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dimanche 15 mai 2011

François Désalliers sait retenir son lecteur

Le titre ne m’inspirait guère. J’avais la certitude de ne jamais me rendre à la fin du roman de François Désalliers. Et je me suis risqué, peut-être à cause du titre. «Le jour où le mort est disparu» titille la curiosité. Pourquoi pas quelques pages pour avoir une petite idée que je me suis dit.
«On peut dire que c’était un mort plutôt banal. Mais sa disparition l’est beaucoup moins. C’était un homme de cinquante ans qui travaillait tranquille, comme tout le monde. Il n’avait pas de maladie notable. Il avait bien quelques petits bobos, mais rien de sérieux. Une tendinite à l’épaule droite, des otites séreuses à répétition, et une petite verrue sur le deuxième orteil du pied droit.» (p.11)
Un vernis d’humour, un regard amusant sur le personnage et cette société qui ne cesse de nous étonner. François Désalliers m’avait tout simplement pris dans ses filets. Impossible de m’arrêter, il fallait que j’aille jusqu’à la fin.

Histoire

Un écrivain gagne sa vie comme vendeur dans un magasin d’articles pour le jardin. Il meurt de sa belle mort pendant la nuit après avoir fait l’amour avec sa femme. Comme à tous les matins, Nicole se lève tôt, surtout les jours où il est en congé, pour arroser ses tomates et ses fleurs. Elle ne se nomme pas Lafleur pour rien. Elle doit faire vite parce que Gros et Méga-Gros, le magasin, livre un nouveau matelas.
Les livreurs, pas trop pourvus en neurones, ramassent le vieux matelas, le corps, l’emballage et vont jeter le tout au dépotoir municipal. Le client doit être satisfait avant tout.
«Le grand sac de plastique contenant les papiers et les cartons et, accessoirement, le mort, Jacques Laverdure, est empoigné par les deux types et balancé dans la fosse où il déboule, se déchire et se perd enfin parmi les ordures. Pierre fit glisser la passerelle métallique à l’intérieur du camion et il remonte à bord. Il salue les deux hommes en combinaisons et se dirige vers la sortie.» (p.24)
Quelques heures plus tard, l’épouse aux tomates, se demande où est passé son mari. Peut-on partir comme ça, tout nu, sans rien emporter ? Commence alors la longue attente, des recherches qui n’aboutissent pas jusqu’à ce qu’un enquêteur aveugle prenne l’affaire en main avec sa coéquipière.
Les incidents se multiplient. Les livreurs se noient lors d’une excursion de pêche (le lac Paré en plus) et le gérant de Gros et Méga-Gros meurt dans un accident de la circulation. Les témoins qui pouvaient faire la lumière sur la disparition de Jacques Laverdure ne peuvent plus témoigner. Le corps de l’écrivain ne sera jamais retrouvé, on l’imagine.

Attente

Nicole entreprend sa propre enquête, rencontre les amis de son mari, l’éditeur, ses collègues de travail, lit son journal, son dernier manuscrit qui porte un titre étrange. Aucune trace, aucune façon de débusquer une vie secrète à Jacques Laverdure (un nom prédestiné pour un homme qui travaille chez Côté jardin). Son époux menait une vie rangée, l’aimait même s’il reluquait les voisines du quartier de temps en temps.
Il faudra le policier aveugle pour comprendre et dénouer ce roman policier qui va à contre courant. Une façon de dire aussi que les êtres les plus proches demeurent des étrangers.
Une fois à la fin de cette histoire tarabiscotée, je me suis demandé ce qui m’a retenu dans «Le jour où le mort est disparu»? L’action, le portrait d’une société qui se dégage de ces quiproquos ? Peut-être tout cela, mais surtout le talent de conteur de François Désailliers. Il a l’art de vous accrocher, malgré les situations les plus invraisemblables.
Un ouvrage sans prétention sinon celle de procurer un bon moment de lecture. Par ricochet, l’auteur fait réfléchir à la frénésie qui emporte tout le monde et fait passer souvent à côté de l’essentiel.
François Desailliers met le doigt sur un problème qui caractérise notre société. Nous sommes peu attentifs aux autres et les commerçants font tout pour satisfaire le client, même le pire. L’individualisme aussi qui fait que nous sommes souvent des étrangers pour nos proches et ceux qui nous côtoient à tous les jours. Oui, on peut réfléchir en souriant. 

«Le jour où le mort est disparu» de François Désalliers est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 

dimanche 8 mai 2011

Jean-Pierre Vidal fait grincer des dents

Jean-Pierre Vidal, dans «Petites morts et autres contrariétés», aborde un sujet que la société n’aime guère effleurer. Par le biais de trente-trois textes plus ou moins élaborés, l’écrivain tourne autour de la fatalité qu’est la mort. Il faut du courage pour aborder un sujet occulté et encore un peu tabou.
Le nouvellier plonge dans l’intime, mais ne dédaigne pas les drames qui dépassent l’entendement. Dans «Le dixième», un officier doit exécuter un soldat sur dix pour réprimer une révolte provoquée par l’incompétence des militaires. C’est assez terrifiant comme scénario.
«Jean-Pierre Vidal a la parole en amusement. Il brosse ses tableaux, met en scène des gens qu’on a l’impression de connaître, leur soumet un problème qu’ils se sont souvent causé eux-mêmes, et les regarde manœuvrer au péril de leur vie. L’air de n’y être que par hasard», écrit Louis-Philippe Hébert, son éditeur, dans une courte préface.
L’écrivain débusque les grandes et petites tragédies, imagine l’Irak après Saddham, Monsieur Hitler qui est sorti vainqueur de la Deuxième Guerre mondiale et s’est retiré dans un village pour mener la vie de facteur. Ou encore un écrivain tente de relancer sa carrière en organisant son enlèvement avec la complicité de son éditeur et d’un groupe terroriste. Le journal de captivité est déjà écrit et on peut imaginer que rien n’ira comme prévu.
Et ici et là, une description du quotidien qui vous empoigne et vous secoue. Chacune des nouvelles montre l’absurdité de certaines situations, la banalisation de l’horreur et de l’inacceptable. Ses personnages sont souvent lucides, mais incapables de briser la spirale qui les emporte. 
«Ce qui commençait à lui peser, maintenant, dans ses relations avec les filles que la Zénon lui ramenait, ce n’était pas tant l’indifférence pendant l’acte, enfin pas toujours, c’était plutôt leur parfaite insensibilité au sens de la chose. Elles faisaient ça avec une bonne volonté détachée, comme pour rendre gentiment service ou se conformer à ce qu’on attend des jeunes filles de leur âge. Ça allait avec le cellulaire, le IPod et Facebook.» (p.161)
Voilà un thème récurrent chez Vidal. Les gadgets mènent à l’indifférence et à la solitude, à une sorte de lobotomie où les passions ne sont plus qu’un souvenir.

Univers

Bien sûr, le professeur émérite de l’Université du Québec à Chicoutimi peut sembler pessimiste. Il ne se gêne pas pour bousculer les obsessions de ses contemporains, la stupidité qui pousse un individu à être de toutes les émissions de télévision où le public fait tapisserie. L’écrivain décrit bien ce monde où il importe plus d’avoir des opinions que des idées.
Une sorte de fatalité chez Vidal emporte tout et mène au pire. Les gens sont aspirés par une vie trépidante et la mort profite de la moindre distraction. Ce qui dérange surtout, c’est la perte de sens critique et de jugement qui fait que tout devient banal. L’amour, la vie et les drames horribles qui secouent l’humanité passent avec les modes, un reportage à la télévision. Les monstres deviennent des citoyens modèles qui aident leurs semblables. Comment imaginer Hitler en grand-père toujours prêt à tendre la main. Oui, le monde est absurde et la mort est là pour nous le rappeler peut-être. 
Un regard lucide sur l’agitation des communications et du verbiage. Si «Jean-Pierre Vidal bouscule, dérange sans pousser les hauts cris» explique encore son éditeur, il fait souvent grincer des dents.
Le drame couve dans un embouteillage ou dans une fête pour souligner un départ à la retraite. Ses héros sont souvent des victimes qui mettent le doigt dans une mécanique qu’ils ne peuvent plus arrêter.
Jean-Pierre Vidal n’a pas son pareil pour démonter le ridicule de certains comportements, les obsessions du paraître et de l’avoir. Une véritable douche glacée qui s’avère nécessaire pour démêler le vrai du factice, le réel de l’inutile. Tout cela en ayant l’air de ne pas y toucher. J’avais lu quelques-uns de ses textes dans des revues, mais comme ça, en vrac, Monsieur Vidal étourdit. Un coup de poing qui laisse un peu sonné. À lire et à relire pour le sujet, mais aussi pour l’écriture, cette phrase envoûtante et d’une efficacité redoutable.

«Petite morts et autres contrariétés» de Jean-Pierre Vidal est édité aux Éditions de La Grenouillère.

dimanche 1 mai 2011

Marisol Drouin inquiète dans un premier roman

Un cataclysme submerge une île. La vague emporte tout et les survivants doivent fuir. Échine, se retrouve avec sa mère sur un navire qui transporte réfugiés et marchandises. Les enfants courent sur le pont, cherchant quelque chose à manger. Le jeune garçon se fait des amis pendant que sa mère, devant la destruction de son monde, n’arrive plus à se ressaisir. Les réfugiés voguent vers un monde qu’ils imaginent et les rumeurs se font persistantes.

«Les vieux disaient que, là-bas, les gens vivaient sans soleil, sous une épaisse couche de nuages mauves. Une lumière jaune éclairait les rues humides la nuit. Les femmes modifiaient leur corps, échangeaient leurs organes contre d’autres artificiels. Les homme ne trouvaient pas de travail. Les autorités créaient des quartiers de miséreux à l’écart des villes. Il ne fallait pas rêver. Nous étions désormais des sans-terre.» (p.14)
Malheureusement, les racontars disent la vérité. Les sans-terre sont parqués dans des ghettos, un peu à l’écart de la ville quand ils touchent le nouveau continent, au quai 31. C’est peut-être l’Amérique, partout où la vie peut continuer.

Survie

Les réfugiés doivent penser une nouvelle vie même s’ils sont privés de tout. La mère d‘Échine a laissé son esprit dans l’île et son fils confronte la réalité impitoyable de son nouvel environnement. Il se fait chasseur de chats dans la Haute-Ville, rencontre des étrangés, subit le racisme et l’ostracisme dans un monde nouveau et familier.
Les habitants troquent leurs organes naturels pour des substituts plus performants. Coeur, foie, poumons, reins, colonnes vertébrales. Pas un élément du corps n’est épargné. On se vante d’être «artificiel», d’être plus performant. Une belle façon d’évoquer les chirurgies qui modifient le corps ou ces transplantations qui permettent de repousser la mort.

Rencontre
Échine croise Chamir ou Sirchalie, une performeuse qui s’occupe également des vieux à la maison bleue. Les personnes âgées sont hébergées avant d’être données en adoption. Cette rencontre change la vie du jeune réfugié.
«Le regard noir. Sirchalie était d’un autre monde. Pure et mutilée. Son sein droit avait été amputé à la suite d’un spectacle qui avait mal tourné. La ganse de son sac fourré d’épées traversait sa poitrine. Le blanc de sa peau éclatait sous l’éclairage. Elle fixait la foule, les jambes écartées.» (p. 51)
Le jeune femme donne des performances avec un taureau et soulève la foule qui en redemande. Le spectacle se termine par une scène que les voyeurs attendent.
Sirchalie, de son vrain nom Chamir, devient la petite amie d’Échine. Ils baisent, s’occupent des vieux, mais elle refuse de parler d’avenir et d‘amour. Elle reste distante, craignant peut-être de s‘attacher dans ce monde qui se défait et retourne à la barbarie. Les gens tuent, volent, troquent leurs organes dans une recherche frénétique d’une vie meilleure. Une obsession de l’immortalité qui hante les esprits depuis toujours.
Tout ne peut que mal se terminer dans cette cité où chacun lutte pour sa survie. Surtout quand une épidémie frappe la population et que les réfugiés sont accusés de transmettre le virus. Une belle manière d‘évoquer le SIDA. Il faut une greffe pour échapper à la terrible maladie. Chamir en mourra. Un coup terrible pour Échine qui voit son univers s’effriter encore une fois. Il se perdra dans une charge des sans-terre contre les murs de la Haute-Ville, une rage qui montre tout son désespoir.

Allégorie

Marisol Drouin évoque le monde contemporain en grosissant les absurdités que nous connaissons sans trop y penser. Le rêve d’immortalité qui passe par les chirurgies et le don d’organes, les cataclysmes qui balafrent la planète et provoquent des petites fins du monde un peu partout. Reste la tendresse, l’entraide pour croire à un avenir meilleur peut-être.
Une formidable allégorie, une touchante histoire d’amour qui laisse sans voix. Un roman dur, terrible, mais d’une bouleversante humanité, une tendresse qui garde vivant l’espoir malgré le pire.
Madame Drouin surprend dans cette première parution. Une phrase vivante, imagée et belle de soubresauts. Un texte qui a comme une parenté avec «L‘écume des jours» de Boris Vian. Ce n’est pas rien et surtout pas un reproche que je lui fais. Une véritable découverte.

« Quai 31 » de Marisol Drouin est paru aux Éditions de La Peuplade.

dimanche 24 avril 2011

Pierre Gélinas demeure un écrivain actuel


Pourquoi un écrivain, malgré des œuvres percutantes, reste-t-il inconnu? Comment expliquer l’indifférence des lecteurs et de la critique devant un roman qui se démarque par son sujet et son originalité? Est-ce parce que l’auteur heurte la société des bien-pensants ou parce qu’il aborde un sujet que l’on ne souhaite pas explorer? Comment cerner les raisons qui font qu’un romancier est adopté ou rejeté par son milieu?
Il faut remercier les Éditions Trois-Pistoles et Victor-Lévy Beaulieu pour avoir sorti des oubliettes «Les vivants, les morts et les autres» de Pierre Gélinas, un ouvrage, publié il y a plus de cinquante ans et qui a sombré dans l’oubli. J’avoue, à ma grande honte, tout ignorer de cet écrivain.
«Et pour cause : sa première édition, qui remonte à 1959, est épuisée depuis longtemps. Le roman, du coup, est devenu introuvable ailleurs que dans les librairies d’occasion où on pouvait toujours le dénicher si on avait de la chance, et il en fallait beaucoup car, même là, il était devenu une perle rare… … La mort de Pierre Gélinas l’an dernier, disparu dans un silence quasi total, a confirmé en effet son statut tout à fait singulier dans la littérature québécoise contemporaine à laquelle cet écrivain appartenait sur le mode de l’absence.» (p.11)

Le héros

Maurice Tremblay, un fils de bonne famille, rompt avec son milieu et s’enrôle dans les luttes ouvrières. Il s’initie dans les chantiers de la Windigo, vit le conflit de la Dominion Textile à Montréal et celui du magasin Dupuis Frères dans les années 50. Assemblées syndicales, enquête de la police, violence sur les lignes de piquetage, duplicité de certains chefs des unions américaines, arrestations sont au menu. Maurice finira par devenir membre du Parti communiste du Canada et se présentera aux élections dans Saint-Henri, le quartier devenu célèbre grâce à «Bonheur d’occasion» de Gabrielle Roy.
««Les vivants, les morts et les autres » s’avère tout compte fait un remarquable roman d’apprentissage social, un des très rares que compte notre littérature romanesque. Et cet apprentissage, cette connaissance progressivement acquise du monde et des hommes, est mis en scène dans un cadre aussi très peu souvent mis en représentation dans la fiction d’ici : le milieu ouvrier, l’univers de l’action syndicale et politique.» (p.27)
Tout s’effrite quand les militants lisent le rapport Khroutchev qui montre Staline en tyran qui a éliminé tous les opposants en Russie. Meurtres, tortures, emprisonnements, tout y est. Le parti implose et Maurice se retrouve avec un idéal en miettes.

Un monde

En parcourant «Les vivants, les morts et les autres», on constate que ce roman avait tout pour choquer les bonnes consciences de l’époque. Duplessis mourait à Schefferville, l’année de la parution de cet ouvrage, ouvrant une porte sur la Révolution tranquille. Le clergé, les dirigeants du monde politique et des affaires, avec les tenants de la culture, sortaient tous des cours classiques où le mal et le bien se partageaient l’espace, Le roman de Pierre Gélinas plonge dans un milieu «diabolisé» par la bonne société.
Il bousculait le clergé, les gens d’affaires en mettant en scène des travailleurs et des militants qui flirtaient avec le communisme dans un Québec et une Amérique qui baignaient dans le maccarthysme. Gélinas décrit les luttes ouvrières, la duplicité du monde politique et judiciaire, la collusion de la police avec les patrons pour écraser les grévistes. Une saga comme il en existe peu au Québec.

Justesse

Une belle manière de comprendre les années qui ont précédé la Révolution tranquille. L’émeute du Forum de Montréal, entourant la suspension de Maurice Richard en 1955, vaut à elle seule le détour. Un éclairage différent sur l’histoire récente du Québec et les mouvements sociaux que la littérature ignore beaucoup trop souvent. Même de nos jours, les luttes ouvrières et le monde du travail sont boudés par les littéraires.
Une redécouverte, une lecture passionnante, un roman à lire absolument. Pierre Gélinas mérite que l’on s’attarde à son oeuvre et qu’on lui fasse enfin une place dans la littérature québécoise.

«Les vivants, les morts et les autres» de Pierre Gélinas est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

dimanche 17 avril 2011

Marie Clark mélange le réel et le virtuel

«Mémoires d’outre-Web» de Marie Clark plonge le lecteur dans un monde de marginaux qui ont du mal à séparer l’imaginaire du réel. Benjamin, branché sur les jeux virtuels, vit un moment difficile. Sa meilleure amie s’est suicidée. Il entreprend alors un pèlerinage pour comprendre ce qui s’est passé dans la tête de sa copine. Il ignore tout de la ville, ayant vécu en reclus jusqu’à maintenant. 
«En sortant, le fantôme de Ralph s’est mis à me recoller les semelles de sa présence subtile. Je me suis assis sur le premier banc qui m’est passé par la tête pendant que la nuit nous attrapait et je suis resté en tête à tête avec ce qui avait été son univers jusqu’à tout récemment. Le temps avait la dimension spéciale des jeux virtuels, qui nous fait l’oublier complètement.» (p.33)
La particularité de ce roman vient du langage et de sa forme éclatée. Il ne faut jamais oublier que Benjamin est hyperactif, dyslexique et dépendant du monde virtuel. En plus, il ne cesse de clavarder avec Dieu grâce à l’ordinateur.
«Bon. J’étais vraiment pas sûr de continuer, même s’il avait peut-être pas tort, après tout. Si Dieu est aussi nocif qu’il le prétend lui-même, comme il m’a déjà clavardé, ça pourrait arriver qu’il veuille en finir avec nous. Et je sais pas si je serais contre. Mais tout de même. Il y a toujours une vérité partout, je me suis dit. Le problème, c’est de tomber dessus.» (p.34)

Étrange

Un monde halluciné et chevaleresque, à l’image des jeux où il faut éliminer l’adversaire pour connaître la gloire. Un univers où les mauvais et les bons ne font jamais de quartier. Sauf que dans la vraie vie, le mort ne se relève jamais pour reprendre la course. Benjamin a beau être un virtuose de ces «guerres fictives», il a du mal à se débrouiller dans les rues où il n’arrive pas à s’orienter.
«Non, chu juste dyslexique profond en géographie des lieux, j’ai répondu, insulté.» (p.58)
Il vivra le pire et le meilleur grâce à quelques protecteurs. Divine Soleil (une proche du Dieu clavardeur peut-être) tire des ficelles et le sauve à plusieurs reprises. Difficile de savoir si nous sommes dans le fantasme ou le concret. Benjamin confrontera la mort, la violence, l’amitié, l’entraide grâce à un chat qui s’attache à lui.
Un roman initiatique où le héros triomphe de tous les obstacles pour atteindre une forme de paix et de bonheur.
«J’ai cherché ses yeux, mais ils figeaient le trottoir. J’ai pas insisté, j’avais très bien perçu sa bénédiction pour continuer la quête de la vie après elle, même si, à la fois, son sacrifice me transperçait. J’ai cherché la taille de cet astre brûlant ; elle s’est appuyée contre moi et on est rentrés comme ça, en ruisselant de tous nos feux, sans troubler l’eau calme du silence.» (p.124)

Épopée

«Mémoires d’outre-Web» est une épopée chevaleresque où le bon triomphe et les mauvais sont punis comme il se doit. Un monde où Dieu tient le clavier de l’ordinateur et où un chat protège les démunis.
«Le ciel s’est mis à se débarbouiller et, du coup, tous les vampires se sont volatilisés. J’ai enfin pu m’assoupir. Je venais juste de fermer l’œil quand mon oreiller de provisions a commencé à vouloir s’en aller, ce qui me l’a fait rouvrir, au moment où le chat gris me sautait sur la tête comme un enragé. J’ai reçu ses griffes en plein visage pendant que je me relevais pur me défendre d’un coup de bâton, pensant qu’il se retournait contre la main qui l’avait nourri, mais j’ai arrêté mon élan en constatant qu’il avait une bête pendant de la gueule, presque aussi grosse et grise que lui, avec une mauvaise queue dégarnie, et qu’il s’est mis dans un coin pour la dévorer après me l’avoir paradée sous le nez en grondant de fierté.» (p.50)
Un récit plein de rebondissements qui nous transporte dans un univers inconnu et familier. Une exploration qui confronte le réel et le virtuel pour s’inventer un langage. Exigeant, mais fascinant malgré un titre peu invitant.

« Mémoire d’outre-Web » de Marie Clark est paru aux Éditions Hurtubise.  

vendredi 15 avril 2011

Danielle Laurin cherche à comprendre

Danielle Laurin, dans «Promets-moi que tu reviendras vivant», tente de cerner ces journalistes qui «couvrent les conflits» un peu partout dans le monde.Tous les jours, l’actualité nous offre des images de ces affrontements qui secouent la planète. Des scènes percutantes ou encore des reportages qui saisissent. Il y a eu la Bosnie, l’Irak, le Rwanda et maintenant l’Afghanistan, l’Égypte et la Tunisie. Les massacres et les affrontements jalonnent l’histoire de l’humanité.
 Quelques journalistes emboîtent le pas des soldats, tentent de montrer ce que vivent les populations dans ces pays en guerre. Pour un reportage de quelques minutes, une poignée d’images, ils mettent leur vie en danger. Plusieurs sont blessés, d’autres tués. Certains sont capturés et détenus en otage pendant des semaines.
Nous oublions souvent que ces hommes et ces femmes ont des conjoints et des enfants. Ils abandonnent tout pour traquer les nouvelles qui feront les manchettes une journée ou deux. Le spectateur un peu gavé, indifférent, regarde le tout sans s’émouvoir. Mais qu’en est-il de ceux qui restent derrière et qui surveillent les bulletins d’information en se mordant les lèvres.
«Je suis pleine de questions, pleine de doutes. Pleine de rage. J’ai envie de me jeter sur toi, de te rouer de coups, de te mordre jusqu’au sang. J’ai envie de pleurer, envie que tu me prennes dans tes bras. Je voudrais te caresser la joue. Tout ça en même temps.» (p.10)

Pourquoi

Danielle Laurin a questionné Florence Aubenas, Roger Auque, François Bugingo, Michel Cormier, Sara Daniel, Pierre Foglia, Céline Galipeau, Anne Nivat et bien d’autres. Des noms connus de ceux qui suivent l’actualité. Ils sont quasi des familiers.
Ils ont vu des massacres, des bombardements et les corps mutilés. Pourtant, s’ils peuvent décrire les manœuvres des militaires sur le terrain, ils demeurent silencieux avec leurs proches, refoulant leurs émotions et leurs peurs. Ils deviennent peu à peu un inconnu pour l’épouse et les enfants.
«C’est insensé ce que je fais là. Et je le fais pourtant. Je cherche qui tu es, qui est l’étranger qui partage ma vie, à travers ces reporters qui risquent leur vie dans la guerre.» (p.37)
Pourquoi mettre sa vie en danger? Pour être là où ça se passe, témoigner, bousculer les choses... Certains militent, d’autres se contentent d’être un regard malgré la mort qui frappe partout. 
«Changer le monde, venir à bout de la violence, mettre fin à la guerre, ce n’est pas le rôle des travailleurs humanitaires. Pas plus que ce n’est le rôle des journalistes qui, d’ailleurs sont là pour témoigner, raconter ce qu’ils voient.» (p.173)
Danielle Laurin cerne ces kamikazes sans pour autant réussir à apaiser ses peurs et ses colères. Ces journalistes se précipitent là où la vie et la mort se tiennent par la main. Ils reviennent perturbés, incapables souvent de s’adapter à un monde qu’ils trouvent futile. Tout comme les militaires qui vivent difficilement leur retour après une mission de combat.
Un récit touchant, juste et bellement senti. Un témoignage exceptionnel.

«Promets-moi que tu reviendras vivant», de Danielle Laurin est publié aux Éditions Libre Expression.

Éva et Ruda Roden témoignent de l’horreur

L’holocauste ne cesse de refaire surface dans des films, des ouvrages de fiction, des récits et des témoignages. Ces écrits donnent encore la chair de poule, plus d’un demi-siècle après la Deuxième Guerre mondiale et les folies nazies.
Éva et Rudolph Roden ont d’abord publié leur récit en 1984. Vingt-six ans plus tard, la traduction française demeure percutante et bouleversante. Les deux voix se relancent et s’entremêlent, décrivent l’horreur. Une formidable histoire d’amour entre deux idéalistes, un rendez-vous avec la folie des hommes obsédés par le racisme et la haine.

Tchécoslovaquie

Ils vivaient en Tchécoslovaquie, dans un milieu aisé avant ces événements qui ont déchiré l’Europe et marqué toutes les mémoires.
La signature des accords de Munich sonnait le glas pour ce pays. Les Allemands occupaient la Tchécoslovaquie qui était, pour ainsi dire, démantelée. Les citoyens juifs devaient porter l’étoile de David sur leurs vêtements. Ils perdaient leurs droits civiques et devaient partager leurs demeures avec d’autres familles. Un père était arrêté, un oncle disparaissait. Les plus folles rumeurs circulaient. Peu à peu, tous furent déportés dans des camps de concentration. Des populations entières se sont retrouvées dans ces trains de la mort.
Éva et Ruda se retrouveront à Auschwitz, le lieu même de l’horreur. Difficile d’imaginer que l’on envoyait, avec une logistique et une efficacité démentes, vingt mille personnes à la mort à tous les jours. Un raffinement dans la barbarie qui dépasse toutes les limites.
«Aujourd’hui, lorsqu’il m’arrive de penser à Auschwitz, je ne vois que les grandes cheminées à moitié dissimulées par les bouleaux, crachant des flammes et de la lumière âcre. Je sens l’odeur fétide des os carbonisés et mes bras se couvrir d’une très fine poussière poudreuse, le résidu des cendres humaines qui se déposait sur nous et sur tout ce qui nous entourait. Je pense à l’éternelle boue, ressemblant à du sable mouvant, qui nous avalait jusqu’aux genoux. Mais plus que tout, je vois les enfants.» (p.112)

L’enfer

Le travail quotidien, la faim, l’humiliation, la délation, les délires des gardiens, la peur, la promiscuité, l’humidité et le froid deviennent le quotidien. Et la faim, toujours la faim, cette faim qu’il est impossible de satisfaire. La cruauté, l’aveuglement et la haine poussés à leur paroxysme.
Les écrits d’Éva et de Ruda décrivent les camps dans les gestes les plus simples, s’attardent à la lutte pour un peu de nourriture et des vêtements. Ce sont des héros qui se sont battus au jour le jour. L’espoir survit malgré tout. L’amour et l’amitié entre les prisonniers peuvent triompher de tout. Éva et Ruda ont peut-être été chanceux de connaître cet amour inébranlable.
«Nous le constatons tout autour de nous, et nous avons peur ; peur pour tout le monde, mais surtout l’un pour l’autre. Tant que nous sommes ensemble, nous y arriverons, mais si… je ne veux seulement pas y penser – je ne crois pas que je le supporterais, si nous étions séparés – je crois que je cesserais d’exister. Je ne voudrais pas vivre.» (p.64)
Ils ont pu garder l’espoir et la volonté de survivre. Ce n’est pas le cas de tous. Ils vivront la libération avec l’impression de quitter l’enfer.

Migration

Le couple migre au Canada pour se donner un autre avenir et se refaire une vie. Ils n’oublieront pas, comment pourraient-ils? Il faut se souvenir pour empêcher que de semblables horreurs se répètent. Malgré tout, l’histoire démontre que ces crimes ne cessent de se multiplier partout sur la planète. L’humain apprend difficilement de ses folies.
Un incroyable message d’espoir et d’amour qui résiste à tout. Assez pour croire à un avenir meilleur.

«Éva et Ruda» d’Éva et Rudolph Roden est paru Éditions du Passage.

Arlette Fortin livre un dernier récit touchant

L’émotion est grande quand on se penche sur «Clara Tremblay chesseldéenne» d’Arlette Fortin. L’écrivaine décédait quelques mois après avoir terminé ce manuscrit, en août 2009.
Ce récit met un point final à une carrière trop courte, est donc l’ultime rencontre de l’auteure avec ses lecteurs.
 Une vieille dame navigue dans ses quatre-vingt-treize ans et vient d’emménager dans un CHLD. Sa famille lui a un peu forcé la main, il faut dire. Si elle possède toute sa lucidité, son corps connaît des ratés. Le temps est sans pitié. Clara a eu quinze enfants, vivant des joies. Comme les plus grands malheurs. La mort de son fils Bruno, assassiné, reste un moment qui la bouleverse encore, des années plus tard.
«Quand on a le corps en perdition comme je l’ai, les histoires se mélangent dans nos têtes. La vie tout autant que la mort s’emmêlent de nœuds pas défaisables». (p.14)
Clara, qui a toujours été fière et indépendante, se retrouve dans un milieu où tous ont rendez-vous avec la mort. Elle garde la tête haute, s’occupe de ses voisines, ne peut s’empêcher de voir ce qui se passe dans l’établissement.

Quotidien

La confusion, les pertes de mémoire, l’incontinence et la solitude sont le quotidien de tous. Clara partage une chambre avec une mourante.
Elle est chanceuse malgré tout parce que sa fille Julienne lui rend visite une fois par semaine, faisant le voyage depuis son lointain Chicoutimi jusqu’à Québec.
«Parce que nous autres aussi on est du vrai monde. Même dérinchés, maganés d’la voiture, égarés pour d’aucuns, pas capables de grouiller pour d’autres, on est du monde pareil. Du vieux vrai monde  presque fini, mais du vrai monde». (p.24)
Clara lutte pour la dignité et le respect. C’est tout ce qu’on peut revendiquer quand la vie ne tient qu’à un fil, quand le bonheur s’accroche à un sourire ou à un léger attouchement. La considération dans un établissement où le personnel est débordé et qu’il ne peut lui consacrer que quelques minutes par jour est un bien précieux.
«Y s’est passé ça pis y s’est passé aussi une très belle conversation avec la garde qui m’a aidée à me coucher. C’est bien pour dire qu’entre rien faire pour notre bien-être ou faire des presque riens de rien du tout, ça fait une différence très appréciable. Une grosse différence parce que c’est là, précisément dans cette différence-là, que la vie se reconnaît comme étant présente à soi pis aux autres. C’est pour ça que j’arrête pas de me chercher des petites activités de rien du tout.» (p.38)
Un témoignage incisif, une description minutieuse de la vieillesse, des lieux où des gens frappés par la maladie attendent le dernier virage. Clara voudrait bien bousculer les choses, avoir sa chambre et un peu d’intimité, mais avec le temps tout devient impossible. La femme vive et indépendante vivra son dernier jour en chesseldéenne bien malgré elle.
Un récit bouleversant. Arlette Fortin savait certainement qu’elle écrivait là son dernier ouvrage. Un regard sans complaisance sur le vieillissement. Un sujet que la littérature ne fréquente guère et que l’on refuse souvent de voir. Rappelons qu’Arlette Fortin a remporté le prix Robert-Cliche en 2001 avec «C’est la faute au bonheur».

«Clara Tremblay chesseldéenne» d’Arlette Fortin est paru aux Éditions de la Bagnole,

dimanche 10 avril 2011

Catherine Leroux fait une entrée fracassante

Photo Ivanoh Demers, La Presse
 «La marche en forêt» de Catherine Leroux se présente comme un album qui présente plusieurs générations de la famille Brûlé. À commencer par la lointaine ancêtre Alma, une Autochtone farouche qui a connu une vie qui sort de l’ordinaire. Ayant du mal à s’adapter à la sédentarité, elle quitte ses enfants à la mort de son mari, vit l’épopée de la construction du train dans l’Ouest et la guerre des Sécession aux États-Unis. Un personnage qui mériterait un roman à elle seule. Une femme qui vivait avec les hommes et comme les hommes. Certains de ses descendants ont peut-être hérité de son caractère farouche et de sa violence qui peut surgir sans prévenir. Qu’héritons-nous de nos ancêtres? Y aurait-il en nous des pulsions que nous avons du mal à expliquer et à comprendre?
Plus près de nous, les Brûlé s’étourdissent dans les dédales de la vie. Hubert est condamné pour le viol de plusieurs jeunes femmes. Il deviendra prédicateur après avoir connu «l’illumination» en prison. Un fils que son père renie. La rencontre de Normand et Hubert qui cherche le pardon est une scène forte, rare.
«- Le pire, c’est que t’as même pas essayé. T’as rien dit pour expliquer tes actes. Il y a peut-être du monde qui aurait aimé ça comprendre. Il y a peut-être des filles qui se demandent pourquoi ça leur est arrivé. Des gens qui veulent savoir ce qu’ils ont fait de croche pour transformer un bon petit gars en violeur de femmes. Mais au lieu d’expliquer, tu te jettes dans la religion comme si ça réglait tout. Et quand on te demande des comptes, tu réponds en récitant ton catéchisme. C’est pas ça, se racheter. C’est pas répondre à côté, ni laisser le bon Dieu s’en occuper.» (p.286)

Personnages

Les maladies, les décès et les séparations bousculent tout le monde. Cela n’empêche pas les embellies et les moments de grâce. La mort frappe même si on fait tout pour la déjouer. Fernand en remariant une femme beaucoup plus jeune semble défier le temps. Il sera touché dans sa tête et sa mémoire, capable de trahir des secrets refoulés.
Les fils ne sont pas épargnés par le cancer et les maladies du siècle. D’autres décrochent telle Justine qui déménage à Québec pour changer de vie. Elle prendra soin d’un autiste et vivra une relation trouble avec lui. Une autre devient artiste et connaîtra la célébrité en scrutant son passé. Des amours qui s’étiolent, des rencontres qui changent tout. La vie pousse le vivant d’un extrême à l’autre, dans la solitude comme dans la fusion amoureuse. Le lecteur passe d’un personnage à l’autre, tisse des liens et des recoupements en progressant dans une véritable forêt toujours semblable et différente.

Troublant

Plusieurs scènes restent inoubliables. Celle où Alma, après bien des aventures, revient à son lieu d’origine pour s’enterrer vivante.
«Elle s’arrête enfin, lance le bâton au loin et pose les pieds au fond du trou. Un mètre de profondeur, à peine. C’est tout ce qu’il faut. Elle s’y assied. Dans le ciel, des langues de nuages fins traversent les essaims d’étoiles. Le vent est plus doux et les animaux bruissent dans le lointain. Alma ouvre les bras et, d’un geste souple, elle ramène la terre vers elle. La boue tombe sur ses jambes comme une couverture glacée. Elle répète le mouvement avec patience, accueillant le poids du sol sur son corps. Lorsqu’elle se trouve ensevelie des pieds aux hanches, elle s’étend un peu plus et laisse glisser la boue sur son ventre et sa poitrine.» (p.299)
Une mort digne du personnage.
«La marche en forêt» exige que le lecteur se situe continuellement par rapport aux personnages. L’arbre généalogique, en début de l’ouvrage, s’avère indispensable.
Peu à peu on se familiarise avec ces femmes et ces hommes que l’on suit avec grand plaisir.
Catherine Leroux réussit une fresque qui bouscule le temps et l’espace. Une expérience de lecture qui devient une aventure américaine étonnante. Un texte où l’art visuel permet souvent d’apprivoiser le passé. Un roman étonnant et exigeant qui vaut l’effort. On y trouve de véritables perles. C’est peut-être le propre de l’existence. Il y a en chacun de nous des côtés sombres et dérangeants, des aspects que l’on a du mal à considérer.

«La marche en forêt» de Catherine Leroux est publié aux Éditions Alto.
http://www.editionsalto.com/catalogue/marche/

dimanche 3 avril 2011

Une sombre page de l’histoire de l’humanité

L’histoire des Africains vendus comme esclaves reste encore méconnue. Plusieurs dizaines de millions d’individus ont été capturés et réduits à l’état de bétail. 
Les colonies américaines, entre autres, ont utilisé cette main d’œuvre pour la culture du riz, de la canne à sucre et de l’indigo.
Aminata vit auprès de sa mère, une sage-femme, et de son père joaillier. Elle apprend le métier auprès de sa mère même si elle est encore une fillette. Tout serait bien s’il n’y avait cette menace qui plane sur le pays.
«C’était une époque troublée et, sans tous les bouleversements, le mariage entre un Peul et une Bambara n’aurait jamais été permis. Des personnes disparaissaient et les villageois, craignant de tomber aux mains des ravisseurs, formaient de nouvelles alliances avec des villages voisins. Chasseurs et pêcheurs se déplaçaient en groupes. Pendant des jours et des jours, des hommes construisaient des murailles autour des villes et des villages.» (p.25)
Aminata est capturée lors d’une rafle. Son père et sa mère sont égorgés.
S’amorce alors un périple qui durera des mois. Enchaînés, ils doivent marcher vers l’océan Atlantique malgré la pluie, la chaleur, la faim et la maladie. Enfants et femmes enceintes font partie de cette incroyable odyssée. L’une accouche pendant le périple et doit continuer. Animata croit vivre l’enfer, mais elle comprend vite que le pire est à venir. Ils sont entassés dans la cale des navires, enchaînés l’un à l’autre. La maladie, la mort frappe à tous les jours et les cadavres sont jetés à la mer. On leur sert un peu de nourriture dans des auges et des chaudières. Il faut imaginer la senteur des excréments et des cadavres qui colle aux flancs de ces navires. Plusieurs captifs perdent la raison.
La jeune fille s’en tire un peu mieux que les autres. Le médecin la prend sous sa protection et la garde dans son lit. La fillette assiste aux ébats de ce dernier avec les esclaves à tous les soirs ou presque. Elle réussit à se nourrir et aide les autres du mieux qu’elle peut.

Amérique

Elle survit à la traversé et est vendue à un producteur d’indigo qui exploite un domaine près de Charles Town ou Charleston en Caroline du Sud. Elle réussit à se faire une vie en aidant lors des accouchements. Les Noires et certaines Blanches. Elle pense connaître un certain bonheur en épousant un compagnon de traversée. C’est sans compter la convoitise des maîtres qui « aiment bien » les belles esclaves. Son fils lui sera enlevé et vendu. Animata sera achetée par un Juif avec qui elle apprendra la tenue des livres et la littérature. La lecture et l’écriture restant interdites aux esclaves. 
Lors de la guerre d’indépendance des Américains, beaucoup de Noirs ont pris le parti des Britanniques en échange de leur liberté. Ils se retrouvent en Nouvelle-Écosse où on leur a promis la liberté et des terres. Des promesses qui ne seront jamais tenues.
«Ils s’étaient servis de nous de toutes les façons pendant leur guerre. Cuisiniers. Prostituées. Sages-femmes. Soldats. Nous leur avions donné notre nourriture, notre lit, notre sang, nos vies. Et lorsque les propriétaires d’esclaves arrivaient avec leurs histoires et leurs papiers, les Britanniques nous tournaient le dos et les autorisaient à se saisir de nous comme de la marchandise. Notre humiliation ne voulait rien dire pour eux, ni nos vies.» (p. 363)
Animata garde espoir pourtant de retrouver son mari et sa fille May qu’on lui a enlevée. Elle embarque dans le rêve de fonder une colonie libre au Sierra Leone. Ce retour en Afrique la hante depuis toujours. Là encore, malgré la meilleure volonté de quelques Britanniques, les engagements ne seront pas tenus.

Abolitionnistes

Animata finira en Angleterre pour appuyer la lutte des abolitionnistes. Elle connaîtra la célébrité et rédigera ses mémoires tout en ayant la chance de retrouver sa fille.
Lawrence Hill a effectué un travail magistral, s’appuyant sur des faits historiques et des personnages réels pour ancrer l’histoire d’Animata. Une tache sur la mémoire de l’Occident où des millions de personnes ont trouvé la mort dans ce commerce ignoble. Un racisme qui va au-delà de l’entendement. « Animata » fait comprendre et voir l’horreur de l’esclavage. Une tache qui marque à jamais l’histoire de l’Occident. À lire absolument. 

« Animata » est paru aux Éditions de la Pleine lune.

dimanche 27 mars 2011

La douce et lente dérive de Mélissa Verreault

Une hésitation, une sorte de recul a marqué mon entrée dans «Voyage léger» de Mélissa Verreault. Comment expliquer? Question de rythme et de fluidité. Quelque chose grinçait.
C’est ce qui arrive quand on passe trop rapidement d’un livre à un autre. Je venais de refermer «Le seul instant» de Robert Lalonde et que j’en étais encore tout imbibé.
Plusieurs heures plus tard, je suis revenu au roman de Madame Verreault. Miracle: mes hésitations étaient tombées. Rapidement j’ai emboité le pas d’Ariane, une jeune femme qui voit son couple s’enliser et qui décide de secouer sa vie.
«Je suis venue ici pour avoir la paix, mais je me rends compte d’une chose : les lieux ne sont pas paisibles. Le calme est en nous ou n’est pas. J’ajuste la température du jet de la douche, que ce soit bouillant. De quoi faire fondre ce qui résiste. Mes vêtements glissent sur le sol. Il faudrait aller m’en acheter de nouveaux. Ceux-là ne me ressemblent plus. Le corps nu reflété par la glace ne me ressemble pas davantage.» (p.18)

Oublier

Oublier les maux de l’être, les amours qui usent et laissent un goût amer dans la bouche. Les séparations et les voyages dans les pays lointains témoignent de ce désir de casser la routine et de secouer la fadeur des jours.
Ariane oublie de monter dans l’avion et se réfugie dans un hôtel anonyme, un quartier inconnu de sa ville. Peut-elle devenir une autre? Peut-on être ailleurs dans une agglomération que l’on pense connaître? Parce qu’il y a plusieurs villes dans une grande cité. C’est connu, les gens habitent une rue, un quartier et ils ignorent souvent à peu près tout des différents secteurs d’une métropole. Parce qu’une ville reste un lieu connu et abstrait.
«La fuite en trois étapes faciles: j’ai rempli la valise rouge, appelé un taxi et atterri ici. Je n’ai pas fait la vaisselle, j’espère que tu ne m’en voudras pas. De toute façon, j’habitais chez papa depuis presque une semaine, ce n’est pas moi qui ai dû la salir. Prendre soin de ce qui ne m’appartient pas a toujours été ma manière d’éviter d’occuper de moi-même.» (p.83)

La mémoire

On n’abandonne pas sa mémoire en repoussant une porte derrière soi. Ariane plonge dans une forme d’hibernation. Peu à peu un monde se crée autour d’elle. Le surveillant de l’hôtel qui vit accroché à une émission de télévision; un itinérant qui a pris possession du parc. Elle est fascinée par cet individu qui a tout largué pour devenir un homme sans racines et sans liens.
Elle s’installe dans des habitudes, trouve des points d’ancrage. Un café, un bar et une librairie. Elle prend des photos et écrit des cartes postales. Geste que tous les touristes font en voyage.
«Ce n’est pas la fillette ni l’homme que je prendrai en photo, mais ces gens, assis au fond de l’autobus, qui demeurent insensibles à cette complicité touchante, qui se rendent volontairement aveugles à la beauté du moment. Le bonheur leur parle et ils continuent de regarder le rien devant eux, en faisant semblant de ne pas avoir entendu.» (p.164)

Voyage

Souvenirs d’enfance, un père aimant qui fréquente mal les mots, un amoureux de plus en plus lointain, ressurgissent. Il faut du temps pour mettre un peu d’ordre. Elle s’invente des circuits, se perd dans de longues promenades, vit une aventure avec un musicien, se rapproche de ce garçon qui semble séquestré dans le hall de l’hôtel.
«Voyage léger» est un blues, un mal de vivre et d’être, un désir de changer dans son corps et sa tête. Ce roman n’est pas sans rappeler l’atmosphère de Paul Auster où les personnages disparaissent dans leur ville pour se réinventer.
Cette dérive douce nous ramène aux gestes essentiels de la vie. Une plongée qui permet de refaire surface plus loin, plus tard et de retrouver sa vie en étant semblable et un autre. Un mal d’être qui nous emporte dans le labyrinthe des villes et de l’esprit.

«Voyage léger» de Mélissa Verreault est publié aux Éditions La Peuplade.