CATHERINE ÈVE GROLEAU m’a d’abord
dérouté avec Johnny. Dans le premier
chapitre, je me suis demandé dans quel piège je m’aventurais. J’avançais
lentement, méfiant, prêt à refermer le livre. Et puis une sorte de renversement,
d’embellie, je ne sais trop, s’est produit. Comme si tous les nuages qui
alourdissaient le texte s’évaporaient. Valentine abandonne ses enfants et son
mari. Elle fonce sur l’autoroute vers Québec, pour surprendre le fleuve,
retrouver ses repères, respirer dans tout son corps. Elle trouve refuge chez sa
tante, un certain temps. Le calme, la paix dans une grande maison silencieuse.
Valentine a tout perdu dans l’aventure du mariage avec Johnny, surtout ses
illusions, son rêve d’échapper à l’univers étouffant de sa mère.
Ça commence mal.
Je l’ai dit. Une écriture pleine de détails inutiles, de répétitions, d’images
maladroites. « …des toiles d’araignée
liquides sur les portes… », « …à force de kilomètres et de gaz en direction
est… », « … les sorties défilaient à coup de panneaux métalliques…» L’impression
de claudiquer quand j’aurais voulu foncer aux côtés de Valentine jusqu’au bout
de l’horizon.
Dommage ! Ce roman
aurait pu être un grand roman si seulement l’écrivaine avait su maîtriser ses
élans, décrire simplement la vie de Valentine et Johnny sans chercher à faire
littéraire. Ce tic m’a agacé tout au long de ma lecture.
Pourquoi maquiller son écriture quand l’action est forte et que les personnages
vous aspirent dans leur sillon ?
Johnny est né à
Odanak, la réserve des Abénakis. Une enfance rude. Un solitaire qui s’initie à
la chasse, hésite entre l’héritage du grand-père et la misère des siens. Il part,
ne peut que partir, changer de corps, s’installer à Montréal, devenir un Italien.
Valentine est rebelle et veut échapper à la grisaille du quotidien. Tous les
hommes veulent s’en approcher, la toucher, la posséder. Elle plaît. En
rencontrant Johnny, elle croit échapper à l’attraction terrestre.
Juste à la voir
marcher sur l’estrade, Johnny avait su en un coup de poing qu’elle était comme
lui. Ils allèrent au drive-in avec sa Maserati noir décapotable, le soleil se
prenait sur le capot. Les cheveux blonds de Valentine brillaient, il la
regardait trop, il n’était pas gêné de la fixer. Les gars de Ville-Émard la
scrutaient du coin de l’œil, rougissaient et détournaient les yeux quand elle
les regardait ; là Valentine était celle qui évitait les regards et le fixait
quand il ne la voyait pas. (p.27)
Johnny fait des
livraisons, transporte des substances illicites pour la petite pègre, aime les
vêtements dispendieux, les bijoux et les cigares, les grosses voitures. Il est
la coqueluche de toutes les filles qui se prostituent dans les bars qu’il fréquente.
JUMEAUX
Amour, promenades,
restaurants chics, beaux vêtements. Le piège se referme sur Valentine. Johnny
en fait la mère de ses enfants. La voici dans une vaste maison luxueuse,
esclave de ses enfants et de son homme. Tout pourrait aller avec l’amour, mais
il y a les mensonges de Johnny, ses tricheries et ses infidélités.
Elle part jusqu’au
bout de la route, jusqu’à l’épuisement pour retrouver qui elle est. La rêveuse,
la volontaire prête à tout pour vivre une vie différente, traverse le Québec,
jusqu’au Bas du Fleuve où tout peut recommencer.
Elle remonta dans
l’auto, soulagée de fuir son image, d’avancer. Drummondville passa, encore une
heure et demie jusqu’à Québec, ensuite deux heures pour atteindre L’Isle-Verte.
Les sorties défilaient à coup de panneaux métalliques, elle en avait pour trop longtemps. Malgré le café chaud,
elle n’y arriverait pas. Elle verrait bientôt le fleuve, le vrai, pas celui de
Montréal. Le fleuve plein de sel, d’odeurs d’algues, celui qu’elle avait vu sur
des cartes postales dans le bureau de poste de Ville-Émard, le Bas du fleuve à
l’eau pure, aseptisée par le sel. (p.10)
Bien sûr, la fuite
ne permet pas d’échapper à son enfance, à ce que l’on est. Louise Desjardins l’illustre très bien dans son roman L’idole. Évelyne
a voulu couper tous les ponts en s’installant à Buenos Aires, mais des moments
d’enfance la bousculent, la ramènent là-bas, en Abitibi.
Johnny a beau jouer
les Italiens, il reste indien. Valentine a beau retourner aux études, elle demeure
celle que toutes les femmes détestent. Elle est la menace qui aimante tous les hommes.
Comment fuir son destin, échapper à soi et à son image ? Comment s’empêcher de
plaire ?
Johnny boit pour
ne pas penser, incapable de donner un coup de barre et de reprendre sa vie
en mains. Il recommence ses livraisons pour rencontrer ses enfants. Malgré ses
efforts, il reste un errant dans sa tête et son corps, incapable de quoi que ce soit.
RECOMMENCEMENT
Les personnages
sont prisonniers de l’univers qui les a vus naître dans le roman de Catherine
Ève Groleau. Valentine, malgré ses études, ne peut empêcher les hommes de tourner
autour d’elle. Elle est condamnée à être une femme fatale. De mère aussi. Elle
cherche à s’effacer en cultivant des légumes au bout d’un rang pour n’être
personne.
Ses enfants sont marqués
par cette fatalité qu’ils ont en héritage. Eux non plus ne pourront
s’imposer comme humains libres de tous les choix et de toutes les réussites. Angie
a reçu la beauté et ce besoin irrépressible de séduire. Je n’ai pu m’empêcher
de penser à Nelly Arcand qui a fait de sa beauté une obsession. Franco tente d’échapper
au carcan familial en s’intéressant à l’astronomie. Le fils aime la discipline
militaire pour obéir, pour ne plus être soi. Il cherche à sortir de lui comme
son père et sa mère l’ont fait avant lui.
Johnny, au volant
de son camion, ne sait faire que ce qu’il a fait la veille et qu’il répétera le
lendemain. Le choc survient quand il surprend sa fille dans le salon avec un
voisin. Elle est aimantée par les hommes, ne peut que donner son
corps pour attirer l’attention. Un manque d’amour terrible. Un vide impossible
à combler.
Elle attendait de
se faire prendre derrière les conteneurs. Johnny, avant de brûler dans le ciel
de la Mauricie, lui avait dit que c’était une ostie de traînée. Elle était
venue le voir l’été avant qu’il s’explose la cervelle, Valentine l’avait
laissée partir tout le mois d’août, ne sachant plus quoi faire avec elle.
Johnny l’avait prise à se faire rentrer dedans en plein milieu du salon ; le
voisin avec son pantalon avachi sur ses chevilles, penché sur elle en grognant
comme un porc suant. Il avait tiré le gars par les cheveux, avait traité Angie
de crisse de plotte ; le lendemain, il ne lui avait rien dit sur la route en la
ramenant à Valentine. (p.198)
Quel roman dérangeant.
Les personnages sont enfermés dans leur vie et ne peuvent changer. C’est
peut-être le destin des Indiens qui n’ont plus d’avenir et qui ne peuvent
s’accrocher à leur passé obsolète. Tous des errants qui troquent leur identité,
marqués par leur enfance et un destin qui les casse. Valentine ne fera jamais
oublier sa beauté même en faisant tous les efforts. Une fatalité terrible les
broie peu à peu.
Cette forme de
malédiction est particulièrement dérangeante. La quête d’identité est troublante,
difficile et impossible. J’ai eu souvent envie de hurler. Signe que madame
Groleau présente ici un univers singulier et percutant. Un très bon roman malgré
certains travers d’écriture.
JOHNNY
de CATHERINE ÈVE GROLEAU est paru aux ÉDITIONS du BORÉAL.