vendredi 28 avril 2017

Victor-Lévy Beaulieu s’attarde à Mark Twain

VICTOR-LÉVY BEAULIEU, comme il a su si bien le faire avec Herman Melville, James Joyce et Friedrich Nietzsche, récidive en décidant de scruter la vie et l’œuvre de Mark Twain, un écrivain américain qui a marqué son époque et influencé nombre d’écrivains. Des livres qui ont touché le jeune homme de Trois-Pistoles alors qu’il cherchait à se faire une place dans le monde du journalisme à Montréal.

Une fois de plus, Victor-Lévy Beaulieu, se tourne vers une grande figure de la littérature américaine pour se mesurer, évaluer peut-être sa propre démarche et sa vie consacrée à l’écriture. Une façon de jeter un coup d’œil sur la route parcourue depuis sa première publication en 1969. Je connais le nom de Mark Twain sans l’avoir lu. Ça arrive ce genre « de vide dans notre savoir littéraire ». Tous les lecteurs en ont.
Jack Kerouac en parle dans Journal de bord, son journal intime, comme d’un écrivain qui l’a marqué et qui est devenu l’un de ses maîtres. Je ne sais pour quelle raison, je ne me suis jamais retrouvé avec l’un de ses livres. C’est étrange parce que je suis de nature curieuse et quand un écrivain que j’aime lance un titre ou le nom d’un écrivain dans ses écrits, je m’empresse de me procurer l’une de ses publications. Il y a quelques années, j’ai fait l’effort de lire Don Quichotte de Cervantès pour combler un manque. J’avais toujours repoussé cette lecture pour des raisons mystérieuses.
Pourtant, je me suis passionné pour les écrivains des États-Unis pendant des années, lisant à peu près tout ce que je pouvais trouver. John Steinbeck, William Faulkner, Jack Kerouac, Henry Miller. Plus récemment Pat Conroy, John Irving et Paul Auster. Hemingway bien sûr, Truman Capote aussi. La liste pourrait s’allonger et donner le vertige.
Mark Twain est une célébrité à son époque et contrairement à bien des Américains, il sait que le Canada existe, particulièrement Montréal. Il y vient régulièrement pour réclamer ses droits d’auteur. Le problème ne date pas d’aujourd’hui. Il était l’ami de Louis Fréchette, l’auteur de La légende d’un peuple, celui que l’on a trop souvent classé comme « un imitateur de Victor Hugo ». Jean-Claude Germain, dans sa courte préface, nous rappelle que Fréchette avait ses aises aux États-Unis. C’était assez fréquent, semble-t-il, à l’époque d’aller au pays d’Andrew Johnson. La migration de nombreux Québécois alors faisait en sorte que les francophones se sentaient un peu chez eux aux États-Unis, particulièrement dans certains états. Il s’est fait un plaisir de recevoir son ami avec tous les égards qui lui étaient dus. Ce n’est pas tous les jours que le Québec alors reçoit une vedette de la littérature. Twain a même prononcé un discours mémorable à Montréal.

CONTACT

Victor-Lévy Beaulieu a trouvé un écrit de Samuel L. Clemens (le vrai nom de Mark Twain) alors qu’il s’aventurait dans le métier de journaliste. Il est devenu un modèle qui l’a aidé à trouver sa manière de dire et peut-être aussi sa façon un peu particulière d’aborder un sujet et de le « rendre dans ses grosseurs ».

Ainsi que je l’ai déjà dit, j’appris les rudiments du journalisme quand, après ma maladie et la convalescence d’un an qui suivit, je décidai de faire une croix sur mon avenir à la Banque Canadienne Nationale. Le Journal de Montréal en était alors à ses commencements et je trouvai à m’y faire embaucher grâce aux quelques articles que j’avais publiés ici et là- pigiste, ça s’appelait quand, n’étant pas à l’emploi exclusif d’une entreprise de presse, vous alliez de l’une à l’autre pour y proposer vos sujets de reportage. (p.67)

Ce fut un peu la même chose quand j’ai commencé à jouer de la dactylo pour Le Quotidien du Saguenay-Lac-Saint-Jean. J’étais écrivain d’abord (j’avais deux livres de publiés) et prenaient mes textes pour des créations littéraires. C’était une forme de journalisme que l’on ne voyait guère dans le journal de Chicoutimi. Les gens réagissaient beaucoup à mes chroniques délirantes. Je m’approchais peut-être de la façon de Twain sans le savoir. Les patrons aimaient moins mon humour et ma façon peu orthodoxe de couvrir un événement, surtout pendant un cours séjour dans la section des sports. Il faut l’avouer, je m’y ennuyais terriblement. J’avais dû m’expliquer devant le directeur de la rédaction pour ma couverture d’une partie de baseball à Jonquière. Je ne racontais que les courses d’un petit chien qui échappait à sa maîtresse chaque fois qu’un joueur frappait la balle. Il voulait l’attraper à coup sûr et bondissait sur le terrain en jappant. Les gens applaudissaient. Le patron n’avait pas compris qui était la vedette de ce match. Ce chien était plus spectaculaire que toute l’équipe des Voyageurs de Jonquière.

PERSONNEL

On connaît la démarche de Beaulieu. Un pas dans l’œuvre de l’écrivain qu’il explore et un autre dans la sienne. Pour qui connaît les livres de l’homme de Notre-Dame-des-Neiges, il n’y a pas de grandes révélations. La grande blessure que constitue le départ des Trois-Pistoles, l’exil à Montréal, la vie de famille dans un appartement exigu où tous se marchent sur les pieds, les premières tentatives d’écriture et la lecture sur la galerie du logement pour trouver un peu la paix ont été racontés à maintes reprises. La découverte du journalisme aussi.
Le désir également de retrouver le paradis perdu du rang Rallonge, l’aventure dans le monde de l’édition et de la télévision.

Ses pulsions, l’éditeur doit être en mesure de les contrôler, car s’il agissait autrement, il ne serait plus en mesure de garder une certaine distance entre lui-même et les manuscrits dont il prend connaissance et pour lesquels sa tâche consiste à en faire des « produits » qui, une fois fabriqués, entrent dans le cycle du capitalisme donc celui d’une consommation qui échappe, sinon aux pulsions des acheteurs, du moins à celles du marché, lesquelles se fondent sur les besoins essentiels à la survie de l’espèce humaine. (p.271)


Beaulieu ne craint pas de revenir sur les étapes de sa vie, ce que tout écrivain fait d’une façon ou d’une autre, y ajoutant des précisions qui font le délice de ses admirateurs. Je ne me lasse pas, trouvant toujours un petit quelque chose qui ajoute à ma connaissance de la vie et l’œuvre de cet écrivain que j’admire.
Twain aura fait un parcours assez semblable à celui de Beaulieu, du moins dans les premières étapes de sa vie. Une famille pauvre à Florida pour Twain, un coin perdu du Missouri, la lutte pour s’en sortir et connaître une certaine aisance matérielle. Ce sera une véritable obsession chez le frère de Twain, rêveur impénitent et impulsif. Un doué pour les projets qui tournent au fiasco et qui lui soutire régulièrement de l’argent. J’ai un frère qui correspond à ce type de rêveur. Il n’a cessé de réinventer la roue tout au long de ses nombreuses entreprises en voulant m’entraîner dans son sillage. Je suis bien trop prudent pour lui avoir cédé.

FORTUNE

Mark Twain fera fortune en faisant des tournées à la Charles Dickens (on sait que le grand écrivain anglais faisait des tournées en Angleterre pour lire ses livres. C’était un événement attendu et les gens se précipitaient pour l’entendre lire des passages de ses nouveaux livres. Il est venu aux États-Unis et au Canada, créant l’événement) tout en se laissant exploiter par son frère Orion ou escroquer par un associé dans l’aventure de l’édition. Il a publié les mémoires du président américain Ulysses S. Grant. Un succès de librairie, un désastre financier à cause de cet associé malhonnête. Il avait peut-être le sens du récit, l’art de parler en public, mais pas la fibre des affaires.
Il aura pourtant une vie exemplaire d’écrivain, d’homme de parole et sera d’une fidélité exemplaire envers sa femme et ses filles. Un énorme succès matériel, mais une vie personnelle difficile avec la mort qui frappe souvent et fait qu’il se ronge de culpabilité. Surtout lors du décès de son jeune fils et de l’une de ses filles.
Une présence fascinante sur la scène et devant ses admirateurs, une vie intime et personnelle particulièrement difficile. Des drames qu’il dissimulera souvent sous les habits de l’humour. Il sera forcé, après son aventure dans l’édition, à entreprendre une tournée mondiale pour se refaire financièrement malgré une santé plutôt chancelante.
Victor-Lévy Beaulieu l’accompagne dans ce cheminement qui sort de l’ordinaire, réfléchit sans cesse à sa vie, son travail d’écrivain, se regarde si l’on veut dans les yeux de ce frère étranger qui s’est sacrifié pour l’écriture. Un beau moment de lecture, même si Beaulieu ne s’avance pas dans l’œuvre de Twain comme il le fait avec Melville, Joyce ou Nietzsche. Il s’en tient à ce que dit l’auteur dans son autobiographie que j’ai terriblement envie de lire maintenant. Il faudra que je m’encabane pendant tout un hiver pour y arriver. Parce que 5000 pages, seulement pour son journal, il faut avoir du temps devant soi. Mais qui sait, les aventures de lecture me tentent toujours et je vais m’y mettre un de ces jours.
Et il faudrait bien que je vous explique pourquoi Beaulieu a choisi un titre aussi étrange.

Twain trouva à s’engager comme apprenti-pilote. L’une des tâches de l’apprenti-pilote était de surveiller les bas-fonds lorsqu’on naviguait près des côtes. Lorsqu’il ne restait plus que deux brasses de tirant d’eau, l’apprenti-pilote devait crier « Mark Twain ! », ce qui signifiait qu’on était alors à douze pieds de toucher le fond. D’où le pseudonyme que Samuel Clemens adopta quand sa carrière d’écrivain prit son envol, Mark Twain ! Deux brasses ! Douze pieds ! Mark Twain ! Je m’appelle Mark Twain ! (pp.170-171)

Voilà, vous savez tout ou presque maintenant. Il ne vous reste qu’à vous plonger dans ce livre pour connaître une nouvelle page de l’Amérique et certains aspects de la vie de Victor-Lévy Beaulieu.

À DOUZE PIEDS DE MARK TWAIN de VICTOR-LÉVY BEAULIEU est paru aux Éditions Trois-Pistoles.


PROCHAINE CHRONIQUE : TAQAWAN d’ÉRIC PLAMONDON, roman paru chez Le QUARTANIER.




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