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dimanche 21 décembre 2008

Alain Gagnon suit les traces de Faulkner

Obsédé par son coin de pays, William Faulkner n’a cessé de parcourir le Sud des États-Unis, le vaste état du Mississipi que hante la famille du vieux John Sartoris. Il est allé jusqu’à rebaptiser cette région pour en faire un lieu littéraire qui a fasciné le monde entier. Victor-Lévy Beaulieu a fait des Trois-Pistoles la région la plus fréquentée de notre littérature, autant par l’angle de la télévision que par ses œuvres de fiction. Dans la région, Michel Marc Bouchard ne cesse d’explorer le vaste espace du Lac-Saint-Jean dans ses œuvres pour la scène et le cinéma. On peut aussi mentionner Jacques Poulin qui fait de la ville de Québec son lieu d’écriture. Certains respectent la toponymie des lieux, d’autres ne peuvent résister au plaisir de tout rebaptiser comme l’ont fait les explorateurs en débarquant en Amérique.
«En toute franchise, je crois avoir écrit «La langue des Abeilles», «Le truc de l’oncle Henry», «Kassauan» et ces «Chroniques d’Euxémie» pour me promener, par l’imaginaire, dans mes paysages premiers», avoue Alain Gagnon dans l’avant-propos de «Chroniques d’Euxémie» paru récemment. L’écrivain natif de Saint-Félicien pourrait ajouter à cette liste «Thomas K» et dans une certaine mesure «Le gardien des glaces».

Espace d’écriture

L’auteur de «Sud» - le clin d’œil à William Faulkner est évident - a choisi de renommer le vaste territoire qui s’étend entre la rivière aux Saumons et le lac Saint-Jean pour en faire son espace d’écriture. Cette façon de faire lui permet de s’enfoncer dans la région à la manière d’un chasseur qui connaît les moindres replis du terrain et tout ce qui l’habite. Avec cette nouvelle topographie, il échappe à «l’histoire réelle et au temps chronologique». Il peut alors tout réinventer et suivre les méandres de son imaginaire.
Dans «Le dévot d’Is», la première nouvelle du recueil, le personnage choisit de devenir scribe, d’être marginal parmi les siens. «Tellement sont morts – et meurent encore – pour cet acte si simple que je me mets à l’écriture ou à la lecture avec une solennité dans les gestes, avec une pensée respectueuse pour tous ceux qui, avant moi, ont tracé des caractères et transmis l’expérience humaine jusqu’à nous.» (p.17)

Le gardien des glaces

L’écriture devient un des éléments essentiels de la trame dramatique de plusieurs ouvrages d’Alain Gagnon. Dans «Le gardien des glaces», un roman publié une première fois en 1984 et réédité en 2008, son héros, un avocat au passé nébuleux, part avec armes et bagages pour construire un relais le long de la piste des glaces, entre Roberval et Péribonka. «Sitôt les glaces suffisantes à porter hommes, bêtes et traîneaux, j’arrive. Et je m’installe au milieu de ce désert à surface lisse et dure… …Avec une sourde mélancolie, je retrouve mes ombres familières, et le vent qui bientôt poussera les neiges en des tourbillons démentiels, et les lourds craquements du froid qui torturent les glaces aux longues nuits de janvier.» (pp.11 et 12)
Le gardien accueille des personnages inquiétants, se bute à une montagne de lettres, évoquant l’écriture en vrac que l’écrivain doit dompter pour faire œuvre. Le lac Saint-Jean se transforme en une incroyable page blanche où tout peut arriver. Confrontation avec la mort, plongée dans un monde onirique semblable à celui de «L’odyssée», le livre de chevet du gardien irascible. J’ai relu «Le gardien des glaces» pour une troisième ou quatrième fois avec le même plaisir.
L’écrivain, pour Alain Gagnon, est celui qui exerce un pouvoir magique, invente des personnages en risquant sa vie. «Au début de mon âge adulte, j’ai demandé à devenir scribe, c’est-à-dire celui qui a le droit de désigner et d’engranger la réalité par des chiffres et des mots», écrit le narrateur du «dévot d’Is».  
Ce droit Alain Gagnon l’exerce avec une ferveur exceptionnelle. Ses romans demandent d’oublier nos références, de s’aventurer dans l’inconnu où agissent des forces malfaisantes et bénéfiques. Pour fixer la vie et se coltailler avec la mort, sa sœur siamoise. Une forme d’initiation à chaque fois.

«Chroniques d’Euxémie» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions du Cram et «Le gardien des glaces» a été réédité aux Éditions SM.

lundi 15 décembre 2008

Lise Gauvin sur les traces de d’Albert Camus

La fascination pour un écrivain pousse certains lecteurs à vouloir suivre ses traces. Ils cherchent à reconstituer sa vie par le biais de ses œuvres. Une aventure qui risque de les faire basculer dans des mondes étranges.
Marie étudie Albert Camus, l’auteur de «L’étranger» et de «Noces», depuis des années. Après avoir ratissé ses carnets et ses romans, comme un archéologue le ferait d’un site historique, elle s’installe à Lourmarin, un village de Provence où l’écrivain a vécu un temps avant sa fin tragique. Elle retourne chaque mot comme une pierre et tente de trouver des aspects inédits à l’œuvre de cet écrivain décédé dans un accident d’automobile. Qui sait, peut-être aussi un texte inconnu.
Dès son arrivée, elle fait la connaissance du guide du château où se trouve une bibliothèque bien garnie. Toute une section y est consacrée à Camus. Rapidement elle s’installe chez cet homme, suscitant des réactions et des regards suspects dans la communauté.
«C’est alors que le plus naturellement du monde, il lui propose de venir habiter avec lui. « Ce sera plus commode, ajoute-t-il, pour vos travaux. » On aurait dit qu’elle s’attendait à cette offre, qu’elle n’était venue dans cet endroit que pour ces paroles dans lesquelles elle ne perçoit ni désir de séduction ni projet de conquête. Cette absence de sentiment la rassure. Elle n’est pas surprise de s’entendre accepter aussitôt, sans hésitation aucune.» (p.24)
Des recherches l’occupent pendant le jour, des lectures qu’elle fait à l’insu des responsables de la bibliothèque qui ne laissent pas entrer qui veut dans ce sanctuaire. Elle fouille, scrute des manuscrits et tombe sur une première version de «L’étranger». Et il y a ce guide qui accueille les visiteurs, cet homme silencieux et secret. Ils vivent une forme d’amour la nuit, se tenant à une distance «camusienne » le jour.
«Chaque soir ils se retrouvent sans qu’aucun mot ne soit prononcé. Une entente tacite veut qu’au cours de la journée, aucune allusion ne soit faite à leurs rencontres nocturnes. Ils continuent à vaguer à leurs occupations quotidiennes comme si rien ne s’était passé. Ils continuent même à se vouvoyer.» (p.30)
Les gestes arrivent parce qu’ils doivent arriver, comme s’ils étaient dictés par une étrange fatalité. Les rituels de l’amour sont exécutés sans passion. Marie vit cette relation dans la neutralité qui a marqué la destinée de Meursault, le héros de «L’étranger». Une forme de retrait du monde où l’humain est témoin de sa vie et de celle des autres. Il n’y a pas de pulsion, de passion qui secoue l’univers. Seulement cette indifférence qui pousse Marie en marge de la société. Tout prendra une direction inattendue. Le dénouement surprend tout autant le lecteur que l’héroïne.
Lise Gauvin y démontre une belle sensibilité et une profonde connaissance de l’œuvre d’Albert Camus. Un seul regret: la brièveté de ce récit impressionniste. Cinquante pages, c’est peu. On en souhaiterait beaucoup plus.

«Quelques jours cet été-là» de Lise Gauvin est publié aux Éditions punctum.

Jean-Luc Doumont et l'écriture tout azimut


Tout doit être édité, sans sélection, sans censure, proclament certains écrivains en devenir. Il faut se libérer des éditeurs et au lecteur de choisir.
Ces adeptes de la diffusion tout azimut trouvent un véhicule de choix avec Internet. Il suffit de placer un texte sur un site et les visiteurs peuvent le télécharger pour un prix raisonnable. Une présentation racoleuse et un nouvel écrivain vient de naître.
Jean-Luc Doumont a trouvé une niche dans un site ou une maison d’édition qui ignore le sens des mots «sélection» et «rigueur». Un semblant d’éditeur qui fait penser à un village cinématographique constitué uniquement de façades.
«Petits hasards de la vie, une saga Made in Québec», un pavé de plus de quatre cents pages, se présente comme un récit où un certain Serge Simoneau raconte les malheurs qui ne cessent de l’accabler. Mort du père, du meilleur ami, de son demi-frère, fausse-couche de sa femme, dépression et alcoolisme. Le tout s’égare dans de longues digressions où notre gestionnaire dans une société d’État écorche tout le monde, mélangeant réalité et fiction. Tous des incompétents, des menteurs et des manipulateurs. Les politiciens, les médecins, les infirmières, les fonctionnaires, les journalistes et les éditeurs. Tous des profiteurs. Tous des salauds, des opportunistes qui contemplent leur nombril. Impossible de se fier à quiconque dans ce monde du pour soi et de la réussite à tout prix.
Heureusement, notre Simoneau aime sa femme. Il ne cesse de le répéter même si cette Hélène est à peu près absente du récit. Après un acte de contrition chez les Alcooliques anonymes, notre fils en manque de géniteur se refait une virginité grâce à l’écriture d’une biographie de Simoneau père. L’homme aurait joué un rôle important lors de la Révolution tranquille au Québec.

Chaos

Un manuscrit jonché de fautes grammaticales, de non-sens, de grossièretés, d’idioties qui font sursauter à chaque page. On en vient à éprouver un plaisir malsain à poursuivre cette lecture pour voir quelles tortures l’auteur va infliger à la langue française.
«À peine vingt-quatre heures après son départ, j’ai reçu un message sur mon répondeur. Je l’ai pris lorsque je suis revenu d’avoir été me promener dehors pour changer d’air. » (p.91)
Si seulement Jean-Luc Doumont mettait en pratique les conseils de son maître en écriture Marc Fisher. À le lire, on croirait qu’il a appris le français dans une grammaire rédigée par Jean Chrétien.
«Elle doit être comme le vin, plus mature elle devient, plus meilleure elle devient.» (p.134)
Jean-Luc Doumont démontre par l’absurde le rôle de l’éditeur et sa nécessité. «Petits hasards de la vie, une Saga made in Québec» illustre les pires facettes de l’écriture et de l’édition. Aucune mise en page, toutes les règles bafouées dans une langue atroce.
«Aujourd’hui, les pages se transforment en page internet, l’interactivité est de mise. Les égocentricités de l’écriture s’exhibent sur la toile internet sous différents surnoms et bien souvent sous un mauvais visage. Les quelques indices que l’on décèle dans les écrits, sont pour prendre une responsabilité sociale. Foutaise!» (p.74)
Jean-Luc Doumont est l’exemple de cette «égocentricité» et de ce «mauvais visage». Heureusement, Internet permet de balancer le tout à la poubelle en un clic.

«Petits hasards de la vie, une saga Made in Québec» de Jean-Luc Doumont est paru aux Éditions Atelier de presse.

Brigitte Haentjens descend au fond des enfers

La perte d’un proche peut faire perdre tout équilibre. La vie devient une incroyable glissade qui semble ne jamais vouloir s’arrêter.
Dans «Blanchie», de Brigitte Haentjens, un récit troué dit-on, la narratrice vit en chute libre depuis la mort tragique de son frère. Elle est dévastée et n’arrive plus à reprendre son travail de photographe, dérive dans son corps, l’esprit vide, la pensée au neutre. Le monde est devenu étranger. Elle continue à vivre pourtant, fuit en Europe, roule le jour et s’arrête dans des villages, s’installe dans une auberge, un café pour être encore près des vivants.
Cette errance masque l’envie de mourir, la culpabilité et la responsabilité que la narratrice ressent devant cette mort. Il y a aussi la honte d’être du côté des vivants. Elle fait tout pour se punir et s’avilir.
«Depuis je ne pouvais plus travailler ni / Écrire ni penser ni surtout / Photographier / Tout restait en chantier les projets abandonnés aussitôt qu’évoqués / Les livres ouverts les courants d’air / Mon esprit affolé tourbillonnait autour de vieilles idées / Déjà vu déjà vu» (pp.11,12,13)

Un homme

Un homme dans un village d’Espagne ou du Portugal, on perd ses références tellement la course emporte tout. Ils font l’amour et une relation étrange s’installe, faite de violence et d’agressions. Un amour parsemé d’échappées et de retrouvailles.
«Son désir surgissait à tous moments / Au milieu d’un repas bien arrosé / Dans le salon VIP de l’aéroport / Sur le quai d’une gare / Dans la rue / Il me prenait par le bras / Et m’engouffrait brutalement dans un hôtel / Il me poussait dans les toilettes / De grands restaurants / Où il commandait sans me consulter / Des plateaux de fruits de mer des huîtres / Du foie gras et du champagne / Il me prenait vite et brutalement» (pp.108,109)

La gestuelle de l’amour s’impose et lui rappelle qu’elle est un corps. Une dépossession et un avilissement total. L’homme la réduit peu à peu à l’état d’objet.

Zones inavouables

Brigitte Haentjens s’aventure dans des zones inavouables. Le récit minimaliste, plein de «blancs» ou de «trous de mémoire», épouse la forme poétique pour faire ressentir cette spoliation. De plus en plus troublant et dérangeant à mesure que l’on progresse dans cette lecture. Heureusement, il y a la remontée, le retour à Montréal, la rencontre d’un homme, un projet qui démontre qu’il est possible d’échapper au désespoir. Elle en sort meurtrie, mais vivante.
Des photographies d’Angelo Barsetti proposent des images de désolation. On y palpe la peur, la fascination de la mort et la fragilité du corps. Un fort bel objet, ce qui ne gâche rien.

«Blanchie» de Brigitte Haentjens est paru aux Éditions Prise de parole.

samedi 13 décembre 2008

Nancy Huston se penche sur l’acte créateur

Combien de fois, j’ai entendu des gens affirmer ne pas avoir le temps de lire. La vie est si trépidante, si folle qu’il ne reste plus d’espace pour ouvrir un livre, s’attarder à une oeuvre qui exige de la concentration. Ces mêmes personnes vous confient dans un salon du livre qu’ils rêvent d’écrire. Ces propos m’ont toujours laissé bouche bée.
Nancy Huston, dans «L’espèce fabulatrice», aborde cette question. Elle visitait une prison de Paris quand une détenue lui a lancé: «À quoi ça sert d’inventer des histoires, alors que la réalité est déjà tellement incroyable?»
L’écrivaine n’a su que répondre. Cette femme lui demandait pourquoi elle perdait son temps à écrire? Et pourquoi elle s’étourdissait à lire.
Madame Huston a noirci 200 pages pour répondre, démontrant que l’être humain trouve son sens, sa particularité et «son âme» dans ce pouvoir de créer des histoires.
Qu’on le veuille ou non, des fictions animent nos sociétés et occupent tous les bulletins de nouvelles. La croissance continue, la libre circulation des biens et des gens, la lutte au terrorisme, l’excellence et la productivité, la croissance de l’indice du bonheur dans la consommation constituent les volets d’une même fable. Certains tribuns préfèrent se boucher les yeux et les oreilles, répéter que l’on peut raser des forêts, brûler du pétrole sans compter, utiliser tous les fertilisants chimiques imaginables, polluer les eaux sans affecter l’environnement et la planète. Le réchauffement de la Terre rejoint les aventures de Superman dans leur esprit.

La lecture

Nancy Huston emprunte bien des méandres avant d’en arriver à la lecture et à l’écriture.
«Les pays où les individus ont le droit de retravailler les fictions identitaires reçues - le droit de changer de religion, de parti politique, d’opinion, voire de sexe – sont aussi les pays où sont écrits et lus des romans.» (p.178)
Un peu plus loin elle explique: «Plus on se croit réaliste, plus on ignore ou rejette la littérature comme un luxe auquel on n’a pas droit, ou comme une distraction pour laquelle on est trop occupé, plus on est susceptible de glisser vers l’Arché-texte, c’est-à-dire dans la véhémence, la violence, la criminalité, l’oppression de ses proches, des femmes, des faibles, voire de tout un peuple.» (p.180)
La lecture d’oeuvres de fiction aurait aussi un effet «civilisateur» sur les populations. Elle favorise l’autre point de vue, le respect, les comparaisons et les parallèles. Les États où on lit de moins en moins sont des pays où la liberté individuelle et collective perd du terrain.
«Tant dans son émergence historique que dans sa consommation courante, le roman est inséparable de l’individu. Il est intrinsèquement civilisateur.» (p.179)

Pas le temps

Pourquoi si peu de temps est consacré à la lecture au Québec? Il y a la télévision et le cinéma bien sûr. Le cinéma, je veux bien. On y invente des œuvres réfléchies, ficelées, exigeantes, proposant de nouvelles lectures de notre réalité. Signalons les films de Denys Arcand. Au théâtre, les œuvres de Robert Lepage, de Daniel Danis, Michel Marc Bouchard, Évelyne de la Chenelière et Larry Tremblay proposent un regard autre, décortiquent et permettent une «réflexion nécessaire», ouvrent des chemins et questionnent nos façons d’être.
Pour la télévision de «Paquet voleur» ou de «Loft Story», permettez mois d’avoir des doutes. Bien sûr, tout n’est pas parfait dans le monde de la fiction. On y trouve du pire, du meilleur et du jetable.
Lire, c’est comparer, bousculer, secouer des idées, se définir devant les dogmes dominants qui aspirent nos sociétés et marquent toutes les activités. J’imagine que l’on pourrait favoriser l’implication des jeunes en politique par la lecture dans les écoles. Avez-vous entendu quelqu’un pendant les dernières élections fédérale et provinciale proposer un programme de lecture? Est-ce pour cela que notre démocratie bat de l’aile, que la participation à ces mêmes élections ne cesse de reculer?
Il faut s’inquiéter devant le temps de lecture qui s’étiole au Québec comme partout dans le monde. La santé de la pensée et de la démocratie est touchée. Certains en profitent, soyez en assurés, pour imposer leurs fictions productivistes et irresponsables.

«L’espèce fabulatrice» de Nancy Huston est paru aux Éditions Actes Sud/Leméac.

jeudi 11 décembre 2008

Sophie Bouchard présente sa Cookie

Les formations politiques ne cesse de vouloir aider les familles au Québec. Il est question du nombre de places en garderie, des médecins de famille et de certaines allocations. Tous esquissent des généralités, laissant croire que la famille est encore un triangle constitué d’une mère, d’un père et des enfants.
Ce noyau a bien changé depuis la Révolution tranquille. Présentement, une union sur deux se termine par une séparation. Les enfants deviennent des nomades quand ils ne se contentent pas d’un seul parent. Ces réalités sont peu évoquées dans les programmes électoraux ou dans les informations où la bourse joue aux montagnes russes.

Jeunes écrivaines

Chez les jeunes écrivaines, les relations entre les hommes et les femmes prennent des teintes particulières. Deux parutions récentes illustrent bien le propos. «Cookie» de Sophie Bouchard et «Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin. Dans ce dernier cas, oublions le titre de mauvais goût.
Chez ces romancières, deux femmes dans la vingtaine cherchent à faire un bout de chemin avec un compagnon, un amant et un ami. Les mâles veulent bien d’un corps à corps d’une nuit, mais quand il est question de s’aventurer dans le quotidien, c’est autre chose. Après les secousses épidermiques, les hommes s’enfuient. Tout est toujours à recommencer.
Cookie a du cran, tient des statistiques et garde un œil sur l’espoir. Elle est coriace, pleine d’humour et de verve. Par dépit, elle imagine une vie sur une île, à la manière d’une Crusoé des temps modernes. Pas besoin de chercher si loin! Beaucoup d’hommes et de femmes vivent en ermite dans «l’île de leur appartement» sans beaucoup de contacts avec les autres.
Les hommes se succèdent sans que Cookie ne puisse en retenir un. Tout comme la Laurie d’Anick Fortin. Les deux guérissent d’une relation qui a duré un temps et s’est étiolée. Impossibilité d’établir quoi que ce soit de durable, de vrai et de solide chez ces romancières.
Cette instabilité pousse Cookie et Laurie vers l’alcool, des excès dont elles ne sont guère fières. Les deux abordent franchement leur sexualité, leurs désirs et ne renoncent pas à une certaine forme de romantisme et de tendresse. On peut aussi se tourner vers Stéfani Meunier qui a fait des relations de couple le sujet de ses romans.

Manière de vivre

Pourquoi la vie à deux est-elle devenue impossible? Est-ce notre manière de vivre, notre obsession de la consommation et de la performance qui déteint sur la vie amoureuse? Est-ce la disparition des balises qui faisaient, il n’y a pas si longtemps, que les couples se formaient pour le meilleur et le pire. Ou est-ce qu’on refuse les efforts qui sauvent le couple? Un différend, une contradiction, et adieu la vie à deux. Cela crée des univers étranges et schizophréniques. Bien sûr, la possibilité d’avoir un enfant dans un tel contexte est une utopie. Laurie se retrouve enceinte, mais l’action romanesque fera en sorte que l’enfant ne sera jamais là. 
Et pour explorer l’envers de «Cookie» et du «Journal intime d’une pute conforme», décidément ce titre ne me revient pas, il faut se tourner vers le roman de Fred Dompierre «Presque 39 ans, bientôt 100 ans». Ce récit décrit un homme instable et incapable de s’attarder auprès d’une femme. Après les grands titillements des premiers jours, il cherche par tous les moyens à décevoir la femme de sa vie. Il nage dans l’alcool et son cynisme est désespérant. Est-ce là l’homme que Cookie et Laurie veulent séduire?
Si Jack Kerouac et Henry Miller ont fait fantasmer bien des hommes de ma génération, il semble que les fils et les petits-fils ont peu changé. Ils sont toujours allergiques aux responsabilités et au couple. Le nouveau vient de ces jeunes écrivaines qui bousculent et questionnent cette réalité dans un langage particulièrement cru et senti.

«Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin est paru aux Éditions Trois-Pistoles et «Cookie» de Sophie Bouchard a été publié à La Peuplade. « Presque 39 ans, bientôt 100 ans» de Fred Dompierre est édité par les Éditions du Boréal.

Fred Dompierre ou l'homme en fuite

Les formations politiques ne cesse de vouloir aider les familles au Québec. Il est question du nombre de places en garderie, des médecins de famille et de certaines allocations. Tous esquissent des généralités, laissant croire que la famille est encore un triangle constitué d’une mère, d’un père et des enfants.
Ce noyau a bien changé depuis la Révolution tranquille. Présentement, une union sur deux se termine par une séparation. Les enfants deviennent des nomades quand ils ne se contentent pas d’un seul parent. Ces réalités sont peu évoquées dans les programmes électoraux ou dans les informations où la bourse joue aux montagnes russes.

Jeunes écrivaines

Chez les jeunes écrivaines, les relations entre les hommes et les femmes prennent des teintes particulières. Deux parutions récentes illustrent bien le propos. «Cookie» de Sophie Bouchard et «Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin. Dans ce dernier cas, oublions le titre de mauvais goût.
Chez ces romancières, deux femmes dans la vingtaine cherchent à faire un bout de chemin avec un compagnon, un amant et un ami. Les mâles veulent bien d’un corps à corps d’une nuit, mais quand il est question de s’aventurer dans le quotidien, c’est autre chose. Après les secousses épidermiques, les hommes s’enfuient. Tout est toujours à recommencer.
Cookie a du cran, tient des statistiques et garde un œil sur l’espoir. Elle est coriace, pleine d’humour et de verve. Par dépit, elle imagine une vie sur une île, à la manière d’une Crusoé des temps modernes. Pas besoin de chercher si loin! Beaucoup d’hommes et de femmes vivent en ermite dans «l’île de leur appartement» sans beaucoup de contacts avec les autres.
Les hommes se succèdent sans que Cookie ne puisse en retenir un. Tout comme la Laurie d’Anick Fortin. Les deux guérissent d’une relation qui a duré un temps et s’est étiolée. Impossibilité d’établir quoi que ce soit de durable, de vrai et de solide chez ces romancières.
Cette instabilité pousse Cookie et Laurie vers l’alcool, des excès dont elles ne sont guère fières. Les deux abordent franchement leur sexualité, leurs désirs et ne renoncent pas à une certaine forme de romantisme et de tendresse. On peut aussi se tourner vers Stéfani Meunier qui a fait des relations de couple le sujet de ses romans.

Manière de vivre

Pourquoi la vie à deux est-elle devenue impossible? Est-ce notre manière de vivre, notre obsession de la consommation et de la performance qui déteint sur la vie amoureuse? Est-ce la disparition des balises qui faisaient, il n’y a pas si longtemps, que les couples se formaient pour le meilleur et le pire. Ou est-ce qu’on refuse les efforts qui sauvent le couple? Un différend, une contradiction, et adieu la vie à deux. Cela crée des univers étranges et schizophréniques. Bien sûr, la possibilité d’avoir un enfant dans un tel contexte est une utopie. Laurie se retrouve enceinte, mais l’action romanesque fera en sorte que l’enfant ne sera jamais là. 
Et pour explorer l’envers de «Cookie» et du «Journal intime d’une pute conforme», décidément ce titre ne me revient pas, il faut se tourner vers le roman de Fred Dompierre «Presque 39 ans, bientôt 100 ans». Ce récit décrit un homme instable et incapable de s’attarder auprès d’une femme. Après les grands titillements des premiers jours, il cherche par tous les moyens à décevoir la femme de sa vie. Il nage dans l’alcool et son cynisme est désespérant. Est-ce là l’homme que Cookie et Laurie veulent séduire?
Si Jack Kerouac et Henry Miller ont fait fantasmer bien des hommes de ma génération, il semble que les fils et les petits-fils ont peu changé. Ils sont toujours allergiques aux responsabilités et au couple. Le nouveau vient de ces jeunes écrivaines qui bousculent et questionnent cette réalité dans un langage particulièrement cru et senti.

«Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin est paru aux Éditions Trois-Pistoles et «Cookie» de Sophie Bouchard a été publié à La Peuplade. « Presque 39 ans, bientôt 100 ans» de Fred Dompierre est édité par les Éditions du Boréal.

Anick Fortin questionne la vie amoureuse

Les formations politiques ne cesse de vouloir aider les familles au Québec. Il est question du nombre de places en garderie, des médecins de famille et de certaines allocations. Tous esquissent des généralités, laissant croire que la famille est encore un triangle constitué d’une mère, d’un père et des enfants.

Ce noyau a bien changé depuis la Révolution tranquille. Présentement, une union sur deux se termine par une séparation. Les enfants deviennent des nomades quand ils ne se contentent pas d’un seul parent. Ces réalités sont peu évoquées dans les programmes électoraux ou dans les informations où la bourse joue aux montagnes russes.


Jeunes écrivaines

Chez les jeunes écrivaines, les relations entre les hommes et les femmes prennent des teintes particulières. Deux parutions récentes illustrent bien le propos. «Cookie» de Sophie Bouchard et «Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin. Dans ce dernier cas, oublions le titre de mauvais goût.
Chez ces romancières, deux femmes dans la vingtaine cherchent à faire un bout de chemin avec un compagnon, un amant et un ami. Les mâles veulent bien d’un corps à corps d’une nuit, mais quand il est question de s’aventurer dans le quotidien, c’est autre chose. Après les secousses épidermiques, les hommes s’enfuient. Tout est toujours à recommencer.
Cookie a du cran, tient des statistiques et garde un œil sur l’espoir. Elle est coriace, pleine d’humour et de verve. Par dépit, elle imagine une vie sur une île, à la manière d’une Crusoé des temps modernes. Pas besoin de chercher si loin! Beaucoup d’hommes et de femmes vivent en ermite dans «l’île de leur appartement» sans beaucoup de contacts avec les autres.
Les hommes se succèdent sans que Cookie ne puisse en retenir un. Tout comme la Laurie d’Anick Fortin. Les deux guérissent d’une relation qui a duré un temps et s’est étiolée. Impossibilité d’établir quoi que ce soit de durable, de vrai et de solide chez ces romancières.
Cette instabilité pousse Cookie et Laurie vers l’alcool, des excès dont elles ne sont guère fières. Les deux abordent franchement leur sexualité, leurs désirs et ne renoncent pas à une certaine forme de romantisme et de tendresse. On peut aussi se tourner vers Stéfani Meunier qui a fait des relations de couple le sujet de ses romans.
 
Manière de vivre

Pourquoi la vie à deux est-elle devenue impossible? Est-ce notre manière de vivre, notre obsession de la consommation et de la performance qui déteint sur la vie amoureuse? Est-ce la disparition des balises qui faisaient, il n’y a pas si longtemps, que les couples se formaient pour le meilleur et le pire. Ou est-ce qu’on refuse les efforts qui sauvent le couple? Un différend, une contradiction, et adieu la vie à deux. Cela crée des univers étranges et schizophréniques. Bien sûr, la possibilité d’avoir un enfant dans un tel contexte est une utopie. Laurie se retrouve enceinte, mais l’action romanesque fera en sorte que l’enfant ne sera jamais là. 
Et pour explorer l’envers de «Cookie» et du «Journal intime d’une pute conforme», décidément ce titre ne me revient pas, il faut se tourner vers le roman de Fred Dompierre «Presque 39 ans, bientôt 100 ans». Ce récit décrit un homme instable et incapable de s’attarder auprès d’une femme. Après les grands titillements des premiers jours, il cherche par tous les moyens à décevoir la femme de sa vie. Il nage dans l’alcool et son cynisme est désespérant. Est-ce là l’homme que Cookie et Laurie veulent séduire?
Si Jack Kerouac et Henry Miller ont fait fantasmer bien des hommes de ma génération, il semble que les fils et les petits-fils ont peu changé. Ils sont toujours allergiques aux responsabilités et au couple. Le nouveau vient de ces jeunes écrivaines qui bousculent et questionnent cette réalité dans un langage particulièrement cru et senti.

«Journal intime d’une pute conforme» d’Anick Fortin est paru aux Éditions Trois-Pistoles et «Cookie» de Sophie Bouchard a été publié à La Peuplade. « Presque 39 ans, bientôt 100 ans» de Fred Dompierre est édité par les Éditions du Boréal.

dimanche 7 décembre 2008

Pour mieux saisir la manière d’Hervé Bouchard

«Le paradoxe de l’écrivain» inaugure une nouvelle collection de La Peuplade qui entend nous faire mieux connaître certains créateurs contemporains. On ne peut qu’applaudir! Cet ouvrage, malgré ses limites, permet de mieux cerner l’univers d’Hervé Bouchard et sa façon de pratiquer l’écriture. Une belle manière de s’attarder un moment sur une littérature récente qui emprunte des sentiers originaux et déroutants.
Ceux et celles qui ont lu Hervé Bouchard ou assisté à la dernière production du Théâtre Cri de «Parents et amis sont invités à y assister» ont été surpris par un feu d’artifice verbal qui anime et porte tous les personnages, cet univers à la fois familier et étrange. Une aventure fabuleuse qui nous emporte même si Bouchard ne s’éloigne jamais de la vie d’une famille ordinaire dans «Mailloux histoires de novembre et de juin» et dans «Parents et amis sont invités à y assister». Ce n’est pas la trame narrative qui étonne, mais ses monologues qui se déploient comme des aurores boréales qui permutent souvent. Certaines allégories aussi, comme cette mère Beaumont enfermée dans une robe en bois après la mort de son mari.
«Cette suite scandée, à la manière d’un rap sauvage, envoûte rapidement. Pas de dialogues, malgré la forme théâtrale, mais un croisement de monologues. Une écriture de paroxysme, des trouvailles et des émotions qui vous laissent le motton dans la gorge», que j’écrivais à la parution de «Parents et amis sont invités à y assister»  en 2007.
Cette façon de dire soulève bien des questions et c’est sans doute ce qui a fasciné Stéphane Inkel, professeur et chercheur, auteur du «Paradoxe de l’écrivain». Mentionnons qu’il est plutôt rare qu’un universitaire se précipite ainsi vers un nouvel écrivain.

Originalité

Soliloques sans fin, phrases relancées constamment dans une sorte de halètement, chants incantatoires et hallucinatoires font perdre l’équilibre à celui qui voit ou entend. En quelques phrases, l’écrivain nous plonge dans une autre dimension.
Stéphane Inkel débusque les influences littéraires et les repères d’Hervé Bouchard. Une analyse d’une soixantaine de pages où il plante certaines balises. On y rencontre Samuel Beckett, Valère Novarina, Denis Diderot et Stéphane Mallarmé. L’essayiste n’hésite pas à établir des parallèles avec Sylvain Trudel, Gaétan Soucy ou Réjean Ducharme. Même Victor-Lévy Beaulieu surgit ici et là dans cette excursion.
J’avoue avoir sourcillé quand il est question du «James Joyce, l’Irlande, le Québec, les mots» de Beaulieu. Le chercheur emprunte des raccourcis. Victor-Lévy Beaulieu, quand il rencontre ses maîtres en écriture, que ce soit Herman Melville ou Jack Kérouac, n’est pas loin de la manière Bouchard, contrairement à ce qu’Inkel et l’auteur de «Parents et amis» laissent entendre. Il y a osmose chez les deux.

Entrevue

Le plus éclairant dans l’ouvrage de Inkel est cette entrevue réalisée sur la plage du parc de Pointe-Taillon. Hervé Bouchard se livre, parle de son écriture et de ses intentions, de ses références, de ses incursions dans certains textes qu’il s’approprie sans scrupule. Nous comprenons mieux cette manière de dire, de foncer à une vitesse vertigineuse en culbutant mots et phrases. On pourrait certainement faire un parallèle entre le désir des surréalistes et des dadaïstes qui voulaient «dire» un autre monde en ne refusant aucun détour, aucun excès et abattre toutes les frontières.
Espérons que cette nouvelle collection nous réservera d’autres belles surprises. Les écrivains Larry Tremblay et Daniel Danis, des créateurs comme Jean-Jules Soucy pourraient y avoir une place. Il va sans dire que La Peuplade n’entend pas se restreindre aux créateurs de la région. C’est fort heureux! Il faut chasser l’originalité où elle se cache, dans toutes les manières de vivre l’art.
Et il faudra bien un jour cerner la figure de l’enfant dans le roman québécois. Presque toujours une enfance idéalisée, triturée, bousculée qui a donné les œuvres les plus percutantes de notre littérature. Songeons à Marie-Claire Blais, Bruno Hébert, Réjean Ducharme, Guy Lalancette, Pierre Gobeil, Gaétan Soucy, Robert Lalonde et Lise Tremblay. La liste pourrait s’allonger. Emprunter la voie de l’enfance permet d’écosser la langue française et de bousculer le lecteur dans ses références et ses habitudes. Une belle exploration qui nous réserverait de grandes surprises.

«Le paradoxe de l’écrivain», entretien avec Hervé Bouchard par Stéphane Inkel, est paru aux Éditions La Peuplade. 

dimanche 30 novembre 2008

Vitomir Ahtik est un romancier fascinant


Des communautés surgissent autour d’une mine ou au cœur d’une forêt. Elles croissent à une vitesse folle et quand les ressources s’épuisent, ou que les profits deviennent moins attrayants, les multinationales partent installer le miracle ailleurs. Ces communautés désertées perdent leur âme. Le passé est alors ce qui peut garder une forme de cohésion sociale dans un lieu qui se désagrège peu à peu.
Le drame a été vécu dans certaines communautés du Nord. Pensons à Schefferville où tout était possible et à Lebel-sur-Quevillon où, depuis quelques années, des hommes et des femmes attendent que tout redevienne comme avant avec la réouverture de la papeterie. Le miracle est devenu un cauchemar, l’avenir une serrure dont a perdu la clef. Vitomir Ahtik, né en Slovénie, dans «La porte du nord», plonge le lecteur dans une réalité de plus en plus présente sur la planète et notre région. Au-delà des soubresauts de la bourse, des pertes d’emplois qui gonflent les statistiques, il y a des hommes, des femmes et des enfants qui sont broyés par des forces impitoyables.                                                                                                               

Refuge

Christian, un Québécois, a vécu la construction de l’oléoduc en Alaska. Il cherche un refuge pour oublier ses blessures, les humains et leurs appétits de bêtes féroces. Il débarque dans cette ville du nord qui a tourné le dos à l’avenir. Les mines sont fermées et le rêve s’étiole dans des ruines. «La porte du nord» est hantée par des humains qui ne savent plus quoi faire de leurs corps. Il y a bien un épicier et un aubergiste qui survivent grâce à l’alcool frelaté, un curé obsédé par Dieu et un instituteur qui voit ses rêves se noyer au fond d’un verre, rien ne réussit à retenir l’attention d’un jeune homme. Le quotidien s’est déglingué dans cette communauté repliée sur elle comme une bête blessée. Tous se méfient, surtout de ces étrangers qui peuvent secouer la marche des jours.
«C’est un peu comme dans un western : un gars bien bâti entre dans une ville, il marche seul, à pas lents. Il n’y a personne dans les rues, pas une seule tête aux fenêtres, les habitants se cachent, sur leurs gardes, se disant que si l’inconnu n’est pas venu pur tuer, régler une vieille rogne qu’il garde envers un des leurs, c’est sûrement pour les déposséder de quelque chose, même s’ils ne savent pas de quoi. Il aura beau ne toucher à personne et payer cash, il est venu les perturber.» (p.80)

Vie sauvage

Après avoir vécu de grands espoirs et cultivé les rêves les plus extravagants, la population se résigne à cette décrépitude.
«Ils ne vivent pas, ils survivent. Leurs sentiments ont gelé. Ils se débattent comme ils peuvent, pris dans les mailles d’un filet qui ne les lâche pas. Certains explosent, se font du mal à eux-mêmes. Personne ne partagerait quoi que ce soit avec ses voisins, encore moins avec quelqu’un venu de l’extérieur… Chacun garde en soi des rancunes, de la méfiance, quand ce n’est pas de la haine.» (p.33)
Même les adolescents rôdent comme des bandes de loups en terrorisant tout le monde. 
Christian croise Rose, une femme qui a perdu son mari et ses enfants. Une histoire d’amour se tisse, un métis traverse la ville comme un ange exterminateur, des aventuriers ne reculent devant rien pour garder la main sur le trafic de l’alcool. Des obsédés, des fous qui ne croient en rien, des désespérés. Quand Christian accepte de livrer une cargaison d’alcool à une agglomération située plus au nord, il signe son arrêt de mort.

Confrontation

Le roman d’Ahtik nous plonge dans la désintégration sociale, là où la peur règne avec la méfiance. L’action pourrait se situer dans les régions périphériques qui se dépeuplent, dans ces villages qui voient leur population s’étioler parce que l’avenir s’est sauvé un matin. Ne reste que l’attente et le rêve qui ne reviendra jamais. Les hommes sombrent dans l’alcool, la violence et la bestialité.
Un roman dense qui, par un retour des choses, nous pousse dans les envers des miracles économiques, des développements qui déclenchent les rêves les plus extravagants. C’est tout le côté sordide de l’Amérique qui surgit, l’exploitation des ressources naturelles qui se transforme en drame. Des humains qui voient leur avenir leur être enlevé. 

«La porte du nord» de Vitomir Ahtik est paru aux Éditions de la Pleine lune.

dimanche 23 novembre 2008

Une autre plongée dans l’imaginaire québécois

Victor-Lévy Beaulieu, aux Éditions Trois-Pistoles, travaille depuis quelques années à dresser la carte de l’imaginaire des Québécois, région après région. Il lançait cette magnifique collection en l’an 2004 avec «Contes, légendes et récits du Saguenay-Lac-Saint-Jean» colligée par Bertrand Bergeron. Des livres sont parus depuis sur le Bas-Saint-Laurent, l’Outaouais et la Gaspésie. À signaler l’ouvrage d’Aurélien Boivin paru en février 2008 et portant sur la région de Québec. D’autres excursions sont prévues dans Charlevoix et aux Iles de la Madeleine.
La dernière parution nous plonge dans les «Contes, légendes et récits de la Montérégie». Pierre Lambert, en près de 700 pages, y explore un peu tous les genres et nous entraîne du côté de Germaine Guèvremont, Robert de Roquebrune, Louis Fréchette, du frère Marie-Victorin, Louvigny de Montigny, Pamphile Lemay et Jean-Aubert Loranger. Il ne faut surtout pas oublier Jacques Cartier, Samuel de Champlain, Madeleine de Verchères et Eugène Achard. 

L’approche

Nous découvrons d’abord la mythologie des Autochtones par des récits expliquant la genèse d’un monde que les Blancs ont envahi sans trop d’égard. Des aspects méconnus de la réalité américaine. L’invention de l’arc et de la flèche, la découverte du maïs et l’enfant-tonnerre étonnent et captivent. D’autres récits remontent à la fondation de Montréal, des événements que la mémoire n’a cessé de peaufiner au cours des siècles.
Certaines périodes occupent une place de choix. Signalons la rébellion des Patriotes de 1837-1838 qui a donné naissance à des héros encore mal connus. Bonaventure Viger et Joseph Dauphinet par exemple. Nous vivons de l’intérieur une brève guerre de libération.
Oui, il y a des loups-garous, des lutins qui font autre chose que de chevaucher les chevaux pendant la nuit, des possédés et des revenants qui terrorisent les hommes et les femmes. On ne peut y échapper, et ce dans toutes les régions du Québec et du monde. Les fées viennent aussi embellir des phénomènes naturels ou protéger les humains.
Fascinant de voir comment les particularités géographiques stimulent l’imaginaire et donnent naissance à des légendes et des mythes. Le mont Saint-Hilaire a attiré tous les regards. Tellement que Pierre Lambert y a consacré un livre chez le même éditeur en 2007, s’attardant à dix-neuf contes et légendes qui se déroulent autour de cette montagne. Un terreau est particulièrement fertile. Une crevasse, une caverne, un rapide tumultueux, un lac peu accessible, c’est assez pour que germe une histoire que les gens aiment reprendre et transformer. Les fées, un ermite, un trésor enfoui ont captivé l’imaginaire des anciens comme des modernes. Les peuples, peu importe l’époque dans laquelle ils vivent, trouvent toujours une façon d’expliquer une particularité géographique en y accolant des origines surnaturelles.
Dans ce voyage que propose Pierre Lambert, des héros échappent aux dimensions humaines. Le Diable ne pouvait que venir y faire quelques apparitions, histoire d’aider à construire une église ou pour faire danser la plus belle fille du village pendant toute une nuit.
Un livre imposant, soigné, qui nous fait voir la Montérégie autrement. Plus que tout, nous arpentons la mémoire d’une collectivité en redécouvrant ses épreuves, ses rêves, ses craintes et ses croyances.
Carte du pays

Si les explorateurs parcouraient les contrées et les continents pour en dessiner la carte, les écrivains, les poètes et les conteurs empruntent le même chemin. Ils utilisent volontiers la légende, le conte et le récit pour dire un pays, le faire basculer dans le rêve et l’imaginaire. Une façon tangible de dire une terre et de se l’approprier.
Cette grande collection des Éditions Trois-Pistoles constitue un véritable trésor, une somme qui permet de retrouver la mémoire du Québec qui se souvient si peu et si mal. Une forme d’anthologie littéraire aussi avec ses formules, ses genres, ses façons de dire et de raconter. Une belle manière de revivre l’histoire, de croiser des personnages qui ont marqué leur temps. Bien des enseignants auraient avantage à utiliser cette collection pour secouer l’imaginaire de leurs étudiants, visiter nos grands moments historiques et les courants d’une littérature qui nous caractérise et nous identifie. Un regard, une expédition unique dans un pays qui se forge depuis près de 400 ans.

«Contes, légendes et récits de la Montérégie» de Pierre Lambert est paru aux Éditions Trois-Pistoles.