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lundi 8 octobre 2012

Nicole Houde retrouve le goût du bonheur


C’est nouveau chez Nicole Houde cet appétit pour le bonheur. Dans ses ouvrages précédents, les personnages sont presque toujours écrasés par le poids de l’hérédité, la folie, la maladie ou la violence. Pour une fois, l’espoir luit dans «Portraits d’anciennes jeunes filles». Tous refont surface et peuvent espérer des jours meilleurs. 

Madame Houde signe un treizième ouvrage en trente ans. Une belle régularité pour cette écrivaine qui n’a jamais choisi la facilité et qui démontre une constance admirable. Il faudrait peut-être parler d’un exorcisme pour cette auteure qui cherche à éloigner les démons pour se maintenir à la surface.
Ses héros confrontent des forces qui les broient, les soulèvent et les emportent souvent dans des «vies» qu’ils ne peuvent maîtriser.
Il reste la fuite, l’exil pour mettre une distance entre eux et cette fatalité qui germe dans le milieu familial et le village. C’est encore le cas dans «Portraits d’anciennes jeunes filles».
Josée fuit Saint-Fulgence où elle a été violée par un oncle. Sa sœur et son frère ont connu le même sort sans que les parents réagissent. Peut-être qu’ils ont préféré fermer les yeux sur ces horreurs.
«Pour l’instant, je n’appartiens pas encore à Montréal, je suis arrivée ce matin. Avec une tête d’automne, un sourire gris. Pendant deux mois, je vais être en visite, examiner du nouveau. Peut-être chanter quelque part. J’ai une jolie voix, j’ai apporté ma guitare. Peu de bagages, mais ma guitare, c’est un peu beaucoup mon cœur. Quand des couleurs me viennent à l’idée, je les dépose sur une toile ou, du bout des doigts, je pince les cordes de ma guitare.» (p.11)
La jeune fille fait la connaissance d’un homme étrange en arrivant à Montréal. Il marche la ville dans ses souliers pas lacés. Ses mèches de couleurs lui donnent une allure d’ancien hippie. Elle apprendra qu’il fuit une douleur terrible qui a broyé son existence.

Et Rose

Rose, une vieille dame, a pris Julien, c’est son nom, sous son aile. Ils constituent rapidement un improbable trio. Josée au début de la vingtaine, Julien dans la quarantaine et la vieille femme qui sent que son avenir se recroqueville.
«Une autre, au visage centenaire, s’approche de moi: «Vous êtes nouvelle dans le quartier?» Je lui souris: je suis une nouveauté, mais le quartier ne devrait pas avoir de misère à s’habituer à moi. Elle rit. Elle s’appelle Rose et réside dans le quartier depuis une éternité, ce qui ne m’étonne pas, il y a tellement de plis sur son visage.» (p.18)
Tous affrontent un ennemi intérieur. La «centenaire» n’arrive plus à se reconnaître certains jours. Julien est obsédé par la perte de sa fille, la scène où il l’a vu se faire renverser par une auto. Josée tourne le dos à sa famille, au village, aux gestes qui l’ont souillée, «défoncée».
«Depuis un peu plus d’un mois, nous sommes très proches l’une de l’autre, en demeurant toutefois des étrangères à bien des égards. Rose continue: «Ah! les souvenirs! Ce qui m’inquiète le plus, c’est maintenant. Je suis en train de me perdre. Dernièrement, Josée, c’est comme si on me découpait en morceaux. Je ne sens parfois que mes bras, juste ce petit bout de moi, puis, une autre fois, je ne sens que mes jambes, comme si le reste de mon corps n’existait plus. C’est terrible, ma petite fille!» (p.81)
Dotée d’une sensibilité peu commune, la jeune femme devine les êtres avec ses couleurs et ses pinceaux. Elle deviendra une intime de Julien, de Rose qui inquiète tout le monde et qui craint de ne plus être elle, d’être emportée par cette confusion qui l’habite.
L’amour, la tendresse, l’amitié les empêchent de sombrer.

Magie

Un roman porté par une langue à nulle autre pareille. L’écriture de Nicole Houde éclate comme les bourgeons dans un printemps de pommiers. C’est bon cette paix de l’âme et du corps après les atrocités.
Je me suis attardé dans les dernières pages, ayant du mal à abandonner Josée, Alexa, l’épouse revenue de Julien, Rose qui s’accroche à son amour de jeunesse. J’aurais voulu les accompagner encore, leur tenir la main peut-être pour faire un bout de chemin avec eux.
Un roman magique qui témoigne de la vie présente où les familles se constituent sans les liens du sang et les horreurs héréditaires. «Portraits d’anciennes jeunes filles» fait du bien. C’est rare. Il faut le lire lentement pour en savourer tous les bonheurs.

«Portraits d’anciennes jeunes filles» de Nicole Houde est paru aux Éditions de la Pleine lune.

lundi 1 octobre 2012

Alain Beaulieu : la vie est un boomerang


«Quelque part en Amérique» d'Alain Beaulieu nous emporte dans une société malade d’elle-même et de ses lubies.

Lonie et son jeune fils réalisent un rêve en se retrouvant aux États-Unis, là où tout est possible. Elle a quitté sa famille, ses amis et le Bélize pour se donner un nouveau destin. Elle suit ainsi les traces de sa cousine Liana qui a osé couper ses entraves pour vivre une vie différente. Du moins, c’est ce qu’elle croit. La réalité lui apportera bien des désillusions.
Elle se retrouve quelque part dans une petite ville du Sud et personne ne l’attend à la gare. Tout bascule. Seule avec son fils et quelques dollars, que va-t-elle devenir? Le destin frappe comme il ne peut le faire qu’au pays de Barack Obama.
Nick Delwigan, un policier, chapeau vissé sur la tête, mange dans le restaurant où elle se réfugie. Il décide d’agir. Cette femme, il le sait, va être avalée par un réseau de prostitution s’il ferme les yeux. Il sauvera la jeune mère et ce petit garçon curieux. Peut-être qu’il cherche à oublier sa lâcheté. Depuis un bon moment, il n’a rien fait pour contrer les proxénètes qui font la pluie et le beau temps dans sa ville.
Ils prennent la route, traversent presque le continent, changent de monde pour que les réfugiés soient à l’abri.

Prison

La jeune mère se retrouve dans une prison dorée où elle doit jouer à la servante. Bill, le mari de la sœur de Nick, est prédicateur. Il incarne pleinement le «rêve américain». Maison immense et voiture de luxe. Sa conscience à deux vitesses le sert bien. L’une pour ses fidèles et une autre pour sa vie privée. Il trompe sa femme tout à fait naturellement et se montre particulièrement raciste.
Maureen s’étiole dans ce nid douillet. Névrosée, dominée par son religieux de mari, elle fait face au vide de sa vie. Lonie et Ludo ravivent une grande frustration, celle de ne pas avoir eu d’enfant.

Fuite

Elle s’enfuit avec le jeune garçon. Ils vont d’une ville à l’autre, changent de noms, brouillent les pistes et finissent par se refaire une vie. Ludo, allias Koby, devient un adulte qui ignore tout de son passé. C’est peut-être aussi cela l’Amérique, la possibilité de devenir un autre, de se forger une existence en laissant son passé derrière soi. Devenir amnésique en quelque sorte. Ici, je ne peux que songer à Paul Auster où des personnages changent littéralement de peau.
Lonie épouse Nick. Le couple a des filles, mais la blessure ne se referme pas. Comment serait-ce possible? Le policier finit par retracer sa sœur et le fils kidnappé. Est-il possible d’effacer ce drame et tout recommencer?
Maureen a élevé Ludo seule et ce garçon est devenu le centre de sa vie. Comment organiser les retrouvailles avec la vraie mère sans bousculer le jeune homme? Une rencontre fait tout basculer. La voleuse d’enfants sera punie comme il se doit. Le bien triomphe en Amérique, du moins on aime le croire ou le laisser croire.
Monde

Alain Beaulieu nous emporte dans un récit polyphonique où chacun donne sa version des faits. Le lecteur noue les fils d’une histoire qui devient un véritable suspense. Je me suis laissé prendre par ces personnages qui ne sont jamais tout à fait mauvais ou bons. Une certaine zone d’ombre permet d’aimer ces hommes et ces femmes, de plonger dans un rêve qui se casse de toutes les manières. Maureen ne peut vivre sans faire face à ses gestes. Sa vie éclate un matin comme un miroir. Elle le prévoyait, elle l’a toujours su.
Beaulieu démontre que nul n’échappe à ses actes et qu’il est impossible de devenir un autre. Un jour ou l’autre, il faut assumer ses gestes et ses décisions. Tout revient vers soi pour le meilleur et le pire. La vie est un boomerang.
Une lente dérive dans une Amérique tourmentée qui vacille entre le rêve et l’utopie, la déception et le mythe.
Et Druide ne fait pas les choses à moitié. Cette nouvelle maison d’édition croit que le livre est un objet qui doit plaire. Comment être contre cela? Un début prometteur et une facture qui se démarque déjà.

«Quelque part en Amérique» d’Alain Beaulieu est paru chez Druide Éditeur.

lundi 24 septembre 2012

J’attends la suite avec une belle impatience


Un roman plein de rebondissements, de surprises, de frustrations et de luttes pour le pouvoir. Je me suis régalé. Parce que j’aime les intrigues, les jeux de coulisses, les héros sans peur, les têtes folles et les révolutionnaires qui pensent changer le monde. 

J’ai lu «Le choc des couronnes» de Yves Dupéré sans reprendre mon souffle. Toute une journée sans lever les yeux. Cela arrive. Vite que la suite paraisse! Tout est en place. Qui est la mystérieuse reine Mellina? Elle aura certainement un rôle à jouer dans le prochain volet. Parce que les femmes sont présentes dans cette histoire, des battantes et des incontournables. Pour une fois, elles jouent un rôle politique et se démarquent de bien des hommes.

Hommes libres

Avec «Le choc des couronnes», l’historien nous entraîne dans les royaumes des hommes libres. Un euphémisme pour dire que le pays se divise entre des monarchies où les rois se transmettent le pouvoir de père en fils. Le Bulzor, le Costalonne et le Transoly. Les relations sont excellentes entre les royaumes, même si les anciens conflits ont laissé des traces, des préjugés, pour ne pas dire des haines. La paix règne, mais elle est toujours fragile. Il suffirait d’une étincelle, d’un mot de trop pour que tout s’enflamme.
Pour prévenir l’instabilité, les rois tentent, par différentes alliances, de consolider les liens qui unissent leurs royaumes. Le mariage de la princesse Maelly avec le roi Jorge, un taciturne qui n’ouvre jamais la bouche, est une manœuvre politique et militaire. Par cette union, Bulzor et Transoly compteront sur deux puissantes armées qui pourront écraser leurs ennemis. Qui veut la paix prépare la guerre, dit-on.
Tout cela sur fond d’intrigues. Courtisans, courtisanes s’en donnent à cœur joie et on n’hésite pas à espionner et à éliminer un rival pour s’enrichir.

Situation instable

Loïc cultive du blé, fait du commerce et de la contrebande pour arrondir les fins de mois. Il joue avec le feu et il le sait. Sa fille et sa femme sont assassinées par les militaires quand ils viennent pour l’arrêter. Il entraîne le peuple dans sa vengeance contre le gouverneur et réclame une forme de démocratie. Les affrontements sont sanglants, mais Loïc et ses amis sont des stratèges remarquables et ils infligent de sévères défaites à l’armée régulière. Yves Dupéré n’a pas son pareil pour décrire les affrontements et les manœuvres des combattants sur le terrain. C’était une grande force de ses romans historiques et ce l’est plus que jamais dans «Le choc des couronnes».
Les mineurs s’engagent dans la révolution. Ils n’en peuvent plus de leurs conditions de travail et font la grève même s’ils risquent la mort. Les paysans en ont plein le dos des impôts qui grugent un revenu déjà bien mince. Voilà un terrain fertile aux idées nouvelles qui enflamment les esprits.
Les jumeaux Tujan et Stevan sont envoyés en ambassade au royaume du Costalonne pour inciter le roi Leandro à venir au mariage de Maelly et Jorge. On lui fera miroiter un important pacte économique, des échanges de travailleurs.

La gaffe

Stevan, impulsif, violent, tête brûlée, ne peut contenir ses pulsions, surtout quand il a bu. Au cours d’une réception, il viole la princesse Rafaëla. Les jumeaux réussissent à prendre la fuite. Le geste aura des conséquences. Bastian II tente par tous les moyens de protéger son fils et Leandro ne peut laisser le viol de sa fille impuni. La paix, oui, mais à quel prix?
Le mariage aura lieu malgré les tensions, la révolution qui prend de l’ampleur et la guerre qui menace d’éclater d’un moment à l’autre.
Stevan est chargé de mâter les révoltés, mais il n’écoute personne et surtout, il est d’une brutalité à faire frémir. Loïc continue de prêcher la révolution et Leandro se résout à partir en guerre contre son voisin Bastian II.
Le tout se termine avec l’arrivée des navires de guerre du Costalonne dans le port de Jora. J’en ai presque voulu à l’auteur de me laisser comme ça devant un moment crucial de cette aventure. Loïc va-t-il remporter la victoire? Je devrai ronger mon frein et prendre mon mal en patience.
Yves Dupéré s’est fait connaître par trois romans historiques qui plongeaient le lecteur dans des moments cruciaux de la présence française en Amérique. Soit la Conquête, la révolte de 1837 et la période de la révolution américaine qui a fait rêver au Québec et au Canada.

«Le choc des couronnes» d’Yves Dupéré est paru chez Hurtubise.

lundi 17 septembre 2012

Denis Thériault exige beaucoup de son lecteur


«L’Iguane» de Denis Thériault, paru en 2003, est un roman exceptionnel. Le genre d’ouvrage que l’on voit surgir une fois, peut-être, tous les dix ans. Plusieurs prix ont couronné cette publication et la suite était attendue. «Le facteur émotif», deux ans plus tard, ne pouvait que laisser sur son quant-à-soi.

«La fille qui n’existait pas» arrive après une maturation de sept ans. Rapidement, j’ai plongé dans l’univers singulier de cet écrivain que j’aime. Des marginaux squattent un édifice désaffecté. Aude dirige le groupe avec son frère Ozzy, un peintre fantasque qui s’égare dans un univers étrange.
«La salle était flanquée de hautes fenêtres et plantée de piliers de béton évoquant la colonnade d’un temple, impression qu’accentuaient les fresques nombreuses dont étaient ornés les murs. Des macaques jouant au basket. Un lézard parlant dans son cellulaire. Une grenouille qui s’appliquait du rouge. Une mante religieuse célébrant la messe devant une assemblée de mouches et de chenilles humaines. Chiens bipèdes, cochons endimanchés, bébés ailés, harpies et autres minotaures: il y avait là tout un peuple de personnages hybrides qui n’auraient pas déparé un tombeau égyptien.» (p.21)

Vie communautaire

Tous partagent le quotidien et s’entraident. Emma, la muette, Matsheshu, un Indien, Proust, un professeur alcoolique, Raoul, un nain exhibitionniste, Mollusque et Frigon le tatoué. Ils vivent d’expédients et se satisfont des hauts et des bas de leur vie.
Aude arbitre les conflits, apaise les tensions, devient une véritable tigresse quand on touche à son frère.
«C’était parce qu’elle faisait peur. C’était à cause de la cicatrice qui lui fendait la face, suscitant une répulsion immédiate. Ce stigmate n’était d’ailleurs que l’aspect le plus criant de sa hideur, que consacraient un teint blafard, des traits grossiers et une robuste carrure masculine. Aude avait l’air d’un gars, tellement qu’on confondait: les femmes la prenaient souvent pour un homme, et même ces derniers s’y trompaient.» (p.18)
Matsheshu joue de la musique dans le métro, Ozzy crayonne les trottoirs pour faire quelques sous, Emma se prostitue et Proust craint plus une pénurie d’alcool qu’un manque d’argent. Tous courent derrière une chimère et cherchent peut-être un monde meilleur.

Bascule

Tout bascule à mi-chemin de cette aventure. Ozzy rencontre Ophélie et c’est l’amour fou, le soleil qui l’aveugle. On a une idée de la fin si on se réfère à l’héroïne de Shakespeare. Aude voit son frère lui échapper et elle rage. Jalouse, elle provoque la catastrophe.
«Aude opina. La situation devenait effectivement invivable. Il fallait neutraliser cette menace qu’incarnait Ophélie. Prendre les grands moyens. Et elle chuchota au tatoué l’adresse de la jeune femme, rue des Hêtres.
— Donne-lui la frousse, murmura-t-elle. Ne la touche pas, mais fais-lui comprendre qu’elle a intérêt à se tenir loin d’Ozzy.» (p.85)
Impossible de revenir en arrière.
Je me suis retrouvé dans un monde où la psychologie prend le relais pour dénouer les liens qui unissent cette famille hétéroclite. Aude souffre de dissociation, invente des personnages pour surmonter les traumatismes ou les événements violents de son enfance. La tribu n’est pas réelle. Tous sont des êtres venus de son cerveau. Madame Tao, la psychanalyste, tente de l’aider, mais tout se complique, comme si ce ne l’était pas assez, quand elle se rend compte qu’elle est un fantasme de son frère. Elle est morte il y a longtemps et Ozzy l’a ressuscitée. Vous en voulez plus? Il faut régresser pour mettre le doigt sur les traumatismes qui ont fait en sorte que ce garçon s’invente une famille et multiplie les personnages. Son enfance est une suite d’horreurs. Suicide du père, viol, violence, meurtre. Le pire. Et que deviendront ces personnages irréels?
J’avoue! Le plaisir n’était plus au rendez-vous, mais Denis Thériault m’a retenu par son écriture. Je n’avais encore rien vu. Ozzy croit qu’il est la réincarnation d’Osiris, le dieu égyptien et qu’Aude est Isis. Il pense pouvoir ressusciter Ophélie qu’il a assassinée. Tout se termine dans une sorte d’apothéose de soleil et de lumière.
J’ai lu «La fille qui n’existait pas» jusqu’au bout par entêtement. Je ne pense pas que la majorité des lecteurs auront cette patience. J’ai décroché quand la psychanalyse s’en est mêlée.
Voilà une sorte de fantasmagorie qui m’a laissé pantois, malgré ma bonne volonté et mon désir d’aimer ce roman d’un écrivain que j’admire. À cause de «L’iguane», bien sûr, ce livre magique.

«La fille qui n’existait pas» de Denis Thériault est paru chez XYZ Éditeur.