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lundi 23 juillet 2012

Kim Thuy correspond avec Pascal Janovjak

Kim Thuy en compagnie de Pascal Janovjak
Kim Thuy a fait un malheur en 2009 avec la parution de «Ru». Ce court récit raconte le périple d’une jeune vietnamienne qui a dû quitter son pays suite à un conflit fratricide, son arrivée au Québec avec ses parents et l’adaptation à ce nouveau milieu. Sa seconde publication était attendue par nombre de lecteurs.

Elle revient avec «À toi», une correspondance avec l’écrivain Pascal Janovjak qui vit à Ramallah en Palestine. Oui, des écrivains vivent dans ce pays malgré une situation politique qui tranche de l’ordinaire.
Une rencontre lors d’un événement littéraire à Monaco provoque le déclic entre les deux littéraires. Un petit déjeuner qui s’éternise en somme avec le temps qui s’abolit grâce à Internet. Les deux poursuivent les échanges, s’écrivent à toutes heures du jour ou de la nuit, quand les occupations le permettent et qu’il y a un peu d’espace pour faire courir ses doigts sur le clavier.

Reconnaissance

C’est toujours un peu difficile de maintenir le contact au retour d’un voyage, quand le quotidien bouscule. Les deux font preuve d’une constance admirable, se confient, même s’ils se connaissent peu. Une belle manière de s’apprivoiser.
«Je t’ai écrit toute la nuit, dans un demi-sommeil. Tu connais cet entre-deux, où l’on a trop de mots pour dormir mais pas assez de conscience pour se lever, les coucher sur une feuille? Mais peut-être es-tu de celles qui ne laissent jamais durer les hésitations… Je t’imagine plutôt ainsi, ce matin, comme le matin de notre tête-à-tête. J’ai fini par me lever. Un anniversaire hier, dans un bar de Jérusalem… La musique était mauvaise, et nous n’avons pas dansé. Cela fait longtemps que je n’ai pas dansé, peut-être parce que la chaleur des soirs se prête davantage aux terrasses qu’aux pistes de danse.» (p.7)
Elle réplique : «Les Vietnamiens n’ont pas cette grâce quand ils dansent, car ils ne dansent que rarement, voire pas du tout.»
Chacun raconte ses faits et gestes, ses déplacements, son quotidien, retournent dans l’enfance pour mieux aborder le présent. Pascal Janovjak est né en Suisse, d’un père slovaque et d’une mère française. Il a beaucoup voyagé, travaillé au Bengladesh, dans une société difficile à comprendre pour un occidental. L’écrivain est sur le point d’être père pour la première fois.
Kim Thuy a ressenti le besoin de retourner au Vietnam au début de la vingtaine. Un choc. Combien de temps faut-il pour devenir étranger à sa propre culture? Il y a aussi ses enfants dont l’un est autiste, ses déplacements parce que la vie littéraire la sollicite beaucoup.
Janovjak montre bien le quotidien de celui qui vit dans une ville où Israël s’impose à tous les coins de rue. Pourtant la vie est là malgré les militaires. Il est possible d’y rencontrer des amis, de faire la fête, d’écrire, de partir pour l’étranger malgré toutes les difficultés pour traverser les frontières. Il fait preuve d’une retenue exemplaire même si on sent sa colère parfois. Kim Thuy a connu le Vietnam où tout était contrôlé par le gouvernement qui se méfiait de ceux du sud souvent identifiés à l’ennemi et aux Américains.

Confidences

Les échanges arrivent plusieurs fois par jour, en rafales. Les deux ont envie de tout dire. Kim avec son humour particulier, Pascal avec une sorte de gravité touchante.
Il y est question de certaines lectures, de la maternité et de la paternité, de souvenirs. On va à la découverte de l’autre avec une franchise remarquable.
La correspondance s’étire sur quelques mois. Les deux ont ce grand pouvoir de se moquer un peu de leurs travers, de se livrer sans arrière-pensée. On suit l’échange comme un match de tennis où chacun renvoie la balle avec dextérité. Cela donne des textes d’une fraîcheur qui ne se dément jamais. Deux mondes se confrontent, se livrent, montrent leurs différences et leurs similitudes. Touchant, émouvant à l’occasion et d’une justesse remarquable.
Une spontanéité où l’on sait être sérieux sans être grave, moqueur sans tomber dans la facilité. C’est humain simplement et démontre que les moyens contemporains de communication peuvent servir à autre chose qu’à écrire sur Facebook une autobiographie qui se perd souvent entre la salle de bains et le IPad.

«À toi» de Kim Thuy et Pascal Janovjak est paru chez Libre-Expression.

vendredi 15 avril 2011

Danielle Laurin cherche à comprendre

Danielle Laurin, dans «Promets-moi que tu reviendras vivant», tente de cerner ces journalistes qui «couvrent les conflits» un peu partout dans le monde.Tous les jours, l’actualité nous offre des images de ces affrontements qui secouent la planète. Des scènes percutantes ou encore des reportages qui saisissent. Il y a eu la Bosnie, l’Irak, le Rwanda et maintenant l’Afghanistan, l’Égypte et la Tunisie. Les massacres et les affrontements jalonnent l’histoire de l’humanité.
 Quelques journalistes emboîtent le pas des soldats, tentent de montrer ce que vivent les populations dans ces pays en guerre. Pour un reportage de quelques minutes, une poignée d’images, ils mettent leur vie en danger. Plusieurs sont blessés, d’autres tués. Certains sont capturés et détenus en otage pendant des semaines.
Nous oublions souvent que ces hommes et ces femmes ont des conjoints et des enfants. Ils abandonnent tout pour traquer les nouvelles qui feront les manchettes une journée ou deux. Le spectateur un peu gavé, indifférent, regarde le tout sans s’émouvoir. Mais qu’en est-il de ceux qui restent derrière et qui surveillent les bulletins d’information en se mordant les lèvres.
«Je suis pleine de questions, pleine de doutes. Pleine de rage. J’ai envie de me jeter sur toi, de te rouer de coups, de te mordre jusqu’au sang. J’ai envie de pleurer, envie que tu me prennes dans tes bras. Je voudrais te caresser la joue. Tout ça en même temps.» (p.10)

Pourquoi

Danielle Laurin a questionné Florence Aubenas, Roger Auque, François Bugingo, Michel Cormier, Sara Daniel, Pierre Foglia, Céline Galipeau, Anne Nivat et bien d’autres. Des noms connus de ceux qui suivent l’actualité. Ils sont quasi des familiers.
Ils ont vu des massacres, des bombardements et les corps mutilés. Pourtant, s’ils peuvent décrire les manœuvres des militaires sur le terrain, ils demeurent silencieux avec leurs proches, refoulant leurs émotions et leurs peurs. Ils deviennent peu à peu un inconnu pour l’épouse et les enfants.
«C’est insensé ce que je fais là. Et je le fais pourtant. Je cherche qui tu es, qui est l’étranger qui partage ma vie, à travers ces reporters qui risquent leur vie dans la guerre.» (p.37)
Pourquoi mettre sa vie en danger? Pour être là où ça se passe, témoigner, bousculer les choses... Certains militent, d’autres se contentent d’être un regard malgré la mort qui frappe partout. 
«Changer le monde, venir à bout de la violence, mettre fin à la guerre, ce n’est pas le rôle des travailleurs humanitaires. Pas plus que ce n’est le rôle des journalistes qui, d’ailleurs sont là pour témoigner, raconter ce qu’ils voient.» (p.173)
Danielle Laurin cerne ces kamikazes sans pour autant réussir à apaiser ses peurs et ses colères. Ces journalistes se précipitent là où la vie et la mort se tiennent par la main. Ils reviennent perturbés, incapables souvent de s’adapter à un monde qu’ils trouvent futile. Tout comme les militaires qui vivent difficilement leur retour après une mission de combat.
Un récit touchant, juste et bellement senti. Un témoignage exceptionnel.

«Promets-moi que tu reviendras vivant», de Danielle Laurin est publié aux Éditions Libre Expression.

dimanche 20 juin 2010

Georges-Hébert Germain peint les débuts du Saguenay

«La fureur et l’enchantement» de Georges-Hébert Germain nous plonge dans une période du Québec qui fascine nombre d’écrivains. La révolte des Patriotes, pendant les années 1837-1838 a fait l’objet de nombreux ouvrages et d’un très beau film de Pierre Falardeau. Signalons, entre autres, «Les derniers insurgés» du romancier et historien Yves Dupéré qui illustre les déchirements qui hantaient les esprits à l’époque.
Georges-Hébert Germain, tout en démontrant l’exaspération qui gronde dans la population francophone pendant ces années, peint la désespérance et une rébellion vouée à l’échec. Les Patriotes combattent l’armée de Colborne avec des discours qui ne font pas le poids devant les balles et les canons.
À La Malbaie, les esprits sont hantés par le Saguenay depuis des décennies. Le Royaume, le fief de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui y exploitait les fourrures, intéresse aussi William Price. Il est prêt à tous les subterfuges pour avoir accès aux grandes forêts de pins, jouant la Société des Vingt-et-un contre un Peter McLeod qui donne froid dans le dos.

Le rêve

François Simard, fils de Thomas, hésite entre la vie des Sauvage et celle des Blancs. Il a vécu son enfance au Saguenay avec ses amis Montagnais, hérité du goût de l’aventure de son grand-père Ange, un terrible malcommode. Cela ne l’empêche pas de rêver de s’assagir tout en vivant en homme libre.
«Il lui parlait encore et encore de son grand-père Ange Simard. Et du projet qu’il avait de se faire un jour une terre à lui dans la seigneurie de Murray Bay, entre la montagne et la mer. Il aurait des animaux, de la forêt, de la prairie, un gros ruisseau, une femme et des enfants. Une goélette aussi, comme son père et son grand-père. Et il serait toute sa vie un homme libre. Il ne travaillerait plus jamais dans les chantiers, ni pour les Anglais, ni même pour les Canadiens.» (p.19)
Il se retrouve mêlé à la révolte des Patriotes avec Julien et Marie dont il devient l’amant. Une femme passionnée, possessive et idéaliste. Il croise Chénier et différents chefs des insurgés, participe aux grandes réunions et aux escarmouches de Saint-Eustache. Il se rend vite compte que cette guerre est un véritable suicide.
«Plus les jours passaient, plus cette rébellion apparaissait dérisoire à plusieurs ; et illusoire la victoire. D’autant plus que, même parmi les meneurs, plusieurs suggéraient maintenant de lever le camp et laissaient entendre que Scott avait sans doute eu raison de partir. Même Chevalier de Lorimier, que personne ne pouvait accuser d’être un pleutre ou de vouloir protéger ses biens, était de cet avis.» (p.179)
François retourne à La Malbaie pour échapper à la police qui traque les rebelles, participe à l’aventure du Saguenay avec Alexis Tremblay et son père Thomas.

Premiers moments

Le lecteur vit les premiers moments de la nouvelle colonie. La nature est époustouflante, généreuse et le rêve tout aussi démesuré. On s’invente un pays, on combat le froid et la neige, on se heurte à Peter McLeod qui exploite autant les Montagnais que les Blancs. Les figures historiques défilent. William Price, Peter McLeod, Philippe Aubert de Gaspé père et fils, le journaliste Napoléon Aubin, Alexis Tremblay, Thomas Simard et Michel Simard qui s’installe à l’Anse-aux-Foins. Les femmes sont frondeuses et vivent l’amour sans trop se soucier des sermons du curé.
François rencontre Laurence à Caille, son rêve d’amour après bien des hésitations et des aventures, des combats où il frôle la mort.
Georges-Hébert Germain suit les gens de La Malbaie qui rêvaient d’un nouveau pays, avaient peine à croire aux manigances de William Price qui a fini par s’emparer du Royaume.
Des rêves brisés, mais une énergie et une volonté indomptables. L’espoir, l’amour, un coin de terre dont on trace les frontières à grands coups de hache permettent de réussir l’impossible. Un roman humain, touchant qui suit des personnages subjuguants. Il le fallait pour conquérir un Royaume. Une épopée, une fresque qui nous retient du début à la fin. Une belle manière de revivre les premiers moments d’une colonie qui allait devenir le Saguenay et le Lac-Saint-Jean.

«La fureur et l’enchantement» de Georges-Hébert Germain est publié aux Éditions Libre Expression.

samedi 6 mars 2010

Kim Thuy témoigne de la réalité d'une migrante

Kim Thuy est arrivée au Québec alors qu’elle avait dix ans. La fillette avait connu l’insouciance d’une vie aisée au Vietnam et puis la guerre, la victoire des Vietnamiens du Nord, l’apparition de soldats qui confondaient un soutien-gorge avec un filtre à café. 
Les parents de Kim Thuy auraient pu se retrouver au Lac-Saint-Jean. Plusieurs familles sont venues dans la région en fuyant cette guerre qui a déchiré non seulement le Vietnam mais aussi les États-Unis. Une ville adoptait alors une famille et tentait souvent maladroitement de leur faciliter les choses.
La petite fille qui ne parlait pas le français, qui ne savait rien des usages et des coutumes du Québec s’est retrouvée à Granby. Comment s’habiller avec le froid et la neige, comment manger cette nourriture différente quand on n’a jamais vu une fourchette?
«La ville de Granby a été le ventre chaud qui nous a couvés durant notre première année au Canada. Les habitants de cette ville nous ont bercés un à un. Les élèves de notre école primaire faisaient la queue pour nous inviter chez eux pour le repas du midi.» (p.31)

Les enfants

Les parents ne pensent qu’à leurs enfants. Ils sont l’avenir. Ils acceptent tout avec le sourire, surtout le père qui, après avoir mené la grande vie, doit se contenter d’emplois subalternes. La mère demeure volontaire, ambitieuse, consentant à tous les sacrifices. Elle qui ne savait que diriger des servantes doit apprendre à faire des ménages. Une réalité qu’il est difficile à imaginer.
«Mon père, lui, n’a pas eu à se réinventer. Il est de ceux qui ne vivent que dans l’instant, sans attachement au passé. Il savoure chaque instant de son présent comme s’il était toujours le meilleur et le seul, sans le comparer, sans le mesurer, c’est pourquoi il inspirait toujours le plus grand, le plus beau bonheur, qu’il fut sur les marches d’un hôtel avec une vadrouille dans les mains ou assis dans une limousine en réunion stratégique avec son ministre.» (p.73)
S’il faut tout découvrir, il est aussi impossible d’oublier… Comment chasser ce passé qui hante la petite fille? Un pays qu’ils ont quitté en abandonnant tout derrière eux. Ils ont fui sur des bateaux insalubres, avec ce qu’ils pouvaient emporter. Or, argent, diamants, quelques vêtements.
«Les gens assis sur le pont nous rapportaient qu’il n’y avait plus de ligne de démarcation entre le bleu du ciel et le bleu de la mer. On ne savait donc pas si on se dirigeait vers le ciel ou si on s’enfonçait dans les profondeurs de l’eau. Le paradis et l’enfer s’étaient enlacés dans le ventre de notre bateau.» (p.13)
Ils vivront la peur, les camps, la faim. Kim Thuy voyage ainsi entre sa réalité d’autrefois et sa nouvelle vie. Elle retournera à Hanoi pour se réconcilier avec cette partie d’elle-même. Elle y constatera surtout qu’elle est devenue une Québécoise.

Témoignage

Kim Thuy se montre une jeune femme fragile, un peu étrange parfois qui tente de souder les deux bouts de sa vie.
Elle témoigne de son vécu avec pudeur, parle de son fils autiste, ses parents et sa famille élargie. Ces fragments montrent une femme déchirée entre deux pôles et deux univers. Et peut-être le pire que peut vivre une émigrante, c’est ce sentiment de ne pouvoir exister sans avoir à regarder constamment derrière son épaule. La conscience d’être toujours en retrait, de se voir observatrice plutôt qu’agissante. Une façon de se protéger, de ne pas être étouffé par l’espoir ou la déception? Qui peut dire…
«J’aime les hommes de la même manière, sans désirer qu’ils deviennent miens. Ainsi, je leur suis une parmi d’autres, sans rôle à jouer, sans exister. Je n’ai pas besoin de leur présence parce que les gens absents ne me manquent pas. Ils sont toujours remplacés ou remplaçables.» (p.109)
«Ru» démontre qu’on ne change pas de vie en quittant un bateau ou en fuyant un pays la nuit. Il faut longtemps pour tourner la page et se sentir pleinement là. Tout ce que l’on dit sur les émigrants et leur insertion dans leur nouvelle société, Madame Thuy l’aborde subtilement, le démontre sans élaborer de thèse. Un témoigne vrai, juste, subtil, étonnant et émouvant. 

«Ru» de Kim Thuy est publié chez Libre expression. 

jeudi 15 décembre 2005

Jean O’Neil continue son exploration du Québec

Jean O’Neil, depuis des années, sillonne le Québec, raconte ses périples, esquisse des portraits d’hommes et de femmes. Cette fois, il nous entraîne au Témiscaminque et en Abitibi.
Un pays tout neuf comme on dit, un pays sans frontières qui a servi de déversoir «lors du retour à la terre». Rapidement, cet espace de lacs et de forêts d’épinettes, est devenue un Klondike. L’or et les métaux ont tout changé. L’Abitibi devenant le lieu où il était facile de s’enrichir en claquant des doigts. Du moins on le répétait!
O’Neil plonge dans ce pays mal connu, invente Mélodie qui devient muse, fantasme et guide. Même Champlain est du voyage.

Topographie

Intéressant d’apprendre qu’Eugène Rouillard a baptisé ce territoire du nom des officiers de Montcalm. Il était président de la Commission de géographie et responsable de la toponymie au Québec au moment de la colonisation.
«Quelques noms des cantons de ces braves? Du régiment de la Reine, Des Méloizes, Roquemaure, Hébcourt, Montbray, Dasserat; du régiment de la Sarre, Palmarolle, Duparquet, Duprat, Beauchastel; du Royal-Roussillon, Chazel, Poularies… » (p.35)
Des rencontres avec Michel Pageau, celui qui chante avec les loups. Il est devenu un héros après le passage de la télévision. Anne-Marie Larimée a inventé l’école à Saint-Clément-de-Beaudry et une foule de gens qui jurent que tout est possible dans ce pays. Même le cardinal Marc Ouellet a joué au hockey en Abitibi.
O’Neil décrit ce pays de façon attendrissante quand il se laisse porter par la Harricana ou «la forêt enchantée» de Ville-Marie que j’ai eu le plaisir de visiter.
«Dans les eaux dormantes des fossés qui bordent les routes du Québec fleurit d’abord la salicaire, rouge, un peu moins que le sang, mais rouge à grandeur des chemins d’été qu’elle accompagne. Plus on avance vers le Nord toutefois, plus la salicaire cède sa place à l’épilobe, qui fleurit entre les jambes de l’orignal, qui fleurit rose tirant sur le violet dans une espèce de magenta qui décore tout un morceau de pays.» (p.105)
Des explorateurs, des inventeurs, des hommes et des femmes qui aiment ce pays et en parlent d’abondance. Des rencontres avec des joueurs de hockey, des politiciens, des curés, un évêque et qui encore?  Les originaux ne manquent pas.
Mais pourquoi Jean O’Neil ne mentionne jamais les écrivains qui décrivent ce pays sauvage et envoûtant? Jeanne-Mance Delisle, Jocelyne Saucier, Louise Desjardins, Susanne Jacob, Pierre Yergeau, Lise Bissonnette et Raoul Duguay sont aussi intéressants que Réal Caouette et Jacques Laperrière...
Encore une fois O’Neil manque de tonus. Mais certainement le récit le plus réussi… dans le genre O’Neil. Autant son écriture s’élève en épiphanies, autant elle devient anodine dans la page suivante.

«Mon beau Far West» de Jean O’Neil est paru aux Éditions Libre Expression.

dimanche 12 août 2001

L’art de nous faire découvrir notre pays

Jean O'Neil pratique l'art de la mouvance comme on le fait de la prière. Ses «escapades» occupent une journée, ces quelques semaines d'été, quand on cherche à oublier le travail pour n'être plus qu'un regard, qu'un chercheur «d'ailleurs». Ici, dans «Les escapades», il reprend une série de textes déjà parue dans le magazine Géo Plein Air. Une trentaine de courts récits où le chroniqueur livre ses découvertes, ses méditations au fil des saisons.
Jean O'Neil, c'est l'art de s'arrêter devant un arbre, un ruisseau qui descend à flanc de montagne, de s'extasier quand une chute de lumière aveugle quelques instants entre deux nuages. Il est tout aussi fasciné par un champignon qui éclate sous un arbre que par les jeux des lièvres dans une clairière. Il pratique l'écriture comme un peintre s'adonne à l'aquarelle.
Il traque la formule heureuse, l'image qui vous touche comme une caresse, la phrase qui se change en souffle tiède quand les feuilles murmurent dans une nuit de juillet. Jean O'Neil sait l'art des «petits bonheurs quotidiens» que l'on vit trop souvent sans s'arrêter.
Sans être un fidèle des récits de Jean O'Neil, il m'est arrivé de croiser l'un de ses livres assez régulièrement parce qu’il écrit beaucoup. Je pense à «Bonjour Charlie», à «Terre rompue» où O'Neil explorait un coin de pays que je connais particulièrement bien. J'ai toujours éprouvé du plaisir sans être enthousiasmé. Un peu de déception quand l'écrivain coupe rapidement, remue des clichés sans leur tordre le cou. Mais quel plaisir quand, au détour de la lecture, comme dissimulée derrière une grosse épinette joufflue, une image vous coupe le souffle. Il suffit de se pencher sur des morilles ou, retenir son souffle devant une sterne, à Godbout, quand elle se jette dans la mer. Après ce moment de grâce, nous sommes prêts à tout pardonner à Jean O'Neil.

Nouveau regard

L'homme explore, l'homme marche le Québec, nous entraîne dans des voyages que nous avons fait des dizaines de fois. Il raconte la ville, un bout de rue qui devient un sentier, s'attarde dans un parc pour surprendre le monde. C'est par cela surtout que Jean O'Neil est un écrivain nécessaire.
«Le printemps en ville, en banlieue surtout, c'est le merle qui siffle dans le lilas, aux crépuscules de l'aube et du soir, et qu'on voit sautiller sur la pelouse pour lui tirer les vers du nez. Ce sont les hirondelles bicolores qui font l'amour sur la corde à linge près du poteau où est planté leur nichoir.» (p.43)
Mot à mot, récit après récit, pas à pas, Jean O'Neil sillonne ce Québec qu'il aime et qu'il ne cesse de découvrir. Il a le très grand mérite de montrer à tous qu'il suffit d'avoir l'oeil, un peu de temps pour surprendre les merveilles qui nous entourent. C'est dans le détail, ces petites aquarelles qu'il faut le déguster sourire aux lèvres.
«La morille est une déesse. Elle se fait rare et subtile. Elle se pique d'être la délicatesse de la terre dans la grossièreté de son environnement, et elle fait cela avec une autorité gênante. Je ne sache pas que quiconque soit passé à côté d'une morille sans la voir. Si petite soit-elle, elle s'impose. Elle proclame humblement qu'elle n'appartient pas à son milieu.» (p.69)
Comment ne pas vouloir y goûter après cela?

«Les escapades» de Jean O’Neil est paru aux Éditions Libre Expression.