dimanche 15 mars 2009

Nicole Houde boucle un long cycle

Avec «Je pense à toi», son douzième ouvrage, Nicole Houde boucle un long cycle marqué par des oeuvres denses et troublantes. Il en aura fallu du temps pour ce face à face avec le père, une rencontre attendue et longtemps repoussée par la romancière.
Les femmes et les hommes, chez Nicole Houde, sont marqués par une génétique qui les hante et les broie. Victor est fils de père alcoolique pour son plus grand malheur. Il perd sa mère alors qu’il est encore enfant et ne s’en remettra jamais.
«Le temps n’existait plus que par brefs intervalles. La neige de cet été-là fondait en moi. La boue de cet été-là giclait en moi. Le séisme du 25 mai 1928 ne cessait de se reproduire en moi : de la boue partout, des pierres, une rivière en pleine débâcle, une fille de treize ans qui tremble de tous ses membres dans la montagne tremblante de tous ses arbres. Depuis le 20 juin, j’avais quatorze ans et, au contraire des garçons de mon âge, je ne voulais pas devenir un homme. À cause de l’aveuglement. À cause des clôtures autour des gestes et des mots.» (p.46)
Est-il possible d’échapper au destin familial, d’annihiler une «malédiction» qui pousse vers la mort et le délire?

Études

Étudiant au séminaire de Chicoutimi, il doit mettre fin à ses études. Son goût pour les mots lui permettra de devenir écrivain public dans les chantiers forestiers où il travaille comme cuisinier. Vie de nomade, de départs et d’arrivées, Victor combat des démons de plus en plus menaçants, incapable de repousser l’alcool.
Sophie, Gaétane et surtout Angéla retardent la chute. L’amour permet à Victor de s’aventurer hors des «clôtures» du village de Saint-Fulgence, d’espérer échapper aux tares héréditaires. Le couple vit un moment de grâce, quelques jours de bonheur, avant la tornade qui emporte tout.
«Je voudrais que chaque instant de cette soirée de juillet soit préservé. Chaque mouvement d’Angéla, chaque intonation de sa voix. Je la contemple afin que cette joie émanant d’elle soit mon éternité à moi. Un tel bonheur, je titube pour vrai, je la garde tout contre moi.»  (p.115)
Pendant ce temps, le diable attend son heure, ricane au fond d’une bouteille. L’alcool impose ses cycles et les mots tuent plus sûrement que des couteaux aiguisés. Victor et Angéla deviennent des étrangers avec les enfants.

Personnages inoubliables

Sur fond historique du Saguenay, Nicole Houde campe des personnages inoubliables. Un portrait terrible de la vie de village qui oscille entre le dit et les secrets qui camouflent l’inceste et les suicides. La fresque est assez terrifiante. Un roman d’une beauté sauvage qui transforme un univers âpre, pousse vers l’hallucination et la folie.
Voilà l’oeuvre d’une écrivaine en pleine possession de ses moyens. Jamais Nicole Houde n’est allée aussi loin. Un récit étourdissant. Dérangeant. Bouleversant. «Je pense à toi» tient le lecteur en apnée.

«Je pense à toi» de Nicole Houde est paru aux Éditions La Pleine lune.

Robert Lalonde réussit à nous perturber

Il arrive d’arriver au bout d’un livre en claudiquant. Comme si le poids du monde vous écrasait. Les mots ne viennent plus. Il faut de grandes plages de temps pour s’arracher à une lecture qui retourne l’esprit.
«Un cœur rouge dans la glace» de Robert Lalonde, un recueil de trois nouvelles, étourdit et secoue. C’est toujours ce qui arrive quand on se risque dans le monde de cet écrivain. Il tricote des textes tendus comme une corde de violon. Il frôle la rupture, remue, questionne votre façon d’être au monde. Il lance ses grandes questions sans réponse, cherche une direction quand l’horizon colle au sol. Il vous laisse souvent avec l’impression d’être abandonné de Dieu et des hommes.
«C’était un lundi d’avril, chaud comme un jour d’été. Tout aurait dû m’étonner, me réveiller, me remettre en vie, ce jour-là. C’était enfin le printemps, et je tournais sur moi-même dans une cour d’école déserte, affolé par ces innombrables craquelures dans l’asphalte. Ces lignes brisées, ces alvéoles à la fois irrégulières et semblables, ce vaste diagramme imitant la multiplication folle de cellules détraquées : c’était ma vie que la disparition d’Annie avait définitivement fêlée.» (p.13)
Trois nouvelles qui s’attardent à la perte d’un proche, d’un amour ou d’un frère. Où trouver les mots, que valent les phrases quand il n’y a plus de direction qui s’ouvre, quand on tourne en soi comme dans une tempête d’hiver qui efface toutes les directions. Il reste peut-être la lecture d’un écrivain qui vous accompagne et vous hante depuis toujours. Il devient alors un double, l’ombre avec qui le dialogue est possible.

Les sources

Virginia Woolf a toujours fasciné Robert Lalonde. Il retourne régulièrement à l’œuvre de cette écrivaine. Il y a Annie Dillard, Jane Austen et quelques autres. Elles s’imposent plus que des êtres réels à force de les lire et de les relire. Dans «Souvent je prononce un adieu», Virginia Woolf accompagne l’auteur, le houspille avec ses phrases incisives comme des lames de rasoir. Elle est la désespérance, l’obsession, la folie du verbe qui fait que l’on garde la tête hors l’eau. Respirer encore.
«Écrire, ce n’est pas raconter une histoire. C’est s’attaquer à l’indicible, c’est chercher la transparence. Si ce que tu écris ne te plaît pas, brûle-le et recommence. Écris vite, impétueusement, travaille sans t’arrêter jamais.» (p.17)
Woolf va, vient, revient et le pousse vers une étudiante qui vient de tenter de se suicider. Vers l’écriture peut-être…

Grand Meaulnes

C’est Antoine dans «Un cœur rouge dans la glace» qui fonce dans la tempête pour retracer un frère qui se débat dans les pires excès depuis que les parents sont morts dans un accident d’auto. Il poursuit un fantôme, le retrouve grâce à Nicolas, un ange qui sauve de la désespérance, un «grand Meaulnes» qui rôde au-delà des apparences. C’est encore Alison Donahue que l’auteur suit près de la mer, à la lisière de la vie et de la folie. Elle trace des poèmes sur le sable et il traduit. Ils dialoguent, s’effleurent, se touchent, se perdent et se voient comme dans les miroirs de deux langues étrangères.
«Darling, les mots sont des petites têtes chercheuses et ils trouvent toujours leur chemin dans le fabuleux chaos de l’univers!» (p.225)
Le réel, la vie et la mort, voilà le vrai questionnement de Robert Lalonde depuis sa première parution. Ses livres posent toujours les mêmes questions sans jamais esquisser de réponses.
«Le roman que depuis toujours j’échafaudais mais n’écrivais pas m’avait fait prendre martre pour renard et voilà que je me réveillais, tout mon texte effacé et le cœur au ralenti. Ce n’était pas la fatigue qui m’écrasait sur ce banc, mais la fin abrupte d’un ensorcellement que j’avais manigancé tout seul et qui s’achevait dans une gare triste, où des inconnus me dévisageaient comme s’ils savaient.» (p.151)
Des nouvelles qui laissent abasourdi, debout entre deux jours, devant un matin aveuglant à la lisière de la mer ou d’un lac qui boit la lumière à petites gorgées. Avec toujours cette angoisse d’être un vivant.
Lire Robert Lalonde, c’est courir un risque, s’égarer, avoir du mal à respirer et à refaire surface. On s’en réchappe un peu changé, troublé, hésitant à mettre un pied devant l’autre.

«Un cœur rouge dans la glace» de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.

dimanche 8 mars 2009

Francine Allard a l’art de raconter une histoire

Dans un quart de page paru dans Le Devoir, l’éditeur affirmait que ce roman en était rendu à son huitième mille. Un best-seller au Québec quand on sait que la moyenne des ventes romanesques effleure à peine les 500 exemplaires. Pourtant, il me semble que la plus grande des discrétions a entouré la parution, en août 2008, de ce roman à saveur historique.
C’était assez pour que je me penche sur le premier tome de cette saga. Francine Allard promet une suite au nom évocateur: «La vengeance de la veuve noire». J’ai été solidement ferré, comme on dit dans le langage de la pêche sportive. Les personnages, des femmes surtout, m’ont retenu tout au long de ces 300 pages. Madame Allard a l’art de faire rebondir une histoire, de transformer le quotidien de ses héroïnes en une véritable aventure.
«En 1910 vivaient à Lachine, sur les rives – ou du moins assez près – du lac Saint-Louis, noir d’encre à cet endroit, un homme et une femme parmi les jeunes familles les plus vivantes et les plus malchanceuses de ce début du siècle. Lui s’appelait Josaphat Trudel: elle, portait le joli nom d’Adélina Landry.» (p.7) Un véritable conte pour lancer cette histoire. Le récit en a toutes les caractéristiques. Des personnages bien ancrés, des rebondissements qui nous poussent en avant à chacun des chapitres. Tout l’art de Francine Allard est là. Elle est une excellente conteuse qui fait en sorte que ses personnages retombent sur leurs pieds malgré les tragédies et les épreuves qui se multiplient.

Deux femmes

Le lecteur s’attache à Émilia, une fillette au début de l’histoire, la fille de Josaphat et Adélina qui meure en accouchant de son deuxième enfant. Elle deviendra couturière. Donatienne, la sage-femme, une voisine qui résiste mal aux beaux yeux de Josaphat, se retrouve enceinte après la mort d’Adélina et s’exile à Oka. Une mère seule, au début du siècle dernier, n’avait guère la cote.
La crise n’épargne personne, les femmes sont presque toujours enceintes, les hommes sont menteurs et manipulateurs. Émilia s’en sort grâce à son talent pour la couture, attendant le grand amour qui provoque les frissons et les plus grands espoirs. Donatienne se lance en affaires avec Bill Tiwasha, un Amérindien qui disparaît de façon tragique. Elle mettra sur pied une herboristerie réputée, fabriquera du cidre et un peu plus tard, grâce à la complicité de deux moines d’Oka, du calvados. Impossible de résister à ces femmes qui ne reculent devant rien. Elles refusent le petit pain reçu à la naissance.
«Une femme, c’est pas juste fait pour rester à maison à tricoter pis à faire des biscuits à la mélasse», lance Donatienne.

Des femmes vivantes

Les femmes aiment l’amour physique et ne s’en privent pas même si la grossesse est là comme une malédiction.
«Il la frôlait maintenant et Émilia remarqua que son pantalon se gonflait toujours davantage. Rosette lui avait déjà parlé de cette réaction bizarre chez ses frères lorsqu’ils se levaient au petit matin. Elle n’avait fait qu’une allusion ou deux, les yeux baissés, de cette chose qui grossissait lorsqu’ils se trouvaient devant des filles à moitié vêtues.» (p.124)
Elles découvrent la sexualité selon les aléas de la vie. Émilia quittera son travail après l’agression de son patron, Monsieur Bernstein. Un mal pour un bien puisqu’elle sera employée par de riches familles. Une aventure d’un soir avec Bernard, le fils gâté, un séducteur irresponsable, ébranlera sa belle confiance et fera qu’elle se méfiera des hommes.
Les femmes de Francine Allard sont vivantes, impulsives, fidèles, pleine de ressources et capables de sauver leurs proches. Donatienne sort ses voisins de la misère avec son commerce illicite d’alcool pendant qu’Émilia pourvoit aux besoins des siens frappés par la crise économique.
Un peu manichéen pourtant. Les hommes sont sournois, menteurs, fourbes, irresponsables et obsédés. Il y a quelques exceptions bien sûr. Joseph, fils de Donatienne, le frère d’Émilia, mais pour les autres, il est difficile de dénicher la perle rare.
Beaucoup de dialogues qui vont droit au but. Une écriture simple, efficace et pleine de rebondissements. Une bonne histoire belle de surprises et très actuelle.

«La Couturière, Les aiguilles du temps» de Francine Allard est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 
http://www.editiontrois-pistoles.com/viewAuteur.php?id=423

dimanche 1 mars 2009

Nos sociétés ont-elles perdu leur imaginaire?

Bertrand Gervais donne une suite à «L’Île des Pas perdus», un roman fort original paru en 2007. «Le maître du Château rouge» permet au lecteur de retrouver Caroline Pas de Pouces, la jeune héroïne que nous avons appréciée.
Tout rétrécit sur l’Île des Pas perdus. Les œuvres uniques et irremplaçables de Saul Adde s’effritent. Sculptures, palais, jardins luxuriants, maisons et villages tombent en poussière. Bien sûr, une explication logique est possible, même quand l’imaginaire galope à en perdre le souffle.
«Tout être vivant est composé de deux sortes d’éléments, des particules réelles et des particules imaginaires. Les réelles sont inertes, comme de la pierre ; elles servent de socle sur lequel se déploient le corps et la vie. Les imaginaires assurent à l’être sa vie et son dynamisme.» (p.39)
Le professeur Aarvi identifie le phénomène, mais il faut trouver la cause de cette implosion.
«Si l’île se résorbe, si ses particules imaginaires se compriment jusqu’à affecter sa géographie, c’est qu’un grave problème a surgi.» (p.39)
Les particules imaginaires se raréfient, entraînant une suite de catastrophes qui laisse deviner la destruction totale du pays.
«C’est la composition même de l’île qui est en train de se modifier, s’impatiente le professeur. La FSA a perdu de vue sa nature essentielle. À l’imagination, elle a substitué la préservation. C’est une erreur flagrante. Vous avez voulu fixer les particules imaginaires dans du réel et vous avez changé l’équilibre des forces. Il y a maintenant trop de particules réelles, comprenez-vous? Ça vous rassure peut-être, mais vous transformez l’île en cadavre!» (p.68)

Allégorie

L’allégorie n’est pas sans évoquer nos sociétés qui viennent de basculer dans une crise sans précédent. L’économie déglingue, les bulletins d’informations le martèlent à tous les jours. Tout s’effrite. Les dirigeants se sont transformés en gestionnaires myopes, sans autres objectifs que d’aligner les chiffres au nom de la rentabilité et du profit à tout prix. Les mesures conservatrices semblent accentuer encore ce déclin et provoquer l’effritement d’institutions centenaires. La perte ou la négation de l’imaginaire, du rêve, des pulsions créatrices met les sociétés en danger.
Bertrand Gervais aborde une problématique qui remet en question les fondements de nos sociétés. Éric Lint, l’inventeur de l’écriture transgénique, a inséré un gène étranger dans le récit et a ouvert la porte à la catastrophe. La spéculation, les profits à outrance, les butins que se partagent les dirigeants d’entreprises sont-ils «des virus» qui font chanceler l’édifice?
«Ce n’est pas une nouvelle gestion qu’il faut, c’est un nouvel imaginaire», clame le professeur Aarvi.
«Le maître du Château rouge» prend la forme d’un roman jeunesse. Il ne faut pourtant pas se fourvoyer. Le questionnement est fort judicieux et démontre qu’une société qui tourne le dos à la création ne peut que régresser. Le Front de libération de l’Île des Pas perdus travaille à faire éclater les mesures coercitives qui tuent l’invention créatrice. Il en faut autant dans nos institutions où les données comptables menottent tous les projets. Recommencer est plus difficile qu’on ne le pense. Pour y arriver, il faudrait tourner le dos à des habitudes qui nous ont menés au désastre et plonger dans une utopie où les balises n’existent pas.

Suspense

Caroline, avec l’aide de Théo, tente de mettre un frein au grand dérèglement en se rendant au château du grand capitan, l’épicentre du désastre. Ils foncent, croisent des personnages étranges, déjouent les forces de l’ordre qui profitent de la situation pour instaurer la répression et un régime totalitaire.
La jeune fille devra abandonner l’île avec son père. Le pays a été contaminé par des gestionnaires sans imagination qui ne s’intéressent qu’au pouvoir et à leurs privilèges.
«Existe-t-il quelque chose hors des murs de notre imagination? a-t-elle encore le temps de se demander. De la matière, sûrement. Et de la vie, tout aussi insaisissable que de l’encre qui se détache d’une feuille.» (p.193)
Un ouvrage qui permet plusieurs niveaux de lecture, ce qui en fait une œuvre forte malgré les apparences. Pour ceux et celles qui veulent renouer avec l’utopie et l’avenir.

«Le maître du Château rouge» de Bertrand Gervais est paru chez XYZ Éditeur.

dimanche 22 février 2009

Nadine Bismuth scrute la vie des filles

«Êtes-vous mariée à un psychopathe?» La question fait sourciller. Voilà pourtant le titre qui coiffe les dix nouvelles du plus récent recueil de Nadine Bismuth.
Elles ont dans la trentaine et n’arrivent pas à retenir un homme. Tout se dilue dans la banalité du quotidien. L’amour qui coupait le souffle aux débuts meurt d’inanition. Pourquoi continuer alors, même si le pire des malheurs, pour les héroïnes de Bismuth, semble la vie de célibataire.
Femmes et hommes cherchent à se réfugier dans le cocon du couple, même s’ils vivent dans des mondes irréconciliables. Les femmes misent sur le long terme quand les hommes ne jurent que par le présent. C’est souvent la source de conflits et de ruptures.
«… nous inspirons de la pitié : nous sommes douces et gentilles, ma foi souvent même jolies, nous sommes drôles et intelligentes, alors bon sang, qu’est-ce qui cloche? Pourquoi sommes-nous seules ? Est-ce à cause d’un conflit irrésolu avec notre père? D’un traumatisme vécu dans le ventre de notre mère? Si vous trouvez la réponse, de grâce, dites-le-nous, car notre psy commence à nous coûter cher.» (p.12)
 Les hommes fuient les engagements, regardent la porte quand leurs compagnes veulent imaginer un peu l’avenir.
«- Alors, tu vois ce que je veux dire? C’est une pression pour moi. La pression de savoir que tu crois qu’on sera ensemble dans un an.» (p.139)
Difficile d’avoir des enfants dans ces conditions. Avoir un enfant, c’est miser sur le long terme, l’avenir et les hommes refusent cette aventure. Même la vie à deux n’est guère rassurante.
«Elle affirme que je vis sur une autre planète depuis que je sors avec Juju. Elle dit que je suis devenue une fille qui passe ses journées à traîner au Rockland, à faire du yoga et à coordonner l’arrivée de sa femme de ménage, et que rien de constructif ne ressort de tout ça. «Tu vis aux crochets d’un mec. Tu vas faire quoi s’il te quitte demain matin? Un soufflé au fromage?» (p.53)
Le mal vient souvent du regard de la meilleure amie qui sait tout de la vie, même si elle est tout croche dans la sienne.

Solitude

Nadine Bismuth emboîte le pas de Séfani Meunier, Mélanie Vincelette, Anick Fortin et Sophie Bouchard qui s’attardent à la fragilité des couples qui résistent mal aux ressacs du quotidien.
Les filles cherchent frénétiquement l’âme sœur et s’accrochent. Mais plus le temps passe, plus cela devient difficile. La perle rare a une vie de couple ailleurs et il ne rompra jamais avec sa femme.
«Geneviève s’était tant attardée au récit de chacun des menus détails qui l’avaient amenée à se séparer de Mathieu qu’elles n’avaient pas osé l’interrompre. Il avait été question du comportement ambivalent de Mathieu, des espoirs déçus de Geneviève, du cahotement de leur relation, du constant besoin de Geneviève d’être rassurée et, enfin, le clou dans le cercueil : la sempiternelle hésitation de Mathieu à envisager la cohabitation avec elle.» (p.82)
Au moins, une forme de solidarité existe du côté des femmes. Elles partagent des confidences, se prodiguent des conseils qui tournent mal. C’est beaucoup moins fréquent chez les hommes.

Modernité

Avec ironie et humour, Nadine Bismuth plonge dans le drame des femmes qui n’arrivent pas à s’épanouir aux côtés d’hommes manquant de maturité. Une question, un regard et le monde s’écroule. Elles deviennent un peu hystériques, angoissées, peu sûres d’elles, ne demandant qu’à se faire rassurer par le premier venu. Des candidates idéales pour les thérapies sans fin.
Madame Bismuth a l’oeil perçant, le sens du détail. Elle échafaude des drames sur la banalité du quotidien et possède un sens du détail assez remarquable. L’écrivaine nous entraîne dans l’envers d’une société où tout doit être envoûtant, étonnant et exaltant. Même le quotidien doit devenir un numéro de haute voltige, une frénésie qui brûle chaque seconde. Ce qui importe, ce sont les pulsions et le désir qui coupent le souffle, les amours qui calcinent l’âme et le corps. Autant dire l’impossible.
Méfiez-vous des nouvelles de Nadine Bismuth. Elles troublent, remuent et laissent un goût étrange dans la bouche.

«Etes-vous mariée à un psychopathe?» de Nadine Bismuth est paru chez Boréal Éditeur.

dimanche 15 février 2009

Roman sensuel comme un solo de Miles Davis


Jacques Folch-Ribas ne m’a jamais attiré comme écrivain. Un bref contact en 1989, lors de la publication de «La chair de pierre» ne m’avait guère rassuré. J’avais abandonné après une cinquantaine de pages. Ce qui m’arrive rarement.
Difficile d’expliquer pourquoi des écrivains vous fascinent et d’autres vous laissent sur la touche. Pourquoi vous vous précipitez vers la plus récente parution de Jacques Poulin ou Robert Lalonde et pas vers d’autres. Certains, malgré une œuvre impressionnante, n’arrivent pas à vous accrocher. Les titres? Les sujets? Les hasards des pérégrinations livresques ou la multiplication des parutions… Tout cela fait que des sentiers ne se croisent jamais.
«Les pélicans de Géorgie», un court roman, est arrivé sur ma table. Il était temps d’oser ce rendez-vous, de plonger dans un roman où tout est attente. Folch-Ribas nous entraîne dans la touffeur du sud des États-Unis, dans Savannah où les passions couvent depuis des années.

L’art en question

Un marchand de tableaux voyage. Il rencontre des collectionneurs qui se soucient peu des signatures ou de l’authenticité des œuvres, des obsédés qui achètent par compulsion, collectionnent en avares, sans jamais exposer les objets de leur convoitise. Ils jouissent d’un tableau en solitaire, ne partagent jamais leur plaisir. Ils aiment l’appropriation avant tout, la possession.
«… un privé est un véritable amateur, que l’on nomme aussi un puro dans notre confrérie, un amoureux, un collectionneur, l’homme atteint par le virus de la rareté, voire de l’exclusivité. Qu’est-ce qu’une collection pure sinon le rassemblement de ce que d’autres ne possèdent pas… Le puro déteste les amateurs ses semblables, qu’il préfère ignorer de peur d’être saisi d’une haine meurtrière.» (p.29)
Le hasard fait qu’il retrouve une ancienne amie avec qui il a étudié l’architecture à Paris. Il n’en fallait pas plus pour que la nostalgie s’installe comme un air de jazz obsédant.
«Savannah est devenue ma ville préférée. Elle le fut dès mon premier voyage en Géorgie, sans aucun doute à cause de ma rencontre avec Marie. Ainsi donc, ma compagne en architecture, à Paris, celle que j’avais un peu beaucoup aimée, celle aussi qui avait disparu au bras d’un autre, avait abouti là, à Savannah, où elle semblait exercer la respectable profession de propriétaire, ou gérante peut-être ? d’un de ces établissements très nouveaux que l’on appelait des clubs…» (p.23)
Une histoire d’amour qui prend fin avant d’avoir vraiment commencé. Marie collectionne les hommes comme les œuvres d’art. Notre marchand d’art se berce dans ses souvenirs, amorce une aventure avec Ada, une fille magnifique qu’il tente de dessiner sans y parvenir.

Atmosphère

La chaleur colle à la peau comme un vêtement dans «Les pélicans de Géorgie». Le rythme s’alanguit avec la plainte d’un saxophone qui s’étouffe dans un bar où l’alcool attise le désir. Une sensualité obsédante qui brouille la raison.
«Marie a souri, je crois bien que c’était la première fois depuis que j’étais là, non, la première fois depuis toujours. Une petite chute de la bouche, à droite, minuscule, craintive, de cette ligne si belle et si difficile à dessiner, entre les deux lèvres, elle bouge tout le temps. Une tendresse de la joue aussi, qui m’a surpris, un fard ténu sous la peau si blanche. Elle a encore répété : Patronne de club à Savannah, Géorgie, oui. Puis, comme on condescend à une confidence parce qu’elle ne tire pas à conséquence, elle voulut bien me raconter. Rien. Presque rien. Une bribe de son histoire.» (p.91)
La passion peut-elle se rallumer après tant d’années? Les protagonistes s’avancent sur des braises qui, au moindre souffle, peuvent tout enflammer.
Un roman trouble comme les eaux d’un fleuve où maraudent des alligators. Un goût de sel sur les lèvres, une langueur qui pousse les hommes vers des amours impossibles. Marie, est cette flamme vive qui brûle les téméraires qui s’approchent un peu trop.
L’écriture de Folch-Ribas se fait suggestive, glisse dans des atmosphères étouffantes. Une montée lente, une folie et des espoirs portés par la nostalgie. Une passion qui aveugle et étouffe les personnages.
Comme un air de Miles Davis qui envoûte, une langueur qui retourne l’âme et le corps. Une méditation sur l’art, la vie et le désir. Un roman magnifique de sensualité et de passions refoulées. Tout pour devenir un lecteur fidèle de Jacques Folch-Ribas.

«Les pélicans de Géorgie» de Jacques Folch-Ribas est paru chez Boréal Éditeur. 

http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/jacques-folch-ribas-1612.html

dimanche 8 février 2009

Comment recoller les morceaux de sa vie?

«Ils me disent que Georgie ne reviendra pas, que je suis fou, que je n’arriverai pas à recoller les morceaux. Mais ce n’est pas vrai. Ils me disent: «Regarde autour. Regarde. Il n’y a que la ville, les arbres, les gens et les  chiens.» Ils me disent que je dois m’accrocher à ce qui est.» (p.13)  
Un garçon, perdu dans sa tête, cherche sa soeur Georgie. Elle est disparue, on ne  sait où ni comment. Voilà comment le lecteur plonge dans l’univers de «Joies», un court roman d’Anne Guilbault.
Le frère sillonne la ville, reconstitue les parcours que lui et sa sœur ont empruntés des centaines de fois. Si la vie n’est que circuits qui se croisent, il est possible peut-être de tout recommencer. Il marche, se débattant avec des images et des souvenirs après avoir fui l’institut psychiatrique où sa mère l’a enfermé. Peu à peu le lecteur identifie des moments de bonheur, des tragédies qui ont fait éclater l’enfance comme une boule de cristal.
«Tout ce que je vois m’avale. Je marche sans te chercher réellement. J’essaie seulement de retrouver un peu de toi dans ma mémoire. Car j’ai bien compris- il faut bien que je m’y fasse- tu n’es pas perdue dans la ville mais en moi. Voilà pourquoi je me suis arrêté ici, dans cette ruelle. Je dois me convaincre de la réalité, alors que mon instinct me dit que je me trompe. Je dois me faire violence contre tout ce qui bat en moi. Mon instinct me dit que tu ne peux pas disparaître alors que je sais bien que tu as disparu. Je n’ai plus d’instinct qui tienne quand il s’agit de toi. L’espoir est plus fort que la réalité. Mon instinct se moule à la forme de mon espoir.» (p.39)
Il finit par la cerner cette réalité après avoir plongé au plus creux de son existence et de ses souvenirs.

Puzzle

Peu à peu le lecteur découvre ce qui pousse ce garçon dans son délire. Sa vie est un puzzle à reconstituer avec patience. Il cherche à échapper à cette malédiction qui a emporté sa sœur bien-aimée. Pour empoigner les événements qui ont fait basculer son univers et celui de Georgie.
«Ils se tiennent par la main et tombent, font une étoile, forment une ligne droite, un cercle, Georgie rit, on regarde, on regarde, ils planent, la descente n’en finit plus… Puis les parachutes s’ouvrent: un bleu, un rouge, un jaune. On cherche le vert. Il n’est pas là, le vert ! Il n’y a que le bleu, le rouge et le jaune qui se déploient! Les applaudissements de la foule cessent. Puis: le silence… Le silence… le silence… Mère nous enfouit dans sa jupe. Elle tremble. On nous emmène loin d’elle. Pas assez vite. Son cri nous fait hurler aussi.» (p.80)
Georgie n’arrivera jamais à oublier la mort de son père, cette chute fatidique. Elle finira par tomber ou se jeter en bas d’un pont.
«C’est l’histoire d’un tout petit anéantissement personnel, dans la somme des anéantissements de l’humanité. Rien ne m’avait préparé à la chute de ma sœur, bien que je l’eusse attendue à tout moment. On pense se préparer, prévoir les coups… On se croit sans force et déjà anéanti à la seule idée de la catastrophe… mais quand soudain vient le grand craquement, le métal grince et le vacarme s’engouffre en nous. Nous devenons sourds. La parole s’éteint.» (p.88)
Le narrateur, après avoir épuisé l’errance, après avoir retrouvé Tomasz, l’amant de Georgie, recolle les fragments de sa vie par l’écriture. Il peut enfin s’approcher des drames qui ont soufflé sa vie, imaginer une forme de sérénité.
«Au commencement, je ne sais rien du son de ton corps qui éclate en touchant l’eau. Au commencement, il y a le soleil dans tes cheveux. Et ça fait un mal fou dans la tête, la joie.» (p.94)
Il est possible alors de donner une nouvelle direction à la vie. La fin devient un recommencement.
Une écriture d’une densité qui laisse muet. Un souffle qui vous tient à la limite du supportable, de la douleur et de la beauté. Un roman comme un frémissement,  de la première à la dernière phrase.

«Joies» d’Anne Guilbault est paru chez XYZ Éditeur.

dimanche 1 février 2009

Neil Bissoondath s'attaque aux mensonges

 Qui n’a pas un petit secret qu’il refuse de livrer en public? «Les secrets font tourner le monde: si tout se savait, le monde s’effondrerait», affirme Alec, le personnage masculin de Neil Bissoondath dans «Cartes postales de l’enfer». Il justifie ainsi les mensonges et les fausses représentations qui marquent sa vie.
Toutes les sociétés cultivent les secrets. Ils sont protégés par des décrets et des lois, justifiant des comportements et des actions souvent inacceptables. Ces mensonges refont souvent surface, beaucoup plus tard, quand ils ne peuvent plus nuire aux protagonistes. Ils survivent aux acteurs qui les ont constitués et le travail des historiens, d’une certaine façon, est de faire la lumière sur des décisions privées qui ont marqué le destin d’une nation ou des peuples. L’actualité présente des sociétés financières où le mensonge et la tricherie ont rapporté des milliards à leurs auteurs. Pensons à Nortel et à toutes les cachotteries militaires.
Certaines tragédies couvent pendant des vies. Elles nichent dans des familles que rien ne distingue des autres. Des gens exemplaires, des modèles. Et puis tout est lancé sur la place publique lors d’un procès pour agression sexuelle ou inceste. L’inavouable fait les manchettes. Que ce soit vrai ou faux, des vies volent en éclats, brisent les individus, surtout les victimes.

Vérité ou mensonge

Alec, dans «Cartes postales de l’enfer», joue à l’homosexuel pour plaire à ses clients et réussir comme décorateur. Le succès matériel vient rapidement le combler. Le mensonge est très lucratif dans son cas. Il dirige sa double vie en artiste, se paie des «aventures physiques» avec des prostituées, garde les deux volets de sa vie parfaitement étanche. Personne ne sait, personne ne doit savoir, pas même ses parents et ses plus proches collaborateurs.
Sumintra, fille unique d’une famille d’origine indienne, est plus convaincante que ce parvenu d’Alec. Elle est poussée vers une double vie par ses origines. Elle illustre parfaitement le drame des enfants qui naissent dans des familles d’immigrants qui font tout pour maintenir des coutumes qui perdent leur sens dans leur pays nouveau pays. Sumintra reste une bonne fille avec ses parents traditionalistes, ne contestant pas vraiment les manœuvres de son père et de sa mère qui veulent la voir épouser un fils de bonne famille.
«Les garçons qui s’appellent John, David ou Andy – ou même Kelly – représentent une menace. Contrairement aux Ranjit, aux Ashok ou aux Yogendra, ils sont synonymes d’annihilation. Comme la rotondité de la Terre, la pureté du Gange et la sainteté de Krishna, c’est un sujet tabou, une vérité incontestable.» (p.93)
Ils survivent dans un ghetto et leur fille, résolument moderne, rêve la vie des jeunes de son âge. Le spectre des secrets peut aussi aller de l’anodin petit vice de son père jusqu’à une vie qui ouvre les portes à la schizophrénie.
«La cigarette, c’est un secret entre Sumintra et lui, son seul vice, sa façon d’apaiser la douleur de sa situation d’ingénieur civil dont les diplômes et l’expérience, à son arrivée au pays, se sont révélés si inutiles qu’il a dû, pour soutenir sa famille, se résoudre à vendre des sandwichs à bord d’une fourgonnette.» (p.92)
Sumintra doit rompre avec sa famille ou continuer à faire semblant. Son secret devient existentiel et dépasse l’opportunisme d’Alec. Elle est coincée entre deux mondes, deux façons de faire et de voir la vie. Le drame qui rattrape tous les enfants d’immigrants.

Passion amoureuse

Sumintra et Alec vivent une folle passion amoureuse. Ils accumulent les mensonges, les rendez-vous clandestins, mais la réalité finit par les rejoindre. On n’attise pas les feux de l’amour sans qu’une certaine vérité ne s’impose. Il faut une forme de franchise dans l’intimité pour que le quotidien devienne possible.
Et pourquoi ment-on? Par opportunisme, par faiblesse ou pour éviter de faire mal à des proches? Comment démêler les bonnes raisons de mentir et les mauvaises? Il faut admettre que nous vivons tous un peu en porte-à-faux. Il y a toujours un aspect de soi que personne ne doit connaître.
Neil Bissoondath décrit les grands et petits mensonges que l’on invente pour soi et les autres. J’avoue avoir préféré les tourments de Sumintra à ceux d’Alec. Le personnage est plus solide, plus vrai et moins superficiel. «Cartes postales de l’enfer» touche un sujet qui mine nos sociétés faites d’images et de fausses vérités. La question demeure: jusqu’où devons-nous aller et quelle est la limite à ne pas dépasser. Le président des Etats-Unis, Barack Obama, semble vouloir redéfinir cette démarcation.

«Cartes postales de l’enfer» de Neil Bissoondath est paru chez Boréal Éditeur. 
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/neil-bissoondath-690.html

dimanche 25 janvier 2009

Le Mal a-t-il étendu son emprise sur le monde?

Avec la Révolution tranquille au Québec, plus personne ne croyait à la survie du conte et de l’oralité. La population fonçait vers la modernité et tournait le dos à un univers où revenants, géants, sorciers et lutins en menaient large.
En migrant massivement vers la ville, les Québécois abandonnaient récits et contes derrière eux. Ils ne voulaient pas s’encombrer des relents d’une autre époque. Il a fallu des chercheurs comme Aurélien Boivin pour nous redonner nos racines dans certaines anthologies et des citadins audacieux pour redécouvrir les séductions de l’oralité.
André Hamelin, le fondateur des Éditions Planète rebelle qui se consacrent essentiellement au conte, avec quelques téméraires, ont exploré des univers, secoué une tradition qui semblait vouée à l’oubli. Plusieurs courants s’y croisèrent avec Jocelyn Bérubé, Michel Faubert, Fred Pellerin et Jean-Marc Massie.
Peu à peu, le conte retrouva son espace dans l’imaginaire québécois et les événements se sont multipliés, faisant courir les foules. Signalons le «Festival de contes et légendes du Saguenay-Lac-Saint-Jean» qui ne cesse de surprendre et d’envoyer conteurs et menteurs partout dans la région. Fred Pellerin est devenu la figure emblématique de ce renouveau. Le succès du film «Babine» constitue une belle revanche pour tous les conteurs du Québec.

Le temps des loups

Rares sont les écrivains qui s’aventurent sur le terrain du conte et de la légende. C’est pourquoi il faut signaler «Vargöld», ce roman au titre étrange de Jacques Lazure. Le lecteur croirait plonger dans une histoire se déroulant dans un pays scandinave.
Nous sommes au Québec pourtant, en 1828. Un jeune abbé, enseignant au séminaire de Montréal, pratique des exorcismes, ces rituels minutieusement encadrés qui parviennent à chasser les démons qui ont pris possession des hommes et des femmes.
Cette spécialité fera en sorte qu’il soit envoyé en mission par son supérieur dans un chantier de l’Outaouais où anglophones et francophones se côtoient, où un meurtre sauvage que personne n’arrive à expliquer est survenu, Tous affirment que le Diable a pris possession de la forêt. En plus, impossible de retrouver les jambes du mort.
Il faut exorciser le camp, chasser les démons avec de l’eau bénite pour que tout revienne à la normale. Une petite excursion de quelques jours croit l’abbé Verreau qui consent à contrecœur à effectuer ce voyage en forêt.

Fantasmes

Peu à peu nous glissions dans un monde où réel et imaginaire se bousculent. Des scènes d’une violence effroyable surgissent, des loups-garous apparaissent, des mutations surviennent, des diables prennent la forme des loups. L’abbé Verreau s’efforce de cerner le tout avec sa raison, même s’il plonge dans monde où les fantasmes qui traversent les esprits des hommes esseulés se matérialisent pour le pire. 
Le jeune abbé bascule dans une terrible expédition où il affrontera ses pulsions sexuelles et ses doutes. Il s’enfoncera dans un enfer où démons, diables, loups-garous, êtres mi-hommes et mi-bêtes se transforment, errent en cherchant une âme à se mettre sous la dent. Tout se confond, le bien et le mal, l’imaginaire et le réel.
«Antoine chancela, ferma les yeux. Trop d’images le frappaient, le provoquaient, l’anéantissaient. Il avait des visions, encore des visions, toujours des visions. Mais cette fois, ce n’était pas le passé qu’il voyait, ce n’étaient pas les adorateurs de loups, les esprits malsains qui se manifestaient entre la Noël et l’Épiphanie. Non. C’était l’avenir, l’œuvre du démon absent, l’œuvre du Mal en l’homme, l’œuvre de l’homme rendant vivant le Diable.» (p.425)
Antoine Verreau retrouvera le monde civilisé, seul survivant de cette terrible aventure, après avoir perdu son équilibre mental.

Le règne du mal

Faut avoir le cœur solide pour traverser cette épopée étrange où les rebondissements sanglants se bousculent. Le lecteur réchappe de cette lecture en se demandant si Jacques Lazure n’a pas raison. Encore une fois le conte réussit à démontrer, aujourd’hui comme hier, que le pire ennemi de l’homme reste l’homme. Le Mal n’est plus refoulé dans des temps anciens pour rassurer l’auditeur. Le bien échoue dans sa mission. Le Malin s’approprie le présent, s’accapare du futur pour guider les actes des humains.
Comment expliquer autrement la présidence de Georges W. Bush, la poussée sanguinaire d’Israël dans la bande de Gaza, l’Irak, l’Afghanistan et ces conflits où des populations entières sont massacrées comme rarement on l’a fait dans l’histoire.

«Vargöld, Le temps des loups» de Jacques Lazure est paru chez VLB Éditeur.

dimanche 18 janvier 2009

L’identité porte plusieurs œuvres québécoises

La lecture de «Mon pays métis», l’essai de John Saul à peine terminée, je plongeais dans «Le fin fond de l’histoire» d’Andrée Laberge. Ce roman suit «La rivière du loup», un ouvrage qui permettait à l’écrivaine de Québec de rafler le prix du Gouverneur général en 2006 et de flirter avec plusieurs prix littéraires prestigieux. Une plongée dans un univers trouble où un fils et un père se confrontent sans jamais se quitter. Un lien filial que rien ne peut briser, pas même les interventions de la société bien pensante. 
Si John Saul affirme que les Canadiens nient leur ascendance métisse dans son dernier ouvrage, Andrée Laberge, elle, entraîne le lecteur dans la ville de Québec, présente des personnages qui cherchent un ancrage qui mettrait fin à leur errance identitaire.
Une jeune femme fouille ses origines. Malgré toutes les négations de sa mère, elle possède des traits amérindiens qui ne mentent pas. Cette mère, au bout de son âge, réalise qu’elle a été flouée par les fables de l’Église catholique. Elle entend tout changer avant qu’il ne soit trop tard. Un itinérant lui donne la réplique dans un chant d’amour improbable, empruntant les mots du «Cantique des cantiques», ce poème d’amour et de sensualité biblique. Un infirmier, orphelin sans lien de famille, éprouve une compassion démesurée pour ses patientes âgées, ce qui ne manque pas de lui attirer bien des embêtements. Le tout sur fond d’affrontements violents entre policiers et manifestants lors de la tenue du Sommet des Amériques à Québec. La capitale nationale est alors une ville occupée où les déplacements sont surveillés et contrôlés.

Débat politique


La question identitaire hante le monde politique québécois depuis des siècles. Après deux référendums, les Québécois hésitent entre l’idée de faire du Québec un pays et le vaste territoire canadien où se mélangent les cultures. Si John Saul effleure cette réalité dans son essai, il se garde bien d’aller au bout de ce questionnement. Son «grand cercle inclusif», l’idéal canadien d’obédience autochtone qui le fascine, aurait vite fait de broyer les minorités et de les assimiler. Dans la réalité, il y a toujours polarisation. Les majorités imposent toujours leur culture aux minorités plus vulnérables.
Cette question, plusieurs écrivains l’ont fouillée. Ying Chen, une écrivaine d’origine chinoise, ira jusqu’à nier ses origines. Dany Laferrière en fait la trame de fond de «Je suis un écrivain japonais». Pensons aussi à Sergio Kokis, à son personnage ballotté entre l’enfance et un présent instable dans «Le retour de Lorenzo Sanchez». Daniel Castillo Durante, dans «Un café dans le Sud», nous décrit un fils tiraillé entre une vie qu’il a construite en s’installant au Québec et l’autre, celle qu’il a quittée, pensant l’oublier à jamais.
Louis Hamelin dans «Le joueur de flûte» suit Ti-Luc Blouin, un jeune homme instable qui part à la recherche de son père sur la côte ouest. Dans «Cowboy», Blancs et Autochtones se côtoient pour le meilleur et le pire, illustrant une cohabitation difficile sous plusieurs aspects, contredisant les propos de Saul.

Une constance

La question de l’identité continue d’imprégner l’univers de plusieurs écrivains. Certains la placent au cœur même de leur projet d’écriture. Victor-Lévy Beaulieu étonne avec des personnages mutilés et handicapés qui illustrent de façon pathétique cette question. Tous sont victimes de cette incapacité à se doter d’un pays. Le pays rêvé adviendra peut-être avec le geste de ces mutilés qui prennent d’assaut l’Assemblée nationale à la fin de «La grande tribu», menés par Bowling Jack.
Et comment expliquer l’omniprésence de l’enfant dans notre littérature sinon par cette carence? Il faut se tourner vers cette question d’identité, d’incapacité à s’ancrer dans la société, de perte d’innocence pour comprendre le refus de vieillir de Bérénice dans «L’avalée des avalés» de Réjean Ducharme.
Dans «Le fin fond de l’histoire», Andrée Laberge présente un roman exigeant où forme et sujet se confondent. Les personnages se bousculent sans pouvoir emprunter une même direction, comme s’ils étaient marqués à jamais par cette carence identitaire qui a fissuré leur vie. Le puzzle est fascinant, l’écriture complexe, mais le lecteur s’attache à ces figures, particulièrement à cette vieille femme qui se croit enceinte et s’invente un amour d’adolescente pour tout recommencer, même si le corps flanche.

«Le fin fond de l’histoire» d’Andrée Laberge est paru chez XYZ Éditeur. 
http://www.editionsxyz.com/auteur/196.html

dimanche 11 janvier 2009

Le Canada nie son passé, affirme John Saul

Le Canada, sa façon de faire et ses relations avec les autres puissances de la Planète, préoccupe John Saul depuis longtemps. «Réflexions d’un frère siamois», un ouvrage paru en 1998, amorçait cette longue démarche. Le Canada depuis, il l’a parcouru d’est en ouest et du nord au sud pour se forger une vision originale et surprenante qu’il livre dans «Mon pays métis, quelques vérités sur le Canada».
D’après l’essayiste, la société canadienne est écartelée entre deux approches depuis la Confédération de 1867. L’une souhaite un État monolithique de type européen et l’autre, proche de la pensée autochtone, est plus inclusive et ouverte. La domination de la première approche constitue la source de tous les problèmes depuis une vingtaine d’années.

Le Canada trouverait sa personnalité et son originalité en prenant ses distances avec les États européens et les États-Unis. Jusqu’à la Confédération de 1867, le pays était largement influencé par la philosophie des autochtones qui concevaient «la société comme un cercle inclusif… où toutes les parties devraient être en mesure d’en profiter.» (p.66)
Cette approche a permis d’esquisser un pays accueillant pour les nouveaux arrivants qui deviennent de «vrais citoyens» rapidement. Et ce malgré bien des conflits, des essais et des négociations.

Métis ou pas

Il serait terriblement périlleux d’affirmer que la pensée des Autochtones n’a eu aucune influence sur les comportements des Canadiens d’origine française ou anglaise, le contraire serait étonnant. Peut-on affirmer pour autant que les Canadiens sont tous des Métis? John Saul dans «Mon pays métis» va à l’encontre de tout ce que nous connaissons de l’histoire canadienne. Peu d’historiens ont réussi à démontrer que la population canadienne était un mélange d’Autochtones et d’Européens. Saul révèle là le secret le mieux caché de notre histoire.
Le Canada de John Saul trouverait sa force et sa vitalité dans cette réalité que nous nions ou ignorons. Nos penchants pour la paix, la négociation, le dialogue et les «ajustements perpétuels» que nécessitent la Confédération trouvent leurs origines dans la pensée des Premières nations. En niant ce fait, le pays se coupe de ses racines et risque de s’effriter.

Trahison

Dans la seconde partie de son essai, l’auteur frappe fort et juste, pourfend l’élite canadienne qui démantèle le pays en offrant ses entreprises aux intérêts étrangers. Il multiplie les exemples, dont celle d’Alcan, avalée par Rio Tinto.
«La liquidation d’Alcan, lourde de répercussions pour Montréal comme centre d’affaires, a valu 42 millions de dollars à son PDG. Les cadres du noyau administratif vont toucher 800 millions de dollars.» (p.210)
Adieu siège social et influence sur les décisions administratives. Désormais, tout se règle ailleurs. John Saul parle de «trahison» et les politiciens de toutes les tendances en prennent pour leur rhume.
«Dans l’affaire Alcan, beaucoup de chefs d’entreprise et de hauts fonctionnaires canadiens ont déchiré leur chemise en coulisse, mais personne n’a osé protester en public. Ni le gouvernement canadien ni le gouvernement fédéraliste du Québec n’ont semblé réaliser complètement que l’on usurpait une partie de leurs pouvoirs. Les partis souverainistes du Québec, obnubilés par leur vision romantique du pouvoir politique et leur dévouement au libre-échange comme instrument de sécession, semblent incapables de saisir le fonctionnement réel du pouvoir économique qui leur file sous le nez.» (p.214)
Relance

L’auteur de «Mort de la globalisation», un essai percutant sur l’utopie commerciale internationale, se promène allégrement dans les sphères de la société, écorche Brian Mulroney, Conrad Black, Stephen Harper sans jamais le nommer et toute la classe dirigeante. L’essayiste affirme qu’il est encore temps d’agir, de repenser l’immigration, la politique du Nord, notre regard sur l’environnement, de reconnaître les nations autochtones, de réformer l’éducation, le système de soins de santé et de mettre fin au bradage des entreprises. Le Canada ne pourra survivre qu’en retrouvant cette pensée métisse.
«Nous ne sommes pas un prolongement du modèle européen. Nous avons toujours été et sommes encore un projet expérimental. Nous avons de profondes racines, grâce à l’influence des Autochtones et à leurs propres liens, encore plus étroits que les nôtres, avec ce lieu.» (p.276)
Je ne sais si les politiciens d’Ottawa et du Québec s’attarderont à cet essai, mais ils auraient avantage à le lire, ne serait-ce que pour questionner leurs façons de gérer le puzzle canadien. Que l’on soit souverainiste ou fédéraliste, il y a matière à réflexion et à débats.

«Mon pays métis, quelques vérités sur le Canada» de John Saul est édité par les Éditions du Boréal.

dimanche 4 janvier 2009

La famille préoccupe toujours les écrivains

On pourrait croire, après ma chronique où je m’attardais aux écrivaines Sophie Bouchard et Anick Fortin que la famille a déserté à jamais le champ littéraire du Québec; que ce sujet n’intéresse plus personne avec les séparations fréquentes et les unions libres qui ont transformé la société en cinquante ans. Même si certains illustrent la solitude et l’incapacité à établir une relation de couple, la famille traditionnelle et reconstituée reste une source d’inspiration pour toutes les générations. 
Marie-Claire Blais, dans ses derniers ouvrages, suit des réseaux qui se nouent et se défont dans une société de plus en plus métissée. Des individus s’aident à vivre ou se perdent dans cette grande fresque qui débutait avec «Soifs» pour déboucher sur la «Naissance de Rebecca à l’ère des tourments». La famille décrite dans «Une saison dans la vie d’Emmanuel» n’est plus qu’un souvenir.
Nous effleurons là un fil conducteur important chez Victor-Lévy Beaulieu. Les relations tordues et incestueuses des enfants de la famille Beauchemin se mélangent dans quasi tous ses ouvrages, donnant une lumière particulière à une œuvre touffue où le pire comme le meilleur surgissent.
De jeunes écrivains s’intéressent à ces liens qui subsistent entre les individus expulsés des familles éclatées. Stéfani Meunier, dans «Et je te demanderai la mer», présente des hommes et des femmes qui se retrouvent, s’aident, créent des liens étonnants et originaux. Avec l’aide des enfants, les adultes oublient leur «moi» et se redressent. Signalons l’univers étrange de Gaétan Soucy dans «La petite fille qui aimait trop les allumettes» et ces figures interchangeables qui scandent leur vie dans «Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard. Jocelyne Saucier dans «Les héritiers de la mine» et «Jeanne sur les routes» décrit elle aussi des liens parentaux singuliers. Marie-Sissi Labrèche illustre de façon remarquable une famille dysfonctionnelle dans «Borderline».

Le monde de Maryse

Francine Noël, en 1984, nous entraînait dans l’univers de Maryse O’Sullivan, l’une des figures les plus attachantes de la littérature québécoise. François Ladouceur pensait changer la société en oubliant de le faire dans sa vie privée. Ce roman s’attardait à une réalité nouvelle. La famille contemporaine doit permettre à chacun de s’épanouir. L’autorité matriarcale ou patriarcale qui sévissait depuis des siècles tombait en désuétude, était remplacée par un clan élargi où, malgré la fin des passions amoureuses, des liens résistent.
Francine Noël revient régulièrement à sa tribu depuis «Maryse» qui a connu un beau succès. En 1987, elle ajoutait une page à cette aventure contemporaine dans «Myriam première». Dix ans plus tard, les lecteurs retrouvaient Maryse O’Sullivan dans «La conjuration des bâtards», une plongée au coeur de la question environnementale. Le terrorisme y est illustré de façon dramatique, deux ans avant l’attaque des tours de New York en 2001. Une réalité où des groupuscules transportent la guerre dans les autobus, les trains, les gares ou les quartiers commerciaux pour faire le plus grand nombre de victimes. Dans cette œuvre touffue, ambitieuse et multiforme, Francine Noël aborde ce sujet de façon remarquable et présente les séquelles de cette violence aveugle dans «J’ai l’angoisse légère», le dernier volet de sa saga.
Le clan

Dans cette récente parution de Francine Noël, François Ladouceur est écrivain et vit mal le succès. Maryse O’Sullivan a été tuée dans un attentat terroriste au Mexique, il y a cinq ans. Myriam vit sa vie de comédienne et Marité et Elvire s’occupent des leurs. Tibodo, Félix et Vincent se débattent dans leur quotidien pendant que Garance, une artiste inventive, rôde autour du clan. Elle n’arrive pas à retenir les hommes qu’elle aime et trouve «un peu d’humanité» dans ce réseau qui allège sa solitude. L’esprit de groupe, de partage et d’amitiés constitue l’essence des oeuvres de Francine Noël. Un univers profondément humain qui distille le bonheur malgré les pires épreuves. Ses romans décrivent une nouvelle famille qui ne cesse de changer selon les avatars de la vie. Madame Noël sculpte ses romans avec finesse et elle s’y montre une conteuse remarquable.
Le sujet n’a certainement pas fini d’inspirer les créateurs de tous les âges, autant au cinéma – pensons à C.R.A.Z.Y - qu’en fiction et d’explorer des avenues étonnantes et originales.

«J’ai l’angoisse légère» de Francine Noël est paru chez Leméac Éditeur.