Jérôme Borromée a connu une enfance libre, sans véritables balises ni
directives. Un père à la sexualité ambivalente, une mère plutôt instable et
angoissée, un frère qu’il tente d’imiter plutôt mal que bien. Les garçons ont
grandi avec leurs amis, profitant de toutes les occasions pour fumer, boire et
se défoncer. Le tout dans un monde musical omniprésent qui devient quasi de
l’agression. Une lente dérive dans un monde qui s’effrite peu à peu.
Guillaume Bourque, dans Jérôme Borromée, nous fait découvrir un
adulte qui n’a jamais guéri de son enfance. Certains écrivains ont fait leur
marque en refusant la vie adulte. Je pense à Réjean Ducharme et Bruno Hébert
qui ont poussé cette négation dans des dimensions épiques. Bérénice Einberg et
Léon Doré demeurent des figures marquantes de notre littérature.
Jérôme, la trentaine, à la
veille de devenir père, ne peut que se retourner vers cette période floue où il
n’était pas même certain de son orientation sexuelle. Tout comme son père qui
avait du mal à se retenir en présence de certains de ses amis.
«Les soupers en tête-à-tête
ont continué. Il avait retrouvé tout un éclat, ton père, et quand tu lui
annonçais que Justin s’en venait à la maison, il s’empressait d’aller se
brosser les dents. Personne ne faisait le lien, personne n’osait se demander ce
que Paul pouvait bien retirer de cette relation, surtout pas Claire, ta mère.
C’est Victor qui a fait la lumière sur les motifs de l’intérêt de votre père
pour l’acteur. Le titre du dernier film commandé à Super Écran était resté
affiché à la télé, une nuit. Paul était peut habile côté technologie, il avait
laissé des traces: un film de fesses au masculin.» (p.37)
Jérôme rêve de devenir
scénariste. Il ira un peu dans toutes les directions, incapable de s’accrocher
à un projet. Justin pourtant lui montre la voie. Le comédien fait son chemin en
misant sur toutes les cartes. Carry, un ami avec qui il aura des contacts
sexuels, le tourmente et le questionnera dans ses pulsions.
Amorphe, il ne ressent pas
cette vibration qui pourrait le pousser jusqu’au bout d’un travail ou d’une
passion. Il tente de séduire plutôt que de s’imposer. Une ambivalence, un
ancrage qui lui fera toujours défaut.
«Tu avais réussi à faire le deuil
de tes aspirations de prodige du cinéma en te visualisant en professeur vedette
à l’université, mais tu n’as pas été capable de le mener à bien, ce deuxième
plan. L’anxiété encore, cette fois avec pour objet ta thèse. Tu n’arrivais plus
à rédiger, tes lectures te dégoûtaient. Ça a duré des mois. Tu as dû abandonner
ton doctorat et tu n’as plus jamais lu autre chose que des courriels, des
directives et des recettes.» (p.180)
Une angoisse aussi de devoir
franchir une sorte de mur l’empêche de s’avancer seul au grand jour. Il finira
par devenir fonctionnaire, un travail plutôt bien payé et particulièrement terne.
Devant la grossesse de son
amoureuse, il reste interdit, incapable encore une fois de s’émerveiller ou de s’emballer.
Il ne sait surtout pas s’il aime encore cette femme qui le bouscule et contrôle
sa vie. Il sera père puisqu’on le lui demande, joue le rôle dans une émission
télévisuelle au plus grand plaisir de sa mère. C’est ce qu’il a toujours fait,
jouer, faire semblant, être quelqu’un d’autre.
«Si au moins vous étiez
devenus les enfants qu’elle souhaitait. Toi, tu as fini par satisfaire ses
espoirs avec tes diplômes, ton poste, ta blonde et ton fils à venir, mais tu as
d’abord été, comme ton frère avant toi, un ado bum qui ne s’intéressait à rien,
qui buvait, qui se droguait et qui s’amusait seulement en ridiculisant les
autres. Ta mère aurait voulu que la vie la dédommage de lui avoir pris ses deux
premiers-nés en lui donnant de bons fils, mais les deux salaires de son
sacrifice ont passé leur jeunesse à lui rire au nez.» (p.206)
Devenir adulte dans le cas de
Jérôme aura été un épouvantable gâchis. Peut-être aussi renoncer à toutes les
ambitions ou les désirs qui rendent la vie passionnante.
Vie adulte
Jérôme Borromée dresse un
portrait assez noir d’une certaine génération qui semble avoir été abandonnée. Des
jeunes ont été ballottés tout au long de leur enfance, incapable de décider ou
de savoir ce qu’ils souhaitaient vraiment. Le pire, c’est que personne ne leur
a demandé de se centrer sur l’être qu’ils sont. Nul ne semble s’en être
inquiété, autant à la maison qu’à l’école. Ils auront été des absents, des
figurants.
Un récit bouleversant qui m’a
laissé avec le motton dans la gorge.
Jérôme Borromée de Guillaume
Bourque est paru aux Éditions du Boréal.