lundi 4 novembre 2019

MARCELLE GAUVREAU SE LIVRE


L’AN DERNIER, LE FRÈRE MARIE-VICTORIN surprenait avec Lettres biologiques, sa correspondance intime avec Marcelle Gauvreau, une collègue de travail, amie et grande confidente. J’ai beaucoup aimé ces textes qui révélaient un aspect inconnu, pour ne pas dire caché de la vie de l’auteur de La flore laurentienne. Il ne manquait que l’autre versant, les écrits de Marcelle Gauvreau, pour avoir le profil complet de cet échange épistolaire qui échappe aux normes de l’époque et qui étonnent encore de nos jours. Lettres au frère Marie-Victorin livre la pensée d’une femme d’exception qui cherche à voir le monde avec des yeux différents, à comprendre ce qui se passe dans son corps et sa tête quand l’excitation sexuelle se produit. Une approche scientifique assez inusitée.

J’étais très curieux de découvrir les propos de Marcelle Gauvreau et d’avoir un portrait complet de cette correspondance unique dans l’histoire du Québec. Voilà qui est chose faite avec cette publication. Je ne crois pas malheureusement que cet apport important et essentiel retiendra autant l’attention des médias que Lettres biologiques. L’effet de surprise étant atténué, le lecteur sait à quoi s’attendre. Pourtant les missives de la scientifique sont nécessaires pour avoir une idée précise de la vie de cette femme, mieux comprendre cette démarche singulière dans une époque où ce genre de propos pouvaient offenser nombre de biens pensants et des censeurs. De cet amour interdit aussi, il ne faut pas avoir peur des mots. Et encore maintenant, peu de gens ont la curiosité de se pencher sur leur sexualité, de vouloir l’étudier le plus objectivement possible et être conscients des manifestations psychologiques et physiques qui secouent le corps et l’esprit lors de certains « moments d’extase ».
Dans les années 30 et 40, le Québec était contrôlé par l’Église qui taisait cet aspect de la vie et qui voyait dans la sexualité un phénomène nécessaire qui ne pouvait s’exercer que dans les liens sacrés du mariage et dans le but de perpétuer l’espèce. C’était surtout une approche politique de survivance qui voulait « prendre sa revanche » sur le conquérant anglophone par les naissances. Nous pouvons mesurer maintenant les dérives de cette pensée, les souffrances que cette ignorance élevée au rang de dogme a pu avoir dans les relations de couple. Dans les milieux scolaires, des adolescentes en pleine mutation physique ne savaient plus comment se comporter et pouvaient imaginer les pires maladies quand elles vivaient leurs premières menstruations. Que dire aussi de cette « chasteté obligatoire » des religieux qui a poussé certains vers des dérives épouvantables.

PATIENCE

J’avoue que la lecture de Marcelle Gauvreau a mis plusieurs fois ma patience à l’épreuve. J’ai même dû faire preuve d’entêtement pour traverser certaines missives. Le langage utilisé par la scientifique, quand elle s’adresse à son correspondant, a fini par m’agacer. Elle répète qu’il est « son petit papa », qu’elle est sa chère fille respectueuse. Un jeu un peu puéril. Bien sûr, c’est là une manière de minimiser ses propos, de parler de l’amour qu’elle éprouvait pour cet homme, une façon d’aborder ses sentiments en les sublimant. Je ne sais pas si j’ai l’esprit tordu, mais j’ai cru trouver la description de l’acte sexuel dans une lettre de Marcelle.

N’ayez crainte, mon cher Ami ! Loin de déflorer ma pensée, vous l’ornez et l’enrichissez de connaissances toujours élevées, lors même que ces connaissances touchent à la biologie sans voiles. S’il en était autrement, oui, certainement que je vous dirais : « Halte-là ! Vous me faites mal ! » et je refuserais de vous écouter. (p.125)

Façon astucieuse d’aborder des sujets personnels et intimes. Ces facéties langagières s’imposent à mesure que la confiance grandit entre les deux correspondants. Le fameux mot « papa » apparaît pour une première fois en août 1936, soit à peu près trois ans après l’écriture des premières lettres.

Montréal, 20 août 1936

Mon cher papa Victorin,
Merci, merci pour votre mot si réconfortant du 13. Vous êtes l’ami le plus sympathique du monde, et vous savez si votre sympathie me va au cœur ! Un seul mot de vous peut ranimer mon courage. (p.61)

Je ne veux pas m’attarder à ces moqueries qui témoignent du caractère de cette femme qui, toute rationnelle qu’elle était, pouvait se montrer espiègle.

MISSIVES

Madame Gauvreau prend plusieurs jours à écrire des rapports détaillés, un peu lourds et répétitifs, s’attardant aux sensations et aux douleurs qu’elle éprouve lors de ses menstruations ou encore quand elle explore son corps et qu’elle décrit ses plaisirs. Heureusement, les confidences qu’elle soutire à ses amies mariées viennent pimenter le tout. Ça permet de respirer et de découvrir des couples qui vivaient leur sexualité avec bonheur dans cette période où le péché se glissait partout. Ma mère parlait des « maudits hommes » quand elle faisait allusion à la sexualité avec mes tantes. C’était assez révélateur. L’orgasme, le plaisir, je pense qu’elle n’a pas connu, même pas le mot. Les relations, entre les hommes et les femmes de cette époque, la plupart du temps n’avaient rien de bien excitant et de jouissif. Heureusement, il y avait des exceptions.
Bien sûr, on sent l’emprise que les croyances religieuses occupaient dans la vie de Marcelle Gauvreau et du frère Marie-Victorin dans cette forme de journal intime qui veut tout dire et exprimer.

En effet, ce n’est pas seulement par les lettres échangées qu’ils trouvent le moyen de le vivre, comme dans la liaison clandestine classique ; c’est aussi et surtout par la science, par un désir mutuel de savoir qui est bien plus fort que celui de jouir. Cette libido sciendi, comme l’appelle saint Augustin, les pousse par exemple à pénétrer jusque dans les secrets maritaux des amies de Marcelle, qu’elle interroge en confidence pour répondre aux enquêtes de son correspondant. (p.10)

REGARDS

Marcelle Gauvreau décrit parfaitement l’ignorance et la peur des jeunes filles quand elles vivaient leurs premières menstruations et le silence qui entourait ce phénomène pourtant naturel. Tout ce qu’elles inventaient pour dissimuler l’apparition du sang, les changements d’humeur et échapper à la curiosité des frères et des proches.
Monde de superstitions qui permet d’imaginer les pires maladies et qui a traumatisé les plus fragiles. Bien sûr qu’un tel silence existait autour des éjaculations nocturnes du côté des hommes, mais peut-être que c’était plus accepté et moins tabou. Bien des mâles avaient trouvé le moyen d’en faire un exploit et un sujet de vantardise.
Marcelle Gauvreau et le frère Marie-Victorin militaient pour l’éducation sexuelle et la connaissance des phénomènes du corps dans la mesure du possible, mais ils devaient le faire avec une grande retenue, on le comprend. Dire que cette question a fait les manchettes encore tout récemment. Ça démontre comment Marcelle Gauvreau et son correspondant étaient différents dans leur époque, ouverts et curieux.

RUMEURS

Pas étonnant que certaines rumeurs circulent et que la proximité du frère Marie-Victorin et de Marcelle Gauvreau fasse jaser, particulièrement au Jardin botanique de Montréal qui était en train de devenir ce lieu magnifique si cher à Nicole Houde, l’écrivaine, qui s’y réfugiait régulièrement. C’est là l’une des grandes réalisations du scientifique qui a dû imposer cette idée qui n’était pas encore installée définitivement dans les esprits de plusieurs politiciens.
La sœur de Marie-Victorin, mère Marie des Anges, s’inquiétait et souhaitait que les deux s’éloignent pour réfléchir à leur situation et prennent les décisions qui auraient fait taire les rumeurs.

Oui, vous pouvez quelque chose. Vous pouvez prier, vous immoler, et je ne serais pas surprise que le bon Dieu vous demande quelque gros sacrifice, quelque renoncement difficile, en vue de cette grande œuvre. (p.265)

Que de louvoiements et de délicatesse pour aborder le sujet ! Malgré certains désagréments qui heurtent surtout Marcelle, ils continueront à travailler ensemble et les fréquents voyages du frère à l’étranger, particulièrement pendant la saison froide où il s’exile à Cuba pour se livrer à différentes expériences, permettent de calmer les médisants. Pendant ces absences, Marcelle s’ennuie et trouve refuge dans ses longues missives.
Bien sûr, l’amour existe entre cette femme et cet homme. Tous les deux en sont conscients et ils l’expriment à mots couverts d’une lettre à l’autre. Le jeu de Marcelle, « ses formulations enfantines », est très révélateur en ce sens.
Et à force de s’observer, de décrire le désir sexuel, les pulsions où Marcelle se décuple comme si elle était une sujet de laboratoire, on peut imaginer qu’il est tout à fait naturel d’expérimenter un contact physique pour arriver à en parler avec plus d’assurance et de précision.

Date mémorable. Ce jour-là, sans penser à mal et sans aucun péché, votre petite fille M. est devenue une femme, menue il est vrai, mais une femme quand même ! Cher père, je ne pourrai jamais vous remercier assez d’avoir opéré cette métamorphose. Je vous répète que ma conscience est en paix, que j’apprécie extraordinairement votre confiance, et que je continue de vous aimer comme avant, de la plus pure affection. J’ai trouvé quand même dans la connaissance directe de la chair masculine un intérêt inexprimable qui a sans doute mieux balancé mon intelligence avide et mon petit corps sensible. (p.222)

Il est clair que l’exploration scientifique a été physique entre les deux, au moins cette fois.
Malgré certaines longueurs, un ton souvent un peu agaçant, je ne peux qu’admirer ces originaux, bien en avance sur leur temps et qui préfigurent la Révolution tranquille dans un monde de croyances et d’ignorances érigées au rang de doctrines. Ça nous permet de nous faufiler dans une époque mal connue et encore mystérieuse sous bien des aspects. Une lecture importante pour ceux et celles qui veulent en savoir plus sur ces figures d’exception, la société qui a donné le Québec de maintenant avec ses peurs, ses tabous et ses audaces. Il y avait des esprits innovateurs et libres dans cette  période que nous avons peut-être baptisée un peu hâtivement « La Grande Noirceur ».


GAUVREAU MARCELLE, LETTRES AU FRÈRE MARIE-VICTORIN, Éditions du BORÉAL, 2019, 288 pages, 29,95 $.



https://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/livres/lettres-frere-marie-victorin-2680.html

lundi 28 octobre 2019

ÇA DONNE FROID DANS LE DOS

ÉLISE TURCOTTE, AVEC L’APPARITION DU CHEVREUIL, nous entraîne dans un drame que nombre de femmes vivent quand elles prennent la parole, débattent sur les réseaux sociaux et dénoncent les travers de notre société, les agressions qu’elles subissent depuis tant de temps. Pas une journée sans ces attaques verbales et souvent physiques, des comportements étranges et méprisants, de facéties des Boys clubs. On l’a vu tout récemment avec Martine Delvaux à Tout le monde en parle. Les commentaires d’un pachyderme en particulier sur la page Facebook de l’écrivaine ratatinent les propos et constats de madame Delvaux à la taille et à la rigidité d'un pénis. Nous en sommes là à l’ère de l’intelligence artificielle et des communications instantanées. Nous sommes encore et toujours là dans ce monde barbare.

Le mouvement Moi aussi a fait en sorte de rendre publiques « les manœuvres » de certaines têtes d’affiche, de dénoncer des comportements aberrants et intolérables, des agressions quotidiennes et des situations d’abus qui se répètent. Pointer du doigt ces prédateurs qui s’en prennent à toutes les femmes de leur entourage est devenu quasi banal. Il en a toujours été ainsi. Je me souviens des propos et des gestes de certains de mes oncles quand ils avaient un « verre dans le nez », des cas d’incestes, de viols et de violences physiques que l’on taisait dans mon enfance. La société alors fermait les yeux et le curé donnait sa bénédiction à ces rapaces qui se précipitaient pour communier le dimanche à la grand-messe.
Des têtes sont tombées, des vedettes qui se croyaient au-dessus de tout, des mâles alpha dominants, des chefs de meute qui se permettaient n’importe quoi ont écopé. Il était temps, il sera toujours nécessaire de parler. 
J’ai publié Le réflexe d’Adam en 1996 pour me questionner sur les violences de certains hommes et l’éducation des garçons. Marc Lépine entres autres et affirmer que les féministes ont fait de moi un individu meilleur. J’ai heurté un mur, un silence douteux, même que certaines chroniqueuses à la radio de Radio-Canada m’ont ridiculisé. Elles en avaient assez des « hommes roses ».
L’apparition du chevreuil est venu me couper le souffle, comme une torpille qui explose dans vos pensées et vous laisse honteux d’appartenir à cette espèce de mâles, à ce monde que l’on dit civilisé. Malgré toutes les dénonciations, il y a toujours une bête qui rôde sur les trottoirs des villes, un gars en rut dans une campagne qui cherche à profiter des fillettes et à imposer ses lubies et ses folies.

NARRATION

La narratrice est romancière, féministe et se fait une obligation d’intervenir sur les réseaux sociaux pour dénoncer des situations et des propos inacceptables. Elle est la cible de plusieurs commandos du phallus, comme bien des femmes qui osent prendre la parole, poursuivie, agressée verbalement et menacée. Sa vie devient un enfer et la peur s’installe dans son quotidien. Pour échapper à cette folie, elle se réfugie dans un camp en pleine forêt pour retrouver un peu de sérénité, écrire, respirer sans craindre d’entendre les pas du chasseur. Une sorte de thérapie par le silence, la solitude, la paix des arbres en un début d’hiver qui efface tout. Les lieux de villégiatures alors sont abandonnés aux bêtes et au froid qui se faufile partout, à la neige qui permet de se replier et de faire face à ses « peurs et tremblements ».

Cette fois, à mon corps défendant, j’y suis à la fin de l’automne. On m’a poussée à partir. Je m’exerce maintenant à faire taire les voix qui squattent mon cerveau. La Toile, la politique, les phrases de l’un, les commentaires de l’autre, les réponses autoritaires, les attaques camouflées, les menaces, l’ordre, les conférences, les animaux blessés, les mouvements de terreur, les ovules qu’il me reste, le corps entier. Cordes, bois, cuivres, rejouez ! (p.9)

J’ai dû prendre une grande respiration avant de plonger dans ce texte qui secoue la peur, la méfiance de tout, l’hésitation et l’incertitude qui fait que le monde n’est jamais certain, que le danger peut surgir avec la poussée du vent dans les arbres.
Voici l’écrivaine aux prises avec ses frayeurs, des réflexes qu’elle n’a pas su laissés en ville. Seule avec son ombre, son carnet, son stylo, sa bouteille de vin qui parvient à la calmer un peu quand la nuit lèche les fenêtres.
Je ne comprenais pas trop au début pourquoi cette femme pouvait être si méfiante et qu’elle sursautait au moindre bruit. Facile de penser que le personnage est une névrosée. Peu à peu pourtant, nous nous faufilons dans son vécu. Un homme a terrorisé sa famille par ses propos et ses comportements, s’en prenant particulièrement à elle, la féministe, celle qui ose parler et lui tenir tête. Le prédateur a imposé ses courtes vues et il cherche à triompher de celle qui résiste envers et contre tous.

Je regarde le camion s’éloigner. C’est l’heure de l’apéritif. Cela me rassure. Comme l’épisode restant d’une télésérie de choix, comme le roman policier assez fort pour me permettre de flotter. Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît : il faut trouver la dose parfaite de mots, de meurtres, de survie, et de liquide. Une once de trop et le passé revient, me rappelant que je suis, moi aussi, un personnage qui déambule entre les scènes d’un malheur invisible. (p.39)

Nous accompagnons l’écrivaine au bord de la crise, apprenons la vie épouvantable de sa sœur qui a été détruite comme toutes celles qui ont cru à un gourou et qui se sont livrées corps et âme à un séducteur qui promettait de changer le monde, de vivre par l’amour, le partage et l’amitié. Le beau-frère possède la vérité dans une époque où, affirme-t-il, les féministes décident de tout et écrasent les hommes. Un matriarcat sournois qu’il combat à l’intérieur d’associations masculinistes qui veulent retrouver le temps béni où le mâle dominait tous les aspects de la société, ne laissant aucune place à la femme sauf pour les besoins du sexe, pour « se soulager ».

TERREUR

Peu à peu, j’ai ressenti l’univers se refermer sur l’écrivaine. Le beau-frère a mis toutes ses énergies à la déstabiliser, la terrorisant sur les réseaux sociaux en prenant différentes identités, en l’espionnant et en piégeant même son téléphone.
L’obsédé n’est jamais loin. Il a réussi à trouver où elle s’est réfugiée et il va finir  par frapper. Elle le sent, elle le sait, elle le devine. Une femme traquée a cet instinct de comprendre que sa vie est en danger et que le tueur rôde.

Personne ne me croira, mais c’est ce qui se passe ; quelqu’un m’a suivie jusqu’ici. Ou peut-être que non, peut-être que c’est un voisin, l’homme à la maison de riches, ou un autre, un ami d’Aron. Sauf que je ne vois aucun véhicule. Pas de traces de pas non plus, mais il vente si fort qu’elles s’effaceraient aussitôt formées. Même l’allée déblayée n’est déjà plus visible. (p.51)

Le beau-frère squatte une cabane avec son fils dont il a perdu la garde et qu’il a kidnappé. Il en veut à celle qui résiste, celle qui pense, la grande responsable de tous ses déboires. Ces dictateurs ne savent qu’accuser les femmes pour leurs échecs et leurs incapacités à se prendre en main. Une rebelle devient le bouc émissaire idéal.

ÉTAU

Peu à peu, l’étau se resserre et le beau-frère la surprend dans son refuge. Elle ne peut compter que sur elle puisqu’il n’y a personne dans le secteur. Surtout avec la neige qui les coupe du reste du monde.
Élise Turcotte rend palpable cette peur irrationnelle et instinctive devant un prédateur qui laisse courir sa rage.

Oh, la voici la rançon. C’est la même depuis le début, j’aurais dû le savoir. Que rien n’est jamais réglé dans les affaires de famille. C’est comme une mafia, le non-dit revient avec ses armes. Parfois de nouvelles proies, parfois les mêmes, jusqu’à plus soif. Me taire, ne pas répondre, ne pas réagir. Mon œil vibre, je vais faire une erreur. Mais ce n’est pas dans ses plans immédiats. (p.81)

La crainte au corps et au bord de la crise de nerfs, la romancière vit la hantise, la mort avec le froid qui envahit le chalet, ne parvenant pas à faire du feu correctement dans le foyer. Elle doit faire face, qu’elle le veuille ou non, libérer le fils de sa soeur et sauver sa peau.
Un texte terrible d’angoisse qui vous met devant les plus grandes violences. Tout part de la famille qui se fait tolérante et complice de ces obsédés, qui tente souvent de minimiser certains propos et de ne jamais prendre les moyens qui s’imposent, de poser les gestes qui vont tout changer.
Un texte haletant, une écriture qui se casse, étouffe, une bourrasque qui entre dans la peau. Toujours là, d’actualité malgré les milliers de dénonciations et les grands principes que nous ne cessons d’agiter comme des fanions. Il suffit de dériver sur les réseaux sociaux pour se heurter à des propos intolérables, aux assertions démentes de certains mâles qui veulent en découdre avec les femmes pour retrouver le paradis perdu du prédateur qui a saccagé la planète. C’est terrible de penser que ça existe encore en 2019, mais il semble que l’humain n’évolue jamais aussi rapidement que ses fameuses technologies dont il est si friand pour imposer ses lubies et ses pulsions suicidaires. Ça donne froid dans le dos.


TURCOTTE ÉLISE, L’APPARITION DU CHEVREUIL, Éditions ALTO, 2019, 160 pages, 21,95 $. 

https://editionsalto.com/catalogue/lapparition-du-chevreuil/

mercredi 23 octobre 2019

CLAUDE GAUVREAU M’A ASSASSINÉ

CLAUDE GAUVREAU
DIFFICILE DE SAVOIR quand j’ai assisté à mon premier spectacle, vécu ce moment magique où des femmes et des hommes se faufilent dans des personnages pour nous emporter ailleurs. C’était certainement au couvent Maria-Goretti de La Doré, le seul endroit où l’on pouvait présenter ce genre d’événement. Je devais avoir une douzaine d’années. Bien sûr, ma mère pratiquait l’art de se moquer de tout le monde et d’imiter les voisins, mais c’était là une séance qui n’avait plus de surprises pour nous. Dans mon village, alors, des soirées de musique, de chants, de contes avec des saynètes mobilisaient une dizaine de courageux, un peu toujours les mêmes, il me semble. La salle du couvent pouvait contenir plus de deux cents personnes et c’était plein à craquer. Pas question de rater l’un de ces moments magiques même si je devais y laisser un gros vingt-cinq sous à l’entrée.

Le vrai théâtre, c’est à la télévision que je l’ai découvert. Un peu tardivement parce que nous avons été l’une des dernières maisons du rang à avoir une antenne avec un large peigne qui ratissait les nuages les jours de pluie. Je faisais tout pour regarder Les Beaux Dimanches de Radio-Canada. Mon père et ma mère ne comprenaient pas trop mon engouement pour ce genre « de patentes », surtout les comédies d’un certain monsieur Molière. C’était beaucoup plus difficile quand on devait plonger dans un drame, mais ils se laissaient tenter par Gratien Gélinas. Pas qu’ils détestaient la fiction, ils ne rataient jamais un épisode des Belles Histoires des pays d’en haut, de La Famille Plouffe ou encore du Survenant. Je pense que ma mère avait un faible pour Jean Coutu déguisé en grand fanal venu d’un horizon inconnu et qui faisait soupirer Angélina. Et peut-être aussi qu’ils étaient complètement perdus en voyant les perruques d’un Sganarelle et les robes extravagantes de sa femme Martine.
Certains télé-théâtres sont toujours présents dans ma mémoire, comme si j’avais surpris ces personnages hier. Comment oublier Des souris et des hommes de John Steinbeck avec Hubert Loiselle ? Jacques Godin y était magnifique et touchant en grand benêt inconscient de sa force, tuant tout ce qu’il approchait et aimait. C’était à en verser des larmes.

CULTURE

La télévision se souciait de culture alors et n’était pas contaminée par les rires et l’humour qui tapissent à peu près toutes les émissions de maintenant. La direction osait présenter des spectacles difficiles qui m’ont permis de découvrir d’autres univers. C’est devant un écran en noir et blanc, souvent tout à fait blanc, que j’ai vu et écouté pour la première fois un orchestre symphonique. Ça faisait bien rire mes frères et quand j’ai acheté mon premier disque de « musique classique », ils ont cru que j’étais sérieusement dérangé. Même que l’un deux menaçait de casser mon vinyle de La Moldau de Smetana. Je devais l’écouter seul et choisir des moments où il n’y avait personne dans les parages. Avec La Pastorale de Beethoven, j’avais eu l’impression d’entendre le vent s’amuser dans les arbres, les nuages de l’orage s'avancer au loin et les vaches qui vaquaient à leurs occupations de bêtes dans nos champs.
Yoland Guérard était une grande vedette alors. Je ne sais pourquoi mon père « pognait les nerfs » chaque fois qu’il voyait le chanteur à la télévision. Il n’avait pas assez de qualificatifs pour l’apostropher. S’il avait eu accès aux médias sociaux de maintenant, cela aurait été une catastrophe. Je pense qu’il n’aimait pas les grandes voix de ténor ou de basse. Je n’avais qu’à syntoniser l’opéra du samedi à la radio pour le faire hurler. Il consentait pourtant à écouter Tino Rossi avec un sourire, pour me montrer qu’il pouvait être tolérant et qu’il n’était pas hostile à une certaine musique. Ma mère aussi adorait Tino Rossi. Et que dire de Paolo Noël ?

THÉÂTRE

Le vrai théâtre, je l’ai vécu à Saint-Félicien, à l’École secondaire Pie XII. Là, c’était quasi professionnel avec Jean-Joseph Tremblay, un professeur de français qui prenait beaucoup de son temps pour monter des spectacles. C’était très sérieux, en tous les cas pour moi. On ne grimpait pas sur une scène pour faire des pitreries ou des blagues grivoises. Nous y avons décortiqué des textes qu’il fallait apprendre d’un bout à l’autre pour secouer le personnage qui se dissimulait derrière les mots. Comme si nous devions nous approprier des répliques pour devenir un autre. Ça me fascinait. Nous avons commencé par La farce de Maître Patelin où je tenais le premier rôle et Sonnez les matines de Félix Leclerc. La magie des maquillages, la concentration et les répétitions, l’impression de bouger dans un monde différent, devant des gens qui écoutaient les yeux ronds, parfois avec le sourire aux lèvres, me transformait. J’avais surtout réussi l’exploit de convaincre ma mère à devenir costumière. Elle m’avait confectionné une cape noire qui m’allait comme la soutane de notre vicaire tout neuf. Je faisais un Maître Patelin impressionnant qui ne ménageait pas ses effets de toge.
Rapidement, je suis devenu metteur en scène et je me souviens d’avoir dirigé des garçons et des filles dans un texte de Claude Jasmin. Une histoire qu’il avait écrite pour les Jeunesses catholiques de l’époque. Je ne pense pas qu’il ait gardé ce titre dans son curriculum vitae. De là à vouloir être comédien, acteur comme on disait, il n’y avait qu’un pas. Mais comment réaliser ce rêve quand j’étais timide au point d’avoir de la difficulté à traverser le village sans perdre l’équilibre sur le trottoir, à avoir des sueurs dans le dos en entrant dans l’église le dimanche ?

PREMIÈRE

C’est grâce au théâtre que j’ai écrit un texte avec un début, un milieu et une fin. J’avais fait des essais auparavant, mais mes romans s’écrasaient après deux ou trois pages, rarement plus. Je jonglais avec la poésie, louchais vers une grande histoire d’aventure, mais toutes mes tentatives semblaient imiter les bourdons qui entraient dans la cuisine d’été et qui passaient leur journée à s’acharner contre une vitre.
Je m’essoufflais rapidement et m’égarais. Mon premier texte soutenu est un drame théâtral d’une quarantaine de pages, avec un titre foudroyant : Moins vingt. J’avais dix-neuf ans. Je savais que mon temps était compté au village et que je devrais sauter dans le train de l’exil à l’automne. J’ai fouillé et retrouvé une version tapée sur ma petite Underwood de l’époque, une machine que mon frère Raymond m’avait payée. Cette mécanique m’a valu de devenir le secrétaire perpétuel de la famille et d’écrire toutes les lettres de mes proches. Je lis la première réplique de ce texte et me demande si j’ai cessé de me poser cette question.
— On existe ! On végète ! Vivre pour vivre, c’est notre devise. Moi, je n’en                    peux plus. J’étouffe. Je meurs.

HÉSITATION

J’ai longtemps hésité entre le Conservatoire d’art dramatique et la littérature à l’Université de Montréal. J’ai finalement bifurqué vers les écrivains parce que ma timidité l’a emporté une fois de plus. Je crois que j’aurais pu faire un infarctus en ouvrant la bouche devant des garçons et des filles qui étaient de parfaits inconnus. Et je n’étais pas certain d’avoir le talent qui m’aurait permis de briller et de m’imposer. J’ai opté pour le rôle discret de l’étudiant qui ne parlait à personne, qui ne posait jamais une question, qui cherchait à se confondre avec la peinture du mur dans une grande salle. Celui qui, parfois, au lieu de prendre des notes, se risquait sur la surface d’un poème ou d’un texte plus soutenu. J’ai écrit le premier jet de mon roman Le Violoneux dans les cours de grammaires comparées et de phonétique qui m’ennuyaient à mourir.
Je me privais de nouveaux livres et sautais un repas pour avoir de quoi acheter un billet pour aller dans une grande salle, une vraie et vivre intensément le drame qui se déroulait sur la scène. Je me souviens Des grands soleils de Jacques Ferron et surtout Des oranges sont vertes de Claude Gauvreau. À la fin, quand les comédiens s’avançaient vers les spectateurs et ouvraient le feu sur nous, j’ai été touché en plein coeur. Claude Gauvreau m’a tué. J’avais pris plusieurs minutes avant de bouger, de pouvoir sortir en baissant la tête, pas du tout certain du trottoir qui oscillait sous mes pieds. J’avais eu l’occasion de croiser le poète à la Casa espagnole et il me semblait un gentil monsieur. J’avais même partagé une bière avec lui et ris beaucoup. J’en tremble encore rien qu’à y penser.
Mon grand rêve d’alors, celui d’incarner Pozzo dans En attendant Godot de Samuel Beckett ne s’est jamais concrétisé. Tout comme celui d’inventer un vrai texte et de le voir respirer et vivre devant moi sur une scène. Mais je suis encore tout jeune et il n’est jamais trop tard.
Pour tout dire, le théâtre a fait de moi un écrivain. Et je me dis souvent que la littérature n’est qu’un vaste spectacle où un auteur tente de convaincre le lecteur qui approche avec le sourire ou qui s’éloigne en haussant les épaules.


Une version de cette chronique est parue dans LETTRES QUÉBÉCOISES, Numéro 175, septembre 2019.



jeudi 17 octobre 2019

MUSIQUE DU BOUT DE LA NUIT

STANLEY PÉAN REVIENT à l’écriture avec un livre qui témoigne de sa grande passion pour le jazz. Tellement que son arrivée à Radio-Canada et à la barre de l’émission Quand le jazz est là a presque étouffé le romancier. Du moins, il ne publie plus avec la fréquence qui était la sienne avant ce travail qui l’accapare, on le comprend. Tenir le micro cinq jours par semaine pendant plus de deux heures, demande du temps et toute son attention. De préférence la nuit s’attarde aux grandes figures de cette musique et surtout, raconte ce qu’il ne peut aborder que brièvement pendant son émission : la vie de ces créateurs qui ont dû combattre pour imposer un genre qui s’est répandu partout dans le monde. Des noms emblématiques, des originaux, des efforts pour l’affirmation et le respect des populations noires aux États-Unis. Voilà un livre qui décrit la véritable tragédie que nos amis les « si bons Américains » comme l’a répété John Saul, n’aiment pas tellement évoquer.

L’écrivain et animateur, je n’ose pas dire musicien. L’une des dernières fois que je l’ai croisé, lors d’un événement littéraire, Stanley Péan traînait une trompette et émettait certains sons. Je ne sais où il en est dans l’apprivoisement de cet instrument.
Stanley Péan connaît l’univers du jazz, les phrasés, les arpèges, les chorus qui enchantent et enthousiasment. Tout comme son prédécesseur à Radio-Canada, Gilles Archambault, qui signe la courte présentation de ce travail original. Étrange que deux écrivains se succèdent à la radio d’État et se fassent les apôtres de cette musique qui a marqué l’histoire de l’Amérique d’abord et du monde. Jazz et littérature font bon ménage, certainement.
Je ne rate que rarement l’émission de Stanley (je me permets de l’appeler par son prénom), comme j’étais un fidèle de Gilles Archambault, me payant le luxe de passer des nuits blanches avec lui lors de ces fameuses incursions dans l’univers d’une figure emblématique qui traverse les époques. Un adepte donc, mais pas un spécialiste. J’écoute cette musique en dilettante et ma collection de disques, une chose un peu obsolète de nos jours, n’est pas particulièrement impressionnante. À vrai dire, je fais confiance à Stanley pour ma ration quotidienne. Je n’aime pas tous les genres, mais je suis toujours volontaire pour suivre les interpellations de Charlie Parker, Billie Holiday, Cole Porter ou Miles Davis. Je suis surtout un vrai amoureux du blues, les plus anciens avec Robert Dixon, Robert Johnson, Bubble Bee Slim, John Lee Hooker et Muddy Waters. Malheureusement, avec le départ de Jacques Beaulieu de Radio-Canada (pourquoi les animateurs que l’on apprécie ne sont pas éternels ?), je n’arrive plus à retrouver mes petites épiphanies du vendredi soir alors que nous écoutions, Danielle et moi, religieusement le blues en prenant un verre de rouge. Là encore, j’ai connu des moments intenses et je me souviens du passage de France Castel qui nous a fait vivre des instants quasi magiques. Heureusement, il y a Stanley et son émission où il rencontre les figures importantes du Québec qui s’imposent et présentent un travail fort impressionnant. Un refuge pour ces musiciens qui n’ont pas de place autrement.

UNIVERS

Stanley a baigné pour ainsi dire dans le jazz depuis sa tendre enfance et cette passion lui vient de sa mère qui a été son guide en quelque sorte. Et quand on aime d’amour un genre musical, on ne peut que s’intéresser aux grandes figures qui ont porté la note bien haute et bien claire. Bien sûr, à force d’écouter monsieur Archambault et Stanley, j’ai fini par apprendre des fragments de la vie de ces originaux qui se sont souvent tenus sur la corde raide.
J’avoue avoir été un peu surpris par le premier chapitre de cet essai, quand Stanley s’attarde à La Nausée de Jean-Paul Sartre. Je n’avais pas fait le lien et il est vrai que ma découverte de ce roman remonte à 1966, alors que je risquais mes premiers pas sur les trottoirs de Montréal, apprivoisais la ville, les murs, les craques dans le ciment, les arbres enfermés dans des clos. Je m’étais imbibé de cette histoire un peu indûment, m’identifiant à ce Roquentin. Dépossédé du monde, déraciné et égaré après une migration qui me faisait m’avancer timidement dans un autre univers. J’avais perdu mon village et n’étais pas certain de vouloir m’ancrer dans la ville. Heureusement. Il y avait les livres et les écrivains pour m’accrocher, Radio-Canada pour me proposer des musiques nouvelles et étonnantes. Qui se souvient de Luc Granger ?

De toute façon, la plupart des sources consultées s’entendent pour reconnaître dans l’arrangement décrit dans La Nausée l’enregistrement gravé par la créatrice de « Some of These Days », Sophie Tucker, accompagnée par l’orchestre du clarinettiste Ted Lewis en 1926. Cette version, qui n’était pas la première signée Tucker, mais qu’on tient aujourd’hui pour la « classique », s’est vendue à un million d’exemplaires et a trôné au sommet des palmarès pendant cinq semaines d’affilée à compter du 23 novembre de cette année-là. (p.25)

Un moment du roman où l’auteur de L’être et le néant décrit un musicien qui s’exécute avec passion et concentration. Une belle manière de montrer comment certains morceaux nés dans la poussière et la dépossession des Noirs réduits à l’esclavage a pu faire son chemin et se retrouver dans les écrits du philosophe connu mondialement. Je ne savais encore rien du jazz et je pense que je fus titillé par le genre en lisant Boris Vian qui était un grand passionné de la trompette et de ce genre musical.

EXPLORATION

Stanley s’aventure allègrement dans l’univers de ces inventeurs qu’il adore et qu’il fait entendre quotidiennement, ayant ses préférés et ses favoris comme il se doit, invitant de temps en temps son père spirituel, monsieur Archambault, histoire de causer littérature et musique. J’aime ça. Je dois avouer que je ne savais à peu près rien d’un certain Bix Beiderbecke et de bien d’autres. Les émissions de Stanley ouvrent des horizons et permettent de découvrir des noms moins connus. C’est pourquoi je suis fidèle au poste.
Presque tous les grands sont en rupture avec les normes de leur époque et sont des virtuoses qui se sont aventurés sur des chemins étonnants et qui ont vécu des situations difficiles. Des créateurs authentiques et originaux de pièces musicales qui sont devenues des références. Stanley parle de « standards ». Des vies tourmentées et souvent misérables, en marge de la société. Une descente aux enfers à cause de l’alcool ou de la drogue. C’est malheureusement le quotidien des populations écrasées et opprimées qui cherchent à s’évader d’une réalité intolérable. Nous n’avons qu’à penser aux Autochtones au Québec et au Canada qui vivent des situations extrêmement pénibles. Les Noirs aux États-Unis ont croupi dans des ghettos pour ne pas dire des lieux où il était quasi impossible de grandir et de rêver.

Le jazz parle de la vie. Les blues racontent les vicissitudes de l’existence. Et si vous y réfléchissez un instant, vous constaterez qu’ils prennent les réalités les plus difficiles de la vie et les mettent en musique, pour faire naître un nouvel espoir ou un sentiment de victoire. C’est une musique triomphante. Le jazz moderne perpétue cette tradition, en chantant les aléas d’une existence urbaine plus compliquée. Lorsque la vie elle-même n’offre ni ordre ni signification, le musicien crée un ordre et une signification à partir des sons de la terre qui émanent de son instrument. (p.135)

La citation est de Martin Luther King.

COMBATS

Bien plus que les éléments biographiques de ces figures emblématiques du jazz, l’essai de Stanley permet de comprendre les luttes des Noirs qui ont eu et ont encore toutes les difficultés du monde à se faire respecter et à vivre en homme et en femme libres. Tous les combats pour les droits civiques ont été portés par cette musique et des créateurs engagés dans leur communauté. Des hymnes, des chants qui claquent comme des bannières et dénoncent la situation inacceptable des Noirs au pays des armes, leurs terribles efforts pour survivre. Stanley, en plus de certains incontournables et de certains aspects de la vie de ces figures marquantes, traduit des moments horribles et éprouvants d’une partie de la population américaine qui a été réduite à l’état de bétail et qui ont dû se battre, mourir souvent pour se faire respecter et considérer comme des êtres humains. Essai portant sur la musique de jazz, oui, mais aussi illustration des luttes et des combats des grands leaders comme Malcom X ou Martin Luther King qui ont connu des fins tragiques. Tout se termine trop souvent par un attentat au pays d’Abraham Lincoln.  Des chants comme Strange Fruit de Billie Holiday sont devenus des hymnes qui touchent le cœur et l’âme. Stanley le fait particulièrement bien ressentir.
Un livre important, le témoignage d’une passion pour un genre musical qui traverse nos vies, s’infiltre partout et qui a même son festival à Montréal. Il est là ce son, ce rythme bien connu et omniprésent, mais nous en ignorons souvent les dessous et les combats qui ont donné naissance à ces chants emblématiques. Un travail passionnant, un essai que tout amateur de jazz et de liberté doit lire et relire. Merci Stanley : « Bonsoir et bonne chance. »


PÉAN STANLEY, DE PRÉFÉRENCE LA NUIT,  Éditions du BORÉAL, 2019, 272 pages, 27,95 $.