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lundi 2 avril 2012

Larry Tremblay bouscule toutes les frontières


Le retour de Larry Tremblay au roman mérite d’être salué. Depuis 1989, il a écrit plus d’une vingtaine de textes, explorant le récit, le théâtre et la poésie. Il faut remonter à 2002 pour trouver «Le mangeur de bicyclette», un roman qui l’a propulsé parmi les finalistes du prix du Gouverneur Général du Canada.
S’il y a une constance chez Larry Tremblay, ce sont ces équilibres ou ces déséquilibres qui lient les individus dans la violence, la passivité, la révolte et la possessivité destructrice. Ce jeu du dominant et du dominé constitue la trame de «Piercing» où un gourou manipule ses disciples et les déforme dans leur corps et leur esprit. Dans «Abraham Lincoln va au théâtre» cette thématique prend plusieurs directions. Laurel et Hardy incarne cette relation trouble et fragile entre la victime et le bourreau. Le metteur en scène écrase les comédiens et vient ajouter à ce drame tout comme le geste du meurtrier John Wikes Booth. Une œuvre dérangeante et magnifique. Amour obsessif et dépendance aussi dans «Le mangeur de bicyclette».
Larry Tremblay pousse tout à la limite. Sadisme, violence pour explorer des pulsions qui brisent les êtres et les poussent dans l’horreur. Ces forces malheureusement constituent nos sociétés qui hésitent entre l’équilibre et le déséquilibre, la sainteté et la démence.

Figure du Christ

Edgar, dominé par une mère qui l’a élevé seule se retrouve déboussolé à la mort de celle-ci. Associable, miné par des pulsions violentes et l’automutilation, il hante la maison, son héritage, entouré de toute une quincaillerie religieuse. Il est devenu le conservateur du musée d’Anne-Marie, une femme qui n’a pas su l’aimer. Il recueille une jeune fille battue et laissée pour morte par des hommes en uniforme dans le cimetière où il s’était endormi sur la tombe de sa mère. Tout bascule alors.
«J’eus beaucoup de difficulté à dégager les bras de la jeune fille. Les manches de sa robe lui emprisonnaient les épaules, qu’elle avait plutôt fortes. Mes manœuvres maladroites n’éveillaient chez elle aucune réaction. Couchée ainsi, plongée dans une immobilité inquiétante, elle éveillait en moi l’image ridicule, vu les circonstances, de la Belle au bois dormant. Mais ce vestige romantique s’évanouit dans un fracas quand je réussis à lui enlever sa robe et ses sous-vêtements. Comment ne m’étais-je pas aperçu plus tôt que j’avais ramené un homme à la maison?» (p.29-30)
Edgar s’occupera de cet homme comme une mère nourrit son enfant, le lave, le lange et le dorlote. Amour fusionnel, maternel et paternel. Métamorphose, mort et résurrection, sexualité trouble, tout y est.

Adoration

Possessivité extrême, élimination de tous les contacts avec les autres. Edgar est entraîné dans une spirale de violences. Il gave cet homme et l’attache comme un animal qui ne cherche qu’à s’échapper. Ce barbu au visage du Christ est capable du pire quand il réussit à se libérer. Cette bouche dévoreuse devient un monstre. Par sa passivité, son inertie, il parvient à dominer complètement le bourreau.
Larry Tremblay dérange.
Le bagage génétique est de la dynamite qui peut exploser à tout moment, ravager tout en soi et hors de soi. L’héritage est marquant et difficile à cerner. Le père d’Edgar a violé sa mère et elle a voulu tuer son fils à plusieurs reprises. Sa naissance en a fait le meurtrier de son père en quelque sorte. Tout est écho chez Tremblay. Le roman est constitué de miroirs déformants qui reprennent sans cesse la même obsession pour la pousser à son paroxysme.
J’ai oscillé tout au long de ma lecture entre la fascination et la répulsion. Qui sommes-nous? Quel être se cache en chacun de nous? De quelles monstruosités sommes-nous capable? Qui peut libérer ces forces aveugles et destructrices? À couper le souffle, à hurler devant certaines scènes où l’horreur s’affirme dans une sorte de volupté.
Larry Tremblay s’aventure au cœur des pulsions qui font les saints ou les tortionnaires. Un texte qui m’a entraîné dans des zones que je n’aime guère explorer. Malheureusement, ces pulsions existent et l’actualité se plaît à nous le rappeler à tous les jours. Extrêmement dur et perturbant. Un véritable électrochoc. Un roman particulièrement questionnant. J’en suis encore abasourdi.

«Le Christ obèse» de Larry Tremblay est paru aux Éditions Alto.

lundi 26 juin 2006

Larry Tremblay ne fait rien comme les autres

Larry Tremblay n’arrive jamais à être banal quand il se faufile du côté du roman ou du récit, s’aventure sur une scène comme comédien, auteur ou metteur en scène. Tout est possible avec lui, même quand il bascule du côté de la poésie. Il étonne dans tous les volets de la littérature par son originalité et sa justesse.
Que d’expériences depuis ses premiers pas de kathakali au mont Jacob de Jonquière. Il revenait alors de l’Inde. Comment oublier «Provincetown Playhouse» où il se débattait dans un texte suffocant. Tout de blanc vêtu, il martelait les phrases de ses pieds nus sur le bois du plancher. Prisonnier d’un texte que le spectateur pouvait lire sur les murs de la «Maison carrée» de Chicoutimi, le comédien exprimait par son corps la parole de Normand Chaurette.
Comme bien d’autres, il a voulu aller de l’autre côté du parc des Laurentides. Il y avait Montréal, l’Europe, particulièrement l’Italie. Qui peut oublier «The Dragonfly of Chicoutimi» et l’ultime représentation de Jean-Louis Millette au Petit théâtre de l’Université du Québec à Chicoutimi? Ou encore «Le ventriloque», cette pièce gigogne présentée récemment en traduction à Toronto et qui nous entraîne dans des univers troublants.
Larry Tremblay s’est même permis une escapade parmi les finalistes du Prix du gouverneur général avec «Le mangeur de bicyclette», un roman qui contient des pages d’une beauté voluptueuse comme le Saguenay en juillet. Un roman tellurique qui bouscule les époques et les espaces.

Récits

«Piercing» vient de paraître chez Gallimard. J’ai parlé de ce récit dans «Lettres québécoises». J’avais lu également «Anna à la lettre C». Deux rééditions qui complètent la trilogie. «La hache» vient de faire l’objet d’un spectacle mis en scène par l’auteur à Montréal.
Ces trois récits fouillent les pulsions qui poussent les êtres les uns contre les autres comme les vagues sur des rochers. «La hache» aborde l’obsession du désir de contrôle. Un texte incantatoire qui envoûte le lecteur. Il faut voir comment il retourne la crise de la vache folle. Un symptôme et un symbole collectif d’une pensée inquiétante, à la frontière de la mort et de la vie.
«Piercing» nous fait suivre Marie-Hélène, une adolescente qui s’échappe de Chicoutimi à la mort de son père. Dans les rues de Montréal, elle suit des garçons qui se prostituent et obéissent aux «suggestions» de Serge, un maniaque du piercing. Elle n’y échappera pas.
Encore là un désir de contrôle et de domination, une fascination pour la pureté qui mène à la mutilation physique. Larry Tremblay empoigne les forces sourdes qui justifient les guerres et les idéologies qui nient les individus.
«Mon cerveau produisait ces idées mensongères pour m’éloigner de boulevards autrement plus dangereux, pour m’empêcher de réaliser à quel point j’étais devenu moi-même plus dangereux que les inconnus qui frappent au hasard quand la nuit plonge les visages dans l’étonnement et l’horreur, plus dangereux que ces jeunes que je voulais à tout prix mépriser et rendre responsables de la décadence du monde parce que l’odeur de leur vie tourne la tête, parce que leurs regards pardonnent rarement, parce que leurs corps s’ajustent plus facilement aux rythmes brutaux mais essentiels de la pensée jaillissante, débarrassée de lourdeur, de répétition, de manie…» (p.15)
 
Actualité

Larry Tremblay est un grand dramaturge et un écrivain formidable, peut-être l’un des plus originaux du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Un créateur important qui bouscule les ruses de la pensée, le langage des corps dans une société malade de ses excès et de ses rêves. On pourrait s’attarder à son écriture qui devient vite incantatoire et troublante. Il demeure un explorateur, un penseur, un écrivain unique et surtout, un éveilleur de conscience.
Le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean lui a rendu hommage en 2000. Une fête pleinement justifiée.

«Piercing» de Larry Tremblay est publié chez Gallimard.

jeudi 14 décembre 2000

Larry Tremblay ne cesse de scruter la société

Larry Tremblay est un créateur fascinant et dérangeant. Pour l'avoir vu faire ses premiers pas sur une scène, dans un spectacle hautement marqué par le kathâkali, je le sais capable de dérouter un spectateur et un lecteur. Heureusement, ses écrits restent sobres. Souvent évocateurs, ils parviennent à vous toucher par ce regard qu'ils posent sur le monde et les humains. Au théâtre comme dans le récit, l'écrivain s'intéresse à ses semblables.
Dans ce très court récit qu'est «Piercing», Larry Tremblay plonge dans l'univers d'une adolescente qui décide de voir le monde. Elle s'enfuit de son Chicoutimi natal où elle a l'impression de pourrir comme une baleine échouée sur les berges du Saguenay, à la hauteur de Sainte-Rose-du-Nord. La mort du père déclenche tout. Elle partira, fera un grand «X» sur sa vie, sa famille, cette ville pour vivre enfin.
«Elle s'était coupé les cheveux à grands coups de ciseaux. En trois secondes, elle s'était débarrassée pour de bon de son petit côté poupée aux joues rondes. Elle s'était coupé les cheveux à grands coups inégaux, sans miroir. Les cheveux de Marie-Hélène tombaient sur le plancher pas très propre de la cuisine, tombaient sur la tombe de son père, tombaient sur les rides mouillées de sa mère, tombaient sur le silence écoeurant du salon d'où parvenait encore l'odeur de cigarettes que son père fumait en regardant la télévision, tombaient sur la pluie qui n'en finissait plus de se mélanger aux ordures de cette ville où elle avait eu la malchance de naître.» (pp.5-6)

Montréal

Tout est dit. Nous la retrouvons à Montréal, dans un appartement de la rue Drolet avec Serge et Tony. Parcours habituel de toute une jeunesse qui doit fuir les régions périphériques pour connaître la grande ville, y travailler ou étudier.
Marie-Hélène se retrouve du côté des paumés. Pouvait-il en être autrement? C'est la faim, le froid, les rapines, la prostitution, les poubelles et parfois un mécène un peu étrange, un Kevin qui aide ces jeunes errants. Tony et Serge ne jurent que par lui.
Nous suivons Marie-Hélène, la belliqueuse, la têtue, la téméraire mais aussi la tendre, l'idéaliste qui ne demande qu'un signe et qu'un geste. Elle veut s'arracher à la grisaille, aux habitudes somnifères pour connaître un idéal, l'amour peut-être, un élan qui fera qu'elle changera le monde et surtout sa vie.

Le monde de Kevin

Peu à peu, nous comprenons que ce petit monde tourne autour de Kevin qui a aménagé ses quartiers dans une ancienne église d'où il édicte ses lois. C'est lui qui décide que Serge est un ange qui doit offrir son corps à tous les quémandants; lui qui proclame que Tony a tout à apprendre des chiens errants. Un gourou qui marque ses disciples. Marie-Hélène voit apparaître des petites boules métalliques sur ceux et celles qui s'abreuvent des «bulles» de Kevin.
Larry Tremblay décrit très bien la dérive d'une jeunesse en quête d'absolu et que notre société a larguée. Il suffit d'un mot, d'une petite phrase. C'est le détail qui surprend, la petite remarque qui bouscule l'univers et nous fait basculer. L'écriture de Larry Tremblay devient incantation, rythmes qui nous entraînent dans les rues, la neige et le froid. Un texte plein de colère refoulée à l'image de Marie-Hélène qui voudrait secouer le monde mais qui ne réussit qu'à se faire mal. Un récit dérangeant, une belle réusssite.
Les dix-sept photographies de Petra Mueller présentent des routes, des stations de métro où les gens vont, viennent, passent et peut-être changent au gré des jours et des élans. Il y a ces taches aussi que la photographe ajoute comme pour montrer la vanité de la vie, le mouvement, l'éphémère et le futile de nos agitations. C'est peut-être le lien qu'il faut faire avec le texte de Larry Tremblay. Tout passe, tout est mouvement et rien ne peut arrêter cette course contre la mort.

«Piercing» de Larry Tremblay est paru aux Éditions Dazibao.

samedi 14 décembre 1996

L’insoutenable solitude de l’être humain

Depuis ses premières publications, Larry Tremblay explore l’insoutenable solitude des humains, que ce soit dans ses récits, ses œuvres théâtrales ou le roman. L’impossibilité de communiquer peut aussi être un fil qui permet d’aller d’une publication à l’autre sans s’égarer chez cet auteur. Une œuvre d’une remarquable densité.
Dans «Piercing», un professeur de littérature perd le fil de sa vie et cherche la solution définitive; une adolescente s’extirpe de la médiocrité familiale et ne sait éviter les pièges de l’amitié et des manipulateurs. Une femme jongle avec les mots et les définitions sans pour autant échapper à une vie parfaitement ennuyeuse.
La communication, la complicité entre les êtres est difficile chez Tremblay. Tous sont avalés par les gestes du quotidien, brisés et désarticulés par un idéal inatteignable. Même les élans de liberté et de création éclatent en mille morceaux. Reste la résignation ou la mort si on se montre plus téméraire.

Obsession

Ce désir de s’arracher à tous les encerclements, pour toucher l’autre, obsède les personnages de Tremblay. Tous cherchent à casser des habitudes qui étouffent et écrasent. Le créateur s’immole dans un délire de totalitarisme, la jeune fille baisse les bras devant un gourou. Elle n’a pas vingt ans la Marie-Hélène de «Piercing» et elle a épuisé toutes les révoltes. Tout comme Anna qui n’arrive pas à casser le moule des définitions pour être un corps exultant dans le désir de l’amour dans «Anna à la lettre C.».
Larry Tremblay cherche l’autre côté du miroir, les noeuds qui compriment à la fois l’esprit et le corps. On se heurte aux mêmes attaches dans «Le mangeur de bicyclette», un roman qui s’est retrouvé parmi les finalistes du Prix du Gouverneur général.
«L’homme lui fait mal. Anna pense: j’ai mal, je hais, moi, feu, je travaille demain, me lever, il fait trop chaud pour vivre, je hais l’été, je, je ne suis pas vivante, il n’y aura pas de pluie, pas de pluie, pas de pluie…»  (p.156)
Larry Tremblay reste un sonneur de carillon qui prouve que la littérature est plus que jamais essentielle dans cette société qui a égaré toutes les boussoles. Il ne formule pas beaucoup de solutions, mais les questions demeurent importantes. La condition humaine étant, peut-être, de marcher vers l’insaisissable petite flamme qui oscille tout au fond de la nuit.

«Piercing» de Larry Tremblay est paru aux Éditions Gallimard.