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dimanche 23 janvier 2011

Guy Lalancette aborde un sujet très difficile

Si j’ai bien compris, le récit de Guy Lalancette a été «exhumé des oubliettes où… il espérait» depuis un certain temps. La directrice littéraire de VLB Éditeur, Marie-Pierre Barathon, serait à l’origine de cette résurrection.
«Le bruit que fait la mort en tombant», quel titre magnifique, s’attarde à un accident de la route qui a emporté la sœur de l’écrivain. C’était l’hiver, la nuit peut-être, un vendredi, après le repas qui met fin à une semaine étourdissante. Il y a eu une sonnerie du téléphone, un appel du bout du monde. Une nouvelle du genre fige et laisse sans paroles. Possiblement alors que la Terre hésite une petite éternité avant de reprendre sa rotation. Les mots ne savent plus être les mots.
«C’est à distance que le  bruit est arrivé jusqu’à moi. Le bruit obsédant du téléphone, ce vendredi soir de janvier, à l’heure de la vaisselle.» (p.18)
La sœur, la complice des jeux d’enfance, celle qui a partagé ses secrets, ses lubies et ses mondes imaginaires vient de périr dans un accident imprévisible et inexplicable.
«Ta mort ne se raccommode pas. Je ne sais pas comment rapiécer ce manque que j’ai, cette absence bruyante qui tombe dans mes nuits surtout et réveille ton souvenir.» (p. 28)
Les souvenirs, les rires, les jours heureux, les peurs et les craintes reviennent dans un tourbillon. Tout le vécu se bouscule dans le présent.
«La mort, ça fait du bruit en tombant. C’est toujours un accident. Quand la mort tombe sur un plancher de bois, il y a tout l’écho que ça fait. Le bruit s’étend aux alentours, se heurte au lit des planches, s’incruste, marque et fend. L’éclat d’une cassure.» (p.17)

Cauchemar

Les frères et les sœurs se retrouvent autour du cercueil pour se rassurer, pour être certain de ne pas vivre une hallucination qui broie la mémoire.
«Elle est là, dans un grand cercueil rouge, verni, lustré, lumineux, habillé de coussins et de parements qui lui font un grand nuage ouvert sur une mort vive. On l’a couchée presque vivante dans sa blouse jaune à fleurs blanches, sa préférée, ses mains jointes sur le ventre d’un bonheur tranquille comme si l’on voulait la faire sourire encore un peu.» (p.16)
L’écrivain, le frère abandonné, prend conscience de ces drames qui font les manchettes des journaux et de la télévision. La banale tragédie ou le grand spectacle que sont devenus les guerres maintenant.
Une itinérante retrouvée gelée dans une ruelle de Montréal par un froid sibérien; une jeune fille qui s’est pendue dans le garage familial après une rupture; un homme qui tue sa femme et ses enfants avant de rater son suicide. Toutes ces morts traumatisent les proches et les témoins. Comme un écho à sa propre fin qui approchera un jour ou l’autre, sur la pointe des pieds ou dans une bourrasque.
«J’entends déjà le bourdonnement que fait ma propre mort comme un ventre habité. Une grossesse dévorante qui se nourrit aux murmures de chaque heure, de chaque journée, prenant aux battements du cœur tous les instants échappés.» (p.65)
La tragédie familiale s’amalgame à ces décès qui marquent les jours, témoignent des folies, de l’indifférence, de la haine qui aveugle partout, de l’absurdité de la vie d’une certaine manière.

Bouleversement

Un sujet difficile, une écriture rugueuse pour témoigner de ce grand bouleversement qui retourne l’être.
Le lecteur s’arrache à cette lecture en guettant ses gestes et ses mouvements. Sa propre respiration devient obsédante et douloureuse même. Il faut souvent cet arrachement pour vivre pleinement face au temps qui saccage tout.
Un pari audacieux que relève Guy Lalancette parce que nous n’aimons guère s’attarder à la mort dans nos sociétés, la refusant et la niant même. Le romancier ramène cette réalité que nous avons tous connue avec la perte d’un père, d’une mère, d’un frère ou d’une sœur. Un court récit senti et poignant.

«Le bruit que fait la mort en tombant» de Guy Lalancette est publié chez VLB Éditeur. 
http://www.edvlb.com/guy-lalancette/auteur/lala1001

dimanche 16 août 2009

Guy Lalancette écrit avec un bistouri

Je suis demeuré sans mots après avoir refermé «La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette, son quatrième roman. Comme si j’avais encaissé un solide coup de poing qui m’aurait coupé le souffle. Un roman doit être une plongée dans l’intolérable pour avoir cet effet.

Gabriel Blanc est retrouvé pendu dans la cage d’escalier du pensionnat de Torrent. Une institution comme il y en existait avant la réforme de l’éducation et l’invention des cégeps. Ce qui semble un suicide n’est pas aussi clair. D’étranges blessures recouvrent le corps du garçon. Le drame est survenu le 23 décembre 1964.
Éliah Pommovosky semble s’être jeté du haut du château d’eau de Grimley, un 13 décembre, neuf ans plus tard, tentant de se pendre avec des foulards. Valérie Lambres, son amie, son épouse d’un soir, le retrouve dans la neige. Il vit encore. Faut-il faire un lien entre les événements?
Les faits se juxtaposent. Éliah, confrère de Gabriel au pensionnat, a connu une enfance de violence et de hurlements. Son père a poignardé sa mère alors qu’il avait cinq ou six ans. Il l’a vue baignant dans son sang. Depuis, il trouve la paix dans l’automutilation. Son corps est devenu une véritable carte de ses tourments et de ses douleurs.

Amours interdits

Gabriel et Éliah étaient des amants. Attirance et répulsion, amour et haine. Les remords accablaient Éliah, contrairement à Gabriel, l’archange, l’être de lumière qui subissait toutes les insultes en crânant. Il assumait pleinement ses désirs et ses amours au masculin, vivant une complicité de tous les instants avec sa mère.
«Pendant qu’Éliah, poli, acceptait la poignée de main, le sourire de Gabriel tout à coup le figea. Il n’avait jamais vu un tel sourire. Même celui de Valérie Lambres, qui faisait un emballage cadeau avec le ruban, la boucle et toutes les couleurs, n’avait pas cette lumière-là. Le sourire de Gabriel Blanc lui prenait tout le visage, c’était un arpège au piano, une réunion festive, une Annonciation. Les yeux aussi, le bleu et le pers auréolés d’ambre comme des paysages au couchant. C’était trop tôt. Éliah ne pouvait pas savoir la souffrance quil y avait dans l’enchantement de ce sourire et de ce regard.» (p.39)
Éliah a découvert son corps et la sexualité avec Valérie, une amie d’enfance se montrant plus audacieuse. Une sexualité qu’il ressent comme une agression, lui qui n’a jamais appris la tendresse et les caresses.

Vengeance

Au pensionnat, Gabriel a été victime d’une vengeance ourdie par les brutes de l’institution, des représailles propres aux milieux fermés où dominent les préjugés. Une flagellation à laquelle Éliah a été forcé de participer. Un parallèle évident avec la passion du Christ, la trahison de Judas. 
«Ce qui avait échappé à Éliah, frappant Gabriel plus qu’on en attendait de lui, ce sont les raisons de son excès, de son débordement qui n’avaient pas à voir qu’avec les menaces  de Pilote. À travers ses larmes, ce regard de Gabriel, sa tendresse et sa compassion lui avaient été insupportables; il aurait voulu qu’il lui reproche sa faiblesse, qu’il l’injurie, qu’il la condamne. Mais il aurait voulu surtout que Gabriel n’existe plus, qu’il n’ait jamais existé. À ce moment-là, contre tout entendement, il avait haï Gabriel pour ce trop d’amour qu’il lui portait.» (p.157)
Le roman nous pousse dans les coins obscurs de l’être, dans un crescendo puissant, dérangeant et bouleversant, quasi intolérable. Des scènes à couper le souffle qui font mal au corps et à l’esprit.
À nouveau Guy Lalancette explore les pulsions, les milieux fermés où le pire surgit devant la différence et l’originalité. Sa fascination pour les univers clos, les familles qui blessent pour la vie, se manifeste une fois de plus. Une constance chez cet écrivain, autant dans «Les yeux du père» et «Un amour empoulaillé». Une écriture envoûtante, des scènes qui restent à jamais dans l’esprit. Un roman d’une qualité supérieure qui ajoute à une œuvre déjà remarquable.

«La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette est paru chez VLB Éditeur.

samedi 21 août 2004

Guy Lalancette présente un grand roman d'amour


Guy Lalancette, l'écrivain de Chibougamau originaire de Girardville, revient après «Les yeux du père», son roman d'enfance et d’initiations. J'ai lu et relu ce livre publié en 2001, ce récit soulevé par une langue robuste comme du chiendent.
Avec «L'amour empoulaillé», Lalancette bascule dans l'adolescence. Ce pourrait être le jeune Jüg du roman précédent qui a pris quelques années.
Voici venu le temps des extases, des rêves et des excès. En s’arrachant à l'enfance, le monde coïncide rarement avec l'idéal ou l’image qu’on s’en fait. Il est trop petit ou trop grand! Simon et Jérémie rêvent. Pour les deux frères, surtout chez Simon, graine d'écrivain et amateur de dictionnaires, le compromis n'existe pas.
Un village, fin des années soixante, des traditions qui étouffent, des règles qui broient les humains, des révoltes qui provoquent des tempêtes et un amour comme un feu de forêt au plus aride de l’été. Lalancette peint le monde des filles et des garçons qui se surveillent, s’attirent mais n'ont guère de contacts. Les premiers émois, les vantardises des plus effrontés, les effleurements lors d'une danse et l'amour qui foudroie un garçon et une fille.

Passion

La flamme de Simon et Élisabeth soufflera le village et provoquera une tornade dévastatrice. Une passion à l'égale de Roméo et Juliette, Tristan et Iseult.
«Elle portait une jupe avec tellement de plis, on aurait dit un abat-jour. C'était une jupe à mi-cuisse- je ne sais pas si ça se dit, mais ça se voit. Il y a des filles qui sont faites pour les jupes, elles ont des jambes, c'est comme les pieds d'une lampe et c'est facile de croire que c'est de là que vient toute la lumière.» (p.27)
Jérémie écrit l'histoire de Simon et Élisabeth des années plus tard. Il a été le confident, le témoin et le messager comme dans les grandes tragédies tricotées à l’alexandrin. Il a vu des forces se heurter, ne laissant personne à l'écart, pas même Canaille Saint-Gelais qui vit à l’écart du village par dépit ou par lucidité.
«Je l’ai déjà dit et je le répète, nous n’habitons pas un village, nous lui appartenons, et le nôtre ne fait pas exception.» (p.139)
L’horreur mais l'amour encore et toujours. L'amour qui mènera Simon à l'asile. Pourtant, il triomphe de tous et de tout avec la complicité de sa famille. Des scènes d'une violence inimaginable surviendront après l’affrontement de Simon et Dupuits sur le parvis de l’église!  On se croirait au temps des Capulet et des Montaigu. Deux mondes se heurtent et se brisent.
«Quelque chose s'est brisé. Un craquement comme un bruit de fêlure qui s'est étiré en écho dans le plus formidable silence de foule qu'il m'ait été donné d'entendre. Il n'y a pas d'autre moyen de le dire. Ç'a été comme un sceau sur l'offense, avec tout un village de témoins. Pour qui n'a jamais vécu à la campagne, il faut savoir qu'un village, ce n'est qu'une mémoire multipliée, répandue, débordante et souvent agrémentée.» (p.109)
Le village fermera les yeux devant les pires horreurs comme dans le poulailler où rien ne perturbe les poules. Un poulailler où Simon trouve un exutoire à sa violence et sa rage. Une folie passagère et après le calme. Le miroir de la société…

Surtout l’écriture


Quelle invention d’écriture! Un pur bonheur! Des trouvailles, des découvertes langagières, une langue que l’auteur triture et transforme. Une véritable danse.
Oui il est encore possible d’écrire des histoires de passion, de violence, de croire en l’idéal et l’absolu. «L’amour empoulaillé» est un plaisir de tous les instants malgré des pages effroyables. Un roman d’espoir même si les protagonistes en sortent mutilés et cassés. L’amour triomphe, du moins dans les romans de Guy Lalancette.
«Le silence s'est étendu jusqu'au poulailler et nous avons respecté ça pendant que, penché sur son épouse, il scellait en un long baiser leur nouvelle alliance. J'écris ça comme dans la Bible parce que, parfois, il faut de la poésie et que, outre celle de Simon, c'est la seule que je connaisse.» (p.220)
Un grand roman qui marque l’imaginaire.

«Un amour empoulaillé» de Guy Lalancette est publié par VLB Éditeur.

http://www.edvlb.com/guy-lalancette/auteur/lala1001