ÉVA QUITTE TOUT et retourne
dans son pays d’origine, à Maldoror en Abitibi, près du lac Kaganoma où son
père possède un chalet. Un ressourcement, la paix loin de Montréal et de ses
agitations, une année sabbatique pour se refaire une santé physique et mentale.
Son paradis devient un lieu d’affrontements entre un homme d’affaires qui veut
créer un site touristique pour de riches Américains et les résidents qui cherchent
à protéger leur lieu de silence et de beauté. La lutte est sans merci entre Dan
Dubois, un comédien et cinéaste engagé et Lionel Viger, le roi de l’Abitibi,
qui carbure aux projets et mène tout le monde au doigt et à la baguette.
Fascinant roman
que Autour d’Éva de Louis Hamelin. On
sait l’écrivain sensible à l’environnement et la vie sauvage. Ce n’est pas la
première fois qu’il met en scène des militants qui tentent de protéger un coin
de pays contre les exploiteurs qui vendent du rêve et finissent par tout saccager.
La confrontation avait lieu dans Le
joueur de flûte où un groupe d’écologistes tentait de protéger des arbres
millénaires sur une île de la Colombie-Britannique. Un sujet que Bill Gaston
touche également dans son très beau roman Suintula.
Cette fois, l’affrontement
se déplace en Abitibi, près du lac Kaganoma, une étendue d’eau à peu près intacte
malgré les chalets qui s’égrènent discrètement sur les berges boisées. Les
animaux y vivent en paix et il est possible de se laisser envoûter par les
appels du huart tôt le matin ou encore de plonger nu dans l’eau claire sans
craindre les regards d’un voisin.
Lionel Viger est un
homme qui a su s’enrichir en intriguant à gauche et à droite, en sachant tirer
les bonnes ficelles politiques. Un frénétique à qui personne ne résiste et qui est
convaincu que tout s’achète et que tout se vend. Dan Dubois, cinéaste et
comédien, lutte pour la protection de l’environnement et dénonce des scandales
dans des documentaires attendus. Il n’est pas sans rappeler Richard Desjardins
qui tout en composant des chansons et donnant des spectacles, a dénoncé le sort
que les forestières ont réservé à la forêt boréale ou encore la situation
insoutenable des Algonquins en Abitibi. Dubois est charismatique, attire les
médias, possède du panache et du bagou. La lutte s’engage et Éva se retrouve au
cœur de l’action, un peu parce qu’elle est là, parce qu’elle aime son coin de
pays et qu'il y a Dan.
GRAND COMBAT
Les
environnementalistes sont presque toujours les perdants dans ce genre
d’affrontement. Il y a bien ce groupe exceptionnel qui a réussi à faire reculer
Hydro-Québec qui pensait construire des barrages sur la rivière Ashuapmushuan
dans les années 1970, mais les victoires se comptent sur les doigts de la main.
Pour un triomphe, il faut recenser vingt défaites. Le pouvoir d’affaires et
politique parvient presque toujours à ses fins. La dernière lutte du genre dans
mon coin de pays aura été celle des militants pour empêcher la construction
d’une centrale hydroélectrique à Val-Jalbert, près de Roberval. Un échec retentissant.
Les terres sont
publiques, c’est vrai. Jusqu’à ce que les vassaux des grosses compagnies qui
dirigent le ministère des Ressources naturelles en décident autrement. C’est ce
qui vient d’arriver au Kaganoma : ils s’en sont découpé une tranche de
2500 hectares qu’ils ont cédée à un consortium américain allié à un promoteur
local du genre roi nègre, pour un prix gardé secret au moment où on se parle.
Et écoutez bien ça : savez-vous combien de temps le ministère de
l’Environnement (qui, allez donc savoir pourquoi, se sentait concerné par la
transaction) a eu pour évaluer le projet ? Un gros vingt-quatre heures. (p.69)
Monique Proulx
s’est lancé dans une histoire similaire dans Champagne et nous a donné un roman puissant, parfaitement incarné
dans des personnages tourmentés qui défendent la nature pour des raisons pas
toujours très nettes.
Louis Hamelin ne
donne pas dans la dentelle et utilise ses personnages pour montrer deux pensées
qui se dressent l’une devant l’autre dans tous les projets de la société. L’écrivain
s’amuse en les décrivant dans leur grandeur et surtout dans leur petitesse.
Lionel Viger est
vulgaire, effronté, parvenu, baveux, prétentieux et carbure à l’argent, aime écraser
ceux et celles qui s’opposent à lui. Il traite les gens, et surtout les femmes,
comme de vieux chiffons que l’on jette après usage. Il sait être convaincant et vit frénétiquement.
Le GPS de Viger
a des contrats avec le gouvernement. Le Plan pourpre, les crédits d’impôt pour
la création d’emplois dans les nouvelles technologies, c’est lui. Les détails
commencent à sortir. On a appris que Viger touchait un pourcentage sur ces
fameux crédits d’impôt. Un membre du cabinet peut pas s’afficher avec un homme
pareil, est-ce que j’ai vraiment besoin de t’expliquer ça ? Donc, au Kaganoma,
le ministre des Ressources naturelles est en conflit d’intérêts, conclut Éva.
(p.291)
Dan Dubois est un
séducteur qui collectionne les aventures amoureuses. Il aime se voir à la
télévision et être à l’avant de la scène, parvient à entraîner les gens dans
son sillage comme il trouble la paix du lac Kaganoma avec ses allers et retours
en hydravion.
CYNISME
Ce qui m’a un peu troublé
dans ce roman, c’est le cynisme de Louis Hamelin. Pas un personnage ne trouve
grâce, du moins ceux qui tiennent le haut du pavé. Tous sont des mégalomanes, ne
reculent devant aucune manœuvre pour arriver à leurs fins. Même Dan, le
champion écologiste, est plein de contradictions et on se demande sur quoi
reposent ses convictions quand il abat un ours près de son chalet pour le
plaisir de tuer.
Pourquoi sa lutte pour
préserver un territoire sauvage ? Pour en jouir égoïstement ou pour avoir
un statut dans la société, préserver une image de contestataire ?
Intransigeant, il tasse les gens du revers de la main tout comme son ennemi Viger. Les deux sont des mâles
alpha qui s’imposent et qui ne tolèrent aucune opposition. Ce sont des dominants
qui savent mordre quand il faut et les femmes viennent à eux comme des
papillons vers les flammes.
Il est vrai que
les humains ont tous des faiblesses et des côtés sombres, mais Hamelin
caricature dans ce roman. Il utilise surtout un ton qui m’a souvent heurté,
comme s’il rédigeait un pamphlet particulièrement virulent sur la nature
humaine.
Tous les
politiciens succombent au pouvoir et se laissent corrompre. Personne n’y
échappe. Heureusement qu’il y a Éva. Une femme tourmentée, forte et solide,
plus consistante et humaine. Elle parvient à se tenir à la surface, devine
toutes les manœuvres de son amoureux Dan et de Viger. Elle est le regard, la
témoin qui surveille des marionnettes qui s’affolent. Et elle comprend, voit le
jeu de l’un et l’autre.
Cette
personnalisation excessive du mouvement a donné lieu à des épisodes qui ne sont
pas sans rappeler les tares des régimes totalitaires : délit de pensée (ce
membre du CA victime d’une purge pour avoir professé un mode de vie
hypernaturel), contrôle de l’information (un cinéaste indépendant chassé de la
forêt du Kaganoma), procès et répression paranoïaques d’un « ennemi intérieur »
(éviction d’un autre membre du CA pour contacts informels avec un officier de
police). Autant de petites taches qui, il faut bien le dire, cadrent
parfaitement avec la logique d’une certaine culture machiste, à l’œuvre dans
Autour depuis le début. (p.375)
LOI DE LA NATURE
Hamelin aime croire que la société humaine n’est pas différente de celle des bêtes qui parcourent
le territoire du lac Kaganoma. De courts textes, comme une réflexion sur le
monde animal, montrent que la loi dans la forêt est impitoyable. Le plus gros
avale le plus petit jusqu’à être tué par un plus fort, un plus rusé. Pas de
pitié et de tendresse. Un univers cruel, sans âme et sans empathie.
Le monde politique
est corrompu, peu importe les idées et les partis. Les hommes ne pensent qu’à
dominer et à bander le plus souvent possible avec une nouvelle conquête. Il
reste peut-être l’écrit, les mots pour dire certaines choses, ce qu’Éva fera
dans les colonnes du journal de son père et peut-être plus tard dans les
magazines.
Un roman qui
laisse perplexe parce que les figures de proue déçoivent et qu’ils sont
interchangeables dans le grand spectacle des affrontements. Un regard assez
désespérant sur notre société et l’avenir. Mais comment demeurer optimiste dans
une époque où l’on voit un Donald Trump devenir président des États-Unis et un
Philippe Couillard se présenter en sauveur ?
Hamelin frappe
fort et on ne peut qu’être dépité devant un tel portrait. J’aime bien,
peut-être naïvement, croire qu’il y a encore des gens qui ont des principes, luttent
pour des causes en respectant les autres. Ce genre de héros ne fréquente pas le
monde d’Éva ou ils sont rapidement largués. Autour d’elle, les prédateurs s’agitent
et c’est pourquoi, à la toute fin, elle se retrouve encore plus seule que quand
elle a quitté Montréal. Viger est mort de ses excès et Dan a disparu pour s’illustrer
dans un autre combat, surgir dans une cause qui lui permettra d’entretenir son
aura médiatique. Le cynisme ne tue pas, mais il dérange et fait mal.
AUTOUR
D’ÉVA de
LOUIS HAMELIN est publié chez BORÉAL ÉDITEUR.
PROCHAINE
CHRONIQUE :
Nue et crue lettre au poète disparu de GISÈLE
VILLENEUVE, paru chez LÉVESQUE ÉDITEUR.
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