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lundi 11 novembre 2013

Les Québécois ne connaissent pas leur pays


Bonne idée que de questionner des hommes (une seule femme?) de différents horizons et de leur demander de quoi le Québec a besoin pour s’affirmer dans le concert des nations, sortir d’une morosité qui le paralyse depuis des décennies. Les participants, malgré des vies différentes et des parcours singuliers, en arrivent à un même constat. Les Québécois connaissent peu ou mal leur pays, ses frontières floues et son histoire.

«Voici un livre écrit en chaussures de marche, le nez dans le vent, avec boussole et GPS. Un livre pour rouler, survoler, connaître. Un incitatif à s’enfoncer dans les villes ou les épinettes noires. Parce que la géographie, c’est le berceau d’un pays», explique Marie-France Bazzo dans une courte préface. Les Québécois sont vraiment en manque de connaissances géographiques. Leurs lacunes cognitives en ce qui concerne le territoire ne cessent de s’accumuler.
Le Nord, l’exemple le plus frappant. Les trois quarts du territoire du Québec restent inconnus et mystérieux. Cet espace mythique, sauvage, propice aux fantasmes miniers et hydro-électriques, devient un lieu d’exil temporaire, le temps de faire «la passe» et d’accumuler un pactole avant de revenir vers la civilisation.
«Les Canadiens et les Québécois ont bien évolué dans le sens de peupler les régions les plus tempérées, les plus au Sud, les plus liées à la richesse du sol et aux réseaux de communications, mais ces réseaux ne sont jamais allés, jamais, vers le Nord. Ils vont vers le Sud, ou vers l’Europe.» (p.18)
Une grande majorité de la population québécoise vit dans la vallée du Saint-Laurent et les territoires bordant certains affluents. Après Chibougamau, c’est l’inconnu, les vents, les épinettes, la toundra qui attire les plus braves…
«Non. Je pense que nous n’avons jamais eu conscience du territoire. Le Nord, pour nous, est une absence. Fondamentalement et historiquement, ce sont les Autochtones qui l’habitent.» (p.94)
Pourtant, ceux qui ont arpenté ce pays sont devenus des amoureux du Nord. Pensons à Jean Désy, Louis-Edmond Hamelin et Serge Bouchard. On pourrait aussi s’attarder au territoire fantasmé d’Yves Thériault qui en a fait le lieu de toutes les sauvageries et des pulsions.

Passé

Les Québécois ignorent leur histoire, encore plus celle des autochtones, leur mythologie, leur conception du pays, les rapports avec la nature et la vie. Nous sommes affligés d’une amnésie qui nous empêche de prendre les bonnes décisions.
«On l’a bradé, notre territoire. On l’a donné. On l’a mauvaisement prêté à des gens. Loué, vendu même: le fond des rivières, certains droits de coupe, le sous-sol, le pétrole, certains métaux. Toujours uniquement sous des auspices et des justifications économiques. Parce que malheureusement c’est seulement là, dans l’économique, que l’on dresse des bilans.» (p.130)
Les gouvernements ressassent des idées peu adaptées à l’époque contemporaine et à sa géographie. L’idée même des régions ressources empêche le développement intelligent des territoires périphériques et du Nord. Un concept venu du colonialisme peut-être qui fait que l’on pille les ressources de ces contrées au profit des habitants du Sud et des villes. Cette vision bancale ne peut que donner des interventions néfastes. L’exploitation de la forêt, des mines dans les régions est un véritable gâchis que beaucoup refusent de voir. L’erreur boréale de Richard Desjardins, par exemple, a montré une réalité que nombre de décideurs et de commentateurs ont refusé d’accepter. Ils ont préféré pourfendre «le poète».
De quoi le territoire du Québec a-t-il besoin? amorce une réflexion qui mérite d’être poursuivie et étoffée. Ces témoignages font prendre conscience des lacunes, des trous de mémoire qui peuvent expliquer nos flous identitaires, notre incapacité à se définir et à s’affirmer. Ce brouillard on le retrouverait autant du côté de la culture, de la littérature en particulier, que l’on ne fréquente guère, que l’on ne diffuse pas et que l’on oublie d’enseigner.
Les politiciens devraient lire et relire ce collectif, les enseignants devraient le mettre dans les mains de leurs étudiants dans les cégeps et les universités. Un incontournable pour ceux et celles qui s’intéressent à la vie d’ici, au territoire immense du Québec réel et à inventer.
Enfin des textes qui font appel à la lucidité et à l’intelligence. C’est quand même rare dans une époque où être, c’est devenir consommateur. Une entreprise nécessaire.

De quoi le territoire du Québec a-t-il besoin? de Marie-France Bazzo, Camil Bouchard, René-Daniel Dubois et Vincent Marissal est paru aux Éditions Leméac.

lundi 4 novembre 2013

Gabriel Nadeau-Dubois donne sa version


Printemps 2012. Des grèves étudiantes éclatent partout au Québec. On réclame la gratuité scolaire et un accès plus grand à l’université. Un conflit sans précédent par son ampleur et sa durée. Les médias s’enflamment. Violence policière, droit de manifester, de recevoir des cours en recourant aux injonctions, droits individuels qui semblent avoir préséance sur les droits collectifs, liberté d’expression et dissidence. Comme si pendant quelques semaines, il avait été possible d’imaginer une façon autre de voir et d’être au Québec.


Gabriel Nadeau-Dubois a été l’un des porte-parole de cette grève étudiante, de ce printemps érable qui a accaparé à peu près tous les bulletins de nouvelles pendant des mois. Avec Martine Desjardins et Léo Bureau-Blouin, ces jeunes ont étonné par leur calme, leur sagesse et la justesse de leurs propos. Nadeau-Dubois a vite été perçu comme le «mouton noir», se faisant souvent reprocher d’être le pur et l’intransigeant qui refusait toutes négociations.

Retour

Gabriel Nadeau-Dubois revient sur cette période particulière de l’histoire du Québec où des centaines de jeunes sont descendus dans les rues et, après des mois de contestations, ont su rallier une bonne partie de la population à leur cause.
Tenir tête nous fait vivre ces événements de l’intérieur. L’étudiant en philosophie raconte la mobilisation étudiante, les réunions interminables de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) qui avait choisi de débattre toutes leurs décisions en assemblée générale, limitant ainsi singulièrement le rôle des représentants qui devaient s’en tenir à des mandats précis. Un phénomène que les médias n’ont jamais comprit ou voulut comprendre.
«La plupart de ceux qui ont fait le procès des assemblées générales de grève n’ont d’ailleurs jamais assisté à une seule d’entre elles et ignorent qu’on y encourageait de manière constante — et presque naïve diront certains — le discours politique. Une priorité qui s’est avérée lourde et rebutante par moments, qui a mis à l’épreuve la patience de plusieurs, mais qui a aussi donné lieu à des échanges politiques d’une richesse inouïe.» (p.55)
De quoi dérouter les journalistes qui apprécient les réactions spontanées, aiment quand une question reçoit une réponse. Les médias veulent du direct, de l’émotion et souvent du sensationnel.

Problème

La gratuité scolaire et le rôle des universités, les conséquences de la décision du gouvernement Charest de hausser les frais de scolarité retiennent l’attention de Nadeau-Dubois. Des mesures similaires ont eu des effets néfastes dans d’autres pays. Baisse de la fréquentation des universités de façon significative en Angleterre et aux États-Unis, endettement des diplômés qui n’arrivent plus à s’en sortir dans le climat économique présent. Un questionnement fort pertinent sur le rôle des universités qui, peu à peu, deviennent des «laboratoires» pour les entreprises privées. Le rôle traditionnel de ces institutions qui formaient des citoyens capables d’analyser, de questionner, de critiquer et de juger semble bien loin des préoccupations des recteurs. Il faut que ce soit efficace, rapide et comptabilisable.
Médias

Nadeau-Dubois insiste aussi sur les réactions de la plupart des chroniqueurs et des commentateurs, pendant cette période. Tous ont tapé joyeusement sur les étudiants, demandant au gouvernement de les ramener dans les salles de cours, les privant ainsi de leur liberté d’expression et du droit de manifester. Une unanimité particulièrement suspecte, des embardées spectaculaires dans certains cas.
«Denise Bombardier s’alarmait le plus sérieusement du monde de l’effondrement de l’État de droit dans les pages du Devoir. Avec le recul, ses propos paraissent d’un ridicule consommé: «La rue a gagné sur l’État de droit. Les lois votées à l’Assemblée nationale et celles imposées par les tribunaux pourront désormais être invalidées dans les faits par des groupes divers qui ont fait leurs classes ce printemps en bloquant Montréal la rouge, en noyautant les réseaux sociaux, en intimidant leurs adversaires et en usant de violence.» S’en était fait de la démocratie, le Québec sombrait dans le chaos.» (p.169)
Gabriel Nadeau-Dubois s’interroge aussi sur la judiciarisation du conflit, l’interprétation des juges qui ont accordé des injonctions, niant ainsi les droits d’une majorité en privilégiant les désirs individuels.
Un essai vivant, percutant, vivifiant qui ramène des questions qui n’ont pas encore trouvé de réponses. Notre société est à la dérive, peut-être, mais pas pour les raisons que l’on ne cesse de remâcher. Heureusement, il y a une jeunesse intelligente et articulée qui questionne et refuse d’avaler les couleuvres des dirigeants. Il faut tenir tête, c’est la seule manière de progresser, de changer des choses. Un éclairage nécessaire qui peut servir de leçon, du moins je l’espère.

Tenir tête de Gabriel Nadeau-Dubois est paru chez Lux Éditeur.

lundi 28 octobre 2013

Guillaume Bourque nous laisse avec le motton


Jérôme Borromée a connu une enfance libre, sans véritables balises ni directives. Un père à la sexualité ambivalente, une mère plutôt instable et angoissée, un frère qu’il tente d’imiter plutôt mal que bien. Les garçons ont grandi avec leurs amis, profitant de toutes les occasions pour fumer, boire et se défoncer. Le tout dans un monde musical omniprésent qui devient quasi de l’agression. Une lente dérive dans un monde qui s’effrite peu à peu.

Guillaume Bourque, dans Jérôme Borromée, nous fait découvrir un adulte qui n’a jamais guéri de son enfance. Certains écrivains ont fait leur marque en refusant la vie adulte. Je pense à Réjean Ducharme et Bruno Hébert qui ont poussé cette négation dans des dimensions épiques. Bérénice Einberg et Léon Doré demeurent des figures marquantes de notre littérature.
Jérôme, la trentaine, à la veille de devenir père, ne peut que se retourner vers cette période floue où il n’était pas même certain de son orientation sexuelle. Tout comme son père qui avait du mal à se retenir en présence de certains de ses amis.
«Les soupers en tête-à-tête ont continué. Il avait retrouvé tout un éclat, ton père, et quand tu lui annonçais que Justin s’en venait à la maison, il s’empressait d’aller se brosser les dents. Personne ne faisait le lien, personne n’osait se demander ce que Paul pouvait bien retirer de cette relation, surtout pas Claire, ta mère. C’est Victor qui a fait la lumière sur les motifs de l’intérêt de votre père pour l’acteur. Le titre du dernier film commandé à Super Écran était resté affiché à la télé, une nuit. Paul était peut habile côté technologie, il avait laissé des traces: un film de fesses au masculin.» (p.37)
Jérôme rêve de devenir scénariste. Il ira un peu dans toutes les directions, incapable de s’accrocher à un projet. Justin pourtant lui montre la voie. Le comédien fait son chemin en misant sur toutes les cartes. Carry, un ami avec qui il aura des contacts sexuels, le tourmente et le questionnera dans ses pulsions.
Amorphe, il ne ressent pas cette vibration qui pourrait le pousser jusqu’au bout d’un travail ou d’une passion. Il tente de séduire plutôt que de s’imposer. Une ambivalence, un ancrage qui lui fera toujours défaut.
«Tu avais réussi à faire le deuil de tes aspirations de prodige du cinéma en te visualisant en professeur vedette à l’université, mais tu n’as pas été capable de le mener à bien, ce deuxième plan. L’anxiété encore, cette fois avec pour objet ta thèse. Tu n’arrivais plus à rédiger, tes lectures te dégoûtaient. Ça a duré des mois. Tu as dû abandonner ton doctorat et tu n’as plus jamais lu autre chose que des courriels, des directives et des recettes.» (p.180)
Une angoisse aussi de devoir franchir une sorte de mur l’empêche de s’avancer seul au grand jour. Il finira par devenir fonctionnaire, un travail plutôt bien payé et particulièrement terne.
Devant la grossesse de son amoureuse, il reste interdit, incapable encore une fois de s’émerveiller ou de s’emballer. Il ne sait surtout pas s’il aime encore cette femme qui le bouscule et contrôle sa vie. Il sera père puisqu’on le lui demande, joue le rôle dans une émission télévisuelle au plus grand plaisir de sa mère. C’est ce qu’il a toujours fait, jouer, faire semblant, être quelqu’un d’autre.
«Si au moins vous étiez devenus les enfants qu’elle souhaitait. Toi, tu as fini par satisfaire ses espoirs avec tes diplômes, ton poste, ta blonde et ton fils à venir, mais tu as d’abord été, comme ton frère avant toi, un ado bum qui ne s’intéressait à rien, qui buvait, qui se droguait et qui s’amusait seulement en ridiculisant les autres. Ta mère aurait voulu que la vie la dédommage de lui avoir pris ses deux premiers-nés en lui donnant de bons fils, mais les deux salaires de son sacrifice ont passé leur jeunesse à lui rire au nez.» (p.206)
Devenir adulte dans le cas de Jérôme aura été un épouvantable gâchis. Peut-être aussi renoncer à toutes les ambitions ou les désirs qui rendent la vie passionnante.

Vie adulte

Jérôme Borromée dresse un portrait assez noir d’une certaine génération qui semble avoir été abandonnée. Des jeunes ont été ballottés tout au long de leur enfance, incapable de décider ou de savoir ce qu’ils souhaitaient vraiment. Le pire, c’est que personne ne leur a demandé de se centrer sur l’être qu’ils sont. Nul ne semble s’en être inquiété, autant à la maison qu’à l’école. Ils auront été des absents, des figurants.
Un récit bouleversant qui m’a laissé avec le motton dans la gorge.

Jérôme Borromée de Guillaume Bourque est paru aux Éditions du Boréal.

lundi 21 octobre 2013

Richard Dallaire devra dompter ses démons


Une conscience sociale particulière, un regard qui étonne, un monde qui se régénère en se tournant vers les valeurs essentielles que sont l’amour et l’entraide, voilà ce que nous offre Richard Dallaire dans Les peaux cassées. Le tout pourrait prendre des proportions insoupçonnées si l’écrivain consentait à se mettre au service de son texte. Il n’a pas à charger ou à rechercher l’effet. Cette «manière» était déjà présente dans son premier roman et il n’a pas réussi à brider ses élans. Tout est là pourtant, surtout dans la seconde moitié où les «dommages collatéraux» sont moins visibles. 

Le titre un peu étrange fait allusion au travail du narrateur qui rafistole les humains dans une société en train de se désagréger. Un univers dévasté, cruel, sanguinaire où l’amour triomphe grâce à l’empathie de Carole, une femme au grand cœur, qui fascine les gens. Tous veulent la voir, lui confier leurs malheurs et leur désespoir. Elle écoute au risque de se noyer dans toute cette douleur et ces souffrances.

Univers

Rien ne va plus dans la ville. Chômage généralisé, activités paralysées, édifices qui s’effritent. Les affamés hantent les rues, des bandes s’affrontent, des enfants pillent et tuent pour survivre. Heureusement, Carole fait tout oublier et protège une petite flamme dans un univers opaque.
«Elle me raconta être née de la mer, dans une ville portuaire sur laquelle le vent salin s’abattait sans jamais s’essouffler. Enfant, elle traînait en bordure des quais, nageant dans des eaux poissonneuses et se faufilant entre les filets. Le goût salé des larmes lui était familier. Elle avait la connaissance du large; elle savait lire les signes qui prédisent la tempête ou précèdent l’embellie.» (p.13)
Il y a aussi des serpents dragons au restaurant de M. Foo, des enfants de gouttières et un homme empalé, un épouvantable, qui excite la rage des passants, un amoureux des étoiles, un chanteur au cœur tendre, un révolutionnaire qui retournera sa rage contre lui.
Ce monde croupissant et barbare cerne une enclave où il fait bon vivre grâce à l’amour et l’empathie. Je voulais tellement me laisser envoûter par cette sirène qu’est Carole que j’ai fini par oublier «les seaux de larmes» et autres bizarreries.
«Lorsque le monde craque de partout, il est difficile de croire que l’on peut être le mortier qui le calfeutre. Les bulletins de nouvelles nous écorchaient l’espoir avec leur lot de crises, d’actes terroristes et de dommages collatéraux. Licenciement massif et résignation généralisée faisaient sans cesse les manchettes. Au lit, je fuyais tout ça en me serrant contre Carole. La cadence de ma respiration s’accordait avec le sifflement régulier de ses branchies.» (p.24)
Heureux comme des poissons dans un aquarium ou un béluga dans le Saint-Laurent.

Patience

Il a fallu de la patience pourtant avant de me sentir à l’aise dans ce monde féroce, avant de croire en ce couple incertain qui se prépare à avoir un enfant.
«Je suis enceinte. Ces trois mots fracassèrent l’épais rempart de silence dans lequel Carole s’était murée. Les yeux replis à rebord d’inquiétude, elle me tendit un bâton de plastique blanc sur lequel se dessinait dans un cercle une croix bleue plutôt floue. Je saisis l’objet et le regardai de plus près, espérant y trouver un bout de réalité qui m’avait échappé. Je gagnais du temps, cherchant une réplique à la hauteur, mais les mots ne venaient pas. Je m’assis, étourdi.» (p.97)
Même que j’ai dû relire toute la première partie, plus de 80 pages, pour comprendre pourquoi je m’étais senti à l’écart. Mon malaise n’a pas complètement disparu d’ailleurs avec ces descriptions où l’auteur se fait plaisir avant tout, pratique l’art de la périphrase qui rend l’ensemble flou, dresse un écran entre le lecteur et les personnages.

Monde

La façon d’appréhender la société chez cet écrivain devrait nous présenter des choses étonnantes dans un futur pas si lointain. Il devra dompter ses démons, se mettre totalement au service de ses personnages avant.
«Chaque jour, la croissance de la verdure faisait oublier tout ce qui s’écroulait autour. Du toit, on voyait toujours plus de bâtiments s’affaisser. La ville se recroquevillait, broyant ses habitants dans son ventre. Notre immeuble, lui, était une aire protégée au cœur d’un monde qui s’effritait.» (p.163)
Un roman fort séduisant qui aurait pu être un petit bijou en se tournant vers la simplicité.

Les peaux cassées de Richard Dallaire est paru aux Éditions Alto.

lundi 14 octobre 2013

Éric Simard prend le risque de tout dire


Éric Simard vient de lancer Le mouvement naturel des choses. Peu d’écrivains publient leur journal au Québec. Manque d’intérêt du public ou des éditeurs, pas facile de trouver une réponse. Je ne peux m’empêcher de penser à Jean-Pierre Guay qui souhaitait tout dire dans son journal, défaire l’écriture en racontant son quotidien de façon maniaque dans un Québec qui refuse de devenir un pays. Tout le monde du milieu littéraire murmurait même s’il ne se donnait pas la peine de lire cette entreprise particulièrement originale. Nous étions une centaine à l’accompagner dans ce projet pathétique et troublant.

Éric Simard ne s’aventure pas sur les traces de Jean-Pierre Guay même si l’écrivain dévoile de grands pans de sa vie. Un pari toujours risqué, qui peut prêter flanc à bien des ragots. Qu’on le veuille ou non, l’auteur d’un journal s’attarde à des moments où il est particulièrement vulnérable. Cette démarche me fascine peut-être parce que j’écris au jour le jour depuis des années en me conformant à cette exigence de franchise.

Époque

Éric Simard avait vingt ans en 1989, venait de terminer son cégep et cherchait à entrer à l’École nationale de théâtre pour devenir comédien. Il préparait ses auditions, faisant appel à un professeur, mais n’a pu réaliser son rêve. Il a dû faire son chemin en travaillant comme libraire, entrecoupant le tout d’un long séjour en Europe, vivant des aventures amoureuses fulgurantes qui ont duré le temps des Perséides. Des éblouissements qui perdent rapidement leur intensité. Éric Simard avoue franchement son homosexualité, ne dissimule rien de ses émotions, de ses hésitations et de ses peines aussi.
«Bon, je sens que ma vie va se compliquer. En plus de P.J., j’ai maintenant en tête Claude, le gars que j’ai rencontré au Lézard la nuit dernière. Je nous vois et revois danser ensemble sans qu’on sache encore rien l’un de l’autre. Et la danse est sans fin. Il y avait tant de promesses dans nos gestes. Je sens encore la douceur de sa joue contre la mienne. Ce souvenir que je caresse accentue mon désir de le revoir, de lui faire une petite place auprès de moi, dans mon lit. Je pense plus à Claude qu’à P.J. Cet aveu est difficile, mais ça servirait à quoi de faire semblant?» (p.140)
Les amours entre hommes semblent durer le temps des roses. Pas facile de trouver le compagnon idéal, de marier les amours et le quotidien.
«C’est peut-être moi le problème finalement. C’est peut-être moi qui ne m’endure pas. Quand je rencontre quelqu’un, au début, je fais toujours la gaffe de vouloir être tout le temps avec lui et je finis par me tanner parce que la solitude me manque. Je deviens irritable et susceptible comme si c’était la faute de l’autre alors que j’aurais juste à passer une soirée ou deux seul chez moi.» (p.304)
Lecteur boulimique, passionné de cinéma, il court d’une salle à l’autre lors du Festival international du film de Montréal, cherchant à tout voir. Un long parcours qui lui fera s’approcher du monde du théâtre et de la littérature.

Écriture

Il rêve aussi de devenir écrivain, mais là encore le chemin sera tortueux. Les refus succèdent aux refus.
«J’ai finalement eu ma réponse des éditions du Seuil. Ils ont étudié mon manuscrit. Ils n’ont pas aimé. Je me console en me disant qu’au moins, ils l’ont lu. Je ne m’attendais pas à autre chose comme réponse, mais un refus, c’est un refus: ça ne fait jamais plaisir.» (p.54)
Aspiré par une vie nocturne trépidante, il se retrouve souvent au bord de l’épuisement.
«Je continue de demander à mon corps ce qu’il est incapable de me donner. Chaque fois que je devrais me reposer, je ne m’écoute pas. L’illusion du plaisir a toujours le dessus sur ma raison. Ce soir en est un bon exemple. Je suis sorti alors que je n’aurais pas dû et j’ai trop bu. Je ne crois pas que ce soit ça, aller au bout de soi.» (p.247)
Un témoignage sincère, une quête d’amour, d’identité, d’affirmation qui décrit bien les turpitudes de la vie et d’une époque pas très lointaine. J’aime cette entreprise toute simple où un écrivain prend le risque de tout dire pour le meilleur et le pire. Il faut une bonne dose de courage pour prendre cette direction et se confier à des lecteurs.

Le mouvement naturel des choses d’Éric Simard est paru aux Éditions du Septentrion, collection Hamac.