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jeudi 1 octobre 2015

Une amitié marquante avec Georges Simenon


Une version de cette chronique
est parue dans Lettres québécoises,
numéro 159.

Un écrivain se dresse sur ses lectures et les phrases de ceux qui le précèdent. Les premiers livres de l’enfance permettent d’oublier une certaine réalité qui rend souvent la vie difficile. Et plus tard, une œuvre vous pousse dans un rêve, le monde imaginé dans une première phrase lancée sur un bout de papier. Cet écrivain devient le maître qui vous accompagne, auquel vous reviendrez souvent pour vous ressourcer. Un peu comme les lieux de l’enfance que l’on retrouve avec un pincement au cœur, une fébrilité qui ne diminue guère avec le temps.

Pierre Caron lisait pour oublier Trois-Saumons quand il était enfant, combattre l’ennui, la maladie et s’inventer des villages de l’autre côté du fleuve qu’il arpentait dans sa tête. Un monde autre, un monde qui permettait d’oublier sa vie terne, d’imaginer qu’il pouvait vivre autrement. Un chanceux en somme qui pouvait naviguer dans la bibliothèque que sa mère avait héritée d’Olivar Asselin.

Je suis né dans les livres et je suis ce que j’ai lu. La lecture a forgé mon caractère et a composé ma personnalité intérieure, celle qui dicte à l’autre. Elle fut le principe créateur de mon existence. Ce ne sont pas tant les différents événements de ma vie qui ont marqué cette dernière mais bel et bien ceux des personnages des livres que j’ai lus, car ceux-ci ont pleinement participé à la nécessité de devenir ce que je suis. (p.37)

Les livres n’existaient pas chez nous et jamais je n’ai vu mon père ou ma mère lire. Encore moins mes frères. Mes premiers volumes furent ceux que j’ai ramenés de l’école Numéro Neuf. Monsieur l’Inspecteur donnait des livres à l’époque aux écoliers qui faisaient des efforts. J’ai encore ce roman, le premier, une histoire publiée chez Beauchemin en 1954. Le nom des auteurs n’avait pas d’importance alors. Je ne savais pas qui était Maxine, si c’était un homme ou une femme… Fanfan d’Estrées. Je regarde le livre à la couverture orange et certaines images reviennent. Je sais maintenant. Maxine est le nom de plume de Caroline-Alexandra Bouchette, la fille d’un des patriotes de 1837 qui a dû s’exiler aux Bermudes. Elle a épousé un avocat qui est décédé peu après son mariage, a étudié à la Sorbonne et décidé d’écrire pour les jeunes. Elle voulait faire aimer et connaître notre histoire et a signé une trentaine de romans, a publié en France et vu au moins l’un de ses ouvrages traduits en anglais. Ce fut longtemps le seul livre de ma bibliothèque et j’ai dû le relire des dizaines de fois. La littérature jeunesse ne date pas de maintenant. Madame Bouchette est décédée en 1957 et elle aura marqué ma vie.

LETTRE

Pierre Caron travaillait à la Baie James, sur les grands chantiers et lisait Georges Simenon, traînant ses romans partout. Cet écrivain lui permettait de voir autrement sa réalité. Ses compagnons de travail apparaissaient sous un nouveau jour et ses lectures lui apprenaient à « voir » le monde autour de lui. Il ose, après bien des hésitations, je le comprends, écrire au père de Maigret. Une lettre comme une bouteille jetée à la mer, comme un cri venu du bout du monde.
Quelques semaines plus tard, une enveloppe arrive et va transformer sa vie.

La lettre de Simenon me faisait dégringoler dans la réalité. Telle une stridence à couper le souffle, elle m’imposait de façon aiguë une constatation qui tranchait dans mes réflexions approximatives, spéculatives, analytiques : la feuille était réellement entre mes mains et les mots qui la couvraient m’étaient adressés. (p.24)

Commence alors une correspondance entre un jeune homme qui rêve d’écrire et l’écrivain le plus lu de son époque. Il faut de l’audace pour écrire à une célébrité et une certaine naïveté. Jamais cette idée ne m’est venue. J’étais peut-être trop timide pour écrire à Henry Miller ou Marie-Claire Blais. J’aurais aimé envoyer une missive à Léon Tolstoï, mais il y avait la langue russe comme une montagne infranchissable et sa mort bien avant ma naissance. Il faut un grand désir d’écriture, une envie de basculer dans un autre monde pour oser un geste semblable. Que se serait-il passé si j’avais envoyé une lettre à Gabriel Garcia Marquez en 1970 pour lui dire que Cent ans de solitude bouleversait ma façon de voir les mots, que je voulais l’imiter et qu’il devenait mon maître qu’il le veuille ou non ? Comment j’aurais réagi s’il m’avait répondu et encouragé à publier Le violoneux en me suggérant des corrections ?

AMITIÉS

Pierre Caron devient notaire et il ose envoyer un premier manuscrit. Il a hésité longtemps ! Est-ce que cela peut se faire, expédier un manuscrit à l’écrivain le plus lu de son époque, à une vedette qui manque de temps pour tout ? Il faut être un peu téméraire pour oser. Ce serait comme envoyer un premier manuscrit à Ken Follet maintenant. Simenon répond et l’encourage à continuer. Il devient son mentor.
Ce qui m’a étonné, c’est que l’écrivain ne cesse de traiter Pierre Caron en égal, de le qualifier d’écrivain même s’il n’a pas encore publié. C’est déjà une consécration, une chance inouïe pour un jeune qui hésite sur ses premiers paragraphes.
Pierre Caron effectuera de véritables pèlerinages en France et en Belgique pour respirer dans les lieux où se situe l’action des romans de son idole, mieux comprendre sa façon d’écrire, sentir peut-être dans tout son corps comment Simenon joue avec le réel. Paris, Liège et la Suisse. Il rencontre son maître, vit des moments particulièrement chaleureux, se sent respecté, apprécié et traité en égal.

Je le vis d’abord de dos, la tête un peu penchée, les coudes détachés du corps, dans l’attitude de quelqu’un qui s’affaire avec les mains à quelque chose qui lui résiste ou, tout au moins, qui requiert toute son attention. Puis, au moment où une bouffée de fumée s’échappait au-dessus de lui, il se retourne, une pipe au poing. (p.210)

Georges Simenon prend de l’âge et vit des moments difficiles. Le suicide de sa fille le bouleverse et il a du mal à s’en remettre. Sa santé connaît des ratés. Il meurt à 86 ans après avoir écrit plus de 400 ouvrages, vendu un milliard quatre cents millions de livres.
Pierre Caron est en deuil et il sait qu’un phare vient de s’éteindre, qu’un trou immense vient de se creuser dans sa vie. Le guide qui l’a accompagné et encouragé à aller vers ses propres fictions, à se détacher de ses Maigret pour voler de ses propres ailes, n’est plus. Et il y a ces rencontres uniques, trop brèves, ces échanges épistolaires qui deviennent des documents précieux. Parce que Caron ne serait pas devenu l’écrivain qu’il est maintenant s’il n’avait pas écrit une lettre qui devait tout changer alors qu’il travaillait dans le Nord québécois. Comme si Simenon lui avait donné la permission de traverser le grand fleuve de son enfance pour inventer un monde à sa mesure.

AMITIÉ

Un récit bien senti qui permet d’apprécier une œuvre immense et l’humanisme d’un écrivain célèbre. Un texte qui dévoile les sources de l’écriture et de l’amitié qui unit deux hommes tellement différents. Une réflexion sur l’art d’écrire, une œuvre qui a marqué le siècle, une façon de raconter son aventure dans les pays des mots. Peut-être aussi une manière de combler la grande perte que fut la mort de Georges Simenon. Un récit où Pierre Caron se livre en toute simplicité et une franchise remarquable. Toujours juste, étonnant et bien mené. De quoi faire rêver et lire encore en encore. Le récit de Pierre Caron est une formidable manière d’aborder l’œuvre inextricable de Georges Simenon. Il m’a donné envie de le lire, moi qui ne suis guère attiré par le genre policier. Je vais m’y mettre un de ces jours.


Pierre Caron, Ma singulière amitié avec Simenon, Montréal, Éditions Recto Verso, 2015, 280 pages, 19,95 $.

mardi 22 septembre 2015

Un drame shakespearien est-il toujours possible

Si vous imaginez que votre vie privée est à l’abri de tout, il faut vous tenir loin d’Amanita Virosa d’Alexandre Soublière parce que vous risquez de devenir paranoïaque. Au mieux, vous allez renoncer à utiliser les moyens de communication que sont le courriel, Facebook, Twitter et autres. Rien ne résiste à Winchester Olivier, une sorte d’Arsène Lupin qui se faufile dans les ordinateurs comme un chirurgien qui fouille vos entrailles et votre cerveau. Il lit vos messages, scrute vos photos et peut vous suivre à la trace avec ses caméras. De quoi donner des frissons parce que ça dépasse l’entendement.

Sam et Winchester réalisent des contrats particuliers. Certaines personnes veulent tout savoir de leurs proches ou de leurs concurrents, leur vie privée, leurs secrets, leurs fantasmes et les manies qui sont les leurs dans l’intimité. Quand l’argent permet tout, on peut se payer le viol du corps et de l’esprit. Le duo installe des caméras dans les résidences privées pour suivre leur proie dans la douche et leur lit. Imaginez un œil qui capte vos mouvements, voit tout de vous du matin au soir. Ces voyeurs finissent par vous connaître mieux que votre partenaire de vie.

Hyaena est notre projet. Pour moi, c’est un retour à mon ancienne philosophie de pirate informatique. Il s’agit d’une extension de la pornographie, du libéralisme, de l’anarchie, des réseaux sociaux, du voyeurisme, de l’amour, de la jungle, du temps, du pouvoir, de l’imaginaire. En permettant aux clients d’être à deux endroits en même temps, on leur fournit la possibilité d’être invisibles et de braver les contraintes de la réalité. On leur offre des conquêtes qu’ils auraient pris plus d’une vie à amadouer. Ce n’est pas de la porn, c’est meilleur. Pourquoi ne pas aller plus loin que Facebook, Instagram, Shapchat et autres, en procurant aux gens qui veulent payer la possibilité de voir n’importe qui n’importe où, dans n’importe quelle situation. (p.35)

Sam est un policier d’une brutalité particulière qui aime l’argent et le pouvoir en perçant tous les secrets. Il va jusqu’à surveiller sa femme et sa fille. Winchester tient de l’animal à sang froid, est un solitaire qui préfère l’ombre à la lumière, le silence aux discours. Il a vécu un grand amour avec Cecili, une l’infirmière qui l’a quitté quand elle a vu sa collection d’armes.
Ils reçoivent une mission d’Elijah Nukist, un milliardaire qui veut tout savoir de Juliette, l’héroïne de William Shakespeare. Comment s’approprier un être de fiction ? Pourchasser les comédiennes qui ont incarné le personnage ?

Peut-être avez-vous déjà entendu parler d’un auteur nommé Shakespeare ? Et de son chef-d’œuvre, Roméo et Juliette ? Voilà. J’ai pris la ferme décision de ne pas terminer ma vie sans avoir vu Juliette nue. Je la veux dans tous les angles, dans son bain, devant le miroir, lorsqu’elle dort. Je veux la voir vivre, je veux la voir se peigner, pleurer, manger. Je vais accepter tout ce que vous m’apporterez d’elle. Et je paierai ce que vous voudrez, comme c’est mon habitude. J’espère que vous en serez capables. Je veux tout. Je veux Juliette. Pouvez-vous me l’offrir avant que je meure ? (p.43)

C’est demander de ressusciter Shakespeare et surveiller ses fantasmes, se faufiler dans le cerveau de cet auteur mort en 1616. Plus, il faudrait percer le mystère d’un amour qui va au-delà du sacrifice et de la mort.

ELSA

Ils doivent aussi pister une chanteuse populaire que vient d’épouser un milliardaire. Elsa est adorée par son public et la surveillance ne donne rien. Aucune manie, aucun travers qui pourrait donner prise à du chantage.
Mais on ne peut pas acheter le sang qui coule dans nos veines. On ne peut pas acheter de nouveaux parents, un nouvel arbre généalogique. On ne peut pas s’acheter une origine. C’est la seule chose qui nous échappe. Elijah est intelligent. Il a décidé d’épouser la seule chose qu’il ne pouvait pas avoir. Je comprends encore mieux mes clients, soudainement. Quand j’ai vu la vidéo musicale d’Elsa, j’ai eu peur de vieillir. J’ai eu peur d’être vieux. Je suis vieux. Sous la trentaine, mais ridé de l’âme. Et je ne sais toujours pas ce qu’est une âme.  (p.78)

L’amour de Roméo et Juliette est-il possible dans une société où tout se monnaye ? Vivront-ils la passion qui va au-delà des tabous et des clichés ? Sam organise le viol d’Elsa pour satisfaire Nico avec la complicité de son mari. Nous sommes dans un monde où les désirs les plus abjects peuvent se concrétiser. Sexe, mort, viol et encore plus.
Winchester peut sauver Elsa, mais pour mieux la perdre comme dans les drames shakespeariens. Il doit se sacrifier comme dans Roméo et Juliette.

Il faut tout remettre en ordre. Imaginez si Facebook, Google, Twitter, Yahoo donnaient tous les mots de passe au public. On aurait accès aux secrets de tous. On déclarerait la Troisième Guerre. C’est ce que je m’apprête à faire, à plus petite échelle. Les chroniqueurs vont me poser une foule de questions et je vais voler la vedette sans m’esquiver. Sans compromis, sans immunité. Je vais aller en prison pour sauver Elsa. Je vais saboter ma vie pour elle. Ce sera beau. Gracieux. Ce sera l’histoire d’amour la plus épique jamais racontée. Le chevalier qui se sacrifie pour son amoureuse inoffensive et douce. Un paladin solitaire. Un narcissique en voyage. Une épave. (p.302)

TERRIBLE

J’ai failli repousser souvent ce roman en disant que c’était assez. Soublière nous pousse au-delà du bien et du mal, de l’amour et de la folie. Qu’arrive-t-il quand des humains échappent à toutes les barrières sociales et morales ? Jusqu’où aller dans ce désir de domination ? Et comment ne pas s’affoler en pensant que tout cela est à porter d’un clic ? Vous pouvez être suivi, espionné et voir tous vos secrets éventés. Les moyens de communications de maintenant rendent la chose possible.
Je me méfie maintenant de mon ordinateur, ayant l’étrange sensation que derrière l’écran, un œil me surveille. Et je pense au mythe de Caïn qui ne peut échapper à l’œil de Dieu, même dans la mort. En sommes-nous là ? Dieu est-il ce réseau de communication qui voit tout et sait tout ? Un roman terrible, je le répète. Heureusement qu’il y a la fascinante histoire de Roméo et Juliette, le sacrifice pour l’être aimé.
Amanita Virosa, l’ange de la mort, peut vous faire passer de vie à trépas en quelques heures. Ce champignon fait halluciner avant de vous pousser dans la destruction totale du moi, une notion qui est peut-être en train de disparaître. Bientôt, il n’y aura peut-être plus de « je », mais que des « nous » qui dérivent dans l’espace numérique pour le meilleur et le pire.

AMINATA VIROSA d’Alexandre Soublière est paru chez Boréal Éditeur, 312 pages, 25,95 $. 

mardi 15 septembre 2015

Jean-Pierre Vidal secoue le monde des apparences


La société est en mutation et la littérature connaît une prolifération phénoménale. Écrire est maintenant possible pour tous. Ce n’est qu’une question de marketing et de vedettariat. Il faut d’abord se faire voir à la télévision ou au cinéma pour s’assurer de faire les manchettes. Les humoristes ont commencé à prendre d’assaut les salons du livre après avoir pillé la télévision. La culture humaniste est devenue suspecte et plus personne ne se gêne pour ridiculiser les écrivains plus exigeants. La philosophie, la poésie et la réflexion sont en train de devenir obsolètes. Encore plus étrange, au Québec, il y a de plus en plus d’écrivains et de moins en moins de lecteurs.
  
Jean-Pierre Vidal a enseigné la littérature à l’université, exploré des textes pour en retirer la « substantifique moelle » comme Victor-Lévy Beaulieu le répète. La situation actuelle le préoccupe. La réflexion est-elle une « maladie » qui ne touche que les plus de cinquante ans ? Comment naviguer dans une société où les opinions pleuvent au détriment des idées?

Mais l’enseignement, même universitaire, n’est pas que recherche et combat singulier ou étreinte avec un ou plusieurs auteurs, une ou plusieurs littératures. Il est aussi, justement, enseignement, c’est-à-dire nécessité de convaincre, prouver, séduire, sans que je n’aie jamais très bien su si ces trois opérations ne constituaient pas une seule et même activité, une seule et même attitude peut-être, innommable, incernable, et dont les deux autres ne seraient qu’une variante, ou plutôt le spectre. Dans cet exercice, je me suis bien souvent senti envahi par une force, une pénétration, une créativité, une science, qui n’étaient pas les miennes. Je les sentais venir du lieu et de la circonstance. Je n’étais que la caisse de résonnance de courants qui convergeaient vers le texte étudié. (p.63-64)

Que ferait Érasme dans un salon du livre ? Imaginez Platon dans un stand attendant de dédicacer Le banquet à côté de Ricardo. Vidal pourrait le faire à sa place bien sûr. Mais il n’y a pas que cette préoccupation dans Méfaits divers. Il y a un côté intimiste quand il est question de la vieillesse et des traces que nous laissons derrière nous. Y aura-t-il quelqu’un pour se rappeler notre passage ? Il y aussi l’absurdité, la violence, la vie qui vous emportent dans un tourbillon où les pulsions font foi de tout. Jusqu’où va aller la télévision dans l’horreur et le sensationnalisme ? Qui se préoccupe d’un message Facebook vieux de trente minutes ? Le passé n’arrive plus à être le passé et l’avenir est trop lointain pour s’en préoccuper. Il n’y a que l’ici, le maintenant, le jour de l’aujourd’hui.

SENS

Et les succès littéraires de maintenant ? J’y reviens parce que je me questionne sur le sujet, me demandant si tous les efforts consentis pour faire connaître les écrivains et leurs livres ont été utiles. Je ne suis pas pessimiste, mais il me semble que le monde en qui j’ai tellement cru est en train de s’écrouler. Les ventes de livres sont en chute libre malgré des initiatives formidables comme le « 12 août ». J’achète, mais est-ce que je lis ? Cet aspect ne semble guère intéresser les libraires et les éditeurs. Je vends, donc je suis. Les médias sociaux sont un marché où des « auteurs » offrent leur nouveau-né à tout venant. Des textes souvent simplistes, mal écrits, gorgés de fautes, pour ne pas dire bégayants et répétitifs. Je fréquente les médias sociaux tout en tentant de comprendre le phénomène. Est-ce que placer une photo ou un message sur Facebook permet de faire connaître un écrivain et de pousser un lecteur vers son livre ? Toujours l’impression de voir des milliers de personnes crier moi, moi à longueur de journée.
Le silence médiatique qui entoure la parution de 666 Friedrich Nietzsche de Victor-Lévy Beaulieu est assez troublant. Trop long, trop difficile, trop exigeant. Pas un chroniqueur ne s’est porté volontaire dans un grand journal comme La Presse. Silence aussi dans Le Devoir. Les écrivains qui empruntent des sentiers peu fréquentés sont marginalisés et ignorés. Qui lit encore Marie-Claire Blais ? Qui s’attarde à un roman de plus de 200 pages maintenant ?

Et le lecteur, s’y y tient vraiment, peut toujours compléter, répondre lui-même à ses questions, comme, de fait, il l’a toujours fait, depuis que la lecture est la lecture : ce n’est que dernièrement qu’on a formé les lecteurs à exiger que tout soit dit, souligné, expliqué clarifié, mâchouillé. En fait, rendu trivial. Comme si la littérature n’était qu’une forme un peu plus embarrassée de journalisme. (p.155)

IRONIE

Jean-Pierre Vidal aborde tout cela avec un humour vivifiant. Heureusement. Il nous entraîne dans les salons du livre, nous fait assister à une séance de dédicaces, nous présente un auteur astucieux qui a trouvé le moyen de stimuler les ventes en embauchant de faux lecteurs. Vous vous souvenez des saucisses ? Plus les gens en mangent, plus elles sont fraîches. Il y a ce côté amusant, mais l’écrivain reste perplexe sur le monde de maintenant. Comment ne pas frissonner devant notre planète en ébullition, une masse de réfugiés en Europe ? Toutes les valeurs éclatent. Des fanatiques n’hésitent plus à tuer pour la cause. Faut-il se contenter de rire quand les valeurs humaines traînent dans la boue ? Il faudrait peut-être comprendre, savoir pourquoi nous en sommes là. La littérature a toujours servi à cela. L’écrivain s’est fait bousculer par un nouveau barbare pour reprendre l’appellation d’Alessandro Baricco. Ce mutant lui a volé sa parole et son rôle.

Autrefois, on écrivait pour l’Autre, à qui il fallait mettre une majuscule, parce que c’était une présence anonyme, non pas innombrable, mais innombrée, une présence présupposée que peut-être on inventait, qu’on incorporait et qu’on finissait, quand on le considérait comme un collectif, par appeler Dieu, pour simplifier. (p.163)

Jean-Pierre Vidal devient fulgurant quand il montre la dépersonnalisation et la cruauté du monde. La violence des enfants, l’indifférence, l’assèchement de la langue littéraire, l’imposture et le commerce à tout prix.

Et maintenant, on écrit pour la foule, c’est-à-dire, comme l’a dit un auteur ancien - Sénèque ? Ésope ? il ne se souvient plus, mais il se rappelle la citation exacte : « la preuve du pire », argumentum pessimi. (p.164)

Le livre que l’on vénérait tel un objet sacré est devenu un objet interchangeable qui répète une même formule. La rumeur marchande a inventé l’art du conteneur. L’auteur n’a pas besoin de vivre pour que son « œuvre » se multiplie. Le cas de Stieg Larsson est un bel exemple. L’auteur est décédé et un autre prend la relève. Ce qui ne tue pas s’approprie le monde de l’écrivain et le pousse dans une autre direction. David Lagercrantz est ce vampire. L’écriture devient une entreprise et l’écrivain individuel un artéfact.

PERTINENCE

Si j’ai eu un peu de mal avec les premiers textes où l’ironie perd un peu de son efficacité, j’ai adoré Aladin ou les partances où le vieillissement se heurte à la cruauté des vivants. Tout comme L’ensablement où le lien entre l’écriture et la lecture est magnifiquement exploré. Écrire est lire le monde. Et n’est-ce pas la fonction première de l’écrivain que de chercher à comprendre la vie ? Là, Vidal atteint des sommets.
Il accompagne Jean Larose qui se montre très critique sur l’enseignement et les succès littéraires de maintenant. Les deux défendent une tradition humaniste de plus en plus méprisée.
J’aime ces résistants dans un monde où l’image est la valeur absolue autant en littérature qu’en politique. Vidal possède un formidable sens de la caricature qui bouscule et fait souvent grincer des dents.
Parions qu’il n’y aura pas file devant son stand au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean en début d’octobre pour s’arracher Méfaits divers. À moins qu’il ne soudoie quelques faux lecteurs pour que le syndrome de la file agisse dans toute sa magnificence. Il en serait bien capable !

Méfaits divers de Jean-Pierre Vidal est paru aux Éditions de La Grenouillère, 162 pages, 20,95 $.

samedi 5 septembre 2015

Sergio Kokis redécouvre son corps par la marche

Une version de cette chronique
est parue dans Lettres québécoises,
numéro 159.


Beaucoup d’écrivains ont été des marcheurs. Henry David Thoreau, Walt Whitman et Frédéric Nietzsche étaient de ceux qui allaient un peu partout, de préférence loin des bruits de la ville, pour noter leurs réflexions, s’attarder dans un boisé et n’entendre que le froissement de leurs pensées. Comme si l’acte d’écrire devenait physique et qu’il fallait bouger pour suivre la course des mots. Pour ceux qui écrivent encore sur le papier, bien sûr. Qui le fait maintenant ? Victor-Lévy Beaulieu utilise de grandes feuilles de notaire et je ne sais pas pour Sergio Kokis. Quant à moi, je vais entre ces formes d’écriture. Écrire à la main reste un plaisir. Tout cela pour dire que Sergio Kokis vient de découvrir la randonnée pédestre. Il voulait bouger et se prouver qu’il était encore capable de certains efforts.

Au moment où sa compagne quitte le travail pour retrouver toutes les dimensions de ses journées, Sergio Kokis, qui a toujours été sédentaire, projette d’emprunter les chemins de Compostelle. Tout un défi pour celui qui a pratiqué un peu le sport dans sa jeunesse, mais qui se contente maintenant de pourchasser les mots et de passer des heures devant ses grandes toiles pour trouver peut-être la lueur qui fait que nous sommes des vivants. Ces tableaux angoissants qui nous placent toujours dans une sorte de malaise face à des hommes et des femmes qui respirent à la limite du possible et du tolérable.

L’idée de tout laisser en arrière  pour deux ou trois mois, avec un simple sac à dos, m’a séduit d’une étrange façon. Cela allait à merveille avec la fin de l’exercice littéraire que je venais de boucler. Tout comme si, à mon tour, j’avais aussi besoin de me dépouiller d’une vieille peau encombrante. (p.16)

Marcher en ville est peut-être le pire des supplices, surtout dans une banlieue, par des vents ou des pluies qui donnent envie de s’encabaner pour toute une saison. Bouger, retrouver des muscles ignorés toute sa vie, marcher, calculer des distances, trouver un certain plaisir à n’être qu’un mouvement. Il faut s’entraîner avant de vivre la marche.

SOUFFRANCE

Et arrive le grand départ pour l’Europe. Sergio Kokis traîne la patte, arrive tant bien que mal à suivre sa compagne qui semble flotter sur les chemins de montagne. Notre écrivain complète les étapes de peine et de misère. L’expérience devient un supplice et il est facile d’imaginer que plus jamais Kokis ne s’aventurera sur les routes. Le dos ne veut pas suivre, un nerf qui fait de chaque pas le triomphe de la volonté.

C’est la première fois de ma vie qu’une douleur de cette intensité s’oppose à ma volonté. Elle n’a rien à voir avec les fractures osseuses de ma jeunesse, ni avec mes accidents d’escalade ou les coups de poing reçus dans les bagarres. Cette douleur tend à s’opposer au plaisir exquis de la marche que je viens à peine de découvrir, tandis que mes inconforts du passé n’ont jamais été de taille à me paralyser dans mes désirs. (p.54)

Nous avons souvent imaginé, Danielle et moi, partir sur les routes de Compostelle pour flâner, écrire au détour d’un chemin, d’une montagne ou sous un arbre quand le mitan du jour se fait trop insistant. Après avoir lu des récits, entendus des pèlerins qui sont allés sur les routes, nous avons renoncé. Se précipiter pour avoir une place dans un gîte, dormir dans des dortoirs, renoncer à son intimité pour des semaines nous a découragés. Je rêvais de promenades, de petits gîtes tranquilles et de temps pour les écritures et certaines lectures. Il y a comme une précipitation qui me déplaisait dans cette aventure.
Pourtant Kokis découvre le plaisir de marcher dans la nature, la joie de l’effort et de franchir les montagnes pour voir ce qu’il y a de l’autre côté. Il y a aussi ces hommes et ces femmes qu’ils croisent, parfois énervants, souvent amicaux. Et des lieux qui vous laissent sans voix. Impossible de ne pas s’arrêter pour n’être qu’un regard dans ces pays de montagnes. Et au bout du jour, un bon repas, un vin ou un alcool avec une discussion quand le soir descend. Un plaisir qu’il veut revivre.

RETOUR

Le corps suit cette fois. Il adore ces longues journées en compagnie de son épouse, sans rien se dire souvent. Il retrouve peut-être un amour qui s’était un peu étiolé avec le temps. Surtout, il découvre une femme capable d’efforts physiques impressionnants. Elle va et il suit.
Ilse prend des notes pendant qu’il se contente de respirer et de voir ces pays qui se déplient devant lui. Marcher, s’arrêter dans une nature magnifique, près des cours d’eau, surprendre des fleurs, une bête au milieu d’un champ. Respirer et sentir avec son corps et son âme. Il y aura encore d’autres départs, des découvertes, des parcours difficiles. Plusieurs randonnées se succéderont dans des pays de montagnes, des lieux un peu isolés qui vous emportent dans le temps et l’espace. L’important, ce sont les jours qui se succèdent, l’esprit qui s’ouvre à des lieux qui vous laissent sans mots.
Le voyage est toujours une forme d’initiation ou de méditation. Sergio Kokis lit les notes de sa compagne et des souvenirs, des images reviennent. À partir de ces remarques, il aura l’idée d’écrire ce récit de voyage.

RENAISSANCE

Le peintre s’attarde à l’histoire, à ces lieux en marge de l’agitation du présent et crayonne des paysages lui qui n’a que regardé les hommes et les femmes. Sergio Kokis vit une renaissance, découvre son corps, voit différemment le monde et ses turbulences. Et aussi l’occasion est belle de réfléchir à ses écrits et l’art pictural, de faire le point en quelque sorte. Comment faire autrement ? Nietzshe, raconte Victor-Lévy Beaulieu, s’éloignait pendant des heures. Non pas qu’il franchissait des distances énormes. C’étaient souvent des sentiers de quelques kilomètres. Ce qui importait, c’était de noter ses réflexions et d’écrire à l’ombre d’un chêne en ayant le murmure d’un ruisseau dans les oreilles. Comme s’il convoquait tous ses sens dans l’acte d’écrire. Kokis découvre une autre personne en lui. C’est le plus important.

En fait, le vrai pèlerin marche vers lui-même. Le poète Machado a raison : il n’y a pas de chemin, il y a seulement des marcheurs, des chemineaux de la vie. Et chacun marche vers son lieu de nostalgie, à la recherche de ce qui donnera un sens à son cheminement. (p.77)

Ça donne envie de partir en leur compagnie, de prendre un verre après une journée d’efforts autour d’une bonne table. Et le lendemain à l’aube, dans le plus doux des silences, retrouver la fête des muscles dans le déplacement en montagne ou en bordure de mer.
Ce livre nous emporte sur les pistes de l’écrivain, ses préoccupations et ses réflexions. La marche comme l’écriture poussent vers l’autre, mais aussi vers soi « pour structurer le sens de notre être-dans-le-monde ».
Si j’avais lu ce récit il y a quelques années, j’aurais préparé un sac et serais parti sur les routes de Compostelle, pour le plaisir, le bonheur du jour, vivre l’écriture d’une autre manière, découvrir un monde en soi et autour de soi. Kokis m’aura fait vivre ce rêve. La littérature peut encore cela.

Le sortilège des chemins de Sergio Kokis est paru chez Lévesque Éditeur, 2015, 196 pages, 25 $.

http://www.levesqueediteur.com/kokis.php

mardi 1 septembre 2015

La littérature engendre-t-elle la résistance


Existe-t-il des valeurs, des certitudes que le temps ne peut altérer ? Certains textes philosophiques anciens réussissent encore à nous bousculer. La littérature, la vraie, celle qui touche l’âme, survit à tout. Des mots s’échappent d’un pays mystérieux comme la Chine et nous voilà subjugués. Tant d’écrivains que nous ignorons, tant d’écrivains au Québec qui restent des étrangers dans leur pays. Même la mort ne parvient pas à altérer ces mots qui hantent comme des présences, comme des parfums qui grisent et envoûtent.

J’ai eu du mal au début avec Le parfum de la tubéreuse d’Élise Turcotte. Je résistais. Parce que l’écrivaine demande d’abandonner ses repères, de lui faire confiance et d’aller au-delà de la vie et de la mort. Et il y a eu une phrase : « Quand je lis avec assez de patience, les mots déposent un nouveau parfum. Peu de livres le font : transformer le boisé en chypré, le floral en hespéridé. Mais j’en ai connu. » Un livre comme un parfum qui saisit vos sens… Comment dire non ? Des mots vous emportent dans des dimensions inconnues. S’abandonner aux effluves irrésistibles des livres.
Comme si le sol s’effritait et qu’il y avait une musique peut-être, une présence, une respiration. C’est peut-être cela la mort. Un coup de tonnerre, un grésillement de lumière et puis et puis… Irène est morte. Elle enseignait, elle enseignera à des jeunes.

Je n’ai jamais mis ma foi en une religion. La finalité de notre existence sur terre m’a toujours été insupportable. J’aurais bien voulu croire à une vie après la mort, cela donne aux gens un salut d’avance, une explication au malheur. Je suis trop pessimiste pour ça. Je pensais qu’avec l’âge, l’angoisse s’atténuerait. Mais c’est la littérature qui m’a aidée, pas le fait de vieillir, au contraire. Maintenant, je sais que j’avais raison sur tout, parce que même la vie après la mort est pire que ce que mon esprit noir aurait pu imaginer. Je me récite les mots d’Antonin Artaud avec une ferveur nouvelle : Nul n’a jamais été seul pour naître. Nul non plus n’est seul pour mourir. Je suis morte, oui, mais à aucun moment je n’ai été seule. On m’a tout de suite reconduite à une existence qui n’a jamais vraiment été la mienne. (p.16)

La littérature survit à son auteur et se moque du temps. Des textes anciens permettent de nouvelles découvertes. L’odyssée que j’aime tant ou Don Quichotte écrit au moment où l’on commençait à rêver des nouvelles terres d’Amérique. Don Quichotte, mon contemporain, avec son idéalisme et sa volonté de régénérer le monde.

LIVRE

Irène n’a qu’un livre, celui offert par son amoureux peu avant la soirée fatidique. Un texte de Can Xue, une Chinoise un peu mystérieuse. Elle est née en 1953, a vécu les affres du régime de Mao et mélange, semble-t-il, le réel et le fantastique dans un style éthéré. On a parlé d’elle pour le prix Nobel.
Irène aime le velouté du texte dans une époque où l’on prétend que le livre est mort, qu’il est un objet inutile. Un monde où il y a plus d’auteurs que de lecteurs.

Mes élèves étaient chaque jour plus difficiles à apprivoiser. Ils étaient nombreux à garder leur ordinateur ouvert sur leur table pendant que je parlais de l’odeur des mots et du son de la page. Trop de papier pour rien, avait un jour expliqué un garçon aux besoins démesurés. Ses longs bras flottaient au-dessus de la tête de ses camarades comme des anguilles volantes ; il tendait un livre qui était la preuve de supériorité morale à mon égard. Il savait quelque chose que moi, trop vieille sans doute, j’ignorais. Mon monde était révolu, il était temps que je m’en rende compte. Trop de bruit pour rien, avais-je murmuré à la jeune fille assise en face de moi. Elle avait souri, complice. (p.20)


L’enseignante croit encore au contenu et refuse les raccourcis pédagogiques. Elle n’a jamais dévié des textes qui dérangent et portent la couleur, une odeur et une respiration. Tout cela malgré les pressions des collègues qui cèdent à la facilité et au renouveau où il faut s’exprimer avant de penser.
Et arrive un printemps où le carré rouge aspire le refus et le changement. Une époque si proche et déjà si lointaine. Un espoir, la colère, une volonté de vivre autrement. Irène ne pouvait être que du côté des contestataires. Ce printemps des libertés a glissé dans une guerre juridique où les droits d’un individu pesaient plus que celui d’un groupe. Des cours envers et contre tous, des piquets de grève troués pour un étudiant borné. Irène a refusé et perdu son emploi. Comment tricher quand on croit au pouvoir des mots ?

Enfin, je suis certaine que je parviendrai un jour à les hypnotiser, ceux-là, tous, avec le son de ma voix. Un vers ou deux, un dialogue au paradis, et ils seront envoûtés. Une chose que je n’ai jamais réussi à faire dans le collège où j’étais souvent traitée comme celle qui vend des notes aux clients insatisfaits. Ce n’était pas leur faute, c’était le monde et son calcul. Quoique aujourd’hui, rien ne me retient de dire qu’ils en étaient aussi responsables, que c’étaient eux, la rumeur principale, ceux qui préféraient toujours les livres sans langage. (p.58)

L’enfant qui ne voulait pas dormir a pris racine sur cette révolte. Ces jeunes dans la rue tendaient la main aux contestataires que nous étions dans les années 70. Ils demandaient ce que j’étais devenu avec mes délires d’écriture et de lecture. Avais-je oublié la vie pour les mirages ? Étais-je un Don Quichotte qui ne sait plus s’arrêter ?
L’embellie s’est effacée pour donner le pouvoir à un pastiche de Jean Charest. Les dirigeants ont déployé des policiers, multiplié les arrestations et tout est revenu à cette normalité où l’on pouvait parler des « vraies choses ». Irène a refusé d’obéir, autant dans sa vie d’avant que dans ce purgatoire où on croyait peut-être la briser. Qui ? Dieu, ces forces qui maintiennent les sociétés, l’obscurantisme ? Qui cherche à étouffer la connaissance, les parfums que les mots enrobent ?

Il y a eu des élections, le gouvernement a été renversé, on a tenté le soir même d’assassiner la nouvelle première ministre, incident qui dès le lendemain a été effacé par la novlangue. Puis tout s’est arrêté. J’ai cru les jours suivants qu’une sage détresse me ramenait au point de départ. Mais l’exaltation a persisté. (p.89)

Un texte ne meurt pas même si on fait tout pour qu’il disparaisse. Can Xue triomphe de Mao par son imaginaire et ses évocations. Pas une prison ne vient à bout d’un poème.
Rien ne peut faire plus plaisir à un chroniqueur et un écrivain qu’un roman du genre. Résister, voir au-delà des modes et des directives. Élise Turcotte vous réconcilie avec les textes et la poésie. Écrire et lire, contester avant tout. Il faut savoir dire non, avoir un carré rouge cousu sur le cœur, surtout quand on enseigne des textes qui portent la vie, la mort, une présence que rien ne peut effacer. Un parfum envoûtant.

Le parfum de la tubéreuse d’Élise Turcotte est paru aux Éditions Alto, 128 pages, 19,95 $.