Le frère Marie-Victorin affirmait : « On ne possède pas un territoire qu’on n’a pas nommé. On ne connaît pas
un territoire dont on ne connaît pas le nom ». Le Québec demeure un espace
à dire par le roman, la poésie, l’essai ou le carnet. La Tuque est l’un de ces territoires
où la littérature se fait discrète. Bien sûr, Félix Leclerc nous a présenté son
pays et Louis Caron a sillonné le secteur de la Mauricie dans plusieurs romans.
Quel auteur vit dans cette ville ? J’ai cherché. Francine Brunet, dans Le nain, nous entraîne dans cette agglomération
située au cœur de la forêt, l’un des plus beaux lieux du Québec.
Il ne faut pas s’attendre à
une description détaillée de la ville. Le secteur est évoqué, le moulin qui veille
sur la ville de 15 000 habitants, recouvre tout de sa fumée et de son odeur. C’est
une papetière après tout. Un espace, des personnages qui fascinent. Francine Brunet
m’a accroché par son monde et son écriture. Il a suffi de quelques phrases et je
savais que j’irais jusqu’au bout.
Edmond n’avait pas atterri dans le bon corps. En plus, on avait oublié
de l’envoyer à l’école. Une chance qu’il avait conçu tout seul un code qu’il
inscrivait dans un cahier à trois trous avec une couverture jaune. Ses
notations étaient numérotées de 1 à 9, les seuls chiffres qu’il avait jugé
nécessaire de connaître. (p.9)
Un ton, une galerie de
personnages gravite autour d’Edmond que tous nomment le nain. Tante Nini se
traîne par terre, ses jambes ne la portent plus à cause de la polio. Ti-Bi son
cousin, un déficient léger est passionné par la musique, tante Marion se perd
dans la fumée de ses cigarettes. Elle fume, fait des lavages et repasse des
vêtements toute la journée. Que dire de Towing et Trois Gallons, la belle
policière qui fait tourner les têtes et de Fernande Pouliot, cette infirmière
qui sait tout… Il y a aussi Éva la mère d’Edmond avec son œil malade. Une sorte
de pirate.
La Tuque, je disais, un pays
de forêt, de montagnes. La rivière Saint-Maurice, l’une des plus belles du
Québec.
L’air était froid maintenant. L’automne régnait et les couleurs des
feuillus explosaient entre les conifères. Une saison parallèle s’édifiait à
même cette nature : la chasse à l’orignal. Alice avait aperçu ses premiers
panaches couronner le toit ou le capot des véhicules. Elle avait assisté à
différentes parades de véhicules tout-terrain, ce qu’on appelait des VTT, et
avait vu s’ériger la tente du Festival du Bûcheron. Les magasins de la rue
Commerciale avaient déguisé leur devanture en forêt de contreplaqués.
L’ambiance était festive, joyeuse. (p.62)
Et nous voilà dans une histoire
étrange. Edmond collectionne tout ce qu’il trouve, surtout des clous. Il pratique
le troc. Autrement dit, il échange des objets pour d’autres. Sa passion pour
les trains miniatures l’obsède et il ne cesse de se procurer de nouveaux wagons
pour allonger son réseau ferroviaire qui va finir par envahir toute la maison.
Une façon de partir, de s’évader du quotidien peut-être.
Il faut autre chose pourtant pour
faire un roman. Je n’avais pas prévu ça. J’étais en plein roman policier. Trop
tard pour reculer, j’étais accroché. Je ne fréquente pas tellement le genre
voyez vous, mais je ne pouvais plus abandonner le nain que Trois Gallons surveillait
en imaginant les pires sévices. Les fausses pistes se multiplient. J’étais devenu
un chien fou qui va partout en tentant de savoir ce qui était vraiment arrivé. J’en
ai un peu honte maintenant.
Monde ordinaire
La population de La Tuque
vaque à ses occupations. Les policiers patrouillent, la belle Alice, la jeune
médecin légiste, arrivée pour un stage, cause un certain remous sur son
passage. Même Edmond n’est pas indifférent. Pas de quoi impressionner Fernande
Pouliot, l’infirmière qui pourrait en remontrer aux plus grands spécialistes.
Un accident de la route, un
véritable carnage, la découverte d’une certaine quantité de drogues dans l’auto
de Gérard Doucet, un citoyen au-dessus de tout soupçon. La Sûreté du Québec
mène une opération partout en province pour démanteler un réseau de trafiquants.
Nous avons l’habitude depuis quelques années. Trois Gallons, le frère du
policier Harold Michaud est la victime toute désignée. Il rêvait de porter la
veste de cuir des motards et a découvert très tôt qu’il aimait faire souffrir
les gens. L’enquête traîne, le verglas fige tout le pays et peut-être aussi les
cerveaux. On s’en souvient. Une étrange anémie frappe plusieurs jeunes.
Qu’est-ce qui se passe ?
Des moments très beaux,
tendres même, une poésie toute simple m’a retenu. On dirait ces relais le long
de la route où nous pouvons nous arrêter pour respirer, regarder, être bien
dans tout son corps.
Edmond éteignit la télé et se rendit à la fenêtre. La neige avait cessé
d’imiter les lignes d’un cahier. Elle tombait debout en chancelant. Il supposa
que la vie comme la neige ne passait pas en ligne droite. Elle ne venait pas de
l’arrière et n’allait pas de l’avant. La vie descendait, même en tournant en
rond, et disparaissait. Il se décolla de la vitre, fit sa ronde de pompier et
se coucha. (p.93)
Tante Nini en a assez de vivre
sur le plancher. On peut parler de suicide assisté. Ti-Bi déménage et délaisse son
cousin. Il n’en a plus que pour son nouveau piano. Edmond est retrouvé mort
dans le bain, vêtu d’un gros manteau de fourrure. Qui a tué le nain ? Trois
Gallons ? Il est le coupable désigné. Et que racontent ces fameux cahiers à
trois trous que l’on a trouvés chez le nain ? Des messages codés, une liste de
transactions douteuses. Nous voilà à chercher partout, dans des histoires
d’amour, des vengeances, des dépendances, des obsessions qui sont le lot de
tout le monde.
Souffle
J’ai lu ce roman d’un
souffle, me perdant volontiers dans les méandres d’une histoire qui semble
tourner en rond et que l’écrivaine prend plaisir à pousser dans toutes les
directions. Je suis redevenu un adolescent qui découvre des personnages et s’enfarge
dans une intrigue qui ne cesse de s’embrouiller. C’est un art que de raconter
une histoire, de faire vivre des marginaux qui restent crédibles. Francine
Brunet réussit de manière étonnante. Une fin qui vous surprend et que l’on
aurait pu deviner. Les indices sont là, dissimulés un peu partout comme les
traces d’un orignal dans la forêt. J’aurais fait un bien mauvais enquêteur. Le
coupable n’est pas le coupable. Un peut tout le monde est peut-être responsable
de cette mort étrange. Une belle manière de parler de La Tuque et de la faire
entrer en littérature. Que demander de plus ? Une histoire solide, des
personnages fascinants, une écriture tout près de l’oralité, particulièrement
efficace et qui trouve des accents poétiques qui sont de véritables petits bonheurs.
Le nain de Francine
Brunet est paru aux Éditions Stanké.
http://www.editions-stanke.com/francine-brunet/auteur/brun1101
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