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lundi 15 septembre 2008

Victor-Lévy Beaulieu rêve un certain Québec

La rentrée littéraire au Québec s’annonce encore une fois passionnante. Plus de 400 titres en littérature, au-delà de trois milles ouvrages en tout. Dans la région, la saison démarre avec l’épiphanie du Salon du livre, fin septembre. Avant de plonger dans ces nouveautés, revenons à un ouvrage paru en février 2008 dont on a trop peu parlé. Il fallait du temps pour se mesurer à cette fable de Victor-Lévy Beaulieu de près de 900 pages. On le sait, l’écrivain-polémiste aime les chemins tortueux et mal fréquentés.
Inventer un personnage qui incarne la démarche du Québec depuis le débarquement de Jacques Cartier, ses aspirations, ses hésitations, ses faiblesses et ses lubies, est un tour de force. Cela peut expliquer pourquoi Beaulieu a amorcé la rédaction de «La grande tribu» en 1980 pour l’achever vingt-huit ans plus tard.
Une «grotesquerie» qui fait des détours par le conte, l’essai, la fable, la biographie et les perturbations qui secouaient la France à l’époque des grandes découvertes. Une plongée dans la Nouvelle-France qui nous laisse au début de ce millénaire, avec l’écartèlement politique que l’on connaît.
Beaulieu touche à tout: le métissage avec les Indiens, les escarmouches avec l’Anglais, la Conquête et cette soumission qui devient un héritage asphyxiant. Le tout avec des allusions à la période contemporaine, aux personnages qui font l’actualité politique et littéraire, aux libérateurs qui ont imaginé l’Amérique et le Nouveau Monde.

Personnage

Habaquq, un personnage esquissé dans « aBsaLon-mOn-gArçon », a perdu ses jambes, victime de la bactérie mangeuse de chair. Interné, il subit toutes les tortures. Malgré plusieurs tentatives, il n’arrive pas à s’enfuir de la maison d’enfermement. Arrive le moment où le Docteur Avincenne, son tortionnaire, lui implante une puce dans le cerveau. Il vivra dans la société, contrôlé dans sa pensée, collaborateur et dénonciateur. La fréquentation de l’orignal épormyable, l’incarnation du poète Claude Gauvreau, de Bowling Jack que nous avons croisé dans «Je m’ennuie de Michèle Viroly» changera sa destinée. Surtout sa rencontre avec la Petite actrice rousse.
Victor-Lévy Beaulieu pousse à l’extrême le penchant des Québécois à accepter tous les compromis et les accommodements déraisonnables. C’est souvent difficile à avaler. Le romancier a dû larguer bon nombre de lecteurs en cours de route. Il faut être patient et têtu pour traverser cette épopée des lésionnaires.
Le récit se perd, revient sur ses pas, reprend où il s’est embourbé. À l’image de la démarche du Québec, qui garde l’idée de l’indépendance sur le réchaud sans passer à l’action. La «pensée équivoque» comme l’écrivait Gérard Bouchard dans son essai sur le chanoine Lionel Groulx.

Écriture

Victor-Lévy Beaulieu navigue sur une écriture qui se veut le reflet de cette pensée qui se mord la queue, s’étourdit comme les derviches. Une langue «hallucinée, rabelaisienne et fabuleusement perlante» écrivait-il sur la quatrième de couverture de «aBsaLon-mOn-gArçon». Un texte qui progresse par répétitions, se roule dans un rêve toujours trahi.
Il pousse à son apogée ce langage qu’il peaufine depuis des années, puisant dans tous les recoins de l’expression, pirouettant sur les allitérations, les jeux de mots, les redondances qui reviennent tel un refrain.
«Je n’ose ouvrir les yeux, je ne veux plus être la dépouille souffre-douleur du docteur Avincenne, suspendue par la peau du dos à un crochet rouillé et encamisolé de force, je ne veux plus qu’on prenne le trou que j’ai dans le crâne pour le dépotoir radio-actif de Belledune et qu’on verse dedans ces pelletées de remèdes qui ne remédient en rien à la douleur que j’ai de si peu vivre en si peu d’ivresse, de si peu vivre en si tant de givre, de si peu vivre en si tant de peu de temps par derrière et par devant.» (p.250)

Une fresque

«La grande tribu» est une fresque qui subjugue malgré ses tics, son personnage qui tient plus de l’animal que de l’humain. La trame se défait à chaque page pour se ramasser et foncer avec l’orignal épormyable contre tous les obstacles.
Peut-être que la libération passera par ce verbe qui s’empare du rêve qui a soulevé Louis-Joseph Papineau, Abraham Lincoln, Jules Michelet, Walt Whitman et Simon Bolivar. Heureusement, l’utopie permet de croire que demain peut être autre. Pour une fois, l’auteur de cette œuvre colossale et fascinante ouvre une porte à l’espoir après une traversée particulièrement rude.

«La grande tribu» de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

jeudi 28 août 2008

Sergio Kokis questionne l’art et la vie

Le roman a été réédité par Lévesque Éditeur
Le sujet est revenu dans l’actualité, il y a quelques semaines, dans une critique signée Christiane Laforge. L’art visuel, son essence et ses perspectives, y étaient questionnés à l’occasion d’une exposition. Les réactions sont toujours vives et émotives quand on aborde un tel sujet. D’un côté les tenants d’une approche plus théorique de l’art et de l’autre, les «réalistes» qui occupent l’espace dans les symposiums de la région. Deux approches irréconciliables.
Dans «Le retour de Lorenzo Sanchez», Sergio Kokis, romancier et peintre, questionne le monde des arts visuels. Ce n’est pas la première fois. Il l’a fait dans «L’art du maquillage» et le peintre et écrivain ne rate jamais une occasion de bousculer certains concepts à la mode.

Lorenzo

Lorenzo Sanchez est peintre et enseignant. Il est «poussé vers la retraite» à l’école des Beaux-Arts parce que la direction décide de ne plus enseigner le dessin et d’ignorer les études anatomiques. Il faut être moderne. Les étudiants préfèrent les nouvelles approches informatisées où «l’œuvre concrète» s’efface devant d’ennuyeuses descriptions de la démarche et du regard qui bousculent la réalité. Savoir dessiner n’est plus nécessaire.
«Tant pis pour ces pauvres finissants qui n’auront aucune formation sérieuse, Lorenzo. Ils devront se contenter de leurs installations infantiles aux descriptions ampoulées, de leurs transformations débiles d’objets d’usage courant en semblant d’objets d’art. Chacun d’entre eux s’efforcera désespérément de décrocher un grain d’originalité dans un monde où tout a déjà été trafiqué, manipulé, falsifié et métamorphosé pour atteindre ces sommets de trivialité dont se remplissent les musées d’art contemporain.» (p.48)
Un sujet important que l’on évite la plupart du temps. Il est certain que l’on tourne en rond depuis des années en pratiquant l’approche théorique, tout comme les figuratifs ne cessent d’idéaliser la nature. Lise Bissonnette, il y a quelques années, a fait un portrait plutôt dérangeant de la critique d’art dans «Choses crues». Elle a été accueillie par un mutisme plutôt révélateur. Il y a comme ça des sujets qui demeurent tabou.

Immigrant

Bien sûr, Kokis ne se contente pas de théories et de dénonciations des arts contemporains. Lorenzo a fui le Chili pour des raisons politiques, s’est installé en Allemagne de l’Est où il a étudié le dessin et la peinture avant d’aboutir à Montréal. Un parcours que Kokis a déjà fait suivre à Boris, le héros de son roman «Errances».
Lorenzo a fait une belle carrière d’enseignant tout en peignant. Le peintre a toujours oeuvré dans l’ombre et voilà que la vente de ses boxeurs vient le perturber. Une grande entreprise achète la série et va s’en servir pour stimuler la productivité de ses employés. Quel sort réserve-t-on aux œuvres d’art et au travail de l’artiste? Un tableau n’est-il qu’un vulgaire objet décoratif sans signifiant ou porte-t-il une réflexion sur notre époque que l’on trahit en l’utilisant à toutes les sauces?
Vieux macho, misogyne qui apprécie le vin, la bonne bouffe, le rhum et la cigarette, Lorenzo est rattrapé par son passé quand son frère le rejoint après des décennies de silence. Toute sa vie bascule.
«Même un grand auteur comme Homère l’a escamoté dans l’Odyssée. C’est le fait que les exilés et les immigrants ont laissé derrière eux un passé qui n’a pas continué à passer, qui s’est figé dans leur mémoire et qui n’a pas vieilli. Pénélope reste une jeune beauté après vingt ans d’absence et Ulysse, lui aussi, n’a fait qu’embellir au point de séduire des fillettes sur une plage de Libye… …Beaucoup d’étrangers conservent une identité paradoxale : ils sont ce qu’ils sont devenus, tout en gardant intacte l’image du jeune homme qu’ils étaient au moment de quitter leur pays. Ils oscillent ainsi entre deux identités, sans arriver à se décider.» (p.189)
Encore une fois Sergio Kokis peint un hymne à la vie et à l’amitié. C’est l’aspect le plus touchant de ce roman qui ramène une époque qui a marqué l’artiste, l’enfance, les préjugés des grandes familles terriennes qui donnaient le ton au Chili, ses origines obscures et ses amours avec Sonia qui causeront sa perte. L’art de vivre, l’art de la vie, l’art et sa signification, la question de l’identité portent ce roman étonnant et jouissif.

«Le retour de Lorenzo Sanchez» de Sergio Kokis est paru aux Éditions XYZ.

samedi 12 juillet 2008

Dany Laferrière se regarde aller

Dany Laferrière est devenu, au fil des ans, l’écrivain que l’on voit partout et qui a réponse à tout. Il est le romancier officiel des médias du Québec en quelque sorte. Je l’ai entendu expliquer les tensions séculaires et historiques entre les villes de Québec et Montréal, le phénomène Maurice Richard, s’étendre sur la nomination de Michaëlle Jean comme Gouverneure générale du Canada et commenter l’actualité. Il peut se contredire dans une phrase, proférer des énormités, se reprendre dans un rire et emberlificoter tout le monde. C’est le même écrivain qui promettait, il y a quelques années, de ne plus écrire après avoir signé une dizaine d’ouvrages. Cela ne l’a pas empêché de reprendre certains de ses titres et de les gonfler de plusieurs pages.
En avril dernier, il lançait «Je suis un écrivain japonais». L’auteur du magnifique «Le Cri des oiseaux fous» y effleure la question de l’identité, un sujet délicat qui a fait frémir bien des Québécois au cours de la dernière année. En ces temps d’accommodation raisonnable et de Commission Bouchard-Taylor, il tombait pile. On était en droit de souhaiter une réflexion originale. On le sait, Laferrière aime bien nager contre le courant.
Eh, bien non, le cinéaste à ses heures se contente de pirouettes et de clichés déconcertants. Oubliez le Japon! Il ne connaît rien à ce pays sauf les écrivains Mishima et Basho. Il lui fallait un bon titre. Tout est là! Un coup de marketing!
«Quel que soit le livre, ce sont ces mots qui le représenteront. Ce sont ces mots que l’on verra le plus souvent. Pour les autres, il faudra ouvrir le livre. Alors que ces mots seront toujours là sous nos yeux. Ils contiendront tous les autres mots du livre. Pas besoin de relire le livre de Garcia Marquez, il suffit de dire «Cent ans de solitude» ou «À la recherche du temps perdu» s’il s’agit de Proust… » (p.13)

Paresse

Laferrière lance des idées prometteuses, mais ne s’attarde pas pour dégager une pensée originale. Un roman qui devient la copie de ces émissions de télévision où les invités défilent. On y aborde tous les sujets sans jamais reprendre son souffle. Quand cela risque d’être intéressant, vite il faut passer à autre chose.
L’écrivain effleure pourtant une question importante pour les petites nations qui peuvent disparaître devant la culture commerciale qui s’impose partout dans le monde. Le droit à la différence, à l’identité, à sa culture, tout cela est lancé pêle-mêle. Il se contente de hausser les épaules. Son ego est tel qu’il est au-delà de tous les nationalismes. Cela l’agace et il a même du mal avec ses origines caribéennes. Comme si la littérature pouvait s’épanouir sans ancrage et sans terreau national. 
«Même moi, je n’arrive pas à démêler chez moi le vrai du faux. C’est que je ne fais aucune différence entre ces ceux choses.» (p.24)
Tout est permis alors. Et tout ce qu’il dit, faut-il le prendre au sérieux?
«Je crée un univers, et je n’ai pas l’intention de le partager. J’ai quelques noms de filles, un titre, des voix, une ville que je connais trop bien, et une que je ne connais pas. Je n’ai besoin de rien d’autre pour faire un roman.» (p. 248)

Hésitation

J’ai lutté tout au long de cette lecture, mais Dany Laferrière est ratoureux. Comme j’allais refermer le livre, une réflexion sur l’écriture me happait. Comme ça jusqu’à la fin, même si j’ai eu l’impression que rien ne commence et que rien ne se termine dans cette filière japonaise.
«J’écris vite aussi. Peut-être mal, mais toujours vite. J’affirme être le meilleur sprinter de ma génération. On devrait me croire sur parole, car tout le monde ne cultive pas pareille audace. Dire qu’il est le meilleur. Dans les autres métiers, oui, mais en littérature.» (p.253)
Un texte qui se regarde aller, baveux aussi et souvent insipide. Dany Laferrière ne sera jamais un écrivain japonais, mais il habite le pays de son nombril. C’est peut-être là le problème. Il oublie dans ce roman que l’essence de la littérature est de s’attarder et de défaire les clichés, d’aller au-delà pour trouver un regard original et universel. En ce sens, Dany Laferrière tient sa promesse. Il n’a pas écrit de nouveau roman.

«Je suis un écrivain japonais» de Dany Laferrière est publié chez Boréal Éditeur

vendredi 4 juillet 2008

Qui a tué le journaliste du journal Le Soleil

Arthur Laflamme, journaliste au journal «Le Soleil» est trouvé mort dans son appartement. Qui a assassiné ce franc-maçon à la plume acérée. Des documents sont disparus et tout laisse croire qu’il possédait des informations qui pouvaient éclabousser le clergé, particulièrement Mgr Bégin, et certaines grandes entreprises qui s’apprêtent à électrifier la ville et toutes les possessions du clergé. De grosses sommes d’argent sont en jeu, des contrats alléchants et plusieurs personnes ont intérêt à faire taire ce pamphlétaire.
Un jeune policier, Francis Leahy, est chargé de dénouer ce meurtre qui risque d’éclabousser la bonne société de Québec.
Le journal «Le Soleil» venait tout juste de naître en septembre 1898. Les périodiques à l’époque étaient lancés et disparaissaient comme la lune derrière les nuages. Ils sont la propriété d’une formation politique ou opèrent sous la férule du clergé. Les journalistes marchent sur la corde raide et les autorités n’hésitent pas à intervenir quand certaines frontières sont franchies. Même que des rédacteurs se retrouvent en prison après la publication de certains articles. Ernest Pacaud, le directeur du «Soleil» en sait quelque chose. Il doit ménager la chèvre et le chou.
«- Ses fonctions? Pacaud leva les bras. Ce n’étaient pas des fonctions, c’était une mission! C’est comme cela qu’il voyait son travail, comme une mission. Il s’était fait l’ennemi de toutes les hypocrisies et de tous les mensonges. Les faux idéaux politiques ou religieux, l’exploitation de la crédulité ou de la misère. Tout ce qui asservit l’homme au lieu de le libérer. Il tirait sur tout ce qui bouge. Même ses amis trouvaient qu’il exagérait parfois…» (p.27)
Les publications ne cachaient pas qu’elles étaient au service d’un parti politique. Les scribes de l’époque défendaient des idées politiques et sociales tranchées, mettaient leur plume au service d’une cause. Certains comme Henri Bourassa, Armand Lavergne, Olivar Asselin ou Arthur Buies sont passés à l’histoire. Être conservateur ou libéral, alors, signifiait vraiment quelque chose et les idées que véhiculaient les formations politiques étaient impossibles à réconcilier.

Une époque

Antoine Yaccarini mélange habilement la fiction et la réalité, s’appuie sur des articles de journaux de l’époque, des personnages réels, tout en laissant courir son imagination. Le processus est habile et nous tentons, par les yeux de ce jeune détective d’origine irlandaise, de découvrir qui a tué ce polémiste et pourquoi. Les regards se tournent vers André Fournier, un collègue, ou un négociateur du clergé, Elzéar Berthelot, la tête de Turc préférée de l’éditorialiste. Pas facile de faire la lumière dans cette histoire nébuleuse. Tout le monde devient suspect. Serait-ce un règlement de compte des francs-maçons?
L’auteur nous tient en haleine jusqu’à la dernière ligne, la révélation finale. Le romancier sait mêler les cartes, nous lancer sur de fausses pistes. À partir de la page cent, j’étais convaincu que c’était Lucille, la fille de Berthelot, la coupable… Tous les éléments de la preuve convergeaient vers elle et seul le détective Leahy ne voyait rien, obnubilé par la beauté de la jeune femme. Il faut le dire, l’auteur m’a mené par le bout du nez pendant toute l’enquête. Je ferais un mauvais limier.
Fond historique

Roman policier sur fond historique, «Meurtre au Soleil» permet de découvrir la ville de Québec, à la fin du XIXe siècle, une époque qu’Antoine Yaccarini décrit avec minutie. Les courts portraits de la ville, des Irlandais qui se retrouvent dans un pub pour discuter et fêter montrent les tensions sociales. Il s’attarde aux transports en commun et l’apparition des premières automobiles. Tout cela est décrit avec précision. Le rôle du clergé, le travail des journalistes aussi qui signaient des textes sous deux ou trois pseudonymes et lançaient des anathèmes, faisant de certains personnages politiques de véritables boucs-émissaires.
Une bonne histoire d’amour, une enquête policière menée avec tact, un portrait d’une société, d’immigrants qui ont pris du temps à s’intégrer à la société québécoise. Des propos actuels, des idées qui ont parcouru le siècle dernier et mené vers ce que l’on a nommé la Révolution tranquille.
Un style vivant, beaucoup de dialogues, des lieux connus, des rues et les activités de la population nous plongent dans l’époque. Impossible de résister.

«Meurtre au soleil» d’Antoine Yaccarini est publié chez VLB Éditeur.

jeudi 26 juin 2008

Rendez-vous à Baie-Sainte-Catherine

«Miroirs aux alouettes» est réédité
aux Éditions le Chat qui louche
Dany Tremblay a publié des nouvelles dans plusieurs revues, dont «Un lac, un fjord, un fleuve», le collectif de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie-Côte-Nord. Elle a aussi été présidente de cet organisme en plus de lancer, il y a quelques années, «Voies d’échanges», un événement littéraire qui se déroulait sur La Marjolaine et le Saguenay.
Dans «Miroirs aux alouettes», Martial Ouellet fait ses premières armes et nous décrit le Baie-Sainte-Catherine de son enfance. Dany Tremblay y amène ses personnages dans une dizaine de nouvelles. Le récit éclaire la fiction et l’ensemble donne l’envers et l’endroit d’un même monde. Les deux approches se croisent dans une danse fascinante.
Un pas et tout bascule chez Dany Tremblay. Une femme fuit, s’attarde à Baie-Sainte-Catherine auprès d’une vieille dame. Elle a tué son mari pour échapper à la violence. On la retrouvera plus tard dans une autre nouvelle. Ruth se fait violer après que sa nièce Coralie ait utilisé ses photos dans une correspondance érotique sur Internet. Raymond, celui que le destin a repoussé dans la marge, croise Clara, une compagne de la petite école. Le monde peut changer si l’un ou l’autre prononce le mot ou tend la main…
«Les dés sont jetés, Raymond, a-t-elle conclu de sa voix grave. Elle me souriait de son habituel sourire paisible et à ce moment je m’en suis voulu parce que malgré moi, j’ai comparé son sourire à celui de Clara dans la cour de la Coop. Elle avait raison, tellement raison. Ce soir-là, j’ai pleuré longtemps. Lisette a dit qu’il me fallait aller au fond des choses. Dans ma chambre, assis au bord du lit, j’ai sorti la photo de Clara de mon porte-monnaie. À l’endos, j’avais écrit son adresse et son téléphone en grosses lettres carrées. Je l’ai lu plusieurs fois. De nombreuses fois avant de me décider.» (p.64)
Julie veut en finir quand Coralie, plus belle, plus jeune, plus téméraire la supplante dans le groupe des petits truands. Christine a tout eu grâce à son art de la séduction, mais son univers s’écroule. Monsieur Santoni entend lui servir une terrible leçon.
Tous les personnages passent d’une nouvelle à l’autre et entretiennent des liens. Des événements les bousculent ou les brisent à jamais. Dany Tremblay nous pousse vers ces «passages» si chers à Paul Auster. Mais contrairement à l’auteur de «Moon Palace», elle ne s’aventure que rarement dans ces failles qui changent l’existence. Elle s’arrête quand tout arrive et laisse au lecteur le soin d imaginer le pire comme le meilleur.

Intermèdes

Martial Ouellet a grandi avec le fleuve sur la galerie et les vents du large qui secouaient les fenêtres. Il revient sur les étapes qui ont marqué son enfance, la pêche à la fascine, des jeux, l’appel de l’ailleurs, ces moments qui ont orienté les pas de l’adulte.
«J’ai été marqué sans le savoir par ces chasseurs, que Martin et moi avons rencontrés dans notre enfance. Ils m’ont appris que s’échouer le temps d’une marée, c’est le plus beau du voyage, un moment qui reste gravé et qui influence une vie… … Pourtant, il y a encore plein de choses à voir, de gens à rencontrer. Il suffit simplement de s’échouer, le temps d’une marée.» (p.40)
Les textes de Martial Ouellet sont sous le signe d’une certaine nostalgie, une confiance dans la vie qui permet de tout voir et de tout réussir. Dany Tremblay coupe l’élan. Un geste inconsidéré ou une étourderie font tout basculer. Le drame n’attend qu’un signe pour planter ses griffes. Si lui reste optimiste, elle est hantée par une forme de fatalisme qui broie les êtres.
Les ancrages des récits de Martial Ouellet répondent aux «pertes d’existence» des nouvelles de Dany Tremblay. Il y a toujours des miroirs qui attirent et fracassent les certitudes, coupent la course des jours, masquent des drames que souvent nous refusons de voir. Deux écritures efficaces qui savent retenir le lecteur, l’emporter dans un chassé-croisé qui laisse un certain malaise.

«Miroirs aux alouettes» de Dany Tremblay et Martial Ouellet est publié aux Éditions Les Équinoxes.

jeudi 12 juin 2008

Nous vivons dans une véritable pharmacie


Fabien Girard est un explorateur des temps modernes même s’il n’a pas sillonné l’Amazonie ou atteint le sommet de l’Himalaya. Il étudie depuis des années son milieu, les plantes de la flore boréale. Son centre du monde se situe à Girardville, au Lac-Saint-Jean. Il travaille dans une coopérative pas comme les autres, une entreprise qui cherche à percer le mystère des plantes et en extraire «l’essence». Des expériences qui montrent le rôle des végétaux dans notre environnement.
Habituellement, les gens peuvent identifier quelques graminées. Quelques arbres complètent leur bagage. Après, ils s’égarent facilement. Comment différencier les fougères, les petites fleurs des sous-bois, les mousses et les lichens? Nous simplifions en mettant tout dans le panier des mauvaises herbes et des bibittes. Ces généralités masquent une ignorance terrible. Même chose du côté des oiseaux. Ces petits musiciens qui enchantent nos soirées et nos matinées sont méconnus. Heureusement, certains s’y intéressent de plus en plus. Le bruant à gorge blanche, la sittelle si discrète, le geai bleu criard et la mésange, les colibris sont devenus des connaissances dans nos jardins et autour des mangeoires.

Secrets

Fabien Girard se laisse entraîner par un parfum âcre, hume, goûte et surtout, il cherche à percer les mystères de ce monde végétal.
Dans un très beau livre publié aux Éditions JCl, «Secrets de plantes», il présente ses amies et s’attarde à leurs effets thérapeutiques. Nous les surprenons dans une tourbière, en forêt, tout près du chalet, le long d’une route, dans un endroit rocailleux ou humide, sur un gazon près du trottoir. Ces plantes fleurissent à chaque saison d’été, fidèles, têtues malgré toutes les attaques qu’elles subissent. Elles embellissent le quotidien, parfument souvent les environs, font grogner quand elles ne sont pas à la bonne place. Pensons à la bardane si têtue et vivace, aux pissenlits qui provoquent de véritables guerres sur nos pelouses aseptisées.
Nous vivons dans une pharmacie sans le savoir. Il suffit souvent de se pencher, de cueillir une feuille, de savoir comment l’apprêter ou la servir dans une farine, une poudre, une tisane pour combattre des maladies et guérir d’une grippe ou d’un rhume. Et il y a les racines! Des délices qui se comparent aux légumes que nous apprécions. Les Indiens connaissaient ces plantes. Rappelez vous les premiers Français de Québec qui ont réussi à passer l’hiver grâce aux concoctions des Autochtones. La magie de l’épinette noire! Un savoir qui a été relégué aux oubliettes avec l’hégémonie de la médecine et la multiplication des pharmacies. Un savoir presque perdu. Des remèdes de «bonnes femmes», dit-on souvent avec condescendance.

Mutation

Fabien Girard se penche sur les pissenlits, le framboisier, le bleuet, l’airelle, la comptonie voyageuse, les merisiers ou les épinettes. Il démontre que l’if du Canada peut combattre le cancer. Attention cependant! Pas de précipitation! Si des plantes guérissent les maladies de la peau ou les problèmes respiratoires, elles peuvent aussi être dangereuses.
Ce conférencier recherché parle généreusement de ses expériences, fait goûter des gâteaux et des potages étranges. Apprivoiser les pissenlits aux vertus innombrables, les aulnes, les bardanes, les immortelles ou la verge d’or, s’avère passionnant. Il donne à voir autrement la réalité qui nous entoure. Un véritable Panoramix des temps modernes qui connaît plusieurs potions magiques.
Après une lecture de «Secrets de plantes», je ne serai plus capable de me promener au bord du lac ou en forêt sans m’arrêter pour chercher à identifier telle ou telle plante qui rampe sur le sable ou semble venir de nulle part. C’est certainement l’effet le plus pervers de ce livre aux fort belles illustrations.
Une sorte de guide à consulter quotidiennement, où l’on apprend à mettre des noms sur les oiseaux et les champignons. Les ouvrages qui ouvrent à notre univers son rare. Celui de Fabien Girard en est un. Il sera désormais à portée de la main.
Apprendre à connaître son environnement, le monde animal et végétal, est un acte libérateur, une prise de conscience qui change des habitudes. On y acquiert surtout un grand respect pour cette végétation qui ne cesse d’étonner. On pense différemment après une telle lecture. Nos projets de coupes, de tailles ou de terrassement ne peuvent plus se concevoir de la même façon.

«Secrets de plantes» de Fabien Girard est publié aux Éditions JCL.

jeudi 29 mai 2008

Louise Dupré dit tout dans un frémissement

Ses romans et ses nouvelles s’apprivoisent dans le recueillement et la méditation, jamais dans la fureur et le bruit. Rarement dans la cohue. Chacune de ses phrases, le lecteur les découvre lentement. Parce qu’il faut être attentif pour saisir les «drames» de ces textes.
Les vingt-six nouvelles de «L’été funambule» vous entraînent vers ces tournants qui changent la vie. Il faut souvent une longue préparation, un grand pan d’existence pour parvenir à effleurer ces noeuds. Des amants se quittent sur la pointe des pieds, dans un «effleurement d’êtres». Leurs amours s’étiolent et la séparation s’avère nécessaire. Et quand la traversée est accomplie, rien ne peut plus être pareil.
«Elle m’avait confié, quelques semaines avant son dernier souffle, que pour guérir il lui aurait fallu changer trop de choses dans sa vie. Comme si mourir la soulageait! J’avais fait des cauchemars la nuit suivante et je m’étais réveillée avec un sentiment indéfinissable, effroi, compassion, désespoir. Se pouvait-il qu’une femme dans la force de l’âge se laisse aller ainsi? Et moi, si je découvrais un jour que je dois changer de vie, est-ce que je m’en montrerais capable, je veux dire, encore capable, après tant de fins et de recommencements?» (p.33)

Monde cruel

Des êtres s’éloignent. Ils se sont aimés. Les affres de l’amour et de la mort laissent des cicatrices. Et il y a toujours ces carrefours qui ramènent ce que l’on croyait effacé. Les souvenirs surgissent avant de prendre des directions étonnantes. Ils finissent toujours par remonter à la surface.
«On vient vous chercher, c’est le moment de fermer le cercueil. Vous vous recueillerez pour le dernier adieu obligé, puis vous glisserez votre bras sous celui de votre mère, vous vous acheminerez vers l’automobile qui vous conduira à l’église. Vous prendrez place dans le premier banc. Vous vous lèverez, vous vous assoirez, vous vous ferez semblant de prier. Peut-être prierez-vous, à votre façon. Vous tenterez de fermer votre enfance, là, devant les fleurs et les nuages d’encens. Mais elle se rouvrira, vous le savez. Et il faudra tout reprendre à zéro.» (p.95)
Louise Dupré, l’auteure de «La memoria», s’attarde à l’amour et la mort sans jamais lever la voix. Ses personnages, surtout des femmes, tournent dans une sorte de méditation, attendant que tout bascule. La vie est faite de vagues qui vont, roulent et gonflent. Elles recommencent, éloignent et ramènent tout. Il faut encore de l’espace pour que tout surgisse, de la patience et de l’attention. Comme si vivre était souvent une très longue attente, la plus exigeante des ascèses.

Présences

Tous les personnages de «L’été funambule» le savent. La vie ne redonne jamais ce qui est perdu. Ils surveillent leurs mots et leurs gestes avant d’échapper à ce qui a été esquissé dans l’enfance ou à l’âge adulte. Une douceur apparente mais aussi une force que rien ne peut juguler. Les personnages s’assument dans leurs hésitations et leurs faiblesses. La marche vers soi se fait à petits pas têtus. Parce que demeurer vivant et vibrant, c’est s’éloigner de ses parents et du monde du souvenir, de l’étouffement du quotidien et des habitudes. Il faut la perte d’un chat, une solitude retrouvée, un drame, un sourire pour que le souvenir s’éclaircisse tout à coup. Et cette terrible conscience de sentir le temps nous emporter dans une ronde qui ne peut s’arrêter, de ne jamais pouvoir chasser le mot fin.
«La gorge serrée, elle se retournera pour lui sourire, une fois encore. Elle ne remarquera pas le masque de la mort, imprimé sur son visage. Elle n’ira pas au musée ni au cinéma, elle passera l’après-midi à errer dans la ville. Devant elle se dessinera peu à peu le visage d’une femme qui, un jour, recevra pour la dernière fois une ancienne étudiante.» (p.147)
L’écriture de Louise Dupré s’impose telle une respiration, la lumière qui imbibe l’eau certains soirs de juillet. Un bonheur qui bouge à peine, comme certaines études de Debussy qui nous plongent dans la plus belle des méditations.

«L’été funambule» de Louise Dupré est publié chez XYZ Éditeur
http://www.editionsxyz.com/auteur/1.html

jeudi 22 mai 2008

Louise Desjardins est une sacrée conteuse

Quand je m’aventure dans un nouveau roman de Louise Desjardins, inévitablement je m’arrête après quelques pages. Et là, je fais du surplace, me demandant dans quoi je m’aventure. Un doute s’installe. Si j’allais m’ennuyer dans cette histoire qui semble tellement ordinaire…

Et peu après, je me surprends à glisser sur les phrases, à ne plus pouvoir m’arrêter. Encore une fois, je suis aspiré par une forme de magie. Quelle conteuse! Cette enjôleuse possède l’art de vous retenir dans une histoire toute simple, qui pourrait être celle d’une voisine ou de quelqu’un de votre famille. Des figures s’imposent peu à peu. Comment ne pas s’attacher à Raoûl, Anita, Angèle et Alex, les personnages de son quatrième roman, «Le fils du Che».

Femmes

Angèle arrive mal à s’installer dans la vie. Il lui faudra tout l’espace du roman pour poser le geste libérateur, s’assumer avec ses forces et ses faiblesses. C’était aussi le cas de Katie McLeod dans «So long» et de Pauline Cloutier dans «Darling». Les personnages féminins de Louise Desjardins doivent se refaire une confiance et une vie après une grande secousse existentielle.
Angèle a vécu dans l’ombre de parents marxistes qui voulaient changer le monde. Ils pouvaient discourir pendant des nuits sur les tares du capitalisme, les inégalités entre les riches et les pauvres. Ils ont surtout négligé l’intime, le personnel et la tendresse, se payant des aventures en dehors du couple, vivants en porte-à-faux. La jeune femme a vécu un amour avec Miguel, un Chilien d’origine. Après une aventure de quelques semaines, elle s’est retrouvée enceinte. Elle a gardé l’enfant, ce fils qu’elle n’est pas certaine d’aimer, incapable de coller à l’image de la mère que la société esquisse. Alex, adolescent solitaire, muet presque, communique secrètement avec Lola, la petite voisine d’en face, par le biais de l’ordinateur. Tout comme Angèle qui «tchatte» avec des dizaines de personnes partout dans le monde et qui biffe l’interlocuteur quand l’échange risque de prendre une touche personnelle.
Rapidement, on glisse dans une histoire où l’on communique que par le biais de machines de plus en plus sophistiquées. On peut se confier à «une amie» qui vit en Palestine sans craindre la rencontre ou le face à face. Une manière de basculer dans une fausse communication et d’oublier le monde autour de soi. La solitude étouffe Alex qui peut devenir dangereux quand les mots surgissent comme un torrent.
«Alex se lève et se dirige vers sa mère, furieux, comme s’il allait la frapper. Elle s’enfuit dans la cuisine. Elle se met à pleurer, il la suit. Il se calme un peu, puis les questions fusent enfin comme une salve de canon. Il n’a jamais tant crié, il se sent étourdi, il va tomber par terre si les mots continuent de sortir, il tangue, il a besoin d’atterrir quelque part parce qu’il va disparaître dans les airs tel un cerf-volant sans ficelle.» (p.79)

Communications

Derrière Angèle et Alex se profile la grande question contemporaine. Les ordinateurs et leurs possibilités de contacts planétaires finissent-ils par créer des asociaux qui ont besoin de thérapies pour reprendre contact avec la vie? Pour Alex, sa recherche du père devient obsédante et l’aspire. Touchant, émouvant. Ce mâle souvent absent dans notre littérature prend des traits fort sympathiques avec Miguel qui refait surface et tente de guérir la blessure de son fils.
Nous glissons du privé au public et notre lecture prend une autre couleur. Nous ne sommes plus dans la banalité des choses.
«Oui, se dit Angèle, les guerres civiles ont priorité sur les guerres familiales. À cause du sang qui coule, des bombes qui éclatent. C’est facile à comprendre, mais si seulement j’arrivais à bien organiser mon petit sang qui ne coule pas, mes petites bombes qui n’éclatent pas. Si seulement tout le monde arrivait à bien gérer sa vie, ses conflits intimes, il n’y aurait peut-être pas de génocides ni toutes ces cochonneries qui nous empoisonnent l’existence même si on ne les voit qu’à la télévision.» (p.156)
Les romans de Louise Desjardins finissent toujours par nous aspirer. Ils visent juste et questionnent malgré leur «incroyable apparence de légèreté».

«Le fils du Che» de Louise Desjardins est publié aux Éditions du Boréal.

jeudi 15 mai 2008

Alain Gagnon ajoute une page à sa cosmogonie

La «vraie histoire américaine», pour certains, débute il y a cinq cents ans à peine, avec le débarquement des Français à Gaspé ou des Espagnols au Mexique. Avant ce contact, les historiens sont longtemps demeurés muets. Heureusement, les documents sur la présence amérindienne se multiplient depuis quelques années pour nous faire connaître ces nomades ingénieux.
L’installation des Blancs en Amérique entraîna un choc de civilisations. Des manières de faire et de voir scandalisèrent les Européens qui ont tout fait pour éradiquer ces croyances et les juguler. Comme par miracle, ces nations ont résisté à toutes les agressions. Ils survivent, dépossédés de leur âme et de leur territoire comme le montre Richard Desjardins dans «Le peuple invisible». La grande tragédie américaine, celle des Amérindiens et des esclaves noirs, aura marqué le dernier millénaire, qu’on le veuille ou non.
Alain Gagnon a toujours été fasciné par ces «présences» qui hantent des territoires que nous croyons connaître. Il se plaît à nous rappeler que nous vivons dans un pays au passé méconnu que nous refusons d’envisager. Comme si l’homme de maintenant écrivait sur des pages déjà écrites sans qu’il ne le sache. Tout un espace et un temps échappent à l’Amérique contemporaine qui fait trembler la planète.
Heureusement qu’il y a des écrivains comme Alain Gagnon. Parce que même s’ils sillonnaient ce continent depuis des millénaires, les Autochtones n’ont laissé aucune ruine comparable à celles des Grecs ou des Romains pour nous rappeler leur existence et leur ingéniosité. Bien sûr, l’architecture des Incas ou des Aztèques impressionne, mais en Amérique du Nord, «les signes» se sont vite évanouis et on a tout fait pour les effacer.

Pays inventé

Saint-Euxème, ce pays du Lac-Saint-Jean réinventé par l’écrivain originaire de Saint-Félicien, vit des moments pénibles. Un être inconnu, venu d’un autre temps, sème la mort. Plusieurs victimes sont trouvées ici et là dans un état lamentable. La population n’ose plus sortir. Une telle violence est inexplicable. D’où viennent ces traces aux abords des cours d’eau, ces empreintes de canard gigantesque... Il n’en faut pas plus pour qu’Olaf Bégon, le chef de police nouvellement à la retraite, futur époux de la belle Markita, sorte de l’ombre. Alain Gagnon a trouvé dans le roman policier un terreau fertile qui permet d’évoquer l’inexplicable et de résoudre toutes les énigmes.
Olaf doit abandonner sa «raison raisonnante» et laisser agir ceux qui savent visiter le monde des esprits. Il faut contrer une sorte de sorcier qui provoque des choses terribles à Saint-Euxème en jonglant avec des forces qu’il maîtrise mal. Olaf suit la voie amérindienne, se laisse guider par la jeune Kassauan pour repousser l’action néfaste de l’oncle Louis. La tente tremblante devient la clef d’une autre dimension et permet de découvrir l’autre réalité.
«En rien, elle ne voyait ni n’entendait l’Esprit des eaux. Elle porta son attention sur les bouleaux jaunes de l’autre rive. Ils demeuraient silencieux. Elle ne percevait pas leur respiration. Les bouleaux et les cyprès étaient pourtant les arbres qu’elle ressentait avec le plus de facilité auparavant, c’est-à-dire lorsqu’elle se promenait seule et libre en forêt. Un couple de sarcelles vint la distraire. Elle les suivit du regard. La femelle s’approcha. Elle cancanait. La jeune fille se surprit à rire et, entre les sons nasillards, elle crut entendre: «Sauve-toi, petite. Sauve-toi.» (p.109)

Grande maîtrise

Alain Gagnon jongle avec ce puzzle avec beaucoup d’habileté. Il le faut pour plonger dans cette histoire où plus rien n’est certain. Comme Olaf, le lecteur écoute la rumeur publique qui permet de suivre des personnages qui vivent des aventures qui sortent de l’ordinaire.
L’auteur de «Sud» et du «Gardien des glaces» démontre sa grande maîtrise. Il possède le don de raconter la plus invraisemblable des histoires et de la rendre plausible. Il nous emberlificote. Et même s’il rôde dans des territoires que nous commençons à mieux connaître depuis «Le truc de l’oncle Henry», la magie opère encore. Un plaisir, une écriture, un monde étrange et familier. Alain Gagnon construit son pays imaginaire et nous entraîne dans une autre dimension, pour notre plus grand plaisir. 

«Kassauan» d’Alain Gagnon est publié aux Éditions du Cram.

Josée Bilodeau nous plonge dans la ville

Le véritable personnage de ce roman de Josée Bilodeau est un quartier de la ville. On devine que c’est Montréal. Un bout de rue, une certaine artère avec tous les personnages qui l’habitent, qui font vivre cet endroit. Avec leurs drames aussi, leurs malheurs comme leurs bonheurs.
Ce n’est pas sans rappeler «Mrs Dalloway» de Virginia Woolf ou encore Marie-Claire Blais dans sa grande fresque qu’est «Soif» et les romans qui ont suivi. Une évocation, un petit air de parenté, rien de plus parce que Josée Bilodeau a bien sa manière de faire, de dire, de montrer les gens. On circule, on se promène d’un bout à l’autre d’une journée du mois de mai qui se prend pour un condensé de l’été. La chaleur colle au corps et au cœur, au cerveau presque. Tout s’échiffe, tout se défait, tout éclate dans un orage fou qui secoue la vie.
Nous allons ainsi d’un personnage à l’autre, ils doivent être une bonne douzaine à se promener ainsi dans le quartier. Des jeunes, des enfants, des adolescents, des adultes qui vivent l’amour, les grands déchirements, des tragédies qui brisent l’être et vous laissent comme un pantin. Parce que la mort frappe aveuglément, la maladie s’installe quand on commence à sentier le vieux, quand tout bascule aussi et que l’on n’ose plus mettre le nez dehors, même quand on étouffe. C’est une journée où l’on prend des grandes décisions de quitter l’homme avec qui on vit depuis trop longtemps, où une rencontre change la vie et permet de croire que l’avenir a le droit d’exister. C’est tout cela que Josée Bilodeau met en scène.

Fresque

A vrai dire, je me réconcilie avec le mot fresque. C’est tout un quartier, une rue qu’elle anime, des drames qui couvent et qui explosent quand la marmite devient trop chaude. Des accusations d’agressions sexuelles qui se formulent, un drame qui bascule, un cuisinier inconscient qui empoissonnent tout le monde et qui change la vie de plusieurs clients. Une jeune adolescente qui vit sa première journée de femme en ayant ses règles et qui a rendez-vous avec la mort sans le savoir.

On se perd dans ce labyrinthe, on finit par s’attacher à certains personnages, on les reconnaît d’un tableau à l’autre, on les suit dans leurs courses ou leurs dépressions. On visite la ville, on sent la chaleur, la vie, les pulsions qui font que la vie change et reste toujours un peu pareil.
Une écriture efficace, sans fioriture, sans complications non plus. Le défi est grand parce que le lecteur a du mal à s’accrocher à des personnages. Pourtant c’est là un portrait de la vie, une tranche de la ville qui s’anime, qui bouge, qui est portée par ses habitants qui souffrent, aiment, pleurent et luttent pour continuer à vivre.
On finit par plonger dans ces courts tableaux, de bondir de l’un à l’autre, avec une hâte et une anxiété particulière. C’est probablement le tour de force que réussit cette écrivaine. Nous faire embarquer dans ce puzzle et nous y accrocher pour suivre tous les personnages qui nous arrêtent et nous bousculent.
L’entreprise était hasardeuse mais Josée Bilodeau relève le défi et embarque son lecteur qui doit accepter de travailler. Ce n’est pas une lecture passive que demande ce court roman. Il faut s’activer, bouger, suivre les personnages, comme si on décidait de passer toute une journée de canicule à suivre des gens dans la rue et dans des logements surchauffés. Tout est en ébullition. Tout est porté au paroxysme. Nous suivons la jeune étudiante qui découvre la ville en tentant l’impossible, décrire la ville, les pulsions de la ville. Et elle trouve tout comme le lecteur qui se laisse emporter et souffler par cette histoire aux mille facettes, aux cent personnages qui vivent l’amour, la peine, la douleur, la passion comme tous les gens doivent le faire dans la vie de tous les jours, dans la vie parce que rien ne peut arriver sans ces grands rendez-vous qui colorent, masquent, emportent et bousculent. Un roman singulier malgré ses parentés, bien senti et qui emporte. Que demander de plus ?

«On aurait dit juillet» de Josée Bilodeau est paru chez Québec-Amérique.

jeudi 8 mai 2008

Martyne Rondeau continue de déstabiliser

Martyne Rondeau étonnait par son effronterie, des propos crus et une volonté de s’attarder aux désirs les moins avouables dans «Ultimes battements d’eau», un premier roman paru en 2005. Elle n’oubliait aucun détail dans une approche «masculine» je dirais, où le personnage féminin mène le jeu sexuel et ne recule devant aucun fantasme. Une folie ressassée, une douleur qui calcine l’âme et l’esprit.
Dans «Ravaler», son second roman, l’écrivaine déstabilise tout autant et donne l’impression de courir pieds nus sur des tessons de bouteille. Parce que le lecteur ne sait s’il plonge dans une histoire «réelle» ou s’il doit s’accrocher à une allégorie.
«Bébé, j’étais ruisseau coulant entre les mains violentes de maman. Je cherchais plus grand ailleurs. Là où me jeter. Maman me laissait nager. Longtemps. Dans mes larmes, mes sueurs, mon urine. Je me rappelle, et comme je voudrais oublier, les matins passés à pleurer sur le quai derrière. C’est là que m’est venu mon désir d’écrire pour mieux hurler. Désir de liberté sèche. Là, je vis en mâchant et en écrivant. Ma vie n’a été que ça: croquer et la mort.» (p.15)

Ambivalence

Martyne Rondeau aime les ambivalences. C’est heureux parce que si le lecteur s’en tenait à la réalité crue, son roman deviendrait difficilement tolérable. C’est obsédé et obsédant, halluciné et hallucinant, sans partage et sans répit. La narratrice va jusqu’à tuer son enfant Roman et à le faire rôtir dans la poêle. Faut pas conclure trop vite pourtant! Nous ne sommes pas dans une sordide histoire qui fait les délices des voyeurs dans les journaux. L’écrivaine nous pousse rapidement dans le flou. On ne sait plus et on préfère ne pas trop savoir.
«Je l’aime, ce roman. Il m’habite depuis longtemps. Je l’ai rêvé bien avant. Je l’ai régurgité. Je l’ai pissé. J’en ai joui. Écrire les restes d’un cauchemar. Retranscrire la perte, le feu et le sang. J’aime la mort. Elle vit en moi depuis ma naissance médicale. Saint-Laurent m’a transmis la maladie. J’ai été  la plus heureuse lorsqu’il est revenu s’étendre sur moi, ronde, contaminé par cette espèce de virus volant. Il continuait de discourir en embrassant ma nuque en comptant mes vertèbres en tirant mes poils pubiens. J’étais son autre oasis sauvage.» (p.29)
En évoquant le travail de l’écrivain qui s’isole, puise en lui pour mettre au monde l’œuvre, l’entreprise prend un tout autre sens. C’est fort habile.
«Quand on aime quelqu’un, on doit l’aimer vraiment. D’un bout à l’autre. Avec ses défauts aussi. Arriver à les comprendre. Aimer c’est savoir admirer l’autre. Être ébloui. Fasciné. Inspiré. Roman me renvoie l’amour franc, spontané, sans détour. J’apprends à jouer avec lui. Être étonnée par ma chair en miniature. Être soulevée par mon sang de ménopausée. Un Roman qui vit altère tous les autres systèmes environnants. Il détruit la réalité. Il provoque l’illogique. Il fabrique la mort tous les jours. J’aime la sentir tout près de moi. La veiller le midi. Savoir ce que c’est de transmettre la perte de l’autre.» (p.67)

À la limite

Martyne Rondeau aime les paradoxes et les paroxysmes où tout peut basculer et s’effondrer. Aucune retenue chez cette romancière qui semble faire le pari d’écrire en se tenant à la limite du tolérable et de la conscience. Elle glisse sur le fil d’un rasoir et nous sommes continuellement bousculés et abandonnés au bord du précipice. Ses jabs et ses uppercuts étourdissent, enferment dans une folie particulièrement étouffante.
L’entreprise tient par une écriture d’une densité rare. Le rythme casse à chaque mot et devient halètement. Elle bat la phrase, l’échiffe, la défait, la triture et martèle encore et encore. Son travail à coups de marteau m’a laissé abasourdi, dans une sorte d’état second. Elle a toujours réussi à me retenir cependant. Une forme d’exploit avec des sujets où le sordide et la démence risquent d’en rebuter plusieurs. Mais la littérature n’est pas faite que de dentelles et de chants de tourterelles. Malheureusement, l’écrivaine s’essouffle un peu vers la fin de ce court ouvrage. Elle semble chercher une manière d’échapper à la tornade qu’elle a engendrée et qui l’aspire.

«Ravaler» de Martyne Rondeau est publié chez XYZ Éditeur.