ROBERT LÉVESQUE continue son travail infatigable dans Décadrages où il explore cette fois les coulisses du cinéma. Dans Déraillements, il s’attardait aux trains,
à certains événements qui ont marqué l’histoire grâce à ce moyen de transport.
Il l’a fait aussi avec ses lectures dans La
vie livresque et maintenant, voilà qu'il s’attarde aux films qu’il a visionnés dès
son adolescence, une passion qu’il n’a cessé d’entretenir jusqu’à maintenant. Les
grands classiques du cinéma français, italien, américain et du monde, avec
quelques arrêts du côté du Québec. Comment pourrait-il en être
autrement ? Robert Lévesque étonne et surprend souvent.
Je m’aventure dans une salle obscure avec toujours un peu de
réticence. Je n’aime pas les gens autour de moi, les odeurs de pop corn qui ne
manquent jamais quand ce ne sont pas les murmures. Je m’y risque pour voir les
productions récentes du cinéma québécois où il n’y a, malheureusement, jamais
foule. Ma dernière sortie était pour La
Bolduc de François Bouvier que j’ai aimé. Un film honnête, bien mené. Avant,
c’était pour Pieds nus dans l’aube de
Francis Leclerc qui raconte un moment dans la vie de son père Félix, l’année où
il doit quitter sa famille et son village, devenir pensionnaire pour poursuivre
des études. Un monde qui ne le quittera jamais et qu’il ne cessera de
fréquenter par ses écrits et ses chansons. Cela m’intéressait peut-être parce
que j’ai lu le livre de Félix Leclerc alors que j’avais quinze ou seize ans. J’ai réussi,
pendant les deux années où j’ai fréquenté l’école de monsieur Baillargeon, à
lire le contenu de la petite bibliothèque qui devait comprendre une centaine de
titres. J’ai découvert alors à peu près tout ce que Fides publiait dans la
belle collection Nénuphar. Je garde des souvenirs particuliers d’Adagio, Allegro et Adante de
Félix Leclerc, des Engagés du Grand Portage
de Léo-Paul Desrosiers. Ce livre m’a longtemps fait rêver. Et que dire de La minuit de Félix-Antoine Savard ?
Pieds nus dans l’aube
m’a rappelé mon enfance, les chevaux et les oncles faiseurs d’histoires. J’avais
déjà à cette époque, la plupart du temps, le nez dans un livre au grand dam de
ma mère qui me trouvait ennuyeux comme un jour de carême. Oui, je pouvais
passer des journées entières à lire quand une histoire me fascinait.
J’amorçais une vie de lectures et de découvertes qui n'ont jamais cessé de
m’étonner et de m’enchanter. Il y a eu aussi C’est le cœur qui meurt en dernier d’Alexis Durand-Brault pour
savoir ce que l’on a fait du très beau roman de Robert Lalonde. Je ne parlerai
pas de Hochelaga de François Girard
qui m’a laissé avec l’impression que ce film est inachevé. Comme si le
réalisateur avait manqué de temps. Et il y a des raccourcis historiques dans ce
film qui s’expliquent mal.
RÉPERTOIRE
Tout comme Robert Lévesque, j’ai vu ici et là les films de François
Truffaut, Roberto Rossellini, Ingmar Bergman, Wim Wenders et même Alain Tanner.
Tout compte fait, j’ai vu pas mal de films même si je ne me considère pas comme
un connaisseur. Mon regard se tourne vers la littérature, surtout celle qui se
fait au Québec. Tout le contraire de Robert Lévesque qui donne l’impression
souvent de vivre en France tellement ses sujets de prédilection sont là-bas. Et
tout comme Lévesque, j’adore Buster Keaton. Contrairement à lui cependant, j’ai
perdu le goût de suivre Woody Allen. Je n’arrive plus à écouter ce bavard
impénitent qui avale les mots sans jamais reprendre son souffle. En fait, je suis
incapable de visionner un film où les personnages parlent sans arrêt. Tout
comme je fais une indigestion de ces productions américaines où l’on joue à
massacrer les gens avec une frénésie et une obsession maladive. On comprend
pourquoi notre époque est si violente quand une partie des films que l’on
présente un peu partout sont des tueries et des massacres. Combien de victimes
fait Rambo dans un film ? Je me suis lassé de compter après 125 assassinats.
TEXTES
Dans de courts textes, Robert Lévesque, souvent des chroniques
qu’il a écrites pour les Cahiers du cinéma (des textes rédigés pour le site web de la revue 24 images entièrement revus) ou encore pour un journal, nous entraîne dans les coulisses des
films qu’il a vus, s’attarde à la démarche des cinéastes, leurs préoccupations,
des rencontres marquantes ou encore des amours. Bien sûr, il a pris le temps de
remanier ses textes pour les mettre à jour.
Ce film sur un écrivain qui va mourir, sur le monde qu’il voit
courir à sa perte, est sous-estimé, c’est le dernier grand film de Resnais,
celui de la grâce lumineuse et crépusculaire, réalisé avant que, passées ses
réalisations entrées dans l’histoire (de 1958 à 1977), il se disperse dans le
divertissement et quasiment le boulevard, qu’il fasse la guinche dans les bras
des scénaristes-acteurs Jaoui et Bacri… ; on fume, on ne fume pas, on
n’embrasse pas sur la bouche, on veut renter à la maison, toutes choses filmées
sans souci où tout ce qu’il y a à comprendre, c’est que la comédie ne lui va
pas ! (p.38)
Des comédiens fascinants, des comédiennes qui ont marqué leur
époque et le cinéma. Ava Gardner et Bette Davis sont de celles-là, des hommes
aussi, des scénaristes, enfin un peu tous ceux qui s’agitent autour de la
machine spectaculaire qui se déploie autour d’un film ou d’une boîte de
production. Un monde qui demeure fascinant et étrange avec ses personnages
excessifs qui connaissent souvent la déchéance. Je pense à William Faulkner qui
a travaillé comme scénariste pendant des années et qui buvait sans reprendre
son souffle.
Robert Lévesque nous montre le côté humain des chefs-d’œuvre qui
ont marqué leur époque. Des rencontres improbables comme Luis Buñuel et
Salvador Dali, des comédiens qui s’aventurent dans la fiction comme dans la vie
avec une aisance étonnante. Le chroniqueur fait preuve d’une curiosité
insatiable et nous fait voir des films marquants d’un autre angle. Un original
qui veut tout savoir du pourquoi et du comment d’un film. Ça nous donne souvent
des faits cocasses et étonnants, des éléments biographiques qui permettent de
comprendre les idées et l’entreprise d’un réalisateur.
Mizoguchi est né en 1898 dans le quartier le plus pauvre de Tokyo,
Asakura, où son père, charpentier jeté au chômage par la crise économique de
1904, était d’une grande violence, battant sa femme, forçant sa sœur à devenir
geisha ; Kenji n’eut pas d’enfance, mais il possédait un réel talent pour faire
de la peinture sur tissus. À vingt-deux ans, il entra au studio Nikatsu comme
acteur, il allait devenir en trois décennies le plus grand cinéaste du Japon,
un des maîtres du septième art, sensible au sort des femmes, qu’elles soient
impératrices ou prostituées. (pp. 120-121)
Lévesque circule ainsi dans le temps pour saisir des œuvres
importantes, s’attardant à toutes les productions qui ont retenu l’attention et
qui peuvent encore fasciner les spectateurs. Il ne rate jamais une occasion non
plus de passer ses messages et d’égratigner certaines personnes.
Tous les pro-charte duo Marois-Drainville, ceux qui la défendent
encore tout en déplorant le triste-épisode-de-la-charte-des-valeurs, les
empressés des valeurs québécoises
pensais-je alors que j’étais seul dans ma rangée, auraient dû être ici pour
entendre cet antique propos élevé et généreux, universaliste et idéal. (p.94)
CURIOSITÉ
J’aime quand il s’attarde à ces films qui n’ont jamais été projetés
sur grand écran pour toutes sortes de raisons nébuleuses. Un phénomène plutôt étrange
quand on sait les sommes considérables qui sont mobilisées autour d’un
tournage. Ou encore des projets de grands cinéastes qui sont demeurés à l’état
d’ébauche. Tout s’explique. Le temps, l’argent, un projet trop ambitieux qui
demandait des fonds considérables ou encore la maladie. De quoi faire rêver
l’amateur de cinéma qu’est Robert Lévesque. Tout comme je rêve parfois à cette
biographie que Gabrielle Roy n’a pu terminer, tout comme Gabriel Garcia Marquez
qui s’est arrêté dans l’écriture de ses mémoires au moment où Cent ans de solitude devenait enfin un
livre.
Des textes qui vont passionner ceux qui ne ratent jamais un film et
qui squattaient certaines salles à l’époque où le Festival des films du Monde
de Montréal était un événement.
J’ai aimé suivre Robert Lévesque dans les dédales de ce monde un
peu étrange, le jeune homme qui se passionnait pour cet art et les vedettes
quand il vivait à Rimouski et qui se précipitait quand le cinéma affichait une
nouveauté. Je garde un bon souvenir de mes premières expériences au cinéma même
si j’ai oublié les films qui étaient à l'affiche. Je me souviens d’avoir vu West Side Story de Jerome Robbins et
Robert Wise à
Saint-Félicien. Nous étions deux dans la salle.
J’aime particulièrement quand Robert Lévesque s’aventure du côté
des écrivains qui ont flirté avec le cinéma. Je pense à Bernanos et
Louis-Ferdinand Céline.
Ce qu’il y a de particulier avec l’improbable duo que je
convoque, c’est que le chrétien romancier — qui, nuance, n’était pas un
romancier chrétien — fut l’un des rares à saluer le génie de cet énergumène
qu’était Louis-Ferdinand Céline lorsque celui-ci, qui n’était pas du bâtiment,
lança son « ours », fantasque écriture que les bien-pensants reçurent comme un crachat langagier, blasphématoire, un
pavé argotique dévergondant la langue française. (pp.218-219)
Le chroniqueur possède l’art de raconter et c’est
pourquoi je le suis volontiers dans les coulisses du cinéma et des grandes
œuvres de cette expression qui semble en mutation avec l’arrivée d’Internet et de tous
les réseaux de diffusion. Un curieux que ce Lévesque, un fouineur qui s’aventure
partout où l’humain tente de s’inventer un monde par l'exploration et l’imaginaire. Que
ce soit avec les images ou les mots, Robert Lévesque ne cesse de satisfaire sa
curiosité et c’est une belle idée que celle de reprendre ces textes qui gardent
toute leur actualité et leur pertinence.
DÉCADRAGES
de ROBERT LÉVESQUE
est une publication des ÉDITIONS DU BORÉAL.