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jeudi 29 mai 2014

Louise Portal se met au monde par l’écrit

Une question et les réponses prennent toutes les directions. Pourquoi écrire ? La collection Écrire des Éditions Trois-Pistoles tente de donner des réponses. Une cinquantaine d’écrivains, jusqu’à maintenant, ont accepté de parcourir des chemins étonnants et particuliers. Louise Portal dans La mouvance de mes jours prend le relais avec ses couleurs et ses manières. Sa vie n’a cessé de tourner autour des mots depuis qu’elle a quitté Chicoutimi pour vivre la vie de pensionnaire. Des phrases la suivent, la hantent, viennent habiter son être.

Certains y sont allés d’une boutade. Je pense à Claude Jasmin et Francine Allard. La plaisanterie pourtant n’éclipse jamais la gravité. Comme si l’écrivain devait justifier son existence. C’est comme si on leur demandait avec un petit sourire : pourquoi vivez-vous et comment respirez-vous ?
C’est peut-être la question que Victor-Lévy Beaulieu pose aux écrivains. Quelle est l’essence de votre vie ?

Pour le moment, j’ai plutôt envie d’avancer sur la route de ma vie où l’écriture est devenue prière et méditation quotidienne. Une manière de me déposer chaque matin. Très tôt, avant d’être happée par le tourbillon du monde. Me déposer au cœur des mots et les laisser tracer le chemin de mon cœur à toutes choses. (p.10)

Une manière « de se déposer », d’être au monde, aux choses qui captent l’attention. Pour tromper l’ennui au pensionnat. Louise Portal a treize ans alors et se confie à son journal. Une habitude qu’elle gardera malgré une carrière de comédienne fort enviable. Une manière d’être, de trouver un équilibre et de respirer.

Écrit

Et pourquoi ne pas répondre à l’écrit par l’écrit, se faufiler dans ses romans, son journal, des lettres ? Pas de grandes confidences pourtant. Belle discrétion sur sa vie, sa carrière, l’actrice. Elle se concentre sur cette passion qui fera qu’elle publiera dans la cinquantaine. Il y a eu une pièce de théâtre avant, des chansons, mais la carrière d’écrivaine arrivera un peu tardivement.
L’enfance. On y revient toujours. Son père, Marcel Portal, jouera un rôle important dans ce désir d’écrire. Il écrivait tout en exerçant médecine. Il peignait aussi. Je l’ai connu alors qu’il dirigeait l’hôpital de Chicoutimi le jour et retrouvait l’artiste la nuit. C’était sa manière de se garder au monde et Louise l’a vu s’enfermer dans son bureau pour bousculer les phrases. Des lettres aussi qu’il lui écrivait et qu’elle a conservées comme des pierres précieuses.

Ainsi je vis, ainsi j’incarne, ainsi j’écris. En proie à des prémonitions. J’écris, portée par mon inconscient et mon imaginaire qui visitent des paysages intérieurs à être révélés. (p.17)

Exploration

Comme si Louise Portal fermait les yeux et s’avançait dans un brouillard, explorait un monde qui ne cesse de se dérober. Chercher à être, à voir, à vibrer dans la vie comme elle le fait sur une scène ou au cinéma. Comme s’il y avait quelqu’un d’autre en elle qu’il faut rassurer. Jouer, écrire, c’est peut-être retrouver une voix, calmer tous les êtres qui se disputent en soi.

Partager. N’est-ce pas l’essentiel de notre passage ici-bas ? Ma motivation à écrire vient de là. Besoin de partager pour nommer ce qui tisse mon cœur et mes heures. Témoigner. (p.44)

Il y a le rituel pour faire venir l’écriture. Cela arrive souvent tôt le matin, comme pour les matines dans les lieux de prières. Il faut le silence, les bougies, une mise en scène ou une mise en écriture où la femme se glisse dans la peau de l’écrivaine. Une manière de donner de l’espace à la romancière qui doit céder le pas à l’actrice le jour.

Écrire, c’est pénétrer dans une caverne mystérieuse, emprunter une route inconnue, s’aventurer sur un territoire incertain, souvent sauvage et parfois hostile où nous nous sentons très seuls. (p.104)

Louise Portal parle de ses hésitations, de ses voyages où un carnet la suit, de personnages qui constituent une famille qui l’accompagne longtemps après la publication, de certains lieux qui l’habitent.

Pourquoi écrire ? Pour ne pas mourir. Sans avoir pris naissance en moi par la parole. Écrire. Raconter les méandres de ma pensée, les épanchements de mon cœur, la mouvance de mes jours. En toute simplicité et une certaine vulnérabilité. Dire comme chanter les élans de l’âme qui cherche à s’exprimer. (p.131)

Écrire pour rester vivante au cœur du monde, une humaine sensible aux autres. Une forme de prière qui donne l’énergie pour affronter le jour.
Un témoignage d’une belle honnêteté qui nous emporte au cœur des écrits de Louise Portal qui sont autant de récits qui font connaître une femme qui ne joue pas quand elle s’abandonne à la parole. Un beau témoignage. Plus. Un voyage dans un univers particulier. Écrire ? Non. Exister par et dans les mots.

La mouvance de mes jours de Louise Portal est paru aux Éditions Trois-Pistoles, 21,95 $.
Des phrases que j’apprécie :

Avant mon premier cri, je suis née amoureuse. Je pense n’en jamais voir la fin. Je veux encore tous les chavirements pour continuer à vivre et écrire. (p.27)

J’écris pour déposer de la lumière, un peu d’espérance. (p.68)

L’enfance n’est jamais bien loin. Elle attend en silence qu’on la reconnaisse et qu’on en prenne soin. (p.90)

Écrire aide à vivre. À poursuivre l’itinéraire souvent douloureux de l’existence. (p.105)


Écrire, c’est poser un regard sur toute chose. Non pour les critiquer, mais pour les reconnaître, les ressentir et réfléchir à ce qu’elles sont venues remuer en nous. Écrire… pour oublier, consoler, avouer. Écrire… pour aimer, pardonner, découvrir. Écrire… pour dévoiler, souffrir, guérir… chanter et raconter. (p.112)

lundi 19 mai 2014

Et si certaines personnes ne mouraient pas

Réjane Bougé, dans Bruits et gestes perdus, reconstitue la vie et les gestes de son compagnon disparu trop tôt. Un travail précis, ethnologique je dirais qui trace un portrait touchant de l’écrivain Jean-Marie Poupart. Jamais il n’est nommé, mais c’est bien ce magnifique auteur que l’on découvre dans ces courts tableaux.

Jean-Marie Poupart est décédé en 2004 et pourtant il est là, bien présent dans l’esprit de Réjane Bougé qui a partagé sa vie. Une quarantaine de tableaux, des scènes courtes évoquent sa présence, ses façons d’être, de rire, de lire et de traverser le jour du matin au soir.

Depuis ton départ, elle n’en finit plus de creuser dans les épaisseurs de silence que tu laisses derrière toi. Et la voilà à déterrer le plus de bruits possible. Puis, pour se réconforter, un à un, lentement, elle les déplie. (p.9)

Réjane Bougé retrouve ainsi une présence, une façon d’habiter la vie. C’était un autre temps. Elle était peut-être une femme différente alors. C’était avant la maladie, la fin, le grand vide. Voilà pourquoi le je cède la place à un elle. Une façon de prendre ses distances, de signifier que sa vie avance à petits pas malgré cette absence qui la hante.
Elle s’attarde à sa façon de se raser, sa manière de repasser une chemise ou de marcher sous la pluie dans son grand imperméable. Son rituel singulier quand il dégageait les marches de l’escalier après une tempête de neige, son exubérance dans la cuisine quand il se lançait dans la préparation d’un repas et sa passion pour les mots et les dictionnaires. Une reconstitution minutieuse, précise comme un travail d’enluminure.

Les morts squattent le corps des vivants qui continuent de les aimer. Et c’est avec brusquerie et trivialité que, parfois, ils se rappellent à eux. (p.36)

J’aime surtout cette attention à la présence de l’autre, aux bruits qu’un humain fait en respirant, en habitant une pièce, en écrivant, en cherchant dans un dictionnaire ou en caressant un chat qui n’est jamais rassasié.
Les odeurs aussi, celles de la peau, de ses vêtements.
Comment ne pas s’attarder à sa passion pour les mots qu’il traquait comme un limier, son métier d’écrivain et d’enseignant. Et après, après un jour qui devient une brisure, une absence, le silence terrible de la mort qui emporte tout, efface tout, garde tout. Il reste le souvenir, l’évocation pour ramener celui qui marche sur d’autres rivages. Les gens ne meurent pas tant et aussi longtemps qu’il reste quelqu’un pour rappeler leur existence.

Bien sûr, il y a l’odeur de ton peignoir dans laquelle elle s’enfouit pour se réconforter pendant des mois. Mais il faut dire que ce sont tes chaussures et tes gants qui, gardant l’empreinte de ton corps, continuent à parler de toi avec le plus d’intensité après ta disparition. (p.33-34)
Présence

Réjane Bougé l’entend rire, lire, le voit marcher dans la rue à grands pas ; elle le retrouve sur son lit d’hôpital où il prend des notes et remplit des fiches pour faire un pied de nez à la mort peut-être. Et tous les livres qu’il abandonnait après quelques pages de lecture, les notes — ses traces de lecteur jamais satisfait —, ou encore les corrections qu’il suggérait quand il se penchait sur un manuscrit. Peut-être que les gens aimés restent là à tourner autour des vivants et qu’ils demandent un peu d’attention, quelques mots.

Aujourd’hui encore, il lui arrive de ne pas bouger, tout en étouffant les bruits ambiants. Régulièrement, elle fait ainsi la morte. Comme si le silence et l’immobilité pouvaient lui permettre non pas d’arrêter le temps ou de le ralentir, mais d’enfin découvrir le repli où tu te terres depuis le jour de ta disparition. Tu sais, n’est-ce pas, que tout ce qu’elle veut, elle, c’est te garder ? (p.125)

Réjane Bougé effectue dans ce récit une forme de pèlerinage amoureux où elle retrouve son compagnon par la mémoire et l’évocation. Particulièrement touchant. Surtout, elle démontre une attention étonnante à l’autre, au détail, à tout ce qui fait les petites choses du quotidien. Un livre inhabituel qui m’a beaucoup ému. Surtout, Bruits et gestes perdus m’a ramené vers un écrivain que j’ai beaucoup aimé.

Bruits et gestes perdus, Quarante-deux tableaux pour une disparition de Réjane Bougé est paru à L’instant même, 17,95 $.

Ce qu’elle a écrit :

Tu lis. Tu flattes la chatte.
Tu regardes à travers la large fenêtre.
Patiemment, tu l’attends pour déjeuner.
Aimer, c’est aussi éviter de faire du bruit. (p.9)

Il y a des bruits que le temps n’émousse pas. Ainsi c’est toujours le double toc de ce premier baiser qu’elle entend le plus clairement dans sa tête. Car, malgré ce que prétend la chanson, tu pars… et elle n’en meurt pas. (p.54)

Les chats apparaissent un peu partout dans tes livres. L’un deux, nommé Gora-Gora, est aussi noir que Philomène. De cette petite chatte élancée, tu admires les étirements langoureux sur le tapis du salon et sa façon d’attendre que passe le temps avec une impassibilité qu’aucune frénésie n’affecte. (p.102)

« Il faut voir la vieillisse comme un escalier qui permet de descendre un peu plus doucement vers la mort. Au bout, il reste cependant toujours un saut dans le vide. » Celle-là, elle est de toi. (p.120)


mercredi 14 mai 2014

Aurélien Boivin fait œuvre de mémoire

Aurélien Boivin récidive et présente le tome 2 de Contes, légendes et récits de l’île de Montréal. Le premier volet est paru en mars 2013. Une œuvre fascinante, imposante par son ampleur, l’imaginaire et le réel d’une ville qui donne le pas au Québec depuis fort longtemps.

Le premier jalon, une brigue tout aussi impressionnante de près de 900 pages, présentait les récits fondateurs, les mythes et les textes historiques qui touchaient directement le territoire de l’île de Montréal. Si certains constats pouvaient étonner à la lecture, comme l’impossibilité de trouver des légendes qui s’enracinaient dans le lieu même de Montréal, le second tome nous réserve autant de belles surprises et soulève aussi des questions.
La ville donc, la réelle, la physique, celle où des hommes et des femmes vivent, des enfants qui hantent les trottoirs et les ruelles, tentent de s’y épanouir et de s’approprier un univers particulier.

Ce deuxième tome est essentiellement consacré aux récits dits réalistes, c’est-à-dire qui, s’ils se déroulent comme les textes du premier tome dans la ville ou dans l’île de Montréal, ne laissent aucune emprise ni au surnaturel, ni au merveilleux, ni au fantastique, ni à la science-fiction ou à l’anticipation. Les récits réalistes se rapportent à un monde du quotidien dans lequel tout événement s’explique par les lois de la raison. (p.XVI)

J’ai eu la chance de lire des nouvelles policières, réalistes et des extraits de romans. Le tout se déploie dans un foisonnement de textes. Quatre-vingt-douze extraits par quatre-vingts écrivains différents. Il resterait même assez de matière pour constituer un troisième volet. C’est dire la richesse de ce corpus littéraire unique et singulier. Les deux publications cumulent plus de 1800 pages.

Centre

Montréal occupe une place essentielle dans la vie économique, sociale et politique du Québec en plus de regrouper la moitié de sa population si on englobe les villes environnantes. Voilà qui peut expliquer l’abondance des textes. La littérature suit toujours le politique et la démographie même si dans les romans et les récits, il n’y a pas si longtemps au Québec, les écrivains tournaient le dos à la ville, ce lieu où le diable avait ses aises. Montréal a su reprendre sa revanche envers et contre tous, particulièrement sur l’Église.
Aurélien Boivin a, encore une fois, su dégager des particularités.

Il est toutefois un constat certes étonnant, du moins pour moi, peu importe la catégorie des récits sélectionnés dans l’un ou l’autre tome : rares sont les écrivains qui se sont attardés à décrire Montréal, un quartier ou une rue, avec ses caractéristiques ou ses habitants. (p.XXXVI)

Pas de descriptions des rues, des maisons et peu de présence des communautés ethniques. C’est assez étonnant cette « absence ». Si on ne s’étonne guère de voir des groupes culturels occuper des lieux délimités, du peu de contacts véritables entre ces communautés, on peut se demander pourquoi les écrivains ne décrivent pas la ville, ses maisons, ses escaliers, ses parcs et ses belles artères ?

Exceptions

Yves Beauchemin et Gabrielle Roy échappent à ce constat heureusement. Les extraits de Bonheur d’occasion collent à la géographie de Montréal de façon organique, je dirais. La montagne, où vivent les riches et les possédants, fait contre poids à Saint-Henri où  les démunis et les travailleurs s’entassent. La mouvance de la ville avec ses classes sociales est particulièrement présente dans les extraits choisis par monsieur Boivin.
Yves Beauchemin démontre une belle conscience environnementale et architecturale dans son texte. Un point de vue unique dans ce florilège. Comme si les écrivains étaient plus préoccupés par leurs émotions ou leurs questionnements que par les lieux qu’ils habitent. Cela me laisse perplexe. Les gens de la ville sont-ils dépossédés de leur environnement au point de ne pas s’y attarder ?

C’est Montréal qui m’a fait découvrir que je suis Québécois, pour le meilleur et pour le pire. C’est ici que j’ai appris ma condition, devant les affiches unilingues anglaises, dans les manifestations et les assemblées politiques, ou tout simplement en écoutant les passants, mes voisins de métro, les serveuses, le dépanneur du coin, les chauffeurs de taxi de bonne humeur ou pas, les enfants avec leurs fusils de cow-boy, leurs bicycles, leurs cordes à danser, leurs mots salés, leurs sourires à couper le souffle. (pp.134-135)

Le lecteur voyage ainsi du début des années 1800 jusqu’à l’époque contemporaine. Ce qui permet de voir l’évolution des moyens de transport, certaines transformations de la ville qui rejoint peu à peu la modernité des grandes agglomérations d’Amérique. Un aspect qui demeure toujours en arrière plan.

Corpus

Il en ressort, peu importe les genres ou les auteurs, que les hommes et les femmes qui retiennent l’attention à Montréal ont souvent du mal à transcender leur quotidien. La présence des riches est évoquée sans qu’ils deviennent des personnages importants, sauf dans une nouvelle de Harry Bernard. Le professeur d’italien met en scène un faux aristocrate qui manipule une société bourgeoise qui aimerait se donner des lettres de noblesse et qui se laisse filouter en craignant d’avoir l’air de provinciaux.
Les guerres, la maladie, le travail répétitif et peu valorisant, les épreuves quotidiennes retiennent l’attention des écrivains. On louange rarement la réussite matérielle et les prosateurs ne s’aventurent jamais dans le monde des affaires ou de la politique. Certainement une conséquence de la pensée sociale et religieuse de l’Église si dominante avant les années 70. Les originaux payaient cher leurs incartades alors. Pensons à Rodolphe Girard.

Cette œuvre toutefois, malgré le talent qu’elle décelait, n’eut pas l’heur de plaire à l’archevêque Bruchési qui, non seulement la condamna et en interdit la lecture, mais fit perdre au jeune écrivain l’emploi de reporter qu’il occupait à La Presse. Tout désemparé, Rodolphe Girard, marié et père d’un enfant, alla frapper à la porte du Canada dont Godefroi Langlois était rédacteur en chef.  (p.235)

Aurélien Boivin a fait un travail colossal avec son équipe pour cerner ce lieu dans ses différentes époques. Des textes qui témoignent du glissement lent et certain de Montréal vers la ville colorée et multiethnique que nous connaissons et que nous aimons.
« Un ouvrage indispensable » que j’écrivais pour les premiers pas de cette aventure. C’est toujours le cas. Aurélien Boivin donne une mémoire aux Québécois. Il faut savoir lui dire merci.

Contes, légendes et récits de l’île de Montréal 2. Montréal : une ville imaginée, d’Aurélien Boivin est paru aux Éditions Trois-Pistoles, 74,95 $.

Ce qu’ils ont écrit :

Lorsque nous arrivâmes dans le Grand Morial, il mouillait à boire de n’importe quelle façon, aussi bien assis que debout. Nous allions habiter dans une pauvre et laide maison froide qui avait été construite en plein champ glaiseux, à côté de Boscoville, un centre de réhabilitation pour la jeunesse délinquante, et qui faisait face à la Rivière-des-Prairies. (p.139)
— Victor-Lévy Beaulieu

Les hommes, pour moi, sont des vaniteux qui marchent trop droit. Je n’aime pas qu’ils bombent la poitrine en présence d’une compagne. Ceux-là sont bossus du devant. Je préfère pour époux celui qui s’est familiarisé avec l’humilité, celui qui marche courbé, tel que vous sans doute, sous le poids d’une grande affliction, un malheur de naissance. À ceux-là, la Providence réserve la récompense d’une âme habituée à la souffrance et d’un cœur qui se conserve pur. (p.558)
Jean-Aubert Loranger

Depuis une grande heure, Rose-Ana marchait en direction de la montagne. Elle avançait à pas lents et tenaces, le visage baigné de sueur, et enfin arrivée à l’avenue des Cèdres, elle n’osa de suite l’attaquer. Taillée à même le roc, la voie montait en pente rapide. Au-dessus brillait le soleil d’avril. Et, de-ci de-là, entre les fentes humides de la pierre, jaillissaient des touffes d’herbe déjà verdissantes. Rose-Anna, s’étant arrêtée pour souffler un peu, laissa filer son regard autour d’elle. (p.740)


— Gabrielle Roy