jeudi 20 juin 2024

DES UKRAINIENS PARLENT DE LA GUERRE

LETTRES d’Ukraine est d’actualité, malheureusement. Ces récits intimes, publiés aux Éditions Somme toute, une collaboration avec Le Devoir, ont été supervisés par Magdaline Boutros, journaliste à ce journal. Une initiative qui a permis à neuf Ukrainiennes et Ukrainiens de raconter ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils subissent depuis que la Russie a envahi leur pays, le 24 février 2022. Ce que l’on pensait impossible est devenu réalité quand l’armée de Vladimir Poutine a franchi les frontières de l’Ukraine pour foncer vers Kiev, la capitale. Un premier jalon avait été posé avec l’annexion de La Crimée et d’une partie de l’est de l’Ukraine en 2014.

 

La lettre que l’on croyait obsolète, il n’y a pas si longtemps, avec tous les outils modernes de communications, recouvre ici sa noblesse et toute son importance. En période de guerre, les bidules qui nous sont si familiers ont des ratés et la bonne vieille missive de papier est peut-être le moyen ultime de rejoindre quelqu’un. Des hommes qui se retrouvent au front et des familles qui fuient pour échapper aux bombardements et qui n’arrivent plus à se rassurer sur leur sort de leurs proches. On existe alors au jour le jour, dans l’incertitude du lendemain et dans le cauchemar d’ignorer ce que subissent les êtres aimés. 

Lettres d’Ukraine présente des témoignages qui décrivent une réalité que tous les reportages de la télévision ne peuvent montrer. La guerre moderne, celle qui touche tout le monde, la plus barbare et horrible de l’histoire, ne se fait plus entre soldats et armées. La population civile devient la cible des missiles et des drones qui tentent d’affamer les gens, de les traumatiser en détruisant toutes les infrastructures et en provoquant des famines. Manque d’eau, de nourriture, de refuges adéquats et de combustible pour résister au froid ou à la chaleur. C’est le cas en Ukraine et c’est encore plus fragrant en Palestine après l’attaque du Hamas contre Israël qui exerce une vengeance aveugle en multipliant les bombardements sur les villes, empêchant le ravitaillement et l’entrée des secours venant de l’étranger. Les familles coincées dans la bande de Gaza vivent l’inimaginable et l’horreur au quotidien. On parle d’une moyenne de 300 morts par jour dans cette guerre atroce du côté des Palestiniens.

 

PROJET

 

Des femmes et des hommes écrivent à des proches dans Lettres d’Ukraine, des êtres chers pour exprimer tout l’amour qu’ils éprouvent pour eux, pour les rassurer en faisant preuve d’optimisme même si tous savent que ce peut être la dernière missive qu’ils envoient. La guerre, c’est ça. Chaque seconde sous les bombardements peut être aussi la fin. Sur ces territoires de conflits, le futur est une notion vague et survivre est une sorte de miracle.  

 

«Le matin du 24 février 2022, lorsque l’armée russe a envahi militairement l’Ukraine, 43 millions d’Ukrainiens ont vu leurs vies, telles qu’ils les connaissaient, voler en éclats. “L’inimaginable s’est produit”, m’a soufflé au téléphone Kostyanty Batozksy, un résident de Kiev, quelques heures après le début de l’assaut. “On vit un cauchemar”, a-t-il continué.» (p.13)

 

Cauchemar. Il n’y a pas d’autres mots. Des millions de personnes sont prisonniers des ruines dans les villes et les villages. Que dire, que faire quand plus rien n’est certain et que votre maison peut s’effondrer lors de la prochaine attaque?

Le quotidien est déchiré par l’appel des sirènes, le sifflement des missiles ou le bourdonnement des drones qui apportent la mort. Des explosions partout. Les rues, les jardins, les écoles et les hôpitaux sont bombardés et il n’y a nulle part où aller. Les murs s’écroulent et tous se terrent dans les sous-sols ou encore se risquent sur les routes, arrivent parfois à trouver une place dans un train qui circule même s’il est la cible de l’armée ennemie. Fuir, traverser la frontière pour retrouver une existence à peu près normale et redevenir une personne. Des milliers d’hommes et de femmes vivent cette situation partout dans le monde. La guerre fait un nombre de plus en plus important d’exilés qui dépendent des pays qui ouvrent leurs frontières pour les accueillir. La Pologne, par exemple, a fait énormément pour les réfugiés ukrainiens depuis le début de ce conflit qui s’enlise.

 

LES MOTS

 

Tous pouvaient écrire à qui ils voulaient. Kateryna Rashevska a choisi d’envoyer une lettre à Ithor Shcherbak, son amoureux, qui a rejoint les rangs de l’armée pour résister dès le début du conflit. Il n’a jamais hésité à partir pour combattre.

 

«À ce moment-là, ma vie a changé à jamais. La guerre a emporté presque tout ce dont nous avions rêvé. Elle a volé toutes les pensées lumineuses d’un avenir dans lequel nous aurions pu être heureux. J’ai demandé à ma sœur s’il n’y avait qu’une chance infime que ce ne soit qu’un cauchemar et que tu sois en vie. Et que je pourrais te trouver. Te ramener à la maison. Elle m’a répondu que c’était la fin.» (p.31)

 

Ithor Shcherbak, l’amoureux, a été tué au front. Pour Kateryna, l’avenir vient de s’envoler. Cette tragédie est vécue par des milliers de femmes qui apprennent la disparition de leur compagnon lors d’un affrontement avec les Russes ou encore dans l’explosion d’une bombe. Un drame terrible de stupidité et de cruauté que l’on ne croyait plus envisageable, du moins sur le territoire européen. Une horreur ces pilonnages, la destruction des villages et des villes qui deviennent des cimetières et des ruines. 

Le chaos partout. 

La senteur de la mort dans les rues pleines de gravats. Une existence impossible, une entreprise de survivance qui demande toute leur énergie. Un voisin sort pour aller chercher du lait et il est soufflé par une bombe. Et un soldat, Vaentyn Ilchuk qui écrit à sa fille Leia pour se prouver qu’il est encore un humain et un père peut-être.

 

«Ce qui me rend complètement fou, par contre, c’est le temps qui nous est volé. Cela fait un an que nous sommes devenus une famille Zoom-longue distance. Ça fait un an que nous nous parlons tout au plus une fois par jour. Il y a tellement de choses qui se sont passées dans nos vies auxquelles je n’ai pu assister — ça me fait mal. Et j’en suis vraiment désolé.» (p.42)

 

Et il faut résister, garder espoir, se concentrer sur le maintenant, sur chaque seconde du jour avec le sentiment que tout peut prendre fin dans le prochain geste ou encore après un sourire à son enfant. 

 

«Tout à coup, nous avons entendu une explosion et, l’instant d’après, nous étions tous les trois blessés. Nous saignions et nous entendions des gens hurler autour de nous. Je gisais dans une marre de mon propre sang, et tout ce dont je me souviens c’est du visage inquiet d’un soldat ukrainien qui tentait d’arrêter le sang et de m’extirper de la camionnette.» (p.65)

 

C’est juste ça l’horreur de la guerre, le pire que l’humain peut infliger à ses semblables, à ses pareils d’un autre état. Tout cela pour satisfaire l’obsession de certains despotes qui sont prêts à tout pour avoir plus de pouvoir et qui ne seront jamais rassasiés.

Certains tiennent un journal quotidien pour s’accrocher à la vie par les mots et des bouts de phrases, peut-être aussi, je crois, pour tenter de comprendre ce qui arrive à leur pays et à ceux qui ont disparu. Le rêve fou se répète depuis des mois et semble ne jamais devoir prendre fin. D’autres écrivent tout simplement à un inconnu, à soi-même, pour savoir s’ils existent et s’ils sont toujours parmi ceux que l’on nomme les humains, à cet autre qu’ils étaient avant que tout ne bascule et qu’ils ne doivent manier des armes pour protéger des proches, leur coin de terre et leur village. 

Des pleurs, des mots qui se lestent de tout le poids d’une vie, une situation impossible à imaginer tellement cela sort de tout ce que nous pouvons concevoir, nous, les consommateurs frénétiques de l’Amérique. 

 

AIDE

 

La rue, le jardin ne sont plus fiables, la mort vient du ciel à tous les moments du jour et de la nuit, la peur empêche de dormir et coupe le souffle. L’angoisse de penser que le geste qu’ils osent est peut-être le dernier. 

Et ce conflit qui s’éternise, que l’Ukraine ne peut remporter qu’avec l’aide des pays occidentaux. Chaque hésitation des dirigeants en Europe ou en Amérique se traduit en morts en Ukraine. Tergiverser, c’est permettre à l’envahisseur de lancer des bombes sur les villes et villages, de multiplier les morts qui sont déjà beaucoup trop nombreux. 

Tous gardent espoir cependant et répètent qu’ils vont la gagner cette guerre, qu’ils vont libérer leur pays de l’agresseur. Parce qu’être vaincu, dominé par la Russie serait pire que la mort. Il faut vaincre. Il n’y a pas d’autres choix.

Que dire de plus pour traduire ce que vivent ces femmes et ces hommes, ces enfants qui ont été kidnappés et emportés en Russie pour les acculturer? Il reste peut-être à se taire et à les écouter penser, réfléchir, aimer et résister de toutes les fibres de leur être. La guerre de maintenant dépasse en horreur et en cruauté tout ce que l’on peut imaginer. Le règne de la haine et de la barbarie est bien de retour. 

Des témoignages bouleversants d’hommes et de femmes qui démontrent un courage hors du commun. Des héros et des héroïnes du quotidien qui soulèvent mon admiration et toute ma compassion. 

 

BOUTROS MAGDELINE : Lettres d’Ukraine, récits intimes d’un pays en guerre, Éditions Somme toute, Montréal, 144 pages. 

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