LE TITRE D’UN ROMAN est souvent une piste à
suivre ou encore une tentative de mystification. Le lecteur y trouve une invitation,
comme s’il regardait une affiche qui indique le chemin à parcourir et le
nom de la ville ou du village qui s’annonce. J’ai toujours adoré des titres
comme La petite fille qui aimait trop les
allumettes de Gaétan Soucy ou Les
Yeux bleus de Mistassini de Jacques Poulin. C’est quasi un poème ou une forme
de slogan qui résonne longtemps en vous. Je dois avouer qu’avec Fanie Demeule,
je me suis demandé où elle voulait m’entraîner et dans quoi elle cherchait à m’attirer.
Roux clair naturel est demeuré une
abstraction jusqu’à ce que je comprenne, après quelques pages, qu’il était
question de cheveux.
Les roux n’ont jamais eu bonne
réputation dans l’histoire humaine. On a souvent associé ces personnes à la
passion, la violence, la sexualité et aux maléfices du diable. Plus, les traites
et les vilains au théâtre et au cinéma sont souvent des roux. Cette couleur pilaire
au Moyen Âge était celle du renard pour montrer la ruse et la bestialité de ces
femmes et ces hommes que le hasard avait marqués au fer rouge. Même que
Séraphin dans la nouvelle mouture des Belles
histoires des pays d’en haut est un roux. Homme passionné, étrange,
manipulateur, cruel, capable du pire comme du meilleur, il correspond au cliché.
Fanie Demeule, bouscule et
nous met le nez devant l’image qui hante notre société. Tout tourne autour de cette
fameuse teinte qui obsède le personnage qui veut être rousse envers et contre
tous, même si elle est plutôt brune ou ce que l’on nomme blond vénitien, un
blond avec des reflets de rousseur. Me voilà qui me pose en expert, moi qui ne
me suis jamais intéressé à ce sujet. C’est peut-être aussi une question qui
fascine plus les femmes que les hommes. Je ne sais pas. En tous les cas, je
n’ai jamais fait attention à ce genre de problème. Dans ma vie, il y a ceux qui
ont des cheveux et les autres, comme moi, qui les cherchent avec une loupe.
Être rousse pour la narratrice
(c’est écrit au je et la tentation est forte de l’associer à l’auteure) c’est
atteindre un idéal et elle fera tout pour tromper son entourage, sauf sa mère
qui ne rate jamais une occasion de lui répéter que ce n’est pas sa vraie
couleur.
Je nais rousse. Ma tête blonde jette des éclats fauves, hésitant
entre le cuivre et l’or, un mirage qui mystifie la parenté. On veut les
toucher, les palper, voir s’ils sont chauds, soyeux, réels. On les
photographie, les dessine au pastel. Ma mère s’évertue à faire taire ceux qui
m’appellent rouquine. Pour elle, je suis strictement blonde. Même si on
insiste, même si on lui dit que mes cheveux sont d’un beau blond vénitien. Ma
mère n’aime que les choses précises. (p.15)
« Chaque regard qui se pose
sur moi me fait exister davantage. » Nous voilà devant la question du paraître,
ce à quoi il faut correspondre pour incarner la beauté, la sensualité ou la
virilité. Nous vivons et périssons par l’image dans le monde du selfie et des médias qui définissent les
normes. Être rousse pour l’héroïne de Fanie Demeule, c’est respirer et exister
DRAME
Bien sûr, c’est un drame
contemporain que ce monde obsessif qui vit et périt par l’image, où l’on passe
son temps à scruter son téléphone intelligent pour exister sur les réseaux
sociaux et devenir quelqu’un peut-être. Je n’ai jamais compris pourquoi des
gens, surtout dans les festivals d’été, se photographient tout au long du
spectacle et se regardent en tournant le dos aux musiciens et à la scène.
L’important est-il de dire : « J’y étais, vous me voyez là ! J’existe devant
une vedette. J’étais de l’événement. » On en oublie de participer à la fête et
il semblerait que c’est devenu un cauchemar pour les comédiens, surtout au
théâtre. Les hommes et les femmes n’arrivent plus à se détacher de leur téléphone
qui est greffé à leur main gauche. Ils n’écoutent plus et se surveillent, ne
vivent plus, mais existent dans l’image et le monde virtuel.
Lorsque ma grand-mère m’embrasse, je sais que je ne suis pas la seule
à qui elle destine ses baisers. Dans le regard affectueux qu’elle pose sur mon
visage, je perçois la tendresse dédiée à sa mère écossaise. Sa mère morte puis
ressuscitée, sa mère-petite-fille à qui je ressemble, selon elle, trait pour
trait, jusque dans la rousseur. Je suis sa revenante chérie. (p.17)
Voilà le drame de ce
personnage qui tente par tous les moyens de correspondre à des fantasmes et à ceux
de son copain qui ne pense qu’aux rousses. Une véritable fixation.
Rapidement, elle devient prisonnière,
se débattant dans un jeu où elle doit tricher pour faire croire à tous qu’elle
est une « vraie rousse ». Elle devra utiliser la magie des teintures, se livrer
à des séances de plus en plus fréquentes pour avoir toujours le bon reflet dans
le miroir et l’oeil de son amant qui ne le voit pas, mais l'imagine comme un
symbole et un mythe.
IMAGES
Fifi Brindacier, la petite aux
couettes volantes qui a fasciné nombre d’enfants dans les années cinquante fait
son apparition. La jeune rousse incarnée par Inger Nilsson a subjugué la
narratrice. Fifi vivait en adulte dans une
grande maison en attendant son père qui était toujours parti sur les mers si je
me rappelle bien. Je me souviens d’un cheval, je crois. Une fillette
entreprenante qui pouvait tout réussir et d’une force physique peu commune. Pas
question de la mère cependant, du moins je ne sais plus.
Le personnage de Fanie Demeule
devient l’audacieuse sans peur et sans reproche, le symbole de la sexualité et la
femme de feu. Il y a aussi ces rousses qui brûlent l’écran sur les sites
pornographiques que son homme fréquente. Elle cherche à être mieux que ces icônes,
à les surpasser pour incarner tous les fantasmes.
Étrange spirale de tricheries
et de mensonges. Nous traversons le miroir avec Alice et découvrons la réalité,
les obsessions, les traumatismes, les craintes et les angoisses qu’affronte celle
qui veut être une autre et se nie de toutes les façons possibles.
J’entends le soupir que pousse ma mère lorsque je me lève. Une
fois assise sur la cuvette, j’inspire, expire, inspire, expire. Je ne reviens à
la table que lorsque je sens que la discussion est passée, que le danger est
écarté. Je me promets qu’au besoin, je tomberai au sol, simulerai une crise de
panique, appellerai une ambulance. Je pourrais aussi faire accidentellement
chuter une chandelle allumée sur le tapis. (p.61)
Nous sommes dans le monde de l’anorexie
qui se prive de tout pour atteindre un objectif de minceur, correspondre à un idéal
que l’on ne cesse d’afficher partout. La dictature de l’image que l’on impose
grâce aux médias et au matraquage publicitaire. C’est aussi l’univers de la
transformation physique qu’aborde Nelly Arcand. Celui de Karoline Georges dans
son roman bouleversant qu’est De synthèse.
La chirurgie plastique permet de corriger un visage, de se glisser dans un
corps de rêve et vivre en dehors de soi. Ça peut aller jusqu’à changer de sexe
en prétendant que la nature s’est trompée.
EXISTENCE
Tout repose sur cette
apparence pour la narratrice qui sait que son homme va la délaisser si elle ne titille
plus ses fantasmes, si elle n’est pas digne de celles qu’il examine sur son écran
d’ordinateur.
Je ne pensais jamais me
passionner pour un tel propos. Au-delà de la couleur des cheveux, c’est un drame
terrible, celui de chercher à correspondre ou à se mouler à un standard à la
mode, le refus de soi pour s’imaginer autre.
Pour la jeune femme, ça veut
dire s’éloigner de sa famille parce qu’ils ont des photos et qu’ils peuvent la démasquer.
Ce problème somme toute anodin devient une véritable névrose qui plonge le
personnage dans des angoisses qui lui font perdre contact avec sa réalité.
Avec le plus grand sérieux, tu entreprends de m’expliquer qu’une
rousse, on ne la laisse pas partir. Jamais, et sous aucun prétexte. C’est une
chose trop rare, trop précieuse. Si elle fait mine de s’éloigner, il faut la
retenir. Je veux que tu me retiennes à tout prix. (p.55)
Une double vie s’impose. Comment
faire en sorte que son passé ne la trahisse pas, arriver à poser ses pas dans
ceux de sa grand-mère qui s’est inventé des origines écossaises
quand elle était Belge ? Il semble qu’il n’y a pas que la couleur des cheveux
dans ce roman qui est héréditaire. La spirale se referme et la narratrice tourne
en rond, obsédée, se surveillant pour ne pas échapper à son image.
Mes cheveux m’en veulent. Ils poussent de plus en plus vite.
Chaque soir, je vois une ombre se former près de mes tempes. Chaque dimanche,
je brasse les substances, fait taire la noirceur qui émane de mon crâne. Chaque
lundi, mes cheveux brillent d’un éclat renouvelé, impeccable. Tellement
naturel, tellement vrai. (p.83)
Madame Demeule nous plonge
dans l’angoisse d’une névrosée qui échafaude des manœuvres pour éloigner ses
proches et s’enfoncer dans son mensonge qui devient de plus en plus lourd. Elle
étudie son reflet dans un miroir, son allure, sa démarche, s’enferme dans une
prison d’où elle ne peut s’échapper. Drame terrible et insupportable.
J’ai peur que tu ne les détectes et que les mots de ma mère te
reviennent à la mémoire. J’ai peur que tu fasses le lien, tous les liens. J’ai
peur que tu saches depuis le début et que ce soi toi qui me fasses marcher.
D’un jour à l’autre, tu pourras t’en aller, me laisser tomber et partir avec
cette histoire pour la répéter à qui veut l’entendre. Tu pourrais me détruire.
(p.102)
VÉRITÉ
Dire la vérité, c’est saborder
un univers que l’on a mis des années à inventer. Il ne reste que l’acte ultime,
le geste sans retour qui va faire tout basculer. J’en suis demeuré médusé,
incrédule et un peu claudicant dans ma tête. Pourquoi sommes-nous dépendants de
l’image, obsédés par notre apparence ? Pour ne pas voir les bouleversements
climatiques, les gouvernements qui se transforment en comètes inaccessibles ?
Pour oublier peut-être les débats, les confrontations sur le port des signes
religieux, de vêtements qui deviennent des enjeux politiques et sociétaux ?
Une écriture efficace qui ne
vous laisse jamais un moment de répit. À vous faire désespérer de la nature
humaine et à vous rendre terriblement méfiant devant vos rêves et vos
fantasmes. Je me suis mis à regarder autour de moi et à chercher les petits
mensonges que j’invente pour projeter une certaine idée de ma personne, les
efforts que j’effectue pour demeurer visible dans l’oeil de mes proches. Je
pense que personne n’échappe à ce désir de vouloir corriger sa vie, à
dissimuler des épisodes de son passé que nous aimons plus ou moins…
Le roman de Fanie Demeule m’a
fait m’attarder devant un miroir, pour me surprendre dans ce que je
suis et tel que les autres peuvent me voir. Surtout quand on emprunte
régulièrement le chemin de la fiction. C’est peut-être une image que nous
poursuivons et que nous cherchons à imposer dans des intrigues plus ou moins personnelles,
de gros livres aux titres évocateurs.
ROUX CLAIR NATUREL, roman de FANIE DEMEULE, publié chez HAMAC
ÉDITEUR, 2019, 162 pages, 19,95 $.
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