mercredi 10 septembre 2014

Une formidable façon d’entrer en littérature

Le frère Marie-Victorin affirmait : « On ne possède pas un territoire qu’on n’a pas nommé. On ne connaît pas un territoire dont on ne connaît pas le nom ». Le Québec demeure un espace à dire par le roman, la poésie, l’essai ou le carnet. La Tuque est l’un de ces territoires où la littérature se fait discrète. Bien sûr, Félix Leclerc nous a présenté son pays et Louis Caron a sillonné le secteur de la Mauricie dans plusieurs romans. Quel auteur vit dans cette ville ? J’ai cherché. Francine Brunet, dans Le nain, nous entraîne dans cette agglomération située au cœur de la forêt, l’un des plus beaux lieux du Québec.

Il ne faut pas s’attendre à une description détaillée de la ville. Le secteur est évoqué, le moulin qui veille sur la ville de 15 000 habitants, recouvre tout de sa fumée et de son odeur. C’est une papetière après tout. Un espace, des personnages qui fascinent. Francine Brunet m’a accroché par son monde et son écriture. Il a suffi de quelques phrases et je savais que j’irais jusqu’au bout.

Edmond n’avait pas atterri dans le bon corps. En plus, on avait oublié de l’envoyer à l’école. Une chance qu’il avait conçu tout seul un code qu’il inscrivait dans un cahier à trois trous avec une couverture jaune. Ses notations étaient numérotées de 1 à 9, les seuls chiffres qu’il avait jugé nécessaire de connaître. (p.9)

Un ton, une galerie de personnages gravite autour d’Edmond que tous nomment le nain. Tante Nini se traîne par terre, ses jambes ne la portent plus à cause de la polio. Ti-Bi son cousin, un déficient léger est passionné par la musique, tante Marion se perd dans la fumée de ses cigarettes. Elle fume, fait des lavages et repasse des vêtements toute la journée. Que dire de Towing et Trois Gallons, la belle policière qui fait tourner les têtes et de Fernande Pouliot, cette infirmière qui sait tout… Il y a aussi Éva la mère d’Edmond avec son œil malade. Une sorte de pirate.
La Tuque, je disais, un pays de forêt, de montagnes. La rivière Saint-Maurice, l’une des plus belles du Québec.

L’air était froid maintenant. L’automne régnait et les couleurs des feuillus explosaient entre les conifères. Une saison parallèle s’édifiait à même cette nature : la chasse à l’orignal. Alice avait aperçu ses premiers panaches couronner le toit ou le capot des véhicules. Elle avait assisté à différentes parades de véhicules tout-terrain, ce qu’on appelait des VTT, et avait vu s’ériger la tente du Festival du Bûcheron. Les magasins de la rue Commerciale avaient déguisé leur devanture en forêt de contreplaqués. L’ambiance était festive, joyeuse. (p.62)

Et nous voilà dans une histoire étrange. Edmond collectionne tout ce qu’il trouve, surtout des clous. Il pratique le troc. Autrement dit, il échange des objets pour d’autres. Sa passion pour les trains miniatures l’obsède et il ne cesse de se procurer de nouveaux wagons pour allonger son réseau ferroviaire qui va finir par envahir toute la maison. Une façon de partir, de s’évader du quotidien peut-être.
Il faut autre chose pourtant pour faire un roman. Je n’avais pas prévu ça. J’étais en plein roman policier. Trop tard pour reculer, j’étais accroché. Je ne fréquente pas tellement le genre voyez vous, mais je ne pouvais plus abandonner le nain que Trois Gallons surveillait en imaginant les pires sévices. Les fausses pistes se multiplient. J’étais devenu un chien fou qui va partout en tentant de savoir ce qui était vraiment arrivé. J’en ai un peu honte maintenant.

Monde ordinaire

La population de La Tuque vaque à ses occupations. Les policiers patrouillent, la belle Alice, la jeune médecin légiste, arrivée pour un stage, cause un certain remous sur son passage. Même Edmond n’est pas indifférent. Pas de quoi impressionner Fernande Pouliot, l’infirmière qui pourrait en remontrer aux plus grands spécialistes.
Un accident de la route, un véritable carnage, la découverte d’une certaine quantité de drogues dans l’auto de Gérard Doucet, un citoyen au-dessus de tout soupçon. La Sûreté du Québec mène une opération partout en province pour démanteler un réseau de trafiquants. Nous avons l’habitude depuis quelques années. Trois Gallons, le frère du policier Harold Michaud est la victime toute désignée. Il rêvait de porter la veste de cuir des motards et a découvert très tôt qu’il aimait faire souffrir les gens. L’enquête traîne, le verglas fige tout le pays et peut-être aussi les cerveaux. On s’en souvient. Une étrange anémie frappe plusieurs jeunes. Qu’est-ce qui se passe ?
Des moments très beaux, tendres même, une poésie toute simple m’a retenu. On dirait ces relais le long de la route où nous pouvons nous arrêter pour respirer, regarder, être bien dans tout son corps.

Edmond éteignit la télé et se rendit à la fenêtre. La neige avait cessé d’imiter les lignes d’un cahier. Elle tombait debout en chancelant. Il supposa que la vie comme la neige ne passait pas en ligne droite. Elle ne venait pas de l’arrière et n’allait pas de l’avant. La vie descendait, même en tournant en rond, et disparaissait. Il se décolla de la vitre, fit sa ronde de pompier et se coucha. (p.93)

Tante Nini en a assez de vivre sur le plancher. On peut parler de suicide assisté. Ti-Bi déménage et délaisse son cousin. Il n’en a plus que pour son nouveau piano. Edmond est retrouvé mort dans le bain, vêtu d’un gros manteau de fourrure. Qui a tué le nain ? Trois Gallons ? Il est le coupable désigné. Et que racontent ces fameux cahiers à trois trous que l’on a trouvés chez le nain ? Des messages codés, une liste de transactions douteuses. Nous voilà à chercher partout, dans des histoires d’amour, des vengeances, des dépendances, des obsessions qui sont le lot de tout le monde.

Souffle

J’ai lu ce roman d’un souffle, me perdant volontiers dans les méandres d’une histoire qui semble tourner en rond et que l’écrivaine prend plaisir à pousser dans toutes les directions. Je suis redevenu un adolescent qui découvre des personnages et s’enfarge dans une intrigue qui ne cesse de s’embrouiller. C’est un art que de raconter une histoire, de faire vivre des marginaux qui restent crédibles. Francine Brunet réussit de manière étonnante. Une fin qui vous surprend et que l’on aurait pu deviner. Les indices sont là, dissimulés un peu partout comme les traces d’un orignal dans la forêt. J’aurais fait un bien mauvais enquêteur. Le coupable n’est pas le coupable. Un peut tout le monde est peut-être responsable de cette mort étrange. Une belle manière de parler de La Tuque et de la faire entrer en littérature. Que demander de plus ? Une histoire solide, des personnages fascinants, une écriture tout près de l’oralité, particulièrement efficace et qui trouve des accents poétiques qui sont de véritables petits bonheurs.

Le nain de Francine Brunet est paru aux Éditions Stanké. 
http://www.editions-stanke.com/francine-brunet/auteur/brun1101

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