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jeudi 2 juin 2005

Francine Noël rend hommage à sa mère


«Maryse» et «Myriam première» de Francine Noël sont de véritables fresques. «La conjuration des bâtards», un roman unique dans la géographie littéraire québécoise, n’a pas eu la reconnaissance qu’il méritait. Les esprits chagrins, qui cherchent la grande oeuvre du Québec, devraient lire cet ouvrage paru en 1999. Un souffle qui questionne la crise de civilisation qui marque les années 2000. Un roman actuel, d’une richesse et d’un foisonnement que peu d’écrivains d’ici ont atteint.

Francine Noël vient de publier «La femme de ma vie», un récit. Au début, on se croirait devant une aquarelle. Des points de repère, une image floue qui devient un portrait de plus en plus précis même s'il reste toujours des coins d'ombre dans ce genre d’écrit.
Francine Noël a eu une mère-célibataire avant que le mot ne devienne familier. Jeanne Pelletier s'est occupée seule de sa fille, a dû gagner sa vie avec une énergie et une volonté remarquables, incapable qu’elle était de compter sur son Paul.
«Officiellement, il habitait avec nous, mais il pouvait s'absenter pendant des semaines. Sans donner de raison. Il parlait peu. Il dormait le jour, et la nuit, il stagnait dans la cuisine devant une tasse de café et une pile de «rouleuses». C'est l'image la plus claire que j'ai de lui. Quand je me levais pour lire, il était là, immobile et silencieux. Rassurant, en un sens.» (p.17)
Une famille pas comme les autres, réduite à une mère besogneuse qui a sa vie, ses secrets et ses passions. Il y a bien la famille élargie, celle qu’elle voit peu et qui habite le pays mythique de Cacouna. Naturellement, l'écrivaine éventre des secrets, ouvre des armoires. C’est le propre et l’exigence du récit.
«Elle avait une voix de soprano léger, agréable mais sans puissance, au registre peu étendu, pas assez pour chanter la plupart des airs d'opéra, ce qu'elle regrettait au point d'en être mortifiée. Elle interprétait tout avec fougue et aimait le mode majeur et les accords vibrants. Elle jouait pour elle-même, par plaisir, pour se perdre. Immobile sur le divan, je laissais sa musique déferler sur moi et me pénétrer.» (p.21)

L'enfant

La petite fille devient adolescente et fouine du côté Pelletier de Cacouna que Jeanne décrit en dissimulant de grands pans de son histoire. Le grand-père Horace commerçait l'alcool et les oncles buvaient à en crever. Des hommes violents, têtus qui échappaient à toutes les règles. Le lecteur accompagne la fille dans sa quête de vérité et d’identité.
«Mais ce qu'elle m'a légué de plus fort, c'est le verbe. J'ai attrapé son amour des histoires. Enfant, j'ai vécu dans les siennes et elles ne m'ont jamais quittée. Je connais des tas de gens dont l'enfance est un trou noir ou une série de secrets non compensés par un roman familial consistant. J'ai pu m'arrimer à celui que ma mère m'a façonné car il était riche.» (p. 162)
Un récit émouvant qui nous décrit une femme qui a emprunté des sentiers peu connus et qui a marqué profondément l'écrivaine qu'est Francine Noël.
Peut-être aussi qu'à la lecture de «La femme de ma vie», on comprend pourquoi Mme Noël s'attache, dans ses romans, aux tribus. Peut-être qu'elle a inventé la famille qu'elle n'a jamais eue avec les mots. En tentant de cerner le visage de sa mère, ce sont de grands espaces de sa vie qu'elle esquisse.
Une narration d'une franchise remarquable, une écriture ajustée au quart de tour, un récit sobre qui donne un éclairage nouveau à une oeuvre romanesque imposante qui a secoué nombre de lecteurs au Québec.

«La femme de ma vie» de Francine Noël est paru aux Éditions Leméac.

mercredi 1 juin 2005

Nicole Houde réussit un roman éblouissant

Nicole Houde étourdit par la densité de l'oeuvre qu'elle échafaude, roman après roman, page après page. Son dernier opus, «La Fiancée de God», reprend le questionnement de Germaine Guèvremont, dans «Le Survenant» ou «La Héronnière» de Lise Tremblay.
Mais Nicole Houde pousse jusqu'à ce que tout explose dans un «Big Bang existentiel» qui fait jaillir un être nouveau ou le pulvérise.
«Moi aussi, je dérange, je suis la femme par qui le changement social arrive dans ce village bordé par la baie des Chaleurs.» (p.7)
Martine, volontaire de la Compagnie des jeunes canadiens, travaille à implanter un comptoir alimentaire dans un village d'Acadie. Elle vit avec Marc, son mari, sa soif incommensurable, ses angoisses et ses rêves de refaire le monde. Elle s'intègre peu ou pas à la vie du village. Peut-on percer un milieu tricoté par des alliances, des secrets inavouables, des parentés qui créent un tricot à peu près impossible à défaire. Martine boit, Martine a toujours soif, Martine se saoule devant la mer. Elle aime Paul Godin, père de quelques enfants. Un amour animal, tellurique comme un soulèvement d'être. «Je suis une bête m'enfonçant dans son ventre jusqu'à la fin des temps, c'est effrayant et magnifique quand le soleil se déchire encore une fois dans mon ventre de bête, d'ange obscur.» (p.24)
La trame des grands drames dont Nicole Houle a le secret est là.

Deux êtres

Martine porte ses morts. Sa soeur, tuée un matin d'été à cause d'un papillon et d'une voiture folle, son père et sa mère retrouvés dans des chambres anonymes. L'un mort d'avoir bu et l'autre d'un excès de médicaments. Des crevasses impossibles à colmater. Martine puise là son envie des changements, sa volonté de remodeler l’univers. Un combat contre ses démons et ceux du village.
«Un village, ça surveille votre vie, ça veut tellement votre bien que ça risque de vous tuer.» (p.14)
Nicole Houde hante les espaces du Bas-Saguenay, les pulsions incontrôlables, celles de «La Maison du Remous» ou d'une «Folie sans lendemain». Le passé blesse, casse les êtres ou les pousse dans les pires extravagances. Deux êtres qui se combattent et s'affrontent. Celui marqué par les stigmates de l'enfance, l'héritage familial et l'autre, le contemporain qui se noie dans ses errances.

Pierres précieuses

Un roman parsemé de diamants, d'opales, de tourmalines, de topazes et de pierres précieuses, d'éblouissements et de ravissements. Tout l'art de Nicole Houde est là. Cette façon d'effleurer le pire dans un style à nul autre comparable.
Les héros de Nicole Houde vivent dans l'angoisse de sombrer dans une «folie sans lendemain» d'où personne ne réchappe. Un roman souvent époustouflant et magnifique. Des pages comme des camées.
«La Fiancée de God» témoigne de la quête d'une écrivaine unique dans sa manière d'animer les choses et les êtres. Avec elle, le lecteur vit une expérience malgré la dureté des propos. On en réchappe ébranlé. Toujours! Les romans houdiens nous plonge dans un faisceau de pulsions, de désirs qui heurtent de plein fouet. Du grand art! Il serait peut-être temps de reconnaître en Nicole Houde, l'une des plus grandes du Québec.

«La Fiancée de God» de Nicole Houde, Éditions est publié aux Éditions de la Pleine lune.

dimanche 15 mai 2005

Françoise Tremblay bouscule les tabous


Après ses premiers pas avec «L’Office des Ténèbres» en 1995, un recueil de nouvelles percutantes et dérangeantes, Françoise Tremblay plongeait dans le genre romanesque aux Éditions Trois-Pistoles. «Souvenirs de Carthage», paru en 2003, même s'il n'a pas pris d’assaut les palmarès, a été bien reçu. L'auteure originaire de Saint-Edmond-les-Plaines, au Lac-Saint-Jean, récidive avec «Les Nocturnes», un roman-puzzle qui met en scène deux hommes et deux femmes. Comme si elle avait choisi ce titre pour nous présenter des «musiques de nuit» aux accents douloureux.
Le groupe des «A», Alexis et André, jouent dans un petit «band». André, fils d'émigrants persécutés et pourchassés, est un être discret, peu sûr de lui, solitaire, dominé par une mère qui, même si elle est au Québec, vit comme si elle avait le monde à ses trousses.
Alexis, tout le contraire, est instable et irresponsable. Ce coureur s'est laissé piéger par la vie de famille. Les  «M», Margot et Marie, passent et viennent dans leur vie.
Magot scrute des chiffres à la banque en surveillant André et en rêvant d’amour. Marie devient danseuse nue. Il suffit d'un regard, d’une rencontre pour que jaillissent les étincelles. Cette fille carbure à la haine et allume les hommes avec un plaisir sadique. Un personnage original, troublant, vulnérable et explosif comme de la nitroglycérine.
«Devant des yeux affamés, je sens mon corps dans toute sa plénitude. Je brille comme une pleine lune. Mes pieds sont des racines enfoncées dans la terre. Mes yeux sont des phares éclairant l’océan. Mon sexe est une centrale nucléaire.» (p.51)

Des papillons

Tous vivent comme des papillons qui se jettent dans les flammes pour se brûler les ailes et l’âme; tous cherchent l'amour et la passion, à casser cette solitude qui étouffe tout le
Françoise Tremblay construit son roman tel un puzzle. Nous passons d'un personnage à l'autre, scrutons les différentes facettes de cet étrange quatuor. Chacun présente un solo qui pousse la mélodie un peu plus loin. Une trame narrative qui se construit comme une suite de récitatifs ou de monologues qui nous font culbuter dans le drame.
«Je suis un rat. Marie avait raison. Un rat. Je suis de la race qui survit aux cataclysmes et qui s’adapte à toutes les situations sans jamais renoncer à rien. Ni bon, ni méchant. Petit, simplement. Sans envergure. Un rat. Je ne vaux rien et pourtant je continue à vivre.» (p.224)
Françoise Tremblay aime les situations tordues, les points de rupture. La tension monte et pointe l'irréparable. Les personnages se retrouvent dans une sorte de huis clos où ils doivent mordre pour survivre. Un peu comme dans «Souvernirs de Carthage». Un roman qui dévoile les aspects les plus inquiétants des hommes et des femmes.
Un bonheur de lecture malgré la dureté du propos. Françoise Tremblay maîtrise particulièrement bien son écriture. Toujours précis, vivant et bien mené. Des personnages qui sortent des sentiers battus et hantent le lecteur longtemps après avoir tourné la dernière page. Une belle réussite! Sans bavure!

«Les Nocturnes» de Françoise Tremblay est paru aux Éditions Trois-Pistoles. 

Caroline Paquin raconte tout de sa vie

Oui c’est maladroit, souvent répétitif, redondant mais des bulles éclatent ici et là, douloureuses et belles de vérité et de vie. Il fallait s’y attendre. Caroline Paquin a prévenu le lecteur. Pas question dans «La chambre vide» de basculer dans les fioritures et les figures imposées.
«Des pages entières griffonnées à la hâte. Pour une fois, des répétitions, des fautes, des mauvaises métaphores, une absence totale de style. Une seule règle prime: l’urgence de dire. Pas la force de me relire. Juste le besoin violent de laisser sortir mon désespoir. On ne retravaille pas un cri de détresse.» (p.64)
Les hurlements ne sont jamais harmonieux, à moins de tout trafiquer et d’édulcorer.
Caroline Paquin tente ici de juguler sa douleur, sa peine immense comme le monde, la culpabilité et la honte qui risquent de la broyer. Comment accepter que l’enfant que l’on entendait depuis des mois ne survive pas!

Perte

Le récit de Caroline Paquin plonge le lecteur dans cet accouchement interminable, ce moment terrible où elle se retrouve avec le corps de son enfant mort dans les bras. Le don de la vie s’est fait acte de mort.
«Rien ne s’effacera. Je suis une vivante immobile, à l’état végétatif, qui respire et s’enracine dans un même et seul espace limité pour ne rien oublier.» (p.101)
Bien sûr, je n’ai guère l’habitude de fréquenter ce genre de témoignage, surtout que les lectures suggérées à la fin s’étalent sur plusieurs pages. De quoi inquiéter. L’idée de plonger dans un guide, un manuel de psychologie infantilisante ne m’a jamais attiré. Mais il y a plus ici. Caroline Paquin, tout en crachant sa peine, déchire des pages de sa vie familiale, dessine un père qui a quitté sa femme et ses enfants, une mère brisée et geignarde. Surtout, elle a le courage de secouer sa relation avec Pierre, son compagnon, le meilleur curriculum en ville pour être papa.
«On parle à Pierre aussi. Je l’observe, cet homme qui néglige sa propre peine pour s’occuper de celle d’autrui. Attentif, il écoute chacun bafouiller une maladresse après l’autre. D’où lui viennent-elles, cette patience et cette tendresse qu’il témoigne à ceux qui ne comprennent rien à rien ? Et j’ai honte, tout à coup, de ne pas arriver à aimer un être si aimable.» (p.65)
Toutes les étapes du deuil sont visitées, avec la volonté de triompher de la mort, de trouver un sens à la vie, de tenter l’aventure ailleurs et peut-être de tout recommencer.

Le drame

Douze chapitres coiffés d’un titre où le mot «chambre» apparaît comme le fil qui permettra de fuir le labyrinthe. Des citations d’écrivains aussi, des points d’ancrage. Peut-être qu’il faut franchir des espaces pour s’éloigner du drame. L’auteure, à la fin, au Chili comme pour s’installer en marge de sa vie, exprime sa confiance à un homme. Et peut-être aussi qu’elle parviendra à s’inventer un autre enfant qui profitera d’un grand bout d’avenir. Comment demeurer insensible devant un récit d’une si formidable franchise.
«Ainsi, pour la première fois, je vais d’abord goûter à l’amour, au risque de le  perdre. Je vais prendre le temps de le construire, cet amour, au risque de le perdre. Et j’aurai peut-être ensuite, avec cet homme que j’aie parce que, pour la première fois, je n’ai pas peur d’aimer, un enfant, que j’aimerai autant que toi, au risque de le perdre.» (p.142)
Caroline Paquin montre sa passion pour les mots, démontre son véritable tempérament d’écrivain. Quand elle aura le temps de s’attarder, de peaufiner son écriture pour nous entraîner dans des romans qu’elle écrit «pour calmer sa profonde angoisse existentielle», elle pourrait surprendre.
Des pages touchantes qui explorent de l’intérieur un drame peu connu, celui de ces parents qui, en voulant donner la vie, retrouvent le visage de la mort.
Caroline Paquin, native de Chicoutimi, a remporté le Prix Abitibi Consolidated «Découverte de l’année 2004» du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean avec un premier roman intitulé «Trop de lumière».

«La chambre vide» de Caroline Paquin est publié aux Éditions de Mortagne.

samedi 14 mai 2005

Marité Villeneuve vit la maladie de sa mère

«C'est un livre pour aider à mieux comprendre ce que vivent les personnes âgées. Tout ce qu'on perd en vieillissant parfois. Tout ce dont il faut se détacher. Les maisons que l'on quitte...» (p.146)
«Je veux rentrer chez moi», permet au lecteur de confronter une maladie dont peu de gens parlent. Alzheimer est un mot qui fait frémir. La mère de l'auteure a été touchée par cette maladie comme beaucoup de gens au Québec. Le plus célèbre aura peut-être été le cinéaste Claude Jutra. Marité Villeneuve, écrivaine et psychologue native de Jonquière, dans ce journal touchant, émouvant et particulièrement juste, nous plonge dans une aventure pas comme les autres.
De novembre 1998 à mai 2004, elle a accompagné sa mère, a vécu les différentes étapes de cette maladie qui pousse l'être dans un véritable trou noir. Des premiers symptômes à la fin. L'écrivaine, dans des carnets rédigés au jour le jour, nous fait vivre cette rencontre ou cette confrontation.
«Pendant cinq ans, j'ai donc tenu un journal. Au départ, je voulais surtout essayer de comprendre l'univers intérieur d'une personne dite «atteinte», témoigner de son combat quotidien pour conserver sa mémoire et sa dignité, et témoigner du vécu d'une accompagnante.» (p.10)

Lourde entreprise

Marité Villeneuve ne savait pas ce qui l’attendait quand elle a choisi d’accompagner sa mère. La plupart des gens se contentent de confier la «personne atteinte» à des spécialistes et de la suivre comme ils peuvent. Vivre la maladie de sa mère, au jour le jour, devenir son miroir peut s'avérer une tâche redoutable. Une décision qui demande du courage, de la patience, de l’empathie et surtout être capable de se «couper de l'émotion» pour ne pas être trop touché. On peut penser que la formation de psychologue de Marité Villeneuve l’aiderait. Et bien non! Il n’y a pas de préparation. Que faire devant sa mère qui ne reconnaît plus ses proches? L'auteure redevient une petite fille. Les émotions surgissent, des images, des mots et des bouts de phrases la plongent dans son enfance. Elle est rapidement confrontée à ses propres images et à ses blessures.
«Bref, ce cahier a été le lieu où je pouvais projeter ma détresse sans qu'elle ne paraisse trop lourde. J'emploie ici le mot détresse et me sens en même temps presque coupable. Comment oser parler de «ma» détresse quand ce n'est pas moi qui suis «atteinte». Mais je le suis peut-être également; peut-être l'aidant l'est-il aussi, pris malgré lui dans le filet de la «démence» (je déteste ce mot, mais il y a des jours où je n'en trouve pas d'autres). (p.83)

Réactions

Marité Villeneuve guette ses réactions face à la confusion, à la perte du langage, à l’incapacité de reconnaître ses proches, aux colères, à l’envie de fuir et à la honte. Son récit nous permet de franchir les différentes étapes jusqu'à la toute fin, de vivre le lent glissement qui pousse un homme ou une femme hors de soi.
Elle garde ce qu'il faut de distance pour nous faire comprendre la maladie et peut-être aider à mieux la vivre. Elle nous brosse les dernières années d'une femme admirable, d’une femme courageuse. C’est alors que le talent de l’écrivaine se manifeste. Un livre d'émotions, sensible et particulièrement juste.
Cela m'aura permis de mieux comprendre les derniers moments de certains de mes proches. Parce que, très souvent, la famille des personnes atteintes est gardée dans l'ignorance ou à l'extérieur d'un langage codé et accessible uniquement aux spécialistes.
Un récit qui deviendra une référence pour nombre d'accompagnants qui pourront mieux faire face à ce que vit une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer et comprendre ses réactions. Nécessaire!

«Je veux rentrer chez moi» de Marité Villeneuve a été édition aux Éditions Fidès.

dimanche 24 avril 2005

Françoise Tremblay écrit dans l'inquiétude

Françoise Tremblay est arrivée avec trente minutes d'avance. L’imprévu l'inquiète. Elle a surtout du mal à affronter la pression. Pourtant, quoi de plus naturel que de parler de son dernier roman, de son métier d'écrire qu'elle pratique depuis 1995.
Elle vient de publier «Les Nocturnes» aux Éditions Trois-Pistoles. Un roman de passion et d'excès. «C'est étrange, mais «L'Office des Ténèbres» m'a assommée. Je me suis mis une tonne de pression sur les épaules après la parution. J'imaginais que le monde attendait beaucoup de moi. Je suis comme cela. Je ne suis jamais sûre. C'est mon parcours peut-être. Je suis née dans une famille où l'écriture n'avait aucune importance. Et là, ils sont obligés d'acheter mes livres...», explique-t-elle.

Le mot «stress» revient dans ses propos. Elle cherche à éloigner tout ce qui peut l'inciter à écrire et à arriver à un résultat rapidement.
«Je travaille en théâtre, en gériatrie aussi. Ce n'est pas facile, mais ça va bien de ce côté. Il faut convaincre, travailler et arriver à céder aussi parce que nous ne pouvons faire mieux. C'est bon pour moi et j'adore le théâtre. Une vraie passion», dit-elle.

Sujet

Et puis son dernier roman est là avec des personnages familiers et étranges. «Je cherchais une idée. J'ai fouillé dans ma bibliothèque et je suis tombée sur cette histoire d'amour et de passion folle. C'est la trame de mon livre. Bien sûr j'ai brossé, j'ai travaillé, j'ai puisé dans mon environnement. Je pense que Margot me ressemble beaucoup», explique-t-elle.
Il y a aussi la lecture de «Cendres de cailloux» de Daniel Danis qui l'a bouleversée. Ce texte a donné la forme du roman.
«Ce fut plus facile cette fois. Peut-être parce que je n'avais pas à fouiller pour l'histoire. J'ai travaillé un an à peu près», raconte celle qui a du mal à écrire, qui se pose beaucoup de questions en route.

Superstitieuse

Françoise Tremblay hésite à parler d'une pièce de théâtre qu'elle a expédiée au Cendre d'essai des auteurs dramatiques. Elle penche vers la comédie, mais ne veut pas en dire plus. «Je suis superstitieuse et je n'aime pas parler de quelque chose qui n'est pas là vraiment. Ça n'existe pas et je ne veux pas me mettre de pression», ajoute-t-elle.
Françoise Tremblay raconte son départ de la région à 36 ans, de son retour aux études, en littérature, de sa vie à Montréal et du rêve qu'elle avait d'écrire mais qui semblait impossible quand elle était petite fille. «Je vis bien à Montréal. Je suis sauvage. Le théâtre et mon travail me permettent de rencontrer des gens». Françoise Tremblay sait qu'elle pourrait facilement se replier sur elle et ne plus bouger. «J'étais comme ça quand j'étais petite. On ne voyait personne dans notre rang de Saint-Edmond.»
Oui, elle va continuer à écrire même si l'hésitation, l'angoisse, les tourments seront toujours là. Et le théâtre... Elle sourit, hausse les épaules comme si c'était un rêve impossible. Pourtant tout est possible en création. Françoise Tremblay l'a démontré à plusieurs reprises.

«Les Nocturnes» de Françoise Tremblay est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

mercredi 20 avril 2005

Élisabeth Vonarburg a eu du mal à se retrouver

Élisabeth Vonarburg, en 1980, entrait en écriture. Elle ne cesse d'étonner depuis avec des romans, des nouvelles et des traductions. Elle demeure une dynamo en construisant une oeuvre solide, fascinante et originale.
Et voilà «La Reine de Mémoire», une histoire qui a pris des proportions imprévues, qui donnera quatre romans et plus de 2000 pages. Le projet a pris une telle ampleur que l'éditeur a dû retarder la parution du premier tome à quelques reprises.
«Trois fois j'ai repoussé la publication et mes lecteurs s'impatientaient. J'ai reçu des courriels», raconte Élisabeth Vonarburg dans son refuge de la rue Belleau à Chicoutimi. Un chat tacheté passe, indifférent à nos propos.
L'impression de vivre une scène du roman «La Maison d'Oubli». «Vous m'avez complètement contaminé», lance l'écrivaine en parlant des membres de l'Association professionnelle des écrivains de la Sagamie. Mme Vonarburg fait référence aux écrivains qui se laissent porter par leur histoire, des personnages qu'il faut suivre.
«Je n'ai jamais fait cela. Je travaille sur la fresque où tout est prévu et contrôlé. Je n'improvise pas. Je planifie à quatre-vingt pour cent. Et là, ce fut le contraire. Tout était prévu dans Tyranaël mais là... »

Expérience

Élisabeth Vonarburg se frotte la tête et semble revenir d'une expérience un peu douloureuse.
«Je prévoyais un gros roman, mais tout m'a échappé. Des heures de remue méninge et de discussions. Mon copain Denis et moi inventions des mondes, des situations et explorions des pistes», dit-elle. Comme s'il fallait trouver un terrain où installer son histoire et faire vivre ses personnages.
«Tout est parti d'un rêve. Il y avait une grande carte magique qui nous transportait ailleurs quand on la perçait. C'était là, la tour et le saut dans le vide. Les rêves de Pierrino et Senso dans le roman. Un rêve que j'ai fait après la mort de ma mère», raconte-t-elle.  Élisabeth Vonarburg demeure attentive aux rêves, les questionne, les pousse dans tous les recoins pour tenter d'y trouver un sens. «À ce moment-là, j'étais convaincue qu'en n'ayant plus de parents, je ne pourrais plus écrire. Et j'ai fait ce rêve. Une carte immense qui avait la texture d'une peau. C'est l'origine du roman qui passe dans quatre tomes», explique Mme Vonarburg.
Comme si cette histoire était venue la rejoindre par l'inconscient.
«Le sujet et l'époque se sont imposés. Tout de suite! Cette fois, je ne pouvais me permettre de tout inventer comme avant. Je devais respecter des faits historiques. J'ai fait un appel à tous par Internet et j'ai reçu des livres qui racontent l'histoire de Lyon. C'était en plein cela. L'histoire officielle mais des poussées pour faire place à mon imaginaire. Jésus et Sophia par exemple, les jumeaux. Les catholiques ou les christiens ont toujours eu du mal avec le corps et je voulais explorer autre chose. La dualité des jumeaux me fascine. J'ai refait le monde tout en gardant des aspects familiers pour que le lecteur ne s'égare pas trop», dit-elle encore.
Le roman est devenu un véritable jardin sauvage, à l'image des pins mungo qui bouchent tout l'avant de sa maison. «Ce fut difficile parce que je ne travaille pas comme cela. J'ai retardé la publication pour écrire tout l'ensemble. Ce n'est pas complet, mais je sais où je m'en vais. Surtout que c'est mon roman le plus autobiographie, le plus personnel», ajoute-t-elle.

«Reine de Mémoire, La Maison de l’Oubli» d’Élisabeth Vonarburg est paru aux Éditions Alire.

Élisabeth Vonarburg s’inspire de son enfance

«La Maison d'Oubli» d'Élisabeth Vonarburg, premier tome de la série «Reine de Mémoire», touche d'une façon particulière.
Le lecteur ne sera jamais dépaysé même si l'écrivaine l'entraîne dans une «fantaisie historique». L'histoire s'amorce en 1780 en France, dans une petite ville près de Toulouse. Les personnages vivent du commerce ou en travaillant la terre. Les Mages, ceux qui ont des talents et peuvent utiliser différentes formes de magie, dirigent une communauté plutôt paisible. Plus au nord, les christiens ont un lien direct avec les catholiques que nous connaissons mieux. Une guerre vient de prendre fin. Voilà l'aspect géographique et historique du roman.
«J'ai beaucoup puisé dans mon histoire, celle de ma grand-mère qui est d'origine asiatique. Mes demi-soeurs vont lire ce roman d'une façon particulière», explique l'écrivaine qui a toujours fait des efforts pour maquiller ces aspects dans ses romans antérieurs. «J'ai toujours puiser dans mon environnement ou mon histoire mais pas autant que dans «La Maison d'Oubli»», précise-t-elle.

Processus

«Je travaille toujours avec des lecteurs. Des hommes au départ. Certains parlaient de l'histoire, d'autres des personnages. Quand j'ai fait le même exercice avec des lectrices, elles me suivaient avec enthousiasme», explique la romancière en préparant le café.
Le gros chat impassible circule lentement, avec application, sans un regard.
«Je lance des perches, mais cela ne veut pas dire que je prends toutes les suggestions. Certains  demandaient des éclaircissements, des précisions mais pas de transformations importantes», explique la romancière en mentionnant qu'elle vient d'acquérir un tout nouvel ordinateur. «Et c'est la première fois que j'ai une file de lecteurs au salon du livre de Québec. Je suis arrivée et ils m'attendaient avec mon roman sous le bras», dit-elle en s'amusant de la scène.
L'ordinateur, elle l'apprivoise lentement. Nous revenons à son roman et à l'histoire.

Des enfants

«Mes personnages principaux sont des enfants parce que cela nous permet de tout découvrir en même temps qu'eux. C'est un vieux truc. Les enfants posent des questions comme les lecteurs en fait», dit elle.
Un langage aussi, on y revient toujours quand on discute avec un écrivain.
«Je voulais respecter l'époque. Je me suis beaucoup inspiré de mon vieux «Lagarde et Michard» pour la langue et évoquer l'époque. Une belle bataille avec la correctrice mais comme elle me suit depuis des années, on finit toujours par s'entendre», raconte la romancière. Une manière de constater comme Élisabeth Vonarburg aime tout maîtriser quand elle se lance dans l'écriture.
Un roman où tout arrive imperceptiblement. «C'est la manière Vonarburg et les lecteurs doivent s'habituer. Je pense que j'ai une écriture très cinématographique. Ce sont des blocs qui avancent, des descriptions qui en font rager certains mais je suis comme cela», tranche-t-elle.
Le second volet est déjà quasi terminé. Deux romans par année pendant deux ans. «As-tu hâte de lire la suite?», lance-t-elle, un peu espiègle. Bien sûr. Les jumeaux Pierrino et Senso, et surtout la jeune Jiliane, la troisième pointe du triangle, sont de bons guides. Vivement la suite! Mais je devrai attendre jusqu'en novembre.

«Reine de Mémoire, La Maison de l’Oubli» d’Élisabeth Vonarburg est paru aux Éditions Alire.