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dimanche 17 avril 2011

Marie Clark mélange le réel et le virtuel

«Mémoires d’outre-Web» de Marie Clark plonge le lecteur dans un monde de marginaux qui ont du mal à séparer l’imaginaire du réel. Benjamin, branché sur les jeux virtuels, vit un moment difficile. Sa meilleure amie s’est suicidée. Il entreprend alors un pèlerinage pour comprendre ce qui s’est passé dans la tête de sa copine. Il ignore tout de la ville, ayant vécu en reclus jusqu’à maintenant. 
«En sortant, le fantôme de Ralph s’est mis à me recoller les semelles de sa présence subtile. Je me suis assis sur le premier banc qui m’est passé par la tête pendant que la nuit nous attrapait et je suis resté en tête à tête avec ce qui avait été son univers jusqu’à tout récemment. Le temps avait la dimension spéciale des jeux virtuels, qui nous fait l’oublier complètement.» (p.33)
La particularité de ce roman vient du langage et de sa forme éclatée. Il ne faut jamais oublier que Benjamin est hyperactif, dyslexique et dépendant du monde virtuel. En plus, il ne cesse de clavarder avec Dieu grâce à l’ordinateur.
«Bon. J’étais vraiment pas sûr de continuer, même s’il avait peut-être pas tort, après tout. Si Dieu est aussi nocif qu’il le prétend lui-même, comme il m’a déjà clavardé, ça pourrait arriver qu’il veuille en finir avec nous. Et je sais pas si je serais contre. Mais tout de même. Il y a toujours une vérité partout, je me suis dit. Le problème, c’est de tomber dessus.» (p.34)

Étrange

Un monde halluciné et chevaleresque, à l’image des jeux où il faut éliminer l’adversaire pour connaître la gloire. Un univers où les mauvais et les bons ne font jamais de quartier. Sauf que dans la vraie vie, le mort ne se relève jamais pour reprendre la course. Benjamin a beau être un virtuose de ces «guerres fictives», il a du mal à se débrouiller dans les rues où il n’arrive pas à s’orienter.
«Non, chu juste dyslexique profond en géographie des lieux, j’ai répondu, insulté.» (p.58)
Il vivra le pire et le meilleur grâce à quelques protecteurs. Divine Soleil (une proche du Dieu clavardeur peut-être) tire des ficelles et le sauve à plusieurs reprises. Difficile de savoir si nous sommes dans le fantasme ou le concret. Benjamin confrontera la mort, la violence, l’amitié, l’entraide grâce à un chat qui s’attache à lui.
Un roman initiatique où le héros triomphe de tous les obstacles pour atteindre une forme de paix et de bonheur.
«J’ai cherché ses yeux, mais ils figeaient le trottoir. J’ai pas insisté, j’avais très bien perçu sa bénédiction pour continuer la quête de la vie après elle, même si, à la fois, son sacrifice me transperçait. J’ai cherché la taille de cet astre brûlant ; elle s’est appuyée contre moi et on est rentrés comme ça, en ruisselant de tous nos feux, sans troubler l’eau calme du silence.» (p.124)

Épopée

«Mémoires d’outre-Web» est une épopée chevaleresque où le bon triomphe et les mauvais sont punis comme il se doit. Un monde où Dieu tient le clavier de l’ordinateur et où un chat protège les démunis.
«Le ciel s’est mis à se débarbouiller et, du coup, tous les vampires se sont volatilisés. J’ai enfin pu m’assoupir. Je venais juste de fermer l’œil quand mon oreiller de provisions a commencé à vouloir s’en aller, ce qui me l’a fait rouvrir, au moment où le chat gris me sautait sur la tête comme un enragé. J’ai reçu ses griffes en plein visage pendant que je me relevais pur me défendre d’un coup de bâton, pensant qu’il se retournait contre la main qui l’avait nourri, mais j’ai arrêté mon élan en constatant qu’il avait une bête pendant de la gueule, presque aussi grosse et grise que lui, avec une mauvaise queue dégarnie, et qu’il s’est mis dans un coin pour la dévorer après me l’avoir paradée sous le nez en grondant de fierté.» (p.50)
Un récit plein de rebondissements qui nous transporte dans un univers inconnu et familier. Une exploration qui confronte le réel et le virtuel pour s’inventer un langage. Exigeant, mais fascinant malgré un titre peu invitant.

« Mémoire d’outre-Web » de Marie Clark est paru aux Éditions Hurtubise.  

lundi 7 mars 2011

Diane Labrecque ébranle drôlement son lecteur

«Je mourrai pas zombie» de Diane Labrecque présente une jeune femme dans la trentaine. En aidant sa mère à déménager, elle retrouve ses carnets d’adolescence, une période qu’elle croyait révolue. Il suffit de tourner quelques pages pour que resurgissent ces années où elle flirtait avec la mort.
Dib, un nom imaginé, n’a jamais quitté cette époque où elle était en révolte contre l’univers et elle-même. Adolescente anorexique, elle se mutilait avec un couteau de cuisine pour trouver un certain apaisement dans la douleur.
À l’école, elle croise Hubert et François, deux inséparables qui s’intéressaient à celle qui se confondait avec les murs. Une belle amitié s’était installée, une forme d’amour, d’idéal qui n’arrivait jamais à se concrétiser. Une situation assez trouble baignait les rapports du trio. Dib était absolue, intransigeante et obsessive. Les garçons avaient des petites amies pour expérimenter certains jeux sexuels.
«J’aimais Hubert. Il m’aimait. J’aimais François. Il m’aimait. C’était tout et c’était facile. Je ne voulais pas de mal à Jeanne. Mais les choses toutes simples, comme l’amour, tournent toujours en choses compliquées et c’est pourquoi je suis tout le temps fâchée avec la vie. C’était trop tard. Pour Hubert et pour François. Trop tard pour eux. Trop tôt pour moi. C’était la fin. Mais pourquoi cela avait-il même commencé ? Toute cette douce violence.» (p.12)

Triangle

Hubert et François ont récupéré cette rejetée sans l’arracher à une forme de dépression où elle se complaisait. Impossible non plus de vivre l’amour quand on se déteste. L'ivresse physique est une reconnaissance et une acceptation du corps.
L’adolescente résistait, s’efforçait d’avoir le moins de contact possible avec ses parents, s’enfermait dans sa chambre et se noyait dans des lectures. Elle trouvait une âme sœur dans la Bérénice de Réjean Ducharme. C’est peut-être ce qui l’a sauvée: savoir qu’elle n’était pas seule à ressentir un mal terrible de vivre, un malaise du corps et de l’esprit.
«Pour laver l’humiliation des larmes et oublier ma prison, je me suis enfermée dans ma chambre et je me suis ouvert doucement le bras gauche avec un couteau de cuisine. Et quand enfin le sang s’est mis à couler vers le creux de mon coude, ma tête est devenue légère comme un ballon et je me suis envolée vers le ciel si bleu, si bleu.» (p.27)
Dib a beau avoir une fille qu’elle adore, une adolescente sage et équilibrée, son passé la hante. La lecture des carnets la conduit à vouloir retracer ses amis de l’école secondaire pour vivre peut-être ce qu’elle n’a pas osé à l’époque.

Retrouvailles

Hubert a réussi. Il a des enfants et une femme. Ils habitent le plus beau quartier de Montréal. François semble fuir au bout du monde pour ne pas trop réfléchir à ce qu’est sa vie. Le temps leur a joué un vilain tour.
Comment raccommoder sa vie? Peut-on changer ce que l’on a raté à une certaine époque? Que sont devenus les idéaux? Il est peut-être périlleux aussi de vouloir plonger dans son passé pour ressasser de vieilles blessures. Dib va l’apprendre en basculant dans les excès qui ont failli la tuer.
«La violence des trois shooters de rhum qu’elle s’envoya au comptoir avant de s’asseoir auprès d’eux n’atténua en rien celle de voir François et Hubert réunis devant elle, pour elle, après dix-huit ans d’absence, elle, leur lien.» (p.169)
La jeune femme retrouve son vieil ennemi l’alcool au grand désespoir de sa fille.
Le lecteur est souvent ébranlé par cette adolescente qui se retourne contre elle et qui possède une incroyable capacité de tout gâcher. Malgré elle, Dib sera sauvée d’une certaine façon par les deux garçons.
Il faudra qu’elle touche le fond du baril une fois de plus pour revenir vers sa fille, sa seule raison d’être, son équilibre.
Un roman truffé de références littéraires, porté par une colère et une rage bouleversante. L’écriture de Diane Labrecque se tient en équilibre sur un fil qui menace à tout moment de se rompre. Le lecteur retient son souffle.

« Je ne mourrai pas zombie », de Diane Labrecque est publié aux Édiditions Hurtubise.

mercredi 15 décembre 2010

Hurtubise fait appel aux écrivains pour fêter

André Vanasse a participé à ce collectif
La direction des Éditions Hurtubise HMH, pour fêter ses cinquante ans, a demandé à vingt écrivains de la maison de produire un court texte. Jacques Allard dirige ce collectif fort séduisant. Il faut s’y attarder parce que ce genre d’anniversaire arrive peu souvent au Québec. Bien des maisons qui atteignent ce chiffre magique n’ont plus rien à voir avec ce qu’elles étaient au début, ayant renié l’élan du départ.
 Gilles Marcotte et Guy Rocher esquissent le profil du fondateur Claude Hurtubise. Des débuts modestes, des ambitions, des faits cocasses qui ne manquent pas d’arriver quand on fait métier de donner corps aux rêves. Des décisions qui prennent une autre importance avec le recul et qui peuvent vous hanter.
«Jacques Ferron apporta à Claude Hurtubise le manuscrit de son grand roman  Le ciel de Québec. Claude et moi le lûmes en riant, mais Jean Le Moyne fit une belle colère en parcourant dans ce roman les propos fort peu aimables de l’auteur à propos de Saint-Denys Garneau et une description étonnamment fidèle, trop fidèle, indiscrète, d’un de ses propres voyages à Sainte-Catherine-de-Fossambault. (Où diable Ferron avait-il trouvé ça ?) La colère de l’auteur de Convergences fut dramatique à souhait, et nous ne discutâmes pas longtemps, en fait nous ne discutâmes pas du tout et Le ciel de Québec s’en alla chez Jacques Hébert aux Éditions du Jour.»  (p.22)
Quel éditeur n’a pas échappé le livre qui a mobilisé la critique et les lecteurs. Le plus célèbre des cas demeure peut-être Pierre Tisseyre qui refusa «L’avalée des avalés» de Réjean Ducharme.
Le contraire est vrai aussi. L’éditeur peut découvrir une voix, un auteur qui se démarque. André Vanasse aborde le sujet en racontant sa rencontre avec Christian Mistral, un écrivain au talent immense.

Fiction

Si le collectif fait voyager dans l’enfance avec Marie-Christine Bernard et Louise Portal, on peut aussi plonger dans le merveilleux ou vivre les angoisses de l’auteur pendant un salon du livre.
À signaler  «Nibimatisiwin»  de Michel Noël, un texte qui rend hommage aux hommes et aux femmes qui arpentaient le continent américain avant l’écriture. Les mots ont permis à cet écrivain de se réconcilier avec ses origines et de les faire revivre par les contes et les romans.
«En écrivant pour les enfants, j’ai enfin pu atteindre l’objectif que je m’étais fixé : faire connaître les immenses richesses des cultures amérindiennes et la contribution généreuse et incommensurable de mes ancêtres à faire de ce pays ce qu’il est aujourd’hui.» (p.66)
Une belle manière de présenter la maison d’édition par ce qui en constitue l’oxygène: les textes. Une façon aussi de faire se croiser des générations d’écrivains qui témoignent de la longévité des Éditions Hurtubise HMH. Une présentation soignée, des textes diversifiés et souvent étonnants.

«Histoires de livres», sous la direction de Jacques Allard, est paru aux Éditions Hurtubise.

dimanche 14 novembre 2010

Jean-Claude Germain raconte la bohème des années 60

Jean-Claude Germain continue son travail de mémorialiste. Dans «La femme nue habillait la nuit», il retrouve la bohème de sa jeunesse, ces années qui allaient mener le Québec à la Révolution tranquille.
Ce conteur intarissable nous entraîne dans les lieux mythiques de Montréal, les bistrots, les librairies et des lieux plus ou moins fréquentables. Des personnages connus défilent, ceux qui ont marqué leur temps et dont on se souvient. D’autres ont été emportés dans l’oubli pour le meilleur ou le pire. Claude Gauvreau, Patrick Straram, Tex Lecor, Henri Tranquille et bien d’autres secouaient les diktats du clergé alors.
«Au milieu des années 1960, la bohème tenait salon au Bistrot, rue de La Montagne, à quelques pas de Chez Bourgetel. L’endroit, habituellement bondé à ne pas pouvoir bouger, se vantait de posséder le premier zinc parisien authentique. Martino, qu’on n’avait pas vu depuis des années, ressemblait maintenant à un fantôme fraîchement rescapé du pays des Tarahumaras d’Antonin Artaud.» (p.17)

Époque

Une société ne se transforme pas en claquant des doigts. Il faut du temps, des précurseurs, des contestataires pour faire évoluer la pensée et les moeurs d’une population. Jean-Claude Germain a connu ces années où tous fonçaient avec un enthousiasme contagieux vers «l’âge d’or du Québec», ces années 70 qui allait tout bouleverser. La Révolution tranquille, bien sûr, mais aussi la Crise d’Octobre et la Loi des mesures de guerre.
Les écrivains, les photographes, les peintres, les comédiens et les musiciens menaient la marche et tentaient de secouer des façons de faire et de voir.
«La révolution a commencé par l’œil et sa modernité était dans le regard. Pour transformer le monde, il fallait d’abord le voir autrement. Il fallait casser sa représentation et libérer les formes et les couleurs pour la reconstruire. La seule vérité était celle de l’œil qui regardait. Einstein n’en pensait pas moins.» (p.20)
Un milieu effervescent, trépidant qui bouscule tout et fonce sans trop savoir quelle direction prendre.
Les cinéastes joueront alors un grand rôle. Gilles Groulx, Pierre Perreault et Arthur Lamothe se tournent vers le Québec et le scrutent comme jamais il ne l’a été. Gilles Carles n’était pas loin. Cela donnera les films de Perreault sur l’île aux Coudres et l’Abitibi qui marqueront l’imaginaire québécois tout comme les films de Lamothe qui s’est attardé auprès des autochtones.
Les signataires du Refus global trouvaient de plus en plus de disciples.

Témoignage

Jean-Claude Germain était étudiant quand il a découvert la magie des librairies et le cinéma. Des passions qu’il gardera toute sa vie. Des lectures, des spectacles et des films qui changent sa vie. Il nous pousse dans ces hauts lieux du livre où le clergé dirigeait les bonnes lectures et vouait certains écrivains aux flammes de l’enfer. Henri Tranquille aimait les livres défendus et il se faisait un devoir de les faire lire discrètement. Comment oublier la librairie Déom, rue Saint-Denis et certaines institutions anglophones qui ont joué un rôle particulier dans la vie intellectuelle de cette époque. Des temples tenus par des originaux par toujours facile d’accès.
Germain entraîne le lecteur dans des endroits où les mécréants risquaient de perdre leur âme. Dans ces lieux enfumés, certaines femmes se déshabillaient quand elles ne faisaient pas l’inverse. Lili Saint-Cyr a échappé aux lois de la moralité en se rhabillant sur scène. Des endroits que les contestataires fréquentaient et animaient.
«J’appartiens à une génération qui a salué la progression inexorable de la liberté dans chaque nouvel allégement du vêtement féminin. Chaque lisière de nudité libérée par les grands couturiers nous rapprochait du grand dépouillement. Dans les films, chaque bain de mousse, chaque douche derrière un rideau de moins en moins opaque, chaque tétin furtivement dévoilé, chaque chemise détrempée, qui collait au corps comme une deuxième peau, comptaient pour autant de victoires sur le front de la censure.» (p.117)
Une décennie brossée à grands traits, une période d’ébullition qui remettait tout en question. Les vérités immuables s’effritaient et les portes du Québec moderne s’ouvraient. Jean-Claude Germain témoigne avec humour d’un moment fascinant où tout était possible. L’envers de maintenant où tout semble avoir été expérimenté.

«La femme nue habillait la nuit» de Jean-Claude Germain est paru aux Éditions Hurtubise.

jeudi 20 mai 2010

Hurtubise fête ses cinquante ans

Hurtubise fête ses cinquante ans d’existence. Il faut s’y attarder parce qu’il fut une époque où les maisons d’éditions naissaient aussi rapidement qu’elles disparaissaient. Ce genre d’anniversaire arrive peu souvent au Québec ou bien les maisons qui franchissent ce cap respectable n’ont plus rien à voir avec l’élan d’origine.La direction d’Hurtubise a choisi de souligner l’événement en demandant à vingt écrivains de la maison de produire un court texte qui invente des «Histoires de livres». Jacques Allard dirige ce collectif un peu hétéroclite.
Certains participants ont vécu la naissance de la maison. Gilles Marcotte et Guy Rocher esquissent le profil du fondateur Claude Hurtubise. Des débuts modestes bien sûr, des ambitions, des faits cocasses qui ne manquent pas d’arriver quand on fait métier de donner corps aux rêves. Des décisions qui prennent de l’importance avec le recul et qui viennent vous hanter.
«Jacques Ferron apporta à Claude Hurtubise le manuscrit de son grand roman « Le ciel de Québec ». Claude et moi le lûmes en riant, mais Jean Le Moyne fit une belle colère en parcourant dans ce roman les propos fort peu aimables de l’auteur à propos de Saint-Denys Garneau et une description étonnamment fidèle, trop fidèle, indiscrète, d’un de ses propres voyages à Sainte-Catherine-de-Fossambault. (Où diable Ferron avait-il trouvé ça ?) La colère de l’auteur de « Convergences » fut dramatique à souhait, et nous ne discutâmes pas longtemps, en fait nous ne discutâmes pas du tout et « Le ciel de Québec » s’en alla chez Jacques Hébert aux Éditions du Jour.» (p. 22)
Quel éditeur n’a pas raté une telle occasion, n’a pas su deviner le livre qui ferait se pâmer la critique et les lecteurs. Le plus célèbre cas demeure peut-être Pierre Tisseyre qui refusa «L’avalée des avalés» de Réjean Ducharme.
Le contraire est vrai aussi. L’éditeur peut découvrir une voix, un auteur qui se démarque. André Vanasse aborde le sujet en s’attardant à Christian Mistral, un écrivain au talent immense qui a tout fait pour saboter une grande aventure d’écriture.

Petite histoire

Plusieurs évoquent des anecdotes savoureuses qui plongent le lecteur dans le milieu littéraire. Jean-Claude Germain a été au cœur de l’aventure pendant des années, jouant le rôle d’ambassadeur au Salon du livre de Montréal.
«A toutes ces rencontres informelles d’écrivains où j’ai servi d’entremetteur, aucun de nos invités de France n’a jamais manifesté la moindre curiosité professionnelle pour leurs équivalents québécois… … Pourtant, ils s’attendaient tous d’office à ce que les auteurs du cru connaissent leurs œuvres complètes. Sans oublier la toute dernière de leurs parutions.» (p.87)
Et plus souvent qu’autrement on déroule encore le tapis rouge quand un prosateur débarque du dernier avion d’Air France. L’inverse, bien sûr, n’arrive que rarement.

Fiction

Les chemins qui mènent aux livres sont multiples et parfois singuliers. Parce que l’aventure de l’édition repose sur des émotions, des hasards, une recherche d’authenticité et de vérité.
À signaler «Nibimatisiwin» de Michel Noël, un texte qui rend hommage aux hommes et aux femmes qui arpentaient le continent américain avant l’écriture. Les mots ont permis à Michel Noël de retrouver ses origines et de les faire revivre par les contes et les romans, de les présenter aux nouveaux arrivants qui croient souvent avoir inventé l’Amérique.
«En écrivant pour les enfants, j’ai enfin pu atteindre l’objectif que je m’étais fixé : faire connaître les immenses richesses des cultures amérindiennes et la contribution généreuse et incommensurable de mes ancêtres à faire de ce pays ce qu’il est aujourd’hui.» (p. 66)
Et si ce collectif fait voyager dans l’enfance avec Marie-Christine Bernard et Louise Portal, on peut aussi plonger dans le merveilleux ou vivre les angoisses de l’auteur pendant un salon du livre. Jacques Allard rend bien la solitude de l’écrivain. Une aventure difficile à expliquer pour qui n’a pas vécu au milieu de la foule, un livre à la main, éprouvant la sensation que le monde entier vous boude.
Une belle manière de présenter la maison d’édition par ce qui en constitue l’oxygène : les textes et les mots. Une façon aussi de faire se croiser des générations d’écrivains qui témoignent de la longévité des Éditions Hurtubise HMH. Une présentation soignée, des textes diversifiés et souvent étonnants.

« Histoires de livres », collectif sous la direction de Jacques Allard, est publié aux Éditions Hurtubise. 

samedi 3 avril 2010

Marie-Christine Bernard ne cesse de surprendre

«Ces histoires voyagent dans le temps et l’espace, entre la France du XVIe siècle et le Québec du XXIe, en passant par les Provinces maritimes du XIXe et la Gaspésie des années 1920. On y observe que la différence dérange, toujours, partout, et fait de ceux qui la portent des êtres, sinon invariablement honnis, du moins inévitablement suspects.» (p.11)
C’est ainsi que Marie-Christine Bernard, prix France-Québec 2009 pour «Mademoiselle Personne», présente «Sombre peuple», son premier recueil de nouvelles. Treize textes qui voyagent dans le temps et l’espace, s’installent dans les Maritimes, au Saguenay et en France à une époque lointaine. Madame Bernard aime les bonds dans le temps pour se dépayser et nous étonner. Ses textes démontrent que la bêtise humaine n’a ni époque, ni lieu en particulier et qu’elle a souvent des conséquences tragiques. Il semble que de tout temps, ce fut le propre, pour ne pas dire la caractéristique des humains, que d’ostraciser ceux et celles qui dévient de la norme. Même qu’elle n’hésite pas à débusquer la bêtise dans l’actualité régionale.
«Cela s’intitulait : « Eschatologie populaire : essai sur la pensée apocalyptique sous Jacques Tremblay ». Le Jacques Tremblay en question, maire de Chicoutimi, n’aurait évidemment compris que dalle à cet article, étant donné qu’il n’était que notaire de formation. En plus, il militait encore pour la prière en début d’assemblée municipale, affirmait aller à confesse régulièrement, clamant qu’il n’était pas question qu’il prenne le risque de se présenter devant Dieu sans être absolument certain d’avoir l’âme propre.» (p.18)
La réalité dépasse la fiction, on ne cesse de le répéter.

Cas limites

Marie-Christine Bernard aime les originaux, ceux et celles qui deviennent des révélateurs, montrant les travers de nos sociétés. Ce peut-être un maire qui se croit drapé du manteau de Dieu, ou Salomon Cohen, un intellectuel qui lit des romans d’amour en secret.
Cette différence, on la porte en soi ou sur soi. Ce peut être la beauté de Penelle qui attire tous les regards des hommes ou encore la couleur de la peau. Cromwell, un esclave en fuite, trouve refuge auprès de Juliette, une fille ostracisée par la communauté parce qu’elle souffre de strabisme. Ces parias trouveront l’amour, mais ils le paieront chèrement.
«On se disait que son œil gauche regardait le Diable. On racontait qu’elle avait envoyé son homme ad patres avec l’aide du Malin. On se signait, on crachait par terre sur son passage. On la tolérait, dans sa cabane miteuse aux abords du village, parce qu’il n’existait pas de preuves que son homme fût mort et parce que, par conséquent, elle demeurait la bru du bootlegger, le tout-puissant Adolphe Robichaud, qui avait le pouvoir absolu sur tout le monde, ou presque.» (p.119)
Le texte le plus consistant du recueil, celui qui donne le titre à l’ensemble.
Pas de côté

Cette marginalité peut venir de l’âge, d’un fantasme, d’une sorte de glissade dans le temps pendant le Carnaval de Québec ou encore d’une bonne volonté qui provoque une tragédie dans «Michou».
Marie-Christine Bernard, encore une fois, révèle un sens de l’observation remarquable, une finesse qui s’exprime dans le détail et lui permet de plonger dans différentes époques. Nous lisons chacune de ses nouvelles avec émotion, une sorte de crainte qui nous tient en haleine en souhaitant éviter le pire.
Elle montre aussi un sens remarquable de la chute. Souvent les finales étourdissent et surprennent. Elle nous déroute et nous fait prendre conscience que ce ne pouvait être autrement. Signalons «Vie et mort de Louis-Seize Stone». On ne porte pas un tel prénom sans en subir les conséquences.
Marie-Christine Bernard possède une dextérité que peu d’écrivains peuvent se vanter d’avoir. Toujours une surprise que de la lire et de découvrir une nouvelle facette de son talent. Curieuse de tous les genres, elle aime se faire exploratrice pour notre plus grand plaisir.
« Sombre peuple » de Marie-Christine Bernard est publié aux Éditions Hurtubise.
http://www.editionshurtubise.com/catalogue/1878.html

dimanche 7 février 2010

Comment bien interpréter les faits de l'histoire?

Jean-Claude Germain, dans «Nous étions le Nouveau Monde», raconte le régime français de façon amusante, s’attardant à des personnages comme Jeanne Mance, Maisonneuve et Montcalm. Dans «Les Robinson Crusoé de l’histoire» Jean-Paul de Lagrave survole le Québec des débuts jusqu’à maintenant, convoquant Montcalm, George Washington, Voltaire et quelques autres.
Ces deux livres démontrent de façon éloquente comment l’histoire peut dire une chose et son contraire.
«Lorsqu’on invoque le passé, proche ou lointain, c’est une erreur de perspective de croire que les ancêtres sont les anciens et que nous, nous sommes les jeunots. C’est même le contraire qui est juste. Par rapport à eux, nous sommes les vieux et par rapport à nous, ils sont notre jeunesse. Ne sommes-nous pas la somme de ce qu’ils ont été?», écrit Jean-Claude Germain.
Le problème reste d’interpréter correctement ce qu’ont été les ancêtres pour mieux se comprendre.

La Conquête

La France a préféré la Guadeloupe et la Louisiane au Canada suite aux négociations qui ont suivi 1760. Certains, comme Jean-Paul de Lagrave, y voient une forme de trahison. Il s’attarde longuement à cette période et aux jeux de coulisses de la France lors de la guerre d’indépendance américaine. Il reproche aux Français de ne pas avoir marché avec les Américains pour envahir le Canada et rétablir l’hégémonie française sur cette partie du monde.
Si Jean-Claude Germain et Jean-Paul de Lagrave s’entendent sur le rôle de la France et celui de George Washington, ils s’opposent quand il est question de certains personnages. Germain aime bien souligner les différences qui deviennent de plus en plus évidentes entre les «Canayens» et les Français qui débarquent ici. Les ancêtres des Québécois s’étaient intégrés aux populations indiennes en apprenant leur langue et en pratiquant la guerre à leur façon. Le marquis de Montcalm détestait cette façon de faire et la considérait comme de la barbarie.
«Inexpérimentés dans ce genre de combat, les soldats de la première rangée ignorent qu’après avoir tiré un coup, ils doivent recharger leurs armes sans cesser de courir. Plusieurs mettent un genou à terre, comme à l’exercice, et provoquent une suite de culbutes qui casse l’élan de leur attaque. Au bas de la pente, les Anglais qui les attendent, font tous feu en même temps. Après la pagaille, voici la débandade!» (Jean-Claude Germain)
Un différend qui a eu les conséquences que nous savons. Jean-Paul de Lagrave fait un héros de Montcalm et Jean-Claude Germain une caricature.
«Par sa vaillance sur les plaines d’Abraham, Montcalm avait empêché l’ennemi de s’emparer de Québec, la capitale, que Ramezay sur les ordres de Vaudreuil, avait lâchement vendu. Puis ce fut la honteuse capitulation de Montréal», écrit Jean-Paul de Lagrave.
«Trois jours avant la reddition du gouverneur de Québec, Nicolas-Roch de Ramezay, Montcalm trouve assez de souffle pour expédier une lettre de capitulation aux Anglais avant de rendre l’âme. Ce fut la dernière couillonnerie du petit marquis», affirme Jean-Claude Germain.

Révolution tranquille

Plus près de nous, les affirmations de Jean-Paul de Lagrave sur la Révolution tranquille étonnent.
«Malgré la Révolution tranquille, la société demeurait la même que précédemment. Les Québécois restaient dans leur ensemble des pauvres et des ignorants dans un monde en pleine mutation. L’enseignement laïque et gratuit, de la maternelle à l’université, leur était refusé. Une petite élite seule avait amélioré son sort.» (p.134)
Le Québec remettait les pendules à l’heure dans les années 60. Il s’inscrivait dans la modernité en se donnant les outils d’un État moderne et avant-gardiste en éducation et en soins de santé. Les frais de scolarité demeurent encore les plus bas en Amérique malgré des lacunes. Si le système de santé éprouve aussi ses problèmes, il fait l’envie de bien des pays.
«Nous étions le Nouveau Monde» de Jean-Claude Germain et «Les Robinson Crusoé de l’histoire» de Jean-Paul de Lagrave démontrent comment on peut opposer certains faits historiques. Ces livres donnent raison à Joseph Facal qui, dans «Quelque chose comme un grand peuple» dénonce certains historiens qui gomment les faits pour promouvoir l’approche canadienne. L’histoire sert à fournir des munitions aux souverainistes comme aux fédéralistes, deux approches qui s’affrontent depuis la Confédération.

« Nous étions le Nouveau Monde » de Jean-Claude Germain est publié aux Éditions Hurtubise et « Les Robinson de l’histoire » de Jean-Paul de Lagrave est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

samedi 15 août 2009

Diversité culturelle, de quoi parle-t-on ?

La «Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles» a été adoptée en 2005 par 148 pays à l’UNESCO. Deux abstentions: Israël et les États-Unis. La France, le Québec et le Canada se sont faits les champions de cette idée.
Cette entente assure-t-elle la survie des différentes cultures dans le monde? Quand on parle de biens culturels et d’industrie de la culture, de quoi parle-t-on? Une quinzaine de chercheurs, dans «David contre Goliath», se penche sur la question.
Les États-Unis confrontent à peu près tous les pays dans ce débat. Règle-t-on le problème en ouvrant la porte des marchés planétaires aux cultures des petits pays? L’industrie mondiale de la musique et du cinéma, par exemple, demande un «formatage» qui dessert à peu près tout le monde, sauf les États-Unis. Et là encore on ne favorise que les produits populaires, négligeant les œuvres plus difficiles.

Marchandise

Les Américains pensent que les produits culturels sont un bien comme un autre et qu’ils doivent circuler sans restriction.
«Le contexte de l’évolution de la culture américaine, l’émergence de la culture de masse et, en parallèle, le fonctionnement de leur système culturel, illustrent un engagement particulier et révélateur envers les arts et la culture. La conception commerciale et utilitariste qu’ils lui confèrent s’inscrit dans une perspective historique. …Le contexte d’évolution des arts et de la culture américaine permet d’appuyer la conception utilitariste de ceux-ci, aux origines même du peuplement de l’Amérique.» (pp.130-131)
Nous touchons le coeur du problème. La culture doit-elle être traitée comme le bois d’œuvre ou le sirop d’érable? Céline Dion à Las Vegas représente-t-elle la culture québécoise?

Questions

Pourquoi le Québec est-il devenu le fer de lance de cette bataille? Certains diront que sa population majoritairement francophone dans un continent anglophone ne pouvait que l’inciter à promouvoir cette cause. Le nationalisme étant aussi un aspect de ce combat pour la préservation de la langue française et sa culture.
Pourtant, Québec a milité pour le libre-échange avec les États-Unis et les Amériques. Ces ententes prévoient la libre circulation des biens et des capitaux sans intervention des états. Le rouleau compresseur qui menace d’absorber toutes les cultures vient de ces traités et de la mondialisation.
«David contre Goliath», même si les textes sont parfois arides, soulève nombre de questions et ne formule pas nécessairement les réponses. Les idées ne s’accordent pas sur le rôle des états. Tous optent pourtant pour une approche commerciale.
«C’est aussi parce que nous refusons d’adhérer à la logique simpliste qui prévaut à l’heure actuelle, à savoir que la culture est essentiellement un moteur économique, un catalyseur, bref, quelque chose qui s’exporte, au même titre que l’hydroélectricité. D’où la nécessité de s’interroger sur cette transformation fondamentale qui est en train de se produire dans notre perception de la culture et sur la signification politique qu’un tel changement de paradigme provoque.» (p.278)
Et avec Internet et la numérisation, la diffusion échappe de plus en plus à toutes les mesures protectrices. Les créateurs étant ainsi largués.  Le débat est loin d’être réglé.

«David contre Goliath» de Yves Théorêt est paru aux Éditions Hurtubise.
http://www.editionshurtubise.com/catalogue/1730.html                                                                                                

jeudi 3 avril 2008

Une maison livre grands et petits secrets

Lise Bissonnette voulait une manière de chalet en ville, un lieu où elle pourrait se retirer, faire venir les mots et les phrases.
Au cours d’une promenade, il y a eu un regard sur une petite maison bleue abandonnée dans la neige. C’était près de la rivière des Prairies, du rapide du Gros-Sault. Deux mondes venaient de se heurter. Achat, rêves, projets, discussion avec l’architecte Pierre Thibault. Le refuge deviendra une maison qui accueillera tous les livres que Lise Bissonnette et Godefroy Cardinal collectionnent avec passion. Le présent et l’histoire se souriaient.
Lise Bissonnette a rapidement voulu tout savoir de cette maison construite par Pierre Gagnon et Marguerite Corbeille en 1811. Une demeure plus que modeste occupée par les descendants du couple jusqu’à une époque récente. Il n’en fallait pas plus pour plonger dans l’histoire de cette famille et les suivre sur presque deux siècles. C’était aussi faire revivre ce coin de pays. Moulin à farine et tailleurs de pierre, cageux et petits ouvriers se côtoyaient. Les Gagnon se sont débrouillés comme tous les Québécois peu lettrés de l’époque. Ce pourrait être le vécu de bien des familles.

Architecture

Regard aussi sur l’architecture et évocation de ces maisons défigurées par les vendeurs de matériaux. Pierre Thibault, l’architecte, a dû concilier passé et présent dans cette aventure.
«Cette maison aurait dû mourir. Au cours des grands massacres des années cinquante et soixante, quand le maire Jean Drapeau se fait fièrement le destructeur en chef des plus beaux bâtis de Montréal, quand la partie nord de l’île, dernière frontière, perd ses champs et chalets aux bungalows en rangée d’une génération d’enfants de locataires qui découvrent l’accès à la propriété, le quartier Bordeaux n’échappe pas aux tronçonneuses, niveleuses et autres machines. Les curés ouvrent eux-mêmes la marche, avec zèle.» (p.51)
Rénovations sauvages et démolitions ont marqué l’histoire du Québec Cette maison qui a résisté au temps par miracle devient le legs de la famille Gagnon au Québec contemporain.

Amour et parfum

Pour la fin, madame Bissonnette a imaginé une discussion entre Balzac et Théodore Banville. Une histoire d’amour et de parfum qui tourne autour de la flouve, ce foin d’odeur qui pousse comme du chiendent au Québec. Pourquoi pas! Ce projet, après tout, s’est échafaudé autour des livres. La petite maison bleue avait bien droit à sa fiction.
Édition soignée, très belles photos agrémentées de plans et de dessins. Véritable hommage à l’architecture et plaidoyer pour ces demeures modestes qui retiennent l’attention de bien peu de gens. Un bonheur pour ceux qui aiment l’histoire, l’architecture et les maisons.

«La flouve, le parfum de Balzac» de Lise Bissonnette est paru aux Éditions Hurtubise.

mercredi 26 mars 2008

«Mademoiselle Personne», un beau roman

Marie-Christine Bernard entrait en littérature en 2005 avec «Monsieur Julot». Ce récit où elle racontait sa lutte contre le cancer a remporté le prix Abitibi-Consolidated du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
L’auteure se permettait une incursion dans l’érotisme peu après sous le nom de Marie Navarre, avant de se tourner vers la littérature jeunesse. «Les Mésaventures de Grosspafine» raflait le prix Jovette-Bernier en 2007. Un ouvrage plein d’humour.
Et voici «Mademoiselle Personne», une histoire d’amour et de passion qui se situe quelque part en Gaspésie, au bord de la mer ou du fleuve qui a vu naître l‘auteure. Céleste a eu la polio enfant. Elle en garde une démarche «houleuse» qui attire les hommes comme les flammes les papillons. Elle flotte sur le monde, se montre sans partage et capable de tout pour vivre l‘amour. Trois hommes se brûleront en l‘approchant. Comme si une malédiction s’accrochait aux frémissements de sa robe blanche.

Tour de force

Les personnages de Marie-Christine Bernard donnent leur version des faits tour à tour. Une forme de déposition pour cerner une vérité fuyante, expliquer leur rôle dans une histoire de violence et de passions aveugles.
«Chaque personne a son histoire. Chaque histoire se déroule toute seule dans le temps, petit fil ondulant dans le vide sidéral. Parfois les fils se croisent et tissent un bout de trame. Puis ils repartent, chacun dans sa direction. Ainsi se tricote la grande toile de la vie. Fascinant, n’est-ce pas ? C’est à partir de cette idée que j’ai écrit tous mes romans. J’ai toujours en tête cette image de motif dans le tissu. Lignes, couleurs, textures.» (p.19)
La romancière emprunte la forme de l’oralité comme dans «Monsieur Julot». Julien, le dernier amant, Will le capitaine perdu en mer, Émile l’éternel prétendant et Céleste, qui termine le récit comme il se doit, apportent leurs tics et leur façon de dire. Surtout, ils présentent leur version d’une histoire qui sort de la banalité. Ce n’est pas sans rappeler «Les fous de Bassan» d’Anne Hébert où les personnages prenaient la parole pour faire découvrir une facette de l‘histoire.
Le défi est grand. Le lecteur emprunte plusieurs fois le même sentier et la narration doit coller au personnage. Un ton, une parole singulière doivent retenir le lecteur et lui donner envie de continuer. Un défi d’écriture que Marie-Christine Bernard relève magnifiquement. Le puzzle se complète et à chaque témoignage nous faisons un pas vers ce drame qui a brisé Céleste.

Mademoiselle Personne

Figure exceptionnelle que Céleste, une femme qui se rebaptise Mademoiselle Personne parce qu’elle n‘existe plus depuis que Will, son amant, est disparu en mer. Un personnage qui pourrait facilement envahir le grand écran. Il a toutes les caractéristiques pour séduire le lecteur comme le cinéphile.
Et quelle façon de renouveler le langage de l’amour et de la passion. On se surprend à revenir sur sa lecture pour savourer chaque mot de ces moments brûlants comme des tisons.
«L’ombre la suivait d’un pas, comme de raison. Mais je ne l’ai pas vue entrer à la suite de l’autre. Je ne voyais plus rien. Comme lorsqu’on pénètre dans une pièce un peu sombre après avoir passé l’après-midi dehors en plein soleil, au mois de janvier. Le mot, c’est ébloui. Mais ce n’est pas assez pour justifier ce qui s’est passé par la suite. En fait, j’étais brûlé. Les yeux brûlés jusqu’à l’âme. Et je n’avais pas encore vu ses yeux, à elle. Juste une esquisse d’elle, avec sa petite robe blanche et ses cheveux tout ébouriffés qui lui faisaient une auréole pailletée d’or. Son mouvement vif et langoureux à la fois. Sa fuite de petite bête furtive.» (p.120)
Le lecteur est envoûté par cette Céleste qui attend pendant toute une vie, face à la mer qu’elle insulte ou cajole selon les pulsions du jour. Comment ne pas songer à Noël Audet et «L’ombre de l’épervier», cet autre grand roman de la Gaspésie qui a donné une télésérie inoubliable. La présence amérindienne, comme un chant, accompagne Céleste et l‘enrobe de mystères, donne une dimension incantatoire et mythique à ce roman troublant.
Avec «Mademoiselle Personne», Marie-Christine Bernard s’impose comme une écrivaine importante pour notre plus grand bonheur.

«Mademoiselle Personne» de Marie-Christine Bernard est publié chez Hurtubise HMH.

jeudi 7 février 2008

Peut-on guérir la blessure de l’enfance?

Il n’est pas rare maintenant de voir des garçons et des filles défier les lois de la gravité sur une planche, des patins ou en s’élançant sur une bicyclette. Dans un coin discret d’un parc, casqués et bardés comme des gladiateurs, ils célèbrent l’audace en se moquant de l’attraction terrestre. «Les Rouleurs», un roman de Madeleine Monette, explore cet univers qui possède ses codes, ses rites et ses modes vestimentaires.
Cette histoire pourrait être celle de ces jeunes patineurs qui hantent les installations du Parc de la Rivière-aux-Sables, à Jonquière, des adolescents qui traînent dans le terminus d’autobus à Chicoutimi ou qui arpentent la rue Racine. De certains lieux de Québec, de Montréal et Paris.
Arièle, chanteuse, gagne sa vie dans les studios en faisant des voix pour des groupes peu connus. Elle est traumatisée par les spectateurs depuis sa première aventure sur une scène. Pourtant, elle a une voix qui plane dans des registres que peu de chanteuses osent aborder.
«Sa voix d’opéra, s’entend-elle dire encore, est tout aussi naturelle que de grandes mains. C’est une argile sculptée avant le moindre désir de sculpture, et elle éprouve à développer ses deux petits muscles autant de satisfaction qu’une athlète acharnée. Oui voilà, elle explore les registres extrêmes de sa voix avec une volonté de culturiste, elle fait de la musculation sans avoir envie de jamais déambuler en maillot de bain.» (p.22)
C’est peut-être ce qui l’attire vers ces jeunes qui donnent un spectacle à chaque jour. En plus, il y a une oreille qui lui fait perdre l’équilibre à tout moment et lui fait craindre de devoir cesser de chanter. Le symptôme physique peut-être de cette «peur» qu’elle surmonte à chaque fois qu’elle s’installe dans un studio.

Le petit Chalioux

Surgit le petit Chalioux qui oublie son sac dans le métro. La chanteuse le ramasse, tente de retracer ce garçon qui possède des dons pour le rap et la musique. Elle est fascinée par cet enfant sauvage qui hante la rue, pratique le patin avec opiniâtreté et sait devenir invisible pendant des jours. Une rencontre, un hasard qui bouscule sa vie.
«Arièle croit d’abord qu’ils l’ont oublié là, puis elle se convainc qu’il n’était pas des leurs. Avec son blouson de cuir d’homme qui lui fait une molle armure, aux larges poignets retroussés sur les jointures des doigts, son t-shirt d’un rouge délavé au col qui bâille, son collier fait de simples nœuds dans un cordon, ses ongles d’un noir de suie et son air écoeuré d’être en trop, il voyage en solitaire.» (p.16)

Marginaux

Madeleine Monette nous entraîne dans les parcs, les studios où Arièle peut se laisser aller sans craindre l’œil scrutateur du public. Il le faut pour s’installer dans la vie, exécuter une figure acrobatique, trouver une façon de terrasser les peurs et la douleur qui vous paralysent ou vous poussent vers la violence. Il y a toujours un nœud qui explique le comportement des adultes, semble dire Madeleine Monette.
«Quant à Arièle, elle semble vouloir chanter en compagnie de ses démons, sans essayer de les vaincre. Elle feint de s’en accommoder ou d’être à l’aise avec eux, se trompe-t-il ? Pour lui, cela ressemble à de la résignation. Soit qu’on montre ses limites du doigt, soit qu’on les maquille ou qu’on en fasse un tremplin, soit qu’on tâche de les repousser. Elle pourrait être une chanteuse formidable. Elle toucherait le ciel, si au moins elle souhaitait combler la distance qui la sépare des autres.» (p.389)

Quête

Depuis «Double suspect», un premier roman qui lui a permis de remporter le prix Robert-Cliche, Madeleine Monette s’intéresse aux hommes et aux femmes qui vivent ces manques qui vous suivent pendant toute une vie. Il suffit pourtant d’un regard ou d’un moment d’attention pour découvrir une autre direction. «Les Rouleurs» est un roman de frémissements, de longues reptations qui cernent cette blessure qui se cache dans l’enfance et qu’il faut empoigner un jour ou l’autre. Une littérature qui fait croire à la générosité et l’empathie des humains. Il le faut dans une époque où il n’est question que de compétitivité et de performances. La vraie vie est ailleurs, explique Madeleine Monette. Une écriture faite de petits points qui aspirent le lecteur et ne le relâchent plus.

«Les Rouleurs» de Madeleine Monette est paru chez Hurtubise HMH.

samedi 15 décembre 2007

Jean-Claude Germain raconte son enfance

Jean-Claude Germain est connu d’à peu près tout le monde au Québec. Un personnage apprécié pour sa bonhomie, sa verve intarissable et ses dons de conteur.
Dans «Rue Fabre, centre de l’univers», l’homme de théâtre, le comédien, le journaliste et l’historien évoque l’enfance d’un garçon de dix ans qui a de bonnes oreilles et des yeux pour tout voir.
Le père a exploré tous les métiers imaginables, ayant «plusieurs vies» comme il dit. Un peu assagi, il gagne le pain de la famille en vendant des sucreries, sillonne l’île de Montréal dans son petit camion. Une occupation qui permet d’explorer les alentours de la grande ville pour courtiser une nouvelle clientèle. Une manière de plonger dans des territoires qui échappent à toutes les contraintes et attirent les excentriques.
Dans ces courts tableaux, le lecteur découvre des univers étonnants, des personnages fascinants, une grand-mère qui pourrait être le pendant féminin de Louis Cyr, un père qui a le don de la parole et qui retombe toujours sur ses pieds. Jean-Claude a de qui tenir.

Monde anarchique

Germain décrit, à grands traits un monde anarchique, retord et rebelle, malgré la présence des curés. Surtout dans le tableau qu’il esquisse de la Rive-Sud qui était, à l’origine, une véritable cour des miracles, un territoire qui attirait les têtes fortes qui souhaitaient échapper à toutes les contraintes et réinventer l’art de vivre peut-être.
«Le climat d’insouciance et de désinvolture qui régnait dans ces développements sauvages, où les habitations étaient perpétuellement en chantier et les rues, impraticables, n’a eu d’équivalent que la joyeuse pagaille du Far West ou la ruée vers l’or. Mon père avait connu la frénésie et la misère de l’Abitibi du boom et des culottes à Vautrin. Il était donc le « voyageur » tout désigné pour prospecter cette nouvelle colonisation et ouvrir la route du sud pour son bourgeois – les termes n’avaient pas changé depuis la traite des fourrures.» (p.107)
Jean-Claude Germain s’amuse et, derrière chaque phrase, on croit entendre son rire tonitruant.
«À lui tout seul il résume dans mon souvenir ce Québec marginal, sans pudeur et sans apprêts, qui attristait Pierre Vallières et faisait sourire le docteur Ferron. Pour ma part, j’ai toujours cherché à traduire son intarissable gouaille et son rire rabelaisien. Ou plutôt à lui rendre justice.» (p.159)
C’est sympathique même si, souvent, malgré son parti pris, on aurait aimé qu’il s’attarde auprès de certains personnages, qu’il prenne la peine de plonger dans une époque fascinante où tout était possible, même les éclats de rire.

«Rue Fabre, centre de l’univers, Historiettes de mon jeune âge» de Jean-Claude Germain est paru aux Éditions Hurtubise.

mercredi 5 juillet 2006

Yves Dupéré plonge dans la révolte des Patriotes

«Quand tombe le lys», le premier roman d’Yves Dupéré, nous faisait revivre les derniers moments de la Nouvelle-France. Ce citoyen de Jonquière était tout heureux de m’annoncer la parution de son second roman quand je l’ai croisé lors de l’une de mes promenades le long de la rivière aux Sables. J’ai un peu sursauté. Son premier roman est sorti fin 2004.
Cette fois, il entraîne le lecteur dans la révolte des Patriotes de 1837 dans «Les derniers insurgés». Un bon nombre de citoyens voulaient faire du Québec un pays libre et francophone. Louis Cardinal devient le coeur de cette brique de 400 pages avec son ennemi Benjamin Landry. On croirait retrouver Méo et son voisin Landry qui se heurtent tout au long de «Mistouk» de Gérard Bouchard.
Louis épouse la cause des Patriotes et Benjamin collabore avec les Loyalistes. Ils se haïssent, se défient et s’humilient à la moindre occasion. Il y a aussi Roxane, l’amie d’enfance, la fille du seigneur Archambault qui a grandi dans la meilleure société de Londres. Au retour de la famille dans la colonie, l’amour éclate même si tout la sépare de Louis. La bourgeoise et le cultivateur.
«La pauvreté lui donnait des frissons dans le dos. Elle détestait voir des êtres humains à la recherche constante de moyens pour vivre honorablement. Elle ne pouvait se faire à l’idée qu’un homme, une femme ou un enfant soit privé de repas chauds, d’un toit pour dormir et de vêtements pour passer à travers le dur hiver canadien,» (p.143)
Roxane a ramené un fiancé, un militaire qui sert dans l’armée de Colborne qui réprime le soulèvement. Le bon et le méchant, la belle et séduisante jeune fille, la guerre et l’appel de la liberté. Tous les éléments sont là pour faire un bon roman.

Période méconnue

Surtout que cette période de notre histoire est méconnue. Tout le monde connaît les Patriotes sans trop savoir les raisons de leur révolte. Dupéré présente les grands acteurs de cette période trouble. Nelson, Lorimier, Papineau qui n’a guère le beau rôle et plusieurs autres.
Toujours bien documenté, Dupéré est capable de décrire des scènes guerrières de façon saisissante. C’était la grande force de son premier ouvrage.
Encore une fois le portrait de société est fort intéressant. Les bourgeois et les seigneurs collaborent avec les Anglais et ne pensent qu’à s’enrichir. Ils méprisent les paysans qui étouffent sous les contraintes et sont souvent plus fanatiques que les Anglais.
L’historien avait un peu tendance à s’étendre dans son premier ouvrage, mais cela ne gâchait pas la lecture. On ne peut qu’exiger plus d’un second ouvrage. Après tout, le romancier a eu le temps de corriger certaines lacunes et de pousser plus loin son écriture.
S’il avait su éviter ce piège dans le premier roman, il sombre corps et âme dans «Les derniers insurgés», s’entête à vouloir tout dire, tout décrire et ne laisse aucun espace au lecteur. Et quand il s’aventure dans les scènes intimes et amoureuses, il s’enlise. «Avec un charmant sourire au visage, baissa les yeux vers le sol; durant son discours, il parlait avec éloquence, Le maquillage sur son visage; Roxane avait posé sa tête sur le torse imberbe de Matthew, Et se pencha à sa hauteur, Après une brève pause de quelques secondes.»
Il aurait fallu tailler dans cette masse brute. On sent que l’auteur a voulu gonfler son ouvrage. Les descriptions des combats et des affrontements guerriers sauvent ce roman du naufrage. Le dernier tiers surtout! Une bonne centaine de pages en trop. Dommage!
Je veux bien croire qu’il a publié trop rapidement, mais le romancier devra apprendre la sobriété à l’historien, suggérer plutôt que de s’acharner à décrire les chaises, les meubles, les vêtements, les maisons dans le moindre détail. Éviter aussi les évidences qui pullulent tout au long des chapitres.
Il ne faut pas oublier que le roman historique, malgré la matière, reste un ouvrage littéraire qui doit être porté par la qualité de l’écriture. À lire pour le contenu historique.

«Les derniers insurgés» d’Yves Dupéré a été publié aux Éditions HMH Hurtubise.