TOUT RECOMMENCER, être
Adam ou Ève sur une île déserte pour réinventer la vie. Cette idée a fasciné
nombre d’écrivains. Tout commence bien malgré la solitude et la catastrophe. Après tout, le
rescapé se retrouve dans un paradis et il n’a pas à se protéger des animaux
sauvages. Arrive l’autre et tout bascule. La venue de Vendredi bouscule
Robinson Crusoé. Le primitif et le civilisé doivent apprendre à vivre ensemble.
Il faut réinventer la vie en société dans Sa
majesté des mouches d’Arthur Golding où des enfants retournent à l’état
sauvage. Qu’est-ce qui fait la civilisation et éloigne la barbarie ? Dynah
Psyché, dans Rouge la chair, reprend
le thème et l’explore à sa façon.
Daniel Defoe,
Michel Tournier, Arthur Golding ont tenté d’inventer une vie nouvelle sans pour
autant réussir à décrire un monde où la violence, les agressions et la folie
disparaissent. Yann Martel dans L’histoire
de Pi met face à face le tigre et le jeune garçon. Ce sera l'humain qui profitera le plus de cette fréquentation.
J’ai fait une incursion de ce côté, il y a plusieurs années, en me lançant dans un roman qui racontait l’histoire d’un survivant. Il se retrouvait seul sur la planète. Du moins, il le pensait jusqu’à ce qu’ils voient des empreintes sur le sable. Tout recommence. La peur, les craintes, l’autre qui devient une menace, les armes. J’ai abandonné le projet, n’arrivant pas à trouver une voie nouvelle. Comment ne pas penser à La route de Cornac McCarthy ? Le monde retourne à la sauvagerie quand il tente de se réinventer.
J’ai fait une incursion de ce côté, il y a plusieurs années, en me lançant dans un roman qui racontait l’histoire d’un survivant. Il se retrouvait seul sur la planète. Du moins, il le pensait jusqu’à ce qu’ils voient des empreintes sur le sable. Tout recommence. La peur, les craintes, l’autre qui devient une menace, les armes. J’ai abandonné le projet, n’arrivant pas à trouver une voie nouvelle. Comment ne pas penser à La route de Cornac McCarthy ? Le monde retourne à la sauvagerie quand il tente de se réinventer.
L’histoire des Amériques
illustre ce mythe. Les arrivants rêvaient d’abandonner leurs « misères » dans
la vieille Europe pour inventer un monde meilleur. La longue marche vers
l’Ouest américain cherchait à s’éloigner des dogmes religieux de plus en plus
étouffants pour créer une société libre. La Californie semble la plus réussie de
ces utopies avec sa mentalité ouverte et sa tolérance. L’humain, semble-t-il,
ne sait que reproduire des instincts ancrés au plus profond de lui. Un loup ne
peut être qu’un loup.
RECOMMENCEMENT
Fiona vit dans une
tribu de nomades. Tous déménagent à la saison des pluies pour se protéger des
moustiques et de l’humidité. Ils naviguent dans de grands canots et se réfugient
à l’intérieur du fleuve, sur les hautes terres. Les femmes vivent d’un côté et
les hommes de l’autre. Un monde pacifique, fait de bonne entente et de partage.
Fiona ne quittait
jamais la mangrove sans un petit serrement de cœur. Même si la migration était
prévue et se répétait chaque année à la saison des pluies, la jeune fille
aurait aimé y échapper. « Pourquoi doit-on partir ? » avait été une de ses
questions rituelles quand elle était plus jeune. (p.9)
Les nomades vivent
un tsunami qui emporte tout sur son passage. L’adolescente se retrouve sur une
île, sauvée par un arbre mythique qui l’a protégée de la mort. Le sang-dragon pourrait
être l’arbre du bien et du mal, celui de la connaissance qui garde la vie. Où
est-elle et y a-t-il des survivants ? Elle explore son nouvel environnement,
retrouve le corps de sa meilleure amie Kloé. Il reste l’espoir que des membres
de sa tribu viennent la secourir. Sa mère ne l’abandonnera jamais. Elle se
débrouille malgré la solitude, trouve des hameçons et peut attraper des
poissons.
Après un certain
temps, une bande d’enfants envahit son île. Ce qui pourrait s’avérer des
retrouvailles, une fête, devient un cauchemar. Un garçon particulièrement
brutal impose son pouvoir et domine les autres.
Fiona était
littéralement estomaquée par le comportement des enfants. De jeunes sauvages,
voilà ce qu’ils étaient devenus. On leur avait enseigné l’entraide et la solidarité,
mais ils avaient oublié les leçons des adultes pour sombrer dans la guerre. Il
fallait absolument les calmer et ce d’autant plus vite qu’elle trouvait
inquiétante la présence des couteaux. Les enfants étaient prompts à
s’enflammer, ils paraissaient excédés et prêts à tout, simplement parce que la
faim les dominait. (p130.131)
La jeune fille
doit se dresser devant Fulbert, le chef qui terrorise les plus jeunes. Elle est
plus vieille et plus forte physiquement, incarne le pouvoir malgré elle. Comment
ramener les enfants à des manières qui correspondent à celles que les parents
et les anciens leur ont inculquées ? Que reste-t-il de l’ancienne vie ? Que
deviennent les valeurs quand les liens de la collectivité s’effritent ? La
civilisation est-elle l’affaire de la société ou de l’individu ?
QUESTIONS
Ce roman permet de
réfléchir à la vie en groupe, aux instincts ancrés dans les êtres humains, aux
pulsions qui caractérisent les mâles et les femelles. Fulbert est obsédé par le
goût du sang. Le jeune chasseur pousse le groupe à la violence et aux excès grâce
à un rituel qu’il invente. Fiona tente de garder son équilibre et de protéger
les enfants de ce garçon qui semble prêt à tout.
De toute façon,
elle le refusait, ce pouvoir qui consisterait à décider pour eux. Tout
simplement parce qu’elle ne voulait pas que l’inverse se produise : qu’on
prenne des décisions pour elle. Comme si la conscience de sa responsabilité
vis-à-vis d’elle-même avait fait germer un profond besoin de liberté dans sa
tête… Elle s’engageait à faire tout son possible pour prendre soin d’eux, mais
ce rôle était-il jouable sans donner des ordres et statuer pour autrui ? Et si
une opportunité se présentait pour qu’elle parte, mais seule, pourrait-elle les
abandonner ? (p.144)
Fulbert incarne ce
je sanguinaire et Fiona la collectivité. Les deux ne peuvent que se dresser
l’un devant l’autre.
FILLETTE
Lilia, une petite,
a disparu lors d’une chasse. Fulbert ne s’en soucie guère. Ce qui importe c’est
la chair, le sang pour imposer sa férocité et sa puissance.
Une femelle lamantin
a remplacé son bébé par l'enfant qui se nourrit à son sein. Les autres la
suivent et l’animal devient la mère de tous. Symbole de générosité, de
résilience, d’amour qui transgresse les frontières et permet le partage dans le
plus incroyable des dons. On a eu le mythe de Tarzan qui a été adopté par des
singes. Il ne faut pas oublier que Rome, selon la mythologie, a été fondé par Rémus
et Romulus, des frères jumeaux nourris par une louve. Ce contact entre l’animal
et l’humain est bien présent dans l’histoire de la pensée humaine.
Belle occasion de
réfléchir sur ce que sont les instincts qui nous poussent à tuer ou à
s’entraider. Le goût du sang serait-il particulièrement fort chez les mâles et moins
présent chez les femelles ?
Rouge la chair nous pousse à la limite. L’amour, le partage, la générosité, le
don de soi ne seraient pas seulement l’apanage de la race humaine. L’animal
peut faire preuve d’empathie dans des comportements étonnants.
Or il l’avait
retrouvée et il ne souhaitait plus la perdre. C’était son amie et elle était
gentille. La preuve en était qu’elle avait partagé sa nouvelle mère avec eux.
Ils avaient tous bu de son lait et une « famille » s’était formée à ce
moment-là. Puisqu’elle était devenue leur mère, ils étaient frères et sœurs.
Mais pas comme les jumelles Amala et Kamala qui se disputaient tout le temps.
Une famille à eux, avec une seule règle, le silence… …Les autres l’avaient
écouté, fascinés par son discours. Tout ce qu’il disait leur paraissait vrai,
et même si le lait n’avait pas bon goût au début, même s’il les avait rendus
malades, c’était tellement bon d’avoir retrouvé une maman et de former une
famille…(p.249-250)
Un roman fort
intéressant malgré certaines incongruités. Fiona vit dans la jungle et souvent
on a l’impression qu’elle possède la pensée d'une citadine. Cela passe par un
vocabulaire et des raisonnements décalés. Ça sonne un peu faux. Et elle ne
cesse de se questionner sur ce qu’elle vit, doit faire ou doit défendre. Ces
grandes considérations sont beaucoup plus le fait de l’auteure que du
personnage, il me semble. Dans une situation semblable, il y a moins de
raisonnements que de gestes. Les grandes introspections et les hésitations de
Fiona cassent le rythme de l’histoire et nous font oublier un peu sa situation.
Malgré des tics, Rouge la chair n’en demeure pas moins un
roman intéressant qui va à la source de cette violence qui détruit nos sociétés.
L’écrivaine pousse plus loin en envisageant les rapports entre les bêtes et les
humains. Une histoire séduisante qu’un élagage aurait pu rendre irrésistible.
PROCHAINE
CHRONIQUE : Le
géant de
Francine Brunet publié chez Stanké.
Rouge la chair de DYNAH
PSYCHÉ est paru chez XYZ Éditeur, 290 pages, 24,95 $.