les femmes qui l’ont approchée aient été marqués. Yann Andréas, son dernier «disciple», aura eu besoin de dix ans avant de redevenir un vivant à peu près autonome après avoir été subjugué par l’auteure de «L’Amant».

Fascination

Tous ces textes illustrent la fascination que l’écrivaine exerce encore. Elle reste vivante pour ceux qui l’ont entrevue telle une météorite dans la nuit ou été happés par son univers.
La voix de Duras, sa musique particulière, ce chant envoûtant porte peut-être aux confidences et à l’aveu. Duras, c’est le murmure, la petite musique, la voix qui souffle à l’oreille et effleure l’être. Peu d’écrivains peuvent se targuer de marquer les lecteurs de cette façon.
«Et comme pour beaucoup, parler de Marguerite Duras c’est parler de soi, de sa relation – forcément intense - avec elle. J’ai parlé de moi et je m’excuse si je vous ai ennuyée.» (p.51)
André Roy ne peut que le constater dans sa missive.

Magie

Certains semblent incapables de prendre leur distance. Danielle Laurin, par exemple, lui a consacré un livre dont je parlais dans le dernier numéro de «Lettres québécoises».
«Même si vous êtes morte et enterrée depuis dix ans, c’est plus fort que moi, j’ai besoin de vous savoir là. Même disparue, vous êtes encore là pour moi. Ça aussi, je vous l’ai déjà dit. Je crois bien vous avoir tout dit dans la longue lettre que je vous ai écrite il n’y a pas longtemps.» (p.121)
Duras, qu’elle a lue à dix-neuf ans, a donné un ton à son écriture. Comme si elle avait appris la respiration de son modèle et sa distanciation aussi.
«Lettres à Marguerite Duras» est une belle manière de rendre hommage à cette grande dame du cinéma et de la littérature. On se souvient et l’on se souviendra dans vingt ans. Il en est ainsi quand on effleure un mythe.

«Lettres à Marguerite Duras» de Danielle Laurin est paru aux Éditions Varia.

lundi 13 août 2007

Beaucoup plus de plumage que de contenu…

«De toute manière, la présente édition aura été, pour l’auteur, une occasion de donner un livre qui convient mieux à sa vanité. C’est un cadeau qu’il s’offre à lui-même ainsi qu’à quelques amis discrets ou disparus, qu’il remercie de leur connivence.» (p.91)
Magnifique recueil que celui de Jean-François Dowd. Papier ivoire, illustrations soignées, travail d’artiste. Un bel objet que les collectionneurs aiment feuilleter et toucher. Marc-Antoine Nadeau, dans des dessins et des aquarelles, allie couleurs et lignes pour créer un monde tourmenté. L’espace se défait dans ces tableaux où la femme occupe souvent le centre. Tous les objets gravitent autour d’elle, oublient les lois de la physique pour créer un monde étrange. Une belle transparence aussi, une sorte de légèreté et des «spirales» qui traduisent les peurs et les fantasmes. Fort intéressant. Malheureusement ou volontairement, on a omis d’indiquer les titres de ces illustrations. Peut-être aussi que Dowd était trop emporté par les méandres de sa prose pour s’attarder à ce genre de vétilles.

Romantisme

Les récits de Dowd nous plongent dans un romantisme où les sentiments imprègnent le monde qui devient le miroir des pensées qui agitent l’être. Comment ne pas penser aux textes de Marcel Portal où nature et amours soufflent l’âme et illustrent une forme de névrose.
Dowd esquisse des univers feutrés où le rêve et la mélancolie marquent l’écriture comme des points de broderie. Une contemplation et une méditation qui empruntent des sentiers trop fréquentés. Femmes, oiseaux, arbres et ruisseaux. Tout y est!
«Une femme, non loin, se signe avec son fard : c’est la même qui te laissait entendre, l’une après l’autre, les extrémités de sa voix, ses cheveux de pure pluie relevés sur la nuque. Oh, cette surprise lorsqu’elle s’était approchée plus que de coutume – jusqu’à n’être plus qu’à un étirement de la main. Ce grain qu’elle désancrait de ses hanches ou tirait de sa chevelure… Les yeux d’un noir fou, d’abord, avaient frappé en toi, puis le corps méandreux, étrange, à explorer, puis la boutonnière livrant la gorge et l’éperon, et les seins précis avec leurs rites séparés!» (p.33,34)
On se lasse vite de cette écriture empruntée.

Question

Un recueil qui détonne dans le paysage de la poésie, une approche désuète. Le lecteur peut se demander comment un tel recueil peut se retrouver aux Éditions du Noroît, une maison renommée pour sa qualité et sa rigueur. On comprend mieux quand on lit dans la page des crédits que la société DesDowd inc y est allée d’une «contribution généreuse».

«Petites morts à fredonner» de Jean-François Dowd est paru aux Éditions du Noroît.

lundi 6 août 2007

Yolande Villemaire se perd en futilité

J’appartiens à cette génération pour qui le voyage était un mode de vie. Il fallait partir, quitter pays et amis pour voir le monde, vivre autrement, se plonger dans d’autres univers que celui que nous considérions comme trop douillet ou trop axé sur la consommation.
L’Inde, les pays de l’Asie, étaient et restent une destination appréciée et recherchée par ceux qui ressentent le besoin de vivre simplement, d’échapper à la quincaillerie qui est la nôtre. Certains y ont découvert l’amour, une manière de vivre, de penser et ne demandent qu’à repartir.
Yolande Villemaire a voyagé et revient à l’occasion sur un lieu qui semble l’avoir particulièrement touchée. L’Inde pays des contrastes, des extrêmes, de l’opulence et de la misère dans ce qu’elle a de plus terrible et de plus fascinant.
Dans «India India», elle nous entraîne avec son héroïne Miliana Tremblay, cette métisse de la Côte-Nord, artiste en art contemporain et mère d’une toute petite fille. Elle est en Inde pour exposer des photos et surtout pour participer au Kalachakra, une sorte de grande foire spirituelle où des milliers de personnes se retrouvent pour entendre des sages, des maîtres comme on dit. Miliana est particulièrement attirée par le Dalaï Lama.

Quotidien

Le lecteur pourrait s’attendre à un choc culturel, à des événements qui remettent en question la vie occidentale et nos façons de faire. Après tout, nous participons à une sorte de grande fête du bouddhisme. Il doit bien se produire quelque chose quand on souffre sur son petit coussin pendant des heures, sous un soleil qui vous transforme en fourmi.
Rien de tout cela. Yolande Villemaire se contente de nous raconter le quotidien de Miliana. Nous avons droit à une sorte de récit de voyage qui ne lève jamais. Pendant des pages et des pages, Madame Villemaire nous décrit les difficultés de son personnage à retrouver la tente où elle campe, comment elle se lave les cheveux, quel chauffeur elle va prendre pour se déplacer, ayant toutes les difficultés à se faire comprendre par des gens qui ne parlent pas anglais.
Le tout se complique quand Miliana devient toute chose devant le beau Khayal Khan, le propriétaire de l’agence qui s’occupe de son séjour. On croirait retrouver une adolescente qui soupire devant les beaux yeux d’un étranger.

Lecture

À vrai dire, je me suis demandé tout au long de ma lecture si je devais continuer. L’espoir peut-être d’être frappé par l’éclair qui changerait ma vie n’est jamais venu. Un récit d’une platitude incroyable. Peut-être parce que ce roman prend la facture d’un journal intime et que je craque pour les journaux d’écrivains.
Je m’efforce de lire Yolande Villemaire à l’occasion. J’ai assez apprécié «La déferlante d’Amsterdam», un récit qui raconte son séjour dans une maison d’écrivain. Cela m’avait fait oublier «Vava», le roman le plus désolant peut-être que j’ai lu.

«India India» de Yolande Villemaire est édité chez XYZ Éditeur.

jeudi 12 juillet 2007

La mémoire reste le fondement d’une société

Les humains croient souvent qu’ils marqueront leur époque, laisseront des encoches sur les siècles et qu’on évoquera leurs noms bien longtemps après leur mort. Pour ce faire, ils s’obstinent à édifier des villes, des empires et des machines indispensables à «la progression de l’humanité». Et puis, après quelques décennies, la trouvaille du siècle dernier fait sourire et semble futile. Même les plus grandes civilisations ont plié devant la marche implacable du temps.
Les continents sont devenus des immenses jardins de vestiges. Tous les paysages, de la plaine à la montagne, portent les cicatrices des activités humaines. Même les océans n’ont pas été épargnés. Tous les pays sont de vastes palimpsestes que très peu de gens savent lire et interpréter.
Heureusement, des individus font oeuvre de mémoire. Les archéologues, les anthropologues et les historiens agissent en détrousseurs de vies. Les artistes, à leur manière, secouent la poussière de l’oubli et se faufilent dans la durée. Un effort, peut-être dérisoire pour contrer l'amnésie collective. Biographies, sagas historiques et certains romans tentent de réactualiser des exploits et des aventures qui ont constitué l’esprit les nations.

Grands distraits

Pourtant, les humains sont terriblement distraits. Ils oublient souvent de regarder l’environnement, de saluer les «témoins» qui ont été les architectes de leur monde. Une clôture affaissée, une maison ouverte aux vents et à la pluie, des champs abandonnés à la végétation sont les pages d’un livre qui s’efface peu à peu. Il suffit de circuler dans le parc de Pointe-Taillon, par exemple, pour buter sur des vestiges qui rappellent les humains qui ont défriché cette partie de territoire, il y a un siècle. Ce peut être les fondations d’une maison ou un massif de roses qui semble s’être égaré au milieu d’une pinière.
Dans «Les rescapés du Styx», Jane Urquhart, une romancière canadienne anglaise, entraîne le lecteur dans une fresque à la fois contemporaine et historique. Jérome, artiste, se passionne pour les ruines qui balafrent le paysage et sa propre vie, Sylvia reconstitue son environnement en fabriquant des cartes tactiles pour une amie aveugle. Andrew, une sorte de géographe, explore la saga de sa famille, remonte jusqu’à l’arrivée du premier Woodman en Amérique, l’époque des grandes entreprises forestières qui coupaient tout autour des Grands lacs, du flottage du bois sur le Saint-Laurent et des immenses radeaux qui flottaient jusqu’à Québec. À la fin de sa vie, il est aspiré par la maladie d’Alzheimer qui grignote peu à peu sa mémoire pour ne laisser qu’une immense page blanche. Il est à l’image des sociétés qui s’effacent et se reconstruisent sur des ruines.
«La convergence de la vie. Je pense que ça peut vouloir dire que, pendant que tu restes stable, tu dois aussi accepter que le monde va changer autour de toi, et que tu dois demeurer ouvert et conscient de ces changements bien que ça suggère aussi que ta vie converge avec celle de Dieu, ou quelque chose de cet ordre.» (p.164)

Écrire le paysage

Madame Urquhart fait renaître des figures oubliées, des hommes et des femmes fascinants. Elle permet de voir vraiment et de comprendre l’écriture du paysage. Sans quoi, nous marchons comme des aveugles qui effleurent les objets, trébuchent sur des signes sans savoir d’où ils viennent. Parce que le présent n’est que la couche la plus récente du passé. Une société ne peut demeurer vivante sans avoir conscience de ses grandes époques.
«C’est étrange, maintenant que j’y pense, qu’on accorde toujours autant d’attention à la construction, alors qu’en réalité le processus de désintégration est omniprésent, inévitable.» (p.336)
En ce siècle où l’on néglige d’enseigner l’histoire, où l’on confie à peu près tout aux ordinateurs, le roman de Jane Urquhart dévoile un siècle, ses folies commerciales, ses soifs de profits et de richesses. Une vision qui a mené à l’épuisement des ressources, à une pollution de plus en plus terrifiante et au réchauffement accéléré de la planète.
De quoi tirer des leçons et cesser de se comporter en ignorant. L’avenir n’est possible qu’en tenant compte de ceux qui nous ont précédés. Le pire fléau qui menace l’humanité est de croire que tout commence et se termine avec sa génération.

«Les rescapés du Styx» de Jane Urquhart est paru en traduction française aux Éditions Fides.
http://www.fides.qc.ca/livre.php?id=10