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lundi 1 mars 2004

Daniel Boivin séduit avec son journaliste

Quatre ans après avoir lancé «À cause du train», un roman fort acceptable, Daniel Boivin récidive avec «Trois nuits au Colibri».
Encore une fois, cet écrivain plonge dans un monde un peu tordu et ne s’éloigne guère de son univers pour le plus grand plaisir des lecteurs. Pour ceux et celles qui ne l’ont pas encore deviné, Daniel Boivin est journaliste à CBJ, la station de Radio-Canada à Chicoutimi.
Simon Naud vient de se faire rattraper par la quarantaine. Avocat de formation, il n’a jamais pratiqué. Et comme bien des journalistes qui font le métier depuis un certain temps, il est cynique. Le chroniqueur judiciaire de La Presse campe au Palais de Justice et décrit la misère humaine à tous les jours.
Le reporter doit enquêter sur une histoire un peu sordide juste avant Noël. Un ancien maire de Repentigny et son épouse ont été assassinés à Saint-Fabien-des-Pins, une petite ville de l’arrière pays.

Enquête

L’intérêt se porte rapidement sur Alice, une jeune photographe d’allure punk qui accompagne Simon Naud dans sa mission. Va-t-il oui ou non baiser avec elle? J-H. le chef de pupitre et chef des nouvelles est particulièrement intéressé par la chose. Mais il y a Zoé, la serveuse qui zézaie et sait faire bien d’autres choses. Le temps file à Saint-Fabien-des-Pins  à moins trente Celsius. Simon fait un peu de jogging entre le restaurant, le bar et le dépanneur tout en élaborant les textes qu’il va expédier au journal. Après, l’enquête suit son cours et le monde tourne en rond.
Heureusement, Daniel Boivin revient vite aux hantises de son premier roman et c’est là tout le charme de ce second ouvrage. Le vieillissement, le sexe, l’amour, les humains si souvent tordus retiennent son attention. Il est toujours un observateur précis et mordant. Il trace le portrait d’une petite société à grands traits. La vie engourdie dans la routine, un bar de danseuses nues, le restaurant où tout le monde se retrouve, un estaminet minable où les ivrognes se saoulent avec application et dévotion.
«L’intérieur du dépanneur ressemblait à un entrepôt de bière. On ne voyait rien d’autre que des caisses de vingt-quatre empilées en pyramide parmi quelques étalages d’articles de pêche et de cassettes vidéo. Les bouteilles de bière remplissaient également une chambre froide toute vitrée qui répandait une lumière crue dans la pièce.» (p.59)

Un tendre


Simon Naud est obsédé par le sexe et les femmes mais c’est un tendre, un doux qui se protège comme il peut. Un humaniste et peut-être aussi un idéaliste.
«À deux occasions, il avait refusé de partir en Arabie Saoudite pour couvrir la guerre du Golfe. La première fois, au début du conflit, il s’était inventé une fausse bronchite pour refuser l’assignation. Quelques semaines plus tard, il invoquait des problèmes de couple pour se défiler… … c’était parce qu’il avait peur. Peur des bombes, des attentats, du terrorisme, des balles perdues, des armes chimiques. Peur de mourir, tout bêtement.» (p.40)
Voilà qui rend le personnage de Simon sympathique . Après cela, on peut bien lui pardonner son obsession du sexe.
«En attendant son rire joyeux, il éprouva une sorte de tristesse. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait presque deux fois son âge. Il se sentait, non pas trop vieux, mais dépassé. Démodé.» (p.117)
Une écriture rythmée, efficace et un sens de l’humour qui fait avaler les pires outrances. Le talent de Daniel Boivin fait qu’on oublie un peu les problèmes de concordance du temps des verbes et certaines expressions boiteuses. Non, on «ne se laisse pas tomber dans sa chaise». Que dire d’un «elle laissa étirer le silence» et puis d’un «j’avais ma Nikon dans le cou.» Une autre pour terminer? « La 1er Avenue était déserte à perte de vue». Mouais…
Une lecture attentive aurait pu corriger facilement ces peccadilles.

«Trois nuits au Colibri» de Daniel Boivin est paru aux Éditions JCL.

samedi 28 février 2004

Marc Vaillancourt ou le suicide d’un écrivain

Marc Vaillancourt demeure un cas particulier. Après avoir publié de la poésie remarquée, des nouvelles fort intéressantes, voilà que notre Chicoutimien de naissance lance deux essais foudroyants. Des bijoux de hargne et de mauvaise foi contre la littérature et les écrivains du Québec. Il manie la phrase comme un lance-roquette et tire sur tout ce qui respire dans le monde littéraire.
Dans «Au poil et à la plume», il s’acharne à détruire ce qu’il avait pu négliger dans «Les feuilles de la Sibylle». On croirait se retrouver devant une réincarnation d’un ange vengeur fonçant sur l’Amérique pour exterminer tous les impies qui gravitent autour de l’écrit. Un véritable carnage.
«Des cuistres, des ploucs, des fumistes. Des benêts, des bélîtres. Des butors, des viédases, des microcéphales et des petits magouilleurs : bref des professeurs québécois. (p.65)
Et pour étayer son propos, il dépoussière les poètes grecs qu’il fréquente et ceux de la Rome d’avant Jésus-Christ. Des arguties sur des traductions, des précisions, des sentences, des citations à la douzaine d’écrivains français, bien sûr, et parfois des traits qui font hausser les épaules. Une prétention à nulle autre pareille.
«Quand je veux lire un bon livre, je l’écris,» (p.115)
Voilà de quel bois se chauffe notre prétentieux.

Tristesse

Il est rare de voir un écrivain se faire hara-kiri en pratiquant son art.
«Il paraît que je suis détesté dans le milieu littéraire. Mon cœur pépie de joie!» (p.173)
Après une cinquantaine de pages, j’ai commencé à me bidonner de ces dérapages et de ces extravagances. À trop en mettre, on finit par sombrer dans l’absurde. Il faut l’inviter à lire ses sentences au «Festival juste pour rire». Un écrivain est mort mais un humoriste est né.
«Un jour le chroniqueur culturel d’une feuille publique m’a dit avoir lu, compris et aimé un de mes poèmes. J’ai cru mourir de honte.» (p.161)
Des charges, des baffes qui frappent parfois dans le mille mais qui ne peuvent faire oublier la grossièreté des propos.
«Prend son cul pour mes choses, et son ombilic pour l’omphale. (Aggravation : poétesse québécoise : Le Torrent, de la gaupe Anne Hébert, la fait mouiller. Pour renfort de potage, la poétesse québécoise, lauréate du prestigieux Prix Tarattata Tsinsin, est le plus souvent professeure et a fait une poéthèse sur la poéterie, car «elle s’invente un langage et transgresse les interdits. (p.102)
Vous en voulez encore?
«Au Québec, pays d’ateliers d’écriture et de lécheurs conditionnés, on ne peut pas être sans avoir tété : voilà ce que vous devez comprendre chaque fois que vous entendez un des mâche-laurier de la tribu, parler de son inspiration.» (p.64)
«Celui qui ne possède pas sa syntaxe latine, son vocabulaire latin, sa grammaire du grec, et qui prétend écrire en français, sera tout au mieux un auteur estimable. Il ne sera jamais un écrivain accompli. »(p.106)
Et vlan! Autant réinventer le cours classique et les enfants de Duplessis.

Réactionnaire

Une certaine forme de société s’esquisse derrière ces galéjades et ces coups d’estoc. Il regrette les cérémonies religieuses latinisantes, serait plutôt papiste, réactionnaire et misogyne. J’ai rarement lu autant de mépris sur les femmes et les écrivaines.
«Au reste, existe-t-il des critiques dignes de ce nom au Québec? N’y aurait-il que des profiteurs et des fumistes, qui ne font jamais rien qu’en vue des intérêts de leurs complices, à charge de revanche, et sans souci de rien d’autre» (p.116) 
Alors pourquoi me priver? J’ai cru par moment me retrouver au XVe siècle.
Et pour terminer, je retiens cette sentence qu’il a puisée chez Voltaire : «Il se donna bien de la peine/Pour vivre pauvre et méprisé». Que Dieu ait son âme en latin de préférence.

«Au poil et à la plume» de Marc Vaillancourt est paru aux Éditions du 42e Parallèle.

lundi 15 décembre 2003

La complainte de l’homme anti-tout.

Jean Ferguson nous lance ses vérités «dans le blanc des yeux». Une entreprise dangereuse. Une centaine de pages d’aphorismes et de petites sentences montre plus les limites que la grandeur de l’auteur. C’est comme si un écrivain décidait de dresser une carte de son savoir et de ses préjugés. Ici, le jeu devient souvent désolant pour ne pas dire pitoyable. Bien étrange monsieur que ce Jean Ferguson qui a des idées sur tout, pour le meilleur et surtout le pire, qui emprunte toutes les directions en jonglant avec les clichés et les préjugés.
«Un homme qui réussit à ne penser à rien est un génie.» (p.11)
Il est peut-être aussi et surtout un idiot.
«Il y a toujours une différence fondamentale entre le comportement de l’homme et de la femme. Par exemple, une femme n’échappe jamais de sauce quand elle mange de la pizza.» (p.25)
Dès les premières réflexions du genre, j’ai pensé refermer le livre. L’humour, bien sûr, mais y a-t-il matière à livre avec des «idées» du genre? Jean Ferguson effleure Jésus, Marx, Lénine, les politiciens, les élus, les gouvernements, les écrivains et les critiques. Il livre ses obsessions et la redondance ne l’embête guère. Le système capitaliste est pourri, les politiciens sont des voleurs, les impôts une rançon exigée par une mafia. Toute forme de travail est un esclavage et du gaspillage. Vive la liberté errante et irresponsable. La complainte de l’homme anti-tout.
«La démocratie est une idée trop généreuse pour qu’on la laisse aux mains de l’homme ordinaire tout empreint de l’imbécillité des foules.»  (p.52)
Jean Ferguson y va avec beaucoup de sincérité mais ce n’est pas suffisant. Il démontre surtout son peu de jugement et l’étroitesse de sa pensée.
Une lecture pénible, aussi désolante que ces émissions à la radio où des animateurs excités et au bord de l’apoplexie se défoulent et tapent sur tout ce qui bouge. À force de trop dire, on finit par ne rien dire.
Passons sur les trop nombreuses fautes qui pigmentent ces textes, la langue hésitante et souvent imprécise. L’art de la sentence et de l’aphorisme tient du fleuret et de la danse. Jean Ferguson utilise plus souvent qu’autrement la hache.
«Il y a des critiques littéraires qui parlent bien mieux des livres qu’ils n’ont pas lus que de ceux qu’ils ont lus. ( p. 53)
Peut-être que j’aurais mieux fait de m’abstenir de lire «Dans le blanc des yeux» et d’imaginer le livre. Mon propos aurait été plus flatteur.

«Dans les blanc des yeux» de Jean Ferguson est paru aux Éditions Humanitas.         

Olga Boutenko est une conteuse née

Olga Boutenko a fait une entrée remarquée en littérature au Québec avec la publication de deux recueils de nouvelles. «On n’en meurt pas», paru en 1985 et «Aélita» en 1992. Elle récidive avec «Moscou-Québec«, trois récits un peu disparates et inégaux.
Le premier texte nous présente l’écrivaine au moment où elle quitte l’URSS. Avec son fils, elle débarque à Vienne, une ville qui devient une fenêtre sur l’autre monde.
«Cette troisième vague nous avait emportés, nous aussi, à un moment où, comme un fait exprès, j’avais accumulé tant de déceptions que l’attente avait perdu tout son sens ; la vie, toute saveur ; le bonheur tout espoir. Et elle nous avait précipités dans la réalité incroyable de l’aéroport de Vienne inondé de soleil.»  (p.7)
Le rêve et l’émerveillement. C’est ce qui fait la beauté du récit intitulé  «Deux sœurs» qui n’est pas sans évoquer Tchekhov. Par les yeux d’Olga Boutenko, j’ai vu une société que je ne sais plus voir tellement elle m’est familière. J’imagine que nous aurions la même surprise en plongeant dans les rues d’une dictature où les gestes et les pensées sont gardés à vue. Boutenko et son fils surveillent les visages, les regards et les sourires.
«Calmement, sans se rendre compte de leurs privilèges, ils se promenaient le dimanche dans les rues – les robes de bain de soleil dévoilant des épaules nues qui n’avaient pas à se protéger -, le long des vitrines qui nous charmaient par la beauté de leurs marchandises. Ils étaient entourés d’une auréole de bonheur et de sérénité et, se rappelant la triste expérience d’Adam et Ève, ils ne faisaient pas attention à nous, évitant le moindre contact, la moindre relation, afin de ne pas refaire la même erreur que nos ancêtres. On aurait dit que nous étions pour eux des êtres invisibles…» (p.10-11)
«Non, le plus étonnant et le plus beau, c’étaient les visages. Les visages des gens du monde libre…» ( p.57)

Hilda et Paula

Il y a Hilda et Paula, deux vieilles dames qui ont quitté leur pays il y a longtemps et qui aident en s’attendrissant sur une vie d’amour et de départs. Des pages de tendresse et de chaleur humaine.
Et puis nous sommes au Québec. Pourquoi? Pourquoi ce bond dans l’espace et le temps? Je m’attendais à vivre l’arrivée en terre d’Amérique. Nous sommes cinq ans, dix ans plus tard, on ne sait trop. Pourtant Olga Boutenko s’installait au Québec en 1978. Il y avait un parti politique au pouvoir qui prônait l’indépendance, le Québec se dirigeait vers un référendum. Déception? Peur, crainte? Elle n’en dit rien.
Nous sommes poussés dans une histoire peu convaincante et mal fignolée. Cafard, peine d’amour, mal du pays? Il y a peut-être des exils inévitables à l’intérieur d’une vie mais... Le texte s’étire et se répète.
Heureusement, «En visite officielle» raccroche le lecteur sur le point d’abandonner. Des Russes, des compatriotes visitent le Québec. Quelques jours en compagnie d’un ministre conscient de son rôle, un forestier sympathique qui ne sait trop pourquoi il est là et un jeune cadre ambitieux. Olga Boutenko les côtoie comme interprète, le temps de la «visite».

Confrontation

Alors les deux vies d’Olga Boutenko se heurtent, se toisent et s’évaluent. Comme si la femme qui a fui son pays se retrouvait devant celle qu’elle aurait pu être en demeurant là-bas. Une vie possible et une vie réelle. Un récit bien mené et précis, une réconciliation entre le soi qu’elle a abandonné et l’autre qu’elle s’est forgé en vivant au Québec. Il lui fallait cette rencontre pour trouver un sens à sa vie.
Olga Boutenko est une écrivaine attentive et sensible. Surtout, elle a un formidable pouvoir d’évocation et reste une conteuse née. Pourtant, il aurait fallu retravailler ce livre, faire un meilleur choix des textes et soigner un peu plus la traduction. Un livre intéressant mais qui aurait gagné en force sans le passage à vide du second récit.

«Moscou-Québec» d’Olga Boutenko est paru aux Éditions Varia.

R.-J. Berg n’arrive pas à convaincre

R.-J. Berg a choisi de se retirer du monde, non pas en abandonnant tout derrière lui mais en prenant du recul, de la hauteur pour trouver un ancrage à sa vie. Des proses, des réflexions, un certain regard sur la société et les individus qui la composent. Des textes épars, des extraits d’un journal… Qu’est la vie dans cette société parfois inquiétante et étrange? Nous prenons la route des sentences et des méditations à partir d’une phrase de Nietzsche ou de Caton, d’un événement quelconque. Nous sommes aspirés par les hautes sphères et cela donne le vertige, même à l’auteur.
«Les contradicteurs se rejoignent néanmoins en un point ; ils ont une conviction commune, qui passe peut-être leurs différences. C’est qu’ils croient tous, en matière d’âme, à l’existence ou à l’inexistence absolues. L’âme est ou n’est pas.» ( p.17)
L’âme, l’être, des sujets qui ne sont pas invités dans les «Loft Story» de ce monde. La vie humaine à l’heure de la mondialisation et du commerce de la pauvreté se réfugie dans la capacité de l’homme et de la femme à consommer et à produire. L’entreprise de R.-J. Berg pourrait être fort intéressante et nécessaire mais il se complaît dans l’évanescent, un survol qui ne s’ancre jamais. Et ce côté hautain, désabusé, un peu cynique agace. On souhaiterait un peu plus d’empathie, un  peu plus de chaleur.
«Fais-toi interviewer souvent, et par des femmes. Ne manque pas de verser pour elles une larme ou deux en évoquant ton enfance meurtrie, tes blessures intimes, ta maladie qui est toujours là, qui t’a marqué au fer rouge. … Fais-toi petit et tu seras aimé.» (p.45)
Une fois les cent pages tournées et retournées, on se demande ce qu’était le propos de ce R.-J. Berg? Que retenir? Et pourquoi cette préface? Le texte est une réflexion au jour le jour, une sorte de carnet philosophique que l’on maquille par une présentation qui laisse croire à un texte livré par un dilettante qui s’est évanoui dans le monde en renonçant à tout. Le procédé est peu convaincant et futile.
«Je ne prétends pas comprendre d’où tombent ces textes, mais j’ai la conviction que ses lecteurs comprendront. Je donne ici au possessif son sens le plus strict, suivant en cela une remarque de l’auteur.» (p.11)
Berg ne nous fait pas monter très haut. La pensée serait-elle si mal en point dans notre société? Le côté froid et tatillon des textes agace. Berg n’a pas réussi à me convaincre, loin de là.

«D’en haut» de R,-J, Berg est paru aux Éditions  Triptyque.

dimanche 14 décembre 2003

La recherche du père et de l’histoire

Louis Jolicoeur dans «Le siège du Maure» révèle qu’il n’a jamais cessé de chercher un père énigmatique et tourmenté. Ce père qui a fait médecine, qui adorait les voyages, surtout l’Italie pour son raffinement, un photographe et un écrivain à sa manière. Il a connu plusieurs femmes qu’il a aimées et désirées. Il était aussi celui qui ne pouvait oublier la mort. Une constance, un point d’interrogation, une énigme qu’il posait au monde et aux livres qu’il collectionnait. Cette obsession venait peut-être de sa participation à la Deuxième Guerre mondiale.
Le narrateur, celui qui se confond bien vite avec l’auteur, vit à Grenade, une ville d’Espagne qui a fait l’orgueil des Maures et qui a été, pendant des siècles, convoitée par les rois catholiques. Deux civilisations, au fil des guerres et des conquêtes, s’y sont épanouies.
«J’y pense pourtant maintenant, de ma lointaine Grenade, au lieu d’esquiver la question comme autrefois; je pense à ces choses que tu essayais de dire sans drame, sans tristesse, avec ce désir un peu fou de parler de cela comme s’il s’agissait de rien, une chose parmi d’autre, un sujet qu’on pouvait aborder sans faire de façons ni remuer de vagues, sans même se troubler. Mais vraiment, peut-on sérieusement parler ainsi de la mort?» (p.23)
Louis Jolicoeur  a effectué des «tournées» pour mettre ses pas dans ceux de son père, pour rencontrer ces gens qu’il a croisés et aimés, comme s’il voulait se glisser dans la vie de son géniteur. Là-bas en Louisiane, en France et en Italie, il se faufilera entre deux époques et deux existences. Des images, des paysages, une photographie, un bout de texte que le père a laissé dans son appartement du Québec prennent alors toute leur signification.

Grenade

Nous découvrons surtout la ville de Grenade, ses parfums, sa lumière et son histoire. Jolicoeur est fasciné par ce moment où le roi Boabdil cède la ville aux rois catholiques Isabelle et Ferdinand pour protéger cette merveille architecturale de la destruction. Nous aurons droit à de longues traductions qui nous replongent dans l’atmosphère des années 1480-1490. L’Europe alors était à la veille de découvrir l’Amérique.
Récit tout en délicatesse, secret qui prend son sens dans les regards et les méditations. Un amour filial qu’il fait plaisir à suivre. Nous déambulons dans la ville magnifique de Grenade, suivons Boabdil qui après avoir affronté son père pleure sur sa ville. Culte de l’échec, de la beauté et de la fidélité.
«Tu y aurais trouvé ce qui justement t’habitait tant, toi: l’amour, l’art des formes, le plaisir et à la fois la crainte des sens, les fleurs et les jardins, l’eau; la beauté sous tous ses angles, en somme, y compris bien sûr celle du doute, et celle de la mort. (p.44)
Louis Jolicoeur nous entraîne dans des rues étroites, nous arrête à une terrasse et discrètement nous apprivoisons la vie de son père et du narrateur. Les grandes et petites histoires d’amour finissent toujours par tisser l’Histoire, celle que l’on enferme dans les livres. Une écriture sensible, discrète, un tantinet redondante parfois mais combien émouvante.

«Le siège du Maure» de Louis Jolicoeur est paru à L’instant même.

vendredi 12 décembre 2003

Yves Potvin et les rêves qui fument

Yves Potvin évite la réalité à sa manière. Pourquoi ne pas s’adonner au haschich volontairement, dans une ascèse ou une démarche initiatique qui vous fait vous aventurer dans une autre réalité. L’expérience peut s’avérer intéressante, du moins originale. 
Potvin présente treize histoires dans «Les contes du haschisch». Je ne crois pas que l’on puisse qualifier ces écrits de contes. Parlons d’histoires qui découlent de la consommation de cette substance qui a si mauvaise réputation dans notre société.
«Savais-tu que le haschich illumine l’âme sans causer d’accoutumance comme le ferait la cigarette ou l’alcool? On y revient par conviction, non par esclavage. Le fumeur tente de retrouver un état d’esprit, une façon particulière de voir le monde. Il cherche, et croit trouver, des réponses satisfaisantes aux grandes questions philosophiques.» (p.12)
Bon! Le fumeur de haschich dans l’esprit de Potvin est une sorte d’initié, de «plus que conscient» qui sait le monde et ses réalités comme personne d’autre. Le pauvre buveur de bière ou de vin, celui qui pour le plus grand des malheurs ne s’adonne pas au haschich, reste un être incapable d’élévation et de compréhension du monde.
L’entreprise pourrait être intéressante mais à la condition d’éviter les clichés et les banalités. Yves Potvin s’empêtre dès les premières lignes et déçoit rapidement.
«Je vous fais grâce du libellé exact du refrain que chantaient une grosse truie, une blonde maigrelette, un homme plus âgé, un barbu et un genre de bellâtre qui était là pour ramasser de la chair fraîche. Entre le bellâtre et moi, l’hostilité fut immédiate. Chacun se disait la même chose: «Que l’autre ramasse donc la maigrelette, ou encore la truie, mais qu’il me laisse l’amie Judith.» (p.59)

Au ras du sol

Humour? Mauvais goût plutôt. Là où il devrait s’élever, Potvin rampe, là où il devrait méditer et passer à un degré supérieur de la connaissance, il ne sait qu’ânonner des sarcasmes. C’est ce ton familier, ce tutoiement énervant «ami lecteur et douce amie lectrice» qui agace rapidement. Nous suivons plutôt mal cet impénitent qui ne recule jamais devant les volutes du haschich sans pour autant nous «faire voir» les pays qu’il traverse et explore. Il est tout de même allé en Afghanistan avant la guerre. Fumer du haschich ou s’adonner à l’opium, du moins dans la version potvienne, ferme plus l’esprit qu’elle ne l’ouvre à la réalité. Ce qui devrait être «conscience» devient «enfermement» sur soi. Nous suivons péniblement le radotage d’un impénitent qui ressasse sans cesse ses «exploits».
«Je le devinais. Le haschich m’aidait à ressentir les fantasmes de Neurath. Là, dans une salle remplie de curieux, Neurath et moi formions les deux seules personnes lucides de l’assemblée. Lui, psychiatre surdiplômé ; moi, neché au point de ressentir les effets d’une constante cristallisation de molécules de THC dans le cerveau.» (p.125)
Des histoires qui grincent aux virgules et s’éparpillent. Une écriture mal ramassée et claudicante. Peut-être que j’aurais dû m’adonner aux volutes du One Year avant de plonger dans la prose d’Yves Potvin pour en apprécier toutes les subtilités mais le devoir de lecture a ses limites. Non, les vapeurs du haschich ne font pas un écrivain.

«Les Contes du haschisch» d’Yves Potvin est paru aux Éditions Varia.

Nicole Houde exige tout de son lecteur

Nicole Houde, encore une fois, ne donne guère de choix à son lecteur. Pas de fioritures! Cette écrivaine nous a habitués aux vrais questions, et depuis son entrée en écriture en 1983, elle se fait chercheuse de sens. Le vieillissement dans «Les oiseaux de Saint-John Perse», la lutte pour l’identité dans «La Maison du remous», la marginalité dans «La chanson de Violetta». A chaque fois, elle pose un sujet difficile, un univers que nous voulons fuir la plupart du temps. Qu’est la vie, comment affronter sa mort, quel héritage possédons-nous à la naissance et qui est resté gravé dans le corps et vous dépossède parfois? Comment survivre dans un monde plus grand que soi et qui aspire aussi à être notre corps? Comment assumer sa vie quand la société vous marque au fer rouge, quand les repères s’effritent; quand le temps creuse de grands trous dans la tête? Voilà autant de questions que cette  écrivaine unique au Québec explore d’un livre à l’autre. Les mots deviennent des grenades et c’est la vie qu’elle fait exploser, l’existence qu’elle cherche à rapailler et à comprendre.
«J’observe mon corps, cet ami pour qui j’invente parfois Milan, Santiago, des champs de blé ou de l’angoisse, toutes ces formes d’alliance entre la conscience et l’univers.» (p.13)
Dans «Une folie sans lendemain», le lecteur se bute à Céline, une rebelle atteinte d’un cancer foudroyant qui décide de vivre sa mort sans l’aide des drogues. «Je veux mourir en plein midi beau soleil, pas d’hôpital, pas de morphine!» Céline s’aventure sur le chemin de la souffrance, revient à L’Anse-Saint-Jean, son pays d’origine, pour s’expliquer avec Edmée, sa mère qui s’est pendue alors qu’elle était fillette. Le tout est suivi du regard de Lise, l’amie qui a accompagné Céline et d’une lettre à Charlotte Boisjoli, la grande comédienne décédée d’un cancer. Trois temps d’une méditation pour comprendre et dompter la mort si c’est possible.

Œuvre forte

«Une folie sans lendemain» est marqué par tout ce qui caractérise l’œuvre de Nicole Houde. Le fardeau des origines, l’héritage qui gruge les femmes au corps et à l’esprit, l’obsession de l’écriture pour contrer la dérive et la folie. Le texte chez Nicole Houde se fait sédiments et permet d’espérer en l’avenir. La nature aussi, omniprésente, mémoire et porteuse des actes des hommes et des femmes. Parce que la Terre chez cette écrivaine est un corps et le corps une planète.
«Dans notre famille, plusieurs ont été atteints par des maladies mentales. Au village, on appelle ça «le châtiment de Dieu»». (p.29)
Bien sûr le sujet bouscule et dérange. Certains refuseront de suivre Nicole Houde. Il faut du courage pour accompagner Céline qui affronte la mort mains nues. Chaque mot devient un cri, chaque phrase porte une douleur qui ébranle la planète. L’écriture colle au corps et au dur désir de vivre chaque seconde comme si c’était l’éternité. Les phrases poussent comme des arbres, avec les fleurs, éclaboussent les pierres qui retiennent et empêchent la terre de basculer dans un cri qui avale tout.
«J’ai tellement mal! Est-ce possible que des os et des organes puissent éprouver de la détresse, est-ce possible de perdre son visage dans une tempête qui va aussi vous arracher le cœur? J’ai si peur!» (p.39)
Rarement trouvera-t-on une écrivaine ou un écrivain qui croit autant en la nécessité des mots. C’est l’air que l’on respire, la beauté au cœur du jour, le soleil qui se lève sur le monde. L’écriture permet aussi d’explorer et d’apaiser les souffrances originelles.

Exigence

Nicole Houde exige beaucoup de son lecteur. Elle le peut parce qu’elle donne tout d’elle. Son écriture est sans compromission. Lire un de ses ouvrages, c’est accepter d’affronter l’ange de Jacob, trouver un sens à son corps dans la grande dérive de l’univers. Il faut méditer ces phrases, soupeser ses peurs, effleurer ses craintes, danser avec son ombre et se coller au bonheur de l’herbe et des fleurs. Il faut faire face, puiser en soi et assumer l’héritage. L’expérience n’est jamais ordinaire. Quand je décide de lire Nicole Houde, je remets tout en question. Les mots se retournent, la phrase devient une vrille qui ébranle toutes mes certitudes.  
C’est peut-être cela la quête de l’écrivaine qui veut mettre «de la conscience» dans le monde. Nicole Houde est une réveilleuse qui vous convie à une expérience initiatique à chaque fois.
«Je suis d’eau, de pierre, de bête et de brouillard dans cette chambre qui dérive vers la mort. Il n’y aura pas de miracle et je n’ai pas peur.» ( p.78)
C’est peut-être ce qu’il faut retenir de la course que l’on nomme la vie. Ne plus croire au miracle et ne plus avoir peur devant le mot fin.
«Peut-être nos carcasses retiennent-elles longtemps l’écho des murmures amoureux, des clameurs désespérées et des blasphèmes ? Peut-être la terre ne se remet-elle jamais de nos déchirements lâchés dans des phrases qui gravent des blessures dans les corps et dans l’espace?» (p.63)
La question est là.

«Une folie sans lendemain» de Nicole Houde est paru à La Pleine Lune.

Le vent de l’imaginaire emporte le lecteur

Danielle Dussault, dans une suite de quatorze récits, nous pousse dans un monde de transparences, de passages et de dérives. Le vent emporte la coiffe de la mariée en sortant de l’église et la jeune femme s’élance, abandonnant invités et mari sur le parvis. Le vent, peut-être son seul amant, son seul mari, l’entraîne. Et nous voilà dans un monde où la lumière, l’air et l’eau attirent les êtres et les volent au réel. Les frontières s’effritent, les limites s’évanouissent, le temps s’ouvre. Pourquoi ne pas s’abandonner aux apparences avec la petite Alice, pourquoi ne pas suivre ses obsessions et ses chimères. Il suffit de dire oui aux sourires du vent, de colorer le rêve, de ne jamais le bouder, de jouer à Narcisse qui s’éprend de son image.
«Elle vit le miroitement de son visage dans l’eau, un visage de femme un peu triste en dépit pourtant du sourire qui avait une apparence d’éternité. À travers le mirage, elle reconnut une quantité de personnes. Le mirage retenait des voix assourdies, chacune tentant de franchir la frontière. L’eau avait l’apparence d’un mur lisse.» ( p.50)
Le monde se transforme à chaque regard, à chaque toucher. Le vent devient passeur et pousse la femme dans le monde de ses fantasmes ou de ses obsessions créatrices. Nous sommes au cœur du conte, dans une forêt ou près d’un lac avec des enfants qui forgent des rêves. Attention au petit vent chaud de la déraison qui éventre la maison. L’esprit s’échappe. Les frontières deviennent liquides. Il n’y a plus de déroulement logique ou linéaire. La narratrice bondit dans sa mémoire, éventre le temps, le bouscule et le rattrape. Est-ce folie? C’est peut-être juste la vie… C’est peut-être juste une quête d’absolue et de certitudes.

Écriture

Une belle écriture faite de petites touches qui donnent de grands tableaux impressionnistes. L’auteure sait nous communiquer l’ivresse, le plaisir de braver tous les interdits, crée de grands remous qui soulèvent et bousculent. Il suffit de renoncer à la logique, de croire que tout se peut quand on tourne le dos à la lourdeur des jours et aux carcans du temps.
«Le vent léger, de nouveau, s’insinua, fit doucement valser le rideau. Cette présence, celle du vent, les consolait de toutes les afflictions qui assaillaient l’âme. C’est à travers la montée de l’amour que le cœur pouvait ainsi se guérir.» (p.59)
Danielle Dussault décrit bien ces univers feutrés et irréels où toutes les dimensions et les contraintes s’évanouissent, où le corps perd de sa lourdeur et repousse ses contours. Il y a le vent dans la tête, il y a le vent qui étourdit les êtres et les choses. C’est la faute du grand meneur des dérives et des retrouvailles. Tous les éléments vivent et s’imposent. Tout comme si on basculait dans un tableau de Claude Monet pour se moquer du temps et de l’espace.
Danielle Dussault va derrière, au-delà et elle le fait très bien. Des récits étranges et fascinants.

 «L’imaginaire de l’eau» de Danielle Dussault Québec est paru chez L’instant même.

Luc LaRochelle abandonne son lecteur

Il faut s’attarder à l’illustration de la page couverture de «Amours et autres détours» de Luc LaRochelle. Une femme nue, sur un lit, sexe en évidence s’offre au regard d’un jeune garçon. Le tout baigne dans une lumière rouge, crue. Un tableau d’Eric Fischl intitulé «Bad boy» devient l’affiche des récits de Luc LaRochelle. Un peu racoleur cette présentation qui ne correspond guère à l’ouvrage. Le «bad boy», je ne l’ai pas retrouvé dans cet ouvrage.Bien sûr, il est question de séduction, de ruptures et de fuites qui parsèment la vie. L’auteur s’attarde aux effleurements, aux regards qui marquent les contacts entre les hommes et les femmes, à cette pulsion toujours là et qui s’évanouit trop rapidement. Il y a des rencontres, des moments où il est possible de changer sa vie. Il suffit de dire oui.Malheureusement, LaRochelle esquisse sans jamais appuyer ou décrire ce qui constitue ces instants fugaces. Il ne restera que des petites blessures à peine perceptibles. Les rencontres sont toujours éphémères, de folles étincelles qui ne provoquent jamais les grandes flambées. LaRochelle nous laisse plus souvent qu’autrement dans les «détours de l’amour» quand on sent que tout pourrait basculer.
Abandon

Je me suis senti négligé et j’ai dû inventer des liens, tresser des nœuds et reconstituer les drames. Parfois, un contact avec une personne un peu étrange, comme ce voisin qui achetait des livres et en arrachait toutes les pages, a retenu mon attention. L’homme reliait des feuilles blanches à l’intérieur des couvertures. Une entreprise folle, obsessionnelle. Enfin je me suis dit, il va surgir quelque chose d’original et nous allons sortir de la banalité. J’ai déchanté rapidement. LaRochelle est déjà loin.
Des occasions ratées, il y en a des dizaines dans ces récits. La mort a beau frapper sans prévenir, rien n’y fait. L’écrivain reste obstinément l’observateur qui ne se compromet jamais.
«Quand je t’ai rencontré, je t’ai dit que je préférais le quart de nuit. Les souffrances endormies par les calmants, les confidences de la dernière nuit, qui ne sont adressées à personne. Puisqu’il n’y a ni parents ni amis. Pas de repas non plus. Je peux effectuer ma tournée sans être interrompue. J’aime le silence sur l’étage. La lumière tamisée. Et puis le matin, je quitte avant que les patients meurent.» (p.63)
«Je quitte avant que les patients ne meurent »… C’est bien là le problème de cet ouvrage et de cette écriture. Le narrateur n’est jamais présent ou agissant quand les vrais choses arrivent. Le lecteur est abandonné dans un monde anesthésié. Sommes-nous juste des corps qui se rencontrent, des désirs qui s’amenuisent et disparaissent? Sommes-nous condamnés au regret et à la nostalgie? Luc LaRochelle ne répond pas, on s’en doute.
La langue est efficace, sobre, bien contrôlée mais cette manière de faire défiler les hommes et les femmes a fini par m’engourdir. Si c’était là l’intention, l’auteur a parfaitement réussi.

«Amours et autres détours» de Luc LaRochelle est paru aux Éditions Triptyque.

vendredi 15 août 2003

La magie de l’enfance ne marche pas toujours


Un prénom: Caramellia. Une valise ouverte en bas de page frontispice. Des objets tout au fond sans pouvoir deviner de quoi il s’agit. Un coffre aux trésors, des secrets profanés… Assez pour piquer la curiosité.
Des pages doubles, pliées, des photos qui ne se laissent pas apprivoiser au premier regard. Des objets minuscules semblent dériver sur de grandes pages. Il faut insister avant de rattacher cette matière à une certaine réalité. Des pierres, des cubes, une tête de poupée et d’autres formes imprécises. Des jouets qui évoquent l’enfance. La place de ces choses dans l’espace blanc de la page crée une tension.
«D’abord il y a (il y eut) Caramellia, ensuite Émile, puis viennent (vinrent) Lorie-Roche, Albertti, Catherine II, Eurydice Fauve et enfin JeAnne. Sept personnages en trois pages chacun qui forment un texte poétique en prose. Sept tableautins en mots, presque photographiques par leurs flux et leurs silences lumineux, par leur cadrage et leur instance pour fixer à jamais l’éphémère d’un visage nu ou d’un objet.»
Ève Cadieux explique sa fascination de l’enfance qui permet d’inventer des univers, de les triturer, les transformer par des expressions, des dessins et aussi des rêves pleins de peur et de terreurs. Une quête de mémoire également. La nostalgie de l’adulte devant le monde perdu de son enfance.

Magie verbale


Ève Cadieux brosse des miniatures, se laisse porter par les mots qui bousculent les images et provoquent l’arrivée de mondes fragiles. À la manière des surréalistes qui ont favorisé les associations les plus étranges.
«Lorie est construite de gemmes qui luisent sous quelques lumières. Son cœur étouffe d’être le seul de chair, serré, couvé sauf à l’endroit où une infime pierre de naissance l’a percé. Organe tendre comme un poussin déjà fatigué de frapper une coquille immuable. Le douzième œuf clos, au panier, se meurt.»
Et encore des images.
«Elle enterre. Elle chatouille d’un biscuit sablé, sous son ample linceul déformant, sa poitrine, à peine femme.»
La recherche se perd dans un magma verbal incontrôlé. Peut-être que Francis Ponge ou Tristan Tzara ont épuisé cette quête de nouveaux horizons. Il faut plus que l’évocation ou les abstractions verbales pour nous emporter. La métamorphose souhaitée par Ève Cadieux n’arrive pas.

«Caramellia» d’Ève Cadieux est paru aux Éditions J’ai Vu.